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Discussion:Œuvres complètes de Thucydide et de Xénophon (Buchon)/Guerre du Péloponnèse/Livre 2

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Texte inséré par Metrodore en page (59)

qu’ils agissent aussitôt, et se jetassent sur les maisons de leurs ennemis ; mais ils n’y consentirent pas, et se rangèrent en armes sur la place. Leur dessein était de s’y prendre avec douceur, par le ministère d’un héraut, et d’amener les habitans à traiter à l’amiable. Le héraut publia que ceux qui voudraient entrer dans la ligue des Bœotiens, suivant les instituts du pays, prissent les armes, et se joignissent à eux. Ils espéraient que la ville se rendrait aisément à de telles propositions.

III. Quand ceux de Platée apprirent que les Thébains étaient dans leurs murs, et s’étaient emparés inopinément de la ville, ils les crurent en bien plus grand nombre qu’ils n’étaient en effet ; ils n’en pouvaient juger pendant la nuit. Ils consentirent donc à traiter, reçurent les propositions qu’on leur faisait, et restèrent d’autant plus volontiers en repos, que personne n’éprouvait aucun mauvais traitement. Ils étaient dans ces dispositions, quand ils s’aperçurent que les Thébains n’avaient que peu de monde, et ils pensèrent qu’en les attaquant, ils auraient une victoire aisée : car le peuple n’était pas dans l’intention d’abandonner l’alliance d’Athènes. Ils résolurent donc d’en venir aux mains, et pour se concerter entre eux, sans être découverts en passant dans les rues, ils percèrent les murs mitoyens de leurs maisons. Des charrettes dételées furent placées dans les rues pour servir de barricades, lis firent toutes les dispositions que chacun jugea nécessaires dans les circonstances, tirèrent parti de tout ce qu’ils purent se procurer, profitèrent du reste de la nuit, et à l’approche de l’aurore, et firent une sortie sur les Thébains. Ils auraient craint de les trouver plus hardis à la clarté du jour, et que la défense ne fût égale à l’attaque ; au lieu que dans les ténèbres, on devait inspirer plus de terreur à des ennemis qui avaient le désavantage de ne pas connaître la ville. Us attaquèrent donc sur-le-champ, et se hâtèrent d’en venir aux mains.

IV. Dès que les Thébains reconnurent qu’ils étaient trompés, ils se formèrent en peloton, et repoussèrent de tous côtés ceux qui les attaquaient. Us les firent reeuler deux ou trois fois, mais quand les Platéens se précipitèrent sur eux à grand bruit, quand femmes et valets, avec des cris et des hurlemens, lancèrent, du haut des maisons, des tuiles et des pierres, quand une

pluie abondante vint à tomber au milieu des ténèbres, ils furent saisis de terreur. On était alors au déclin de la lune. Mis en fuite, ils couraient par la ville, dans l’obscurité, dansja fange, la plupart ignorant les passages qui auraient pu les sauver, et poursuivis par des ennemis qui les connaissaient tous, pour leur intercepter toute retraite. La plupart périrent. Un Platéen ferma la porte par laquelle ils étaient entrés, et qui seule était ouverte. 11 se servit, au lieu de verrou, d’un fer de lance qu’il fit entrer dans la gâche. Ainsi, de ce côté même, il ne restait plus d’issue. Poursuivis dans les rues, quelques-uns gravirent le mur, se précipitèrent en dehors, et se tuèrent presque tous. D’autres gagnèrent une porte abandonnée, trouvèrent une femme qui leurprèt ; i une hache, brisèrent la barre, et n’échappèrent qu’en petit nombre : car on s’en aperçut aussitôt. D’autres se dispersèrent, et furent égorgés. Le plus grand nombre, composé de tous ceux qui étaient restés en peloton, donnèrent dans un grand bâtiment qui tenait au mur : par hasard la porte était ouverte ; ils la prirent pour une de celles de la ville, et crurent qu’elle ouvrait une issue dans la campagne. Les Pla téens les voyant pris, délibérèrent s’ils ne les brûleraient pas tous, en mettant le feu à l’édifice, ou s’ils prendraient contre eux quelque autre parti. Enfin ces malheureux et tout ce qui restait de Thébains dans la ville se rendirent à discrétion, eux et leurs armes. Tel fut le succès de leur entreprise sur Platée.

V. D’autres Thébains devaient, avant la fin de la nuit, se présenter en corps d’armée pour soutenir au besoin ceux qui étaient entrés : ils reçurent en chemin la nouvelle de ce qui s’était passé, et s’avancèrent au secours. Platée est à quatre-vingt-dix stades de Thèbes’. L’orage qui survint pendant la nuit retardateur marche ; le fleuve Asopus se gonfla, et devint difficile i traverser. Ils marchèrent par la pluie, ne passèrent le fleuve qu’avec peine, et arrivèrent trop tard : leurs hommes étaient ou tués ou pris. A la nouvelle de ce désastre, ils dressèrent des em

1 Le stade olympique était de quatre-vingt-quatorze toises et demie. Les quatre-vingt-dix stades faisaient un peu plus de trois de nos lieues de deux milles cinq cents toises. Les anciens avaient un autre stade plus court ; il n’était que de soixante-seize toises et demie. Dix de ces stades faisaient un mille. Ils avaient aussi le petit stade, que d’Anville évalue à cinquante-sept toise ».

buscades à ceux des Platéens qui se trouvaient hors de la ville. 11 y en avait-dans les campagnes avec leurs effets, comme il arrive en un temps de paix où l’on vit dans la sécurité. Ils voulaient que ceux qu’ils pourraient prendre leur répondissent des leurs qui étaient dans la ville, s’il en restait à qui l’on eût laissé la vie. Tel était leur dessein. Ils délibéraient encore, quand les Platéens, se doutant du parli que prendraient les ennemis, et craignant pour ce qu’ils avaient de citoyens au dehors, firent partir un héraut, et le chargèrent de dire aux Thébains que c’était une impiété d’avoir essayé de prendre leur ville en pleine paix ; qu’ils eussent a ne faire aucun mal aux gens du dehors, s’ils ne voulaient qu’on donnât la mort aux prisonniers ; mais qu’on les leur rendrait s’ils quittaient le territoire.

Voilà du moins ce que racontent ceux de Thèbes, et ils ajoutent même que les Platéens jurèrent cette convention. Ceux-ci n’avouent pas qu’ils eussent promis de rendre les prisonniers : ils prétendent qu’ils étaient seulement entrés en conférence pour essayer d’en venir à un accord. et ils nient qu’il ait été fait de serment. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Thébains sortirent du territoire de Platée, sans y faire aucun mal, et que les Platéens n’eurent pas plus tôt transporté à la haie dans la ville tout ce qui se trouvait dans la campagne, qu’ils massacrèrent leurs prisonniers. Il y en avait cent quatre-vingts. De ce nombre était Eurymaque, à qui les traîtres s’étaient adressés.

VI. Après cette exécution, ils firent partir un messager pour Athènes, traitèrent avec les Thébains pour leur permettre d’enlever leurs morts, et firent dans leur ville les dispositions qu’ils crurent nécessaires.

Dès qu’on eut annoncé à Athènes ce qu’avaient fait les Platéens, on arrêta tout ce qui se trouvait de Bœotiens dans l’Allique, et l’on envoya un héraut à Platée, porter la défense de prendre aucun parti sur les Thébains qu’ils avaient en leur pouvoir, qu’Athènes n’eût ellemême statué sur leur sort ; car on n’y avait pas annoncé qu’ils n’étaient plus : le premier message était parti aussitôt après l’arrivée des Thébains, et le second au moment où ils venaient d’être vaincus et arrêtés. On ne savait encore à Athènes rien de ce qui avait suivi ; et c’était dans cette ignorance qu’on avait fait partir le héraut.

A son arrivée, il trouva les prisonniers égorgés. Les Athéniens vinrent ensuite en corps d’année à Platée, y portèrent des subsistances, y laissèrent une garnison, et emmenèrent les hommes inutiles, avec les femmes et les enfans.

VII. Cet événement de Platée devenait une rupture ouverte de la (rêve, et les Athéniens se préparèrent a la guerre. Les Lacédémoniens et leurs alliés firent aussi leurs préparatifs, et l’on se disposa des deux côtés à envoyer au roi et dans d’autres pays barbares, suivant que chaque parti espérait en tirer quelques secours. Ils firent entrer aussi dans leur alliance les villes qui étaient hors de leur domination. Indépendamment des vaisseaux que les Lacédémoniens avaient dans le Péloponnèse, il fut ordonné, dans l’Italie et dans la Sicile, aux villes qui étaient de leur parti, d’en fournir en proportion de leur grandeur jusqu’au nombre de cinq cents ; de préparer une somme d’argent déterminée, de se tenir d’ailleurs en repos, et de ne recevoir à la fois dans leurs ports qu’un seul vaisseau d’Athènes, jusqu’à ce que tous les apprêts fussent terminés. Les Athéniens firent le recensement des alliés sur lesquels ils devaient compter, et envoyèrent surtout des députés dans les pays qui entourent le Péloponnèse, à Corcyrc, à Céplialénie, chez les Acarnancs, à Zacynthc, pour savoir s’ils pouvaient se fier à leur amitié dans le dessein où ils étaient d’attaquer de toutes parts le Péloponnèse.

VIII. Les deux partis ne prenaient que des mesures vigoureuses. C’était de toutes leurs forces qu’ils se préparaient aux combats ; et cela devait être, car c’est toujours en commençant qu’on a le plus d’ardeur. Faute d expérience, une jeunesse nombreuse à Athènes se faisait alors une joie de tàter de la guerre. Au spectacle de cette f édération des villes principales, les esprits s’exaltaient dans le reste de la Grèce. Ce n’était, dans celles qui allaient combattre, et ailleurs, que gens qui répétaient des oracles, que devins qui chantaient des prédications. Délos, peu auparavant, avait été ébranlée par un tremblement de terre ; et aussi haut que remontât la mémoire des Grecs, elle n’en avait pas éprouvé d’autre on disait et l’on crut que c’était un présage de ce qui devait se passer. On faisait une curieuse recherche de tous les événemens de ce genre qui avaient pu arriver. Les esprits étaient généralement favorables aux Lacédëmoniens, surtout parce qu’ils avaient annoncé qu’ils voulaient délivrer la Grèce. C’était une émulation entre les particuliers et les villes à qui embrasserait leur parti, en paroles du moins, si ce n’était par des actions ; chacun croyait que les affaires souffrir raient quelque chose s’il ne s’en mêlait pas : tant l’indignation contre les Athéniens était générale, les uns voulant secouer leur joug, les autres craignant d’y être soumis. Ce fut avec de telles dispositions et dans un tel esprit qu’on se précipita dans la guerre.

IX. Voici les alliés qu’eurent les deux partis en la commençant. Ceux des Lacédémoniens étaient tous les peuples du Péloponnèse qui habitent au-delà de l’isthme, excepté les Argiens et les Achéens, qui avaient des liaisons avec l’un et l’autre parti. Les habitans de Pellène furent d’abord les seuls de l’Achaïe qui portèrent les armes pour Lacédémone ; tous les autres se déclarèrent ensuite. En deçà du Péloponnèse, ils avaient les Mégariens, les Locriens, les Bœotiens, les Phocéens, les Ampraciotes, les Leucadiens, les Anactoricns. Ceux qui fournirent des vaisseaux furent les Corinthiens, les Mégariens, lesSicyoniens, les habitans de Pellène, d’Éléc, d’Ampracie et de Leucade ; les Bœotiens, les Phocéens, les Locriens donnèrent de la cavalerie ; les autres villes de l’infanterie. Tels étaient les alliés de Lacédémone.

Ceux d’Athènes étaient les peuples de Chio, de Lesbos, de Platée, les Messéniens de Naupacte, la plus grande partie des Acarnanes, les Corcyréens, les Zacynthiens, sans compter les villes qui leur paient tribut dans un si grand nombre de nations ; la Carie, qui s’étend le long dès côtes de la mer, les Doriens, voisins de la Carie, l’Hellespont, les villes de Thrace, toutes les villes situées au levant, entre le Péloponnèse et l’Ile de Crète, toutes les Cyclades, excepté Mélos et Thères. Ceux de Chio, de Lesbos, de Corcyre, fournissaient des navires, les autres de l’infanterie et de l’argent. Telles étaient les alliances, et tel l’appareil guerrier des deux pârtis.

X. Les Lacédémoniens, après ce qui s’était passé à Platée, firent annoncer aussitôt aux villes alliées, tant de l’intérieur du Péloponnèse que du dehors, de préparer leurs forces, et de se munir de. tout ce qui était nécessaire

pour une expédition, parce qu’on allait se jeter sur l’Ai tique. Lorsque loul fut prêt au terme marqué, les deux tiers des troupes se rendirent sur l’isthme1, et l’armée entière se trouvant rassemblée, Archidamus, roi de Lacédémone, qui commandait cette expédition, appela les généraux des villes, les hommes revêtus des premières dignités, toutes les personnes de quelque considération, et parla ainsi :

XI. « Péloponnésiens et alliés, nos pères aussi ont eu bien des guerres à soutenir, tant dans le Péloponnèse qu’au dehors ; et les plus àj>és d’entre nous ne manquent pas d’expérience des combats : jamais cependant nous ne sommes sortis avec un plus grand appareil, mais c’est contre une république très puissante que nous marchons en grand nombre nous-mêmes, et brillans de courage. Ne nous montrous pas moins grands que nos pères, et ne dégénérons pas de notre propre gloire. Toute la Grèce est en suspens sur notre expédition ; toutes les pensées se fixent sur nous, mais avec bienveillance, et, par haine pour les Athéniens, on fait des vœux pour nos succès. Mais quoiqu’on puisse trouver que nous sommes en force, et regarder comme une chose bien assurée que l’ennemi n’osera venir se mesurer avec nous, il n’en faut pas marcher avec moins de prudence et de précaution. Général et soldat de chaque ville, chacun doit se croire toujours au moment de tomber dans quelque danger. Les événemensde la guerre sont incertains : souvent une action naît de peu de chose ; un emportement la produit. Souvent le plus faible, par un sentiment de crainte, combat avec avantage contre une armée supérieure, qui, par mépris, ne se tenait pas préparée. 11 faut donc, eu pays ennemi, avoir dans la pensée de combattre avec courage ; mais en effet se tenir prêt au combat avec un sentiment de crainte. C’est ; iinsi qu’on s’avance à l’ennemi avec plus de valeur, et qu’on soutient l’action avec moinsde danger.

« Ce n’est point contre une république incapable de se défendre que nous marchons : elle est abondamment pourvue de tout. Ses citoyens ne se montrent point en campagne, parce que nous ne sommes pas encore sur leur territoire— ; mais soyez certains qu’ils viendront nous com

1 Les deux lier » des troupes cntr.iiciit en campajjae ; un tiers restait pour la garde des villes. ( Sroliatste.

battre dès qu’ils nous y verront porter le ravage cl détruire leurs propriétés ; car tous les hommes s’irritent quand, sous leurs yeux et à l’instant même, ils voient des désastres qu’ils n’ont pas l’habitude de souffrir : moins ils raisonnent, plus ils agissent avec violence. C’est ce que doivent plus que personne éprouver les Athéniens ; eut tiers de commander aux autres ; eux plus accoutumés à porter le ravage chez leurs voisins qu’à le voir porter chez eux. Prêts à combattre une telle république et à couvrir de gloire et vous et vos aïeux, suivez vos généraux dans les événemenscontraires ou propices, et marchez où vous serez conduits, persuadés qu’il u’est rien de plus important que de se tenir sur ees gardes et en bon ordre, et d’exécuter les commandemens avec célérité. Le plus beau spectacle qu’offre la guerre, et ce qui promet le plus de sûreié dans les combats, c’est une foule d’hommes n’ayant ton ; ensemble qu’un seul mouvement. »

XI/. Après ce discours, Archidamus congédia l’assemblée, et fit partir pour Athènes un Spartiate, Méléïu’ppe, fils de Diacrile : il voulait essayer si les Athéniens ne seraient pas moins fiers, en voyant déjà les ennemis en marche ; mais ce député ne put être admis dans l’assemblée, ni même dans la ville. On avait résolu de s’en tenir à l’avis de Périclès, et de ne plus recevoir de hérauts ni de députés, dès que les Lacédémoniens se seraient mis en campagne. Ils le renvoyèrent sans l’entendre, et lui prescrivirent d’être hors des frontières le même jour, ajoutant que ceux qui l’avaient expédié n’avaient qu’à retourner chez eux, et qu’alors ils seraient maîtres d’envoyer des députations à Athènes. On fit accompagner Mélésippe, pour qu’il n’eût de communication avec personne. Arrivé sur la frontière et prêt à se séparer de ses conducteurs, il dit en partant ce peu de paroles : que ce jour serait pour les Grecs le commencement de grands malheurs.

Au retour de ce député, Archidamus, convaincu que les Athéniens étaient déterminés à ne rien céder, partit et fit avancer ses troupes vers l’Altique. Les Bœotiens avaient donné aux Péloponnésiens une partie de leurs gens de pied et toute leur cavalerie : avec ce qui leur restait, ils entrèrent sur le territoire de Platée et le ravagèrent.

Xlll. Les Péloponnésiens étaient encore rassemblés sur l’isthme ; ils étaient en marche et n’avaient pas encore pénétré dans l’Attiquc, quand Périclès, fils de Xanlippe, le premier des dix généraux qu’Athènes avait choisis, sachant qu’il allait se faire une invasion, pensa qu’Archidamus, qui lui était uni par les liens de l’hospitalité, pourrait bien de lui-même, et pour lui faire plaisir, épargner les terres qui lui appartenaient, et les préserver du ravage : il soupçonnait aussi que ce prince pourrait recevoir des Lacédémoniens l’ordre de le ménager pour le rendre suspect à ses concitoyens, comme ils avaient demandé aux Athéniens l’expiation du sacrilège pour le rendre odieux. Il prit le parti d’annoncer à l’assemblée qu’il avait pour hôte Archidamus, et qu’il ne devait résulter de cette liaison aucun inconvénient pour l’état ; que si les ennemis ne ravageaient pas ses terres et ses maisons de campagne comme celles des autres, il les abandonnait au public, et que ces ménagemens ne pourraient le rendre suspect. D’ailleurs, il renouvela, dans la conjoncture, les conseils qu’il avait déjà donnés de se bien tenir prêts à la guerre, de retirer tout ce qu’on avait à la campagne, d’entrer dans la ville pour la garder, au lieu d’en sortir pour combattre, de mettre en bon état la flotte qui faisait la force de l’état, et de tenir en respect les alliés : il représenta que c’était d’eux qu’Athènes tirait les richesses et les revenus d’où résultait sa puissance, et qu’en général, on ne se donnait à la guerre la supériorité que par la sagesse des résolutions et l’abondance des richesses. Il engagea les citoyens à prendre courage, en leur faisant le détail de leurs ressources : ils recevaient à peu près six cents talens 1 par an du tribut de leurs alliés, sans compter les autres revenus, et ils avaient encore dans la citadelle six mille talens d’argent monnayé2. H y en avait eu neuf mille sept cents ; mais le reste avait été dépensé pour les propylées de la citadelle3, et pour le siège de Potidée : il ne comptait pas l’or et l’argent non monnayé porté en offrande par les particuliers

1 Trois millions deux cent quarante mille livres, • Trente-deux millions quatre cent mille livres ! Harpocra’.ion rapporte, d’après Héliodorc, que le » Propylées avaient coûté deux mille douze talens, nu dix muions soixante et quatre mille huit cents livres.

et par le peuple, ni tous les v ; ises sacrés qui servaient aux pompes et aux jeux, ni les dépouilles des Mèdes, et autres richesses du même genre qu’on ne pouvait estimer moins de cinq cents talens1. II ajouta les trésors assez considérables des autres temples dont on pourrait se servir : et si toutes ces ressources ne suffisaient pas, on pourrait faire usage de l’or dont était ornée la statue de la déesse elle-même ; il montra que cet or pur pesait quarante talens2, et qu’il pouvait s’enlever. Mais il observa que si, pour le salut public, on se servait de ces trésors, il faudrait les remplacer dans leur totalité.

Tels furent les sujets d’encouragement qu’il leur montra dans leurs richesses. Il fit voir aussi qu’on avait treize mille hommes pesamment armés, sans compter ce qui était dans les garnisons, ou employé à la défense des murailles, qui se montait à seize mille hommes : car tel était le nombre de ceux qui les gardaient à l’époque où les ennemis se jetèrent sur l’Altique. C’étaient des vieillards hors de l’âge du service, des jeunes gens qui n’avaient pas encore atteint l’âge de la milice ; et tout ce qu’il y avait de simples habitans en état de faire le service d’hoplites. I, e mur de Phalère avait trente-cinq stades3 jusqu’à l’enceinte de la vilie, et la partie de cette enceinte qu’il fallait garder était de quarante-trois stades. On laissait sans gardes ce qui est entre le long mur et le mur de Phalère. Les longues murailles jusqu’au Pirée étaient de quarante stades, et l’on faisait la garde à la face extérieure. Le circuit du Pirée, en y comprenant Munychie, était en tout de soixante stades, dont on ne gardait que la moitié. Il montra qu’on avait douze cents hommes de cavalerie, en y comprenant les archers a cheval, seize cents archers, et trois cents hommes en état de tenir la mer.

Tel était l’appareil des Athéniens, sans qu’il y ail rien à réduire dans aucune partie, au moment où les Péloponnésiens allaient faire leur première invasion dans l’Attique, et qu’euxmêmes se préparaient à la guerre. Périclès,

1 Deux millions sept cent mille livre ».

  • Peux cent S ; ize mil e livres.
  • Il faut compter viofit-tept « lades, cinquanle-nne toise* cl demie pour nue de nos lieues de deux milh cinq ient> loues.

suivant sa coutume, ajouta tout ce qui pouvait leur faire connaître qu’ils auraient la supériorité.

XIV. Ils l’écoutèrent et le crurent. Ils transportèrent à la ville leurs femmes, leurs enfans et tous les ustensiles de leurs maisons, dont ils enlevèrent jusqu’à la charpente. Ils envoyèrent dans l’Eubéc et dans les îles adjacentes, les troupeaux et les bêtes de somme. Accoutumés, comme l’étaient la plupart, à passer leur vie à la campagne, ce déplacement leur était bien dur.

XV. Dès la plus haute antiquité, les Athéniens étaient dans cet usage plus qu’aucun peuple de la Grèce. Sous Cécrops et les premiers rois, l’Attique fut toujours habitée par bourgades qui avaient leurs prytanées et leurs archontes. Dans les temps où l’on était sans crainte, ils n’allaient pas s’assembler en conseil pour délibérer avec le roi : les habitans de chaque bourgade délibéraient et prenaient conseil entre eux. Il arrivait même à quelques-unes de lui faire la guerre : ce fut ainsi que les Éleusiniens la firent à Érechlée conjointement avec Eumolpus. Mais sous le règne de Thésée, entre diverses institutions qui tendaient à l’avantage de l’Attique, ce prince, qui joignait la sagesse a la puissance, abolit les conseils et les premières magistratures des bourgades, rassembla tous les citoyens dans ce qui est à présent la ville, et y institua un seul conseil et un seul prytanée. Les Athéniens continuèrent d’habiter cl de cultiver leurs champs ; mais il les força de n’avoir que cette ville : devenue un centre commun, elle s’agrandit, et elle était considérable quand Thésée la transmit à ses successeurs.

Depuis cette époque jusqu’à nos jours, les Athéniens célèbrent en l’honneur de la déesse 1 une fête publique qu’ils appellent xynœcia. Auparavant, ce qu’on nomme aujourd’hui Acropole ou citadelle, était la ville, et elle comprenait aussi la partie qu’elle domine qui est tournée du côté du midi. Il en reste une preuve ; car sans parler des temples de plusieurs divinités qui sont dans l’Acropole, c’est surtout vers cette partie de la ville, en dehors de la citadelle, que s’élève le temple de Jupiter, surnommé Olympien, celui d’Apollon Pythien,

1 Quand il s’agit d’Albènes, la déesse par excellence es Minerve, qui se nommait en grec Ai lient1.

celui de la Terréet celui de Bacchus aux Etangs : c’esl en l’honneur de ce dieu que l’on célèbre li s anciennes bacchanales le dixième jour du mois antheslérion usage que conservent encore les peuples de l’ionie, qui descendent des Athéniens. On voit aussi d’autres temples anciens dans ce même quartier. On peut ajouter a cette preuve la fontaine que, depuis les travaux qu’y ont faits les tyrans, on appelle les neuf canaux, mais qu’anciennement, quand la source était à découvert, on nommait Callirrhoë : comme elle était voisine de l’Acropole, on s’en servait aux usages les plus nécessaires, et maintenant il reste encore de l’antiquité la coutume de s’en servir avant les cérémonies des mariages et à d’autres usages religieux. C’est parce que les habitations étaient autrefois renfermées dans l’Acropole, que les Athéniens ont conservé jusqu’à nos jours l’habitude de l’appeler la ville.

XVI. Ainsi donc autrefois les Athéniens vécurent long-temps à la campagne dans l’indépendance, et depuis qu’ils furent attachés à une seule ville, ils conservèrent leurs vieilles habitudes. Les anciens et ceux qui leur succédèrent jusqu’à la guerre présente naquirent généralement et vécurent en familles dans leurs champs : ils ne changeaient pas volontiers de demeure, surtout après la guerre médique, parce qu’ils étaient peu éloignés de l’époque où ils avaient repris leurs établissemens. Ce fut avec peiue, et même avec un sentiment de douleur, qu’ils abandonnèrent leurs maisons et leurs temples : d’après leur ancienne manière de vivre, ils les regardaient comme un héritage paternel, et près d’adopter un nouveau genre de vie, ce n’était rien moins que leur patrie qu’ils croyaient abandonner.

XVII. Ils vinrent à la ville : mais fort peu d’entre eux y avaient des logemens, ou purent en trouver chez des parens ou des amis. La plupart s’établirent dans les endroits vagues, tels que les temples, 1rs monumens des héros ; partout enfin, excepté dans la citadelle, l’Eleusinium, ou quelques autres lieux exactement fermés. Ils s’emparèrent même de ce qu’on appelle

’Le mois antheslérion répondait au mois pluviôse du calendrier républicain des français, c’est-à-dire aux mois de janvier et février. [ocr errors]

au-dessous de l’Acropole. 51 avait été défendu avec imprécation de l’occuper, et cette défense était contenue dans ces derniers mots d’un oracle de Delphes : « Il vaut mieux que le Pélasgicon reste vide. » Cependant la nécessité força de l’habiter. Je crois que l’oracle fut accompli tout autrement qu’on ne s’y était attendu : car il ne faut pas croire que les malheurs d’Athènes vinrent de ce qu’où avait profané cet endroit en l’occupant ; mais ce fut le malheur de la guerre qui contraignit à l’occuper. C’est là ce que l’oracle n’exprima pas ; mais le dieu avait prévu qu’un fâcheux événement ferait un jour habiter ce lieu. Bien des gens s’emménagèrent aussi dans les tours des murailles, et chacun enfin comme il put ; car la ville ne pouvait contenir tant de monde qui venait s’y réfugier : on finit par se partager les longues murailles, et par s’y loger, ainsi que dans la plus grande partie du Pirée. En même temps on travaillait aux préparai ifs de la guerre, on rassemblait des alliés, on appareillait cent vaisseaux pour le Péloponnèse.Tellesétaient alors les occupations des Athéniens.

XVIII. Les Péloponnésiens s’avançaient. Ils entrèrent dans le dème2 de l’Atlique que l’on nomme Olînoé ; c’était de là qu’ils devaient faire leurs incursions. Quand ils eurent assis leur camp à la vue de ce fort, ils se disposèrent à en former le siège avec des machines de guerre et tous les autres moyens qu’ils pourraient employer. Comme Œnoé se trouvait sur la frontière de l’Attiquc, il était muré, et les Athéniens s’en servaient comme d’une citadelle en temps de guerre. Les Lncédémoniens préparèrent leurs attaques, et perdirent en vain du temps autour de la place ; ce qui ne contribua pas faiblement aux reproches que reçut Archidamus. 11 semblait avoir annonce de la mollesse au moment oû l’on s’était rassemble pour délibérer sur la guerre ; et, en ne conseillant pas avec chaleur de l’entreprendre, il avait paru favoriser les Athéniens. Depuis le rassemblement des troupes, le séjour qu’il avait fait dans

’I* Pélasgicon était l’endroit où s’étaient anciennement établis les l’él.is( ; es pendant la guerre qu’ils avaii nt faite contre Athènes. Ils furent chassés et les Àlbéi.ii us défendirent d’habiter désormais ce lieu.

  • t.’Aliiqne était panacée en dix phylés ou tribus, tfii étaient elles-mêmes subdivisées eu un plus uu moins (Ji ju 1 nombre, de tlémcs.

l’isthme, et sa lenteur dans le reste de la marche, avaient excité contre lui des rumeurs ; et il devenait encore plus suspect en s’arrèlant devant Œuoé, car c’était dans ce temps-là même que les Athéniens se retiraient dans la ville ; et si les Péloponnésiens avaient accéléré leur marche, et que le général n’eût pas mis de lenteur dans ses opérations, il est vraisemblable qu’ils auraient enlevé tout ce qui se trouvait en dehors.

C’est ainsi que les troupes d’Archidamus s’indignaient de le voir rester tranquille dans son camp. Il n’en persistait pas moins à temporiser, espérant, comme on le dit, que les Athéniens pourraient se montrer plus faciles, tant que leur territoire ne serait pas entamé ; mais ne croyant pas qu’ils se tinssent dans l’inaction, s’ils y voyaient une fois porter le ravage.

XIX. Après avoir essayé contre Œuoé tous les moyens d’attaque sans pouvoir s’en rendre maîtres, et sans recevoir aucune proposition de la part des Athéniens, ils quittèrent enfin la place, quatre-vingis jours au plus après le malheur des Thébains à Platée, et se jetèrent sur l’Attiqueau cœur de l’été, lorsque les blés étaient mûrs1. Archidamus, fils de Zcuxidamus, roi de Lacédémone, continuait de les commander. Ils s’arrêtèrent d’abord à Éleusis et dans les campagnes de Thria, les ravagèrent, et eurent l’avantage sur un corps de cavalerie vers l’endroit qu’on appelle les Ruisseaux2. Ils s’avancèrent ensuite à travers la Cécropie, ayant à leur droite le mont jEgaléon, et arrivèrent à Acharnes, l’endroit le plus considérable de ceux qu’on nomme dèmes dans l’Atlique. Ils s’y arrêtèrent, y assirent leur camp, et y restèrent long temps à le dévaster.

XX. Voici, dit-on, sur quel motif Archidamus se tenait en ordre de bataille dans les environs d’Acharncs, sans descendre dans la plaine pendant cette première invasion. Jl espérait que les Athéniens, qui avaient une nombreuse et florissante jeunesse, et dont jamais l’appareil guerrier n’avait été si imposant, sortiraient de

1 Seconde année de la quatre-viiifjt-sepjième olympiade, quatre cent trente-un ans avant l’ère vulgaire ; 26 juillet.

1 Rhiti ; c’était une source d’eau saumâtrfl : on la croyait produite par les eaux de l’Euripe qui filtraient par-desaou* la terre. (Pausan. Al tic.)

leurs murailles, et ne verraient pas paisiblement ravager leur territoire. Comme ils n’étaient venus à sa rencontre, nia Éleusis, ni datis les champs de Thria, il essaya s’il ne pourrait pas les attirer en campant autour d’Acharnés. D’ail

| leurs, l’endroit lui sembla propre à établir un camp, et il était probable que les Acharniens,

i qui formaient une partie considérable de la ré

I publique, puisque seuls ils fournissaient Iruîs mille hoplites, ne laisseraient pas désoler leurs campagnes, et se précipite ! aient tous au combat. Il supposait encore que si les Athéniens ne sortaient pas pour s’opposer à cette invasion, on saccagerait dans la suite le territoire avec plus d’assurance, et qu’on pourrait même s’avancer jusqu’à la ville. En effet, les Acharniens, dépouillés de leurs propriétés, ne s’exposeraient pas avec le même zèle au danger pour défendre celles des autres, et il y aurait beaucoup de division dans les esprits. Ce fut dans ces sentimens qu’il investit Acharnes.

XXI. Tant que l’armée s’était tenue autour d’Éleusis et des champs de Thria, les Alhétiiens avaient eu quelque espérance qu’elle ne s’avancerait pas davantage. Ils se rappe’aient que, quatorze ans avant cette guerre, Plistoanox, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, à la lète d’une armée de Péloponnésiens, avait fait aussi une invasion dans l’A Itique, à Éleusis et à Thria, et était retourné sur ses pas /sans pousser plus loin sa course’. Il est vrai qu’il avait été banni de Sparte sur ce qu’on pensait qu’il s’était laissé

j gagner par argent pour faire cette retraite. Mais quand ils virent l’ennemi autour d’Acharncs, à soixante stades de la ville, ils perdirent patience. On sent combien devait leur sembler

terrible de voir leurs campagnes ravagées sous

j leurs yeux, spectacle nouveau pour les jeunes gens, et même pour les vieillards, excepté dans

| la guerre des Mèdes. Tous, en général, et sur

1 Comme l’armée ennemie était nombreuse, Périctè »,

qui cberehait toujours à épargner le sang, ne voulut pas tenter |e sort d’une bataille. Mais voyant que Plisioanax était fort jeune, et que les éphores lui avaient donné pour conseil un l.acédémonien nommé Cléaudiidas, il essaya de gai ; uer ce dernier et parvint eu effet à le corrompre par argent. Plisioanax, sur l’avis de Cléandiirtas, retira son année : mais de retour à Sparte, le* Laeéiiémoniens le condamnèrent a une amende si forte qu’il m put la payer, et il lui oblige de quitter sa patrie : Cléandt idas prit la fuite et fut condamné.ï mort, ( Plut. Peric, tom. I, p. 362, édi|. Lond.)

tout la jeunesse, voulaient sortir, et ne pas mépriser un tel outrage. 11 se formait des groupes tumultuaires : on se disputait vivement ; les uns voulaient qu’on sortit ; d’autres, en petit nombre, s’y opposaient. Les devins chantaient des oracles de toute espèce, et chacun les écoutait suivant les passions dont il était agité. Les Acharniens, qui ne se croyaient pas une partie méprisa ; le de la république, et dont on ravageait les terres, pressaient la sortie plus que personne. Il n’était sorte d’agitation que n’éprouvât la république, et Périclès était l’objet de tous les rcssentimens. Les conseils qu’il avait donnés étaient inutiles ; on ne se rappelait plus rien, et on lui faisait un crime d’être généra !, et de ne pas mener les troupes au combat. C’était lui qu’on regardait comme la cause de tout ce qu’on avait à souffrir.

XXII. Persuadé qu’irrités, comme ils l’étaient, de leurs maux, on ne pouvait attendre d’eux aucune s ; ige résolution, et que lui-même cependant avait raison de s’opposer à leur sortie, il ne convoqua pas d’assemblée, ni ne permit derassemblemens. Il craignait que le peuple ne fit quelque faute en délibérant avec moins de jugement que de passion. 11 tint les yeux ouverts sur la ville ; et, autant qu’il le put, il y maintint le repos. Mais chaque jour il faisait sortir de la cavalerie pour incommoder les coureurs qui s’écartaient du gros de l’armée, et tombaient sur les champs voisins d’Athènes. Il y eut à Phrygies un petit choc de cavalerie athénienne et thessalienne contre la cavalerie bœoiicnne. Les Athéniens et les ïhessaliens se soutinrent sans désavantage jusqu’à ce qu’il survînt un secours d’h.plites bceotiens qui les obligea de se retirer avec peu de perle : ce qui ne les empêcha pas le jour même d’enlever leurs morts, sans être forcés d’en obtenir la permission. Cependant le lendemain les Péloponuésiens dressèrent un trophée.

La Thessalie donnait du secours à Athènes en conséquence de l’alliance qui régnait entre les deux peuples. II vint des Thessaiiens de Larisse, de Pbarsale, de Paralus, de Cranon, de Pirasus, de Gyrlone et de Phères, Ils étaient commandés par Polyinède et Aristonoiis, tous deux de Laçisse, mais de deux factions différentes1, et par

1 Larisse était alors partapée entre deux factions, dont l’une favorable à la démocratie et l’autre à l’oliaarchie.

Ménon, de Pharsale. Il y avait encore d’autres commandans pour les troupes de chaque ville.

XXIII. Les Péloponnésiens voyant leurs ennemis obstinés à ne pas sortir au combat, s’éloignèrent d’Acharnés, et ravagèrent quelques autres dêmes entre les monts Parnès et Britesse. Ils étaient sur le territoire de l’Attique quand les Athéniens envoyèrent autour du Péloponnèse cent vaisseaux qu’ils avaient appareillés, et que montèrent mille hoplites de leur nation et quatre cents archers. Les commandans furent Carcinus, fils de Xénotime, Protéas, fils d’Épiclès, et Socrate, fils d’Antigone. Ce fut avec ces forces qu’ils mirent en mer, et remplirent leur commission. Les Péloponnésiens restèrent dans l’Attique tant qu’ils eurent des vivres, et retournèrent par la Bœotie, au lieu de suivre le chemin par lequel ils s’y étaient jetés. En passant devant Ornpe, ils dévastèrent le pays qu’on appelle la Piraïque, et qui appartient aux Orôpiens, sujets d’Athènes. Arrivés ensuite dans le Péloponnèse, ils se séparèrent, et chacun gagna la ville a laquelle il appartenait.

XXIV. Après leur départ, tes Athéniens établirent des gardes sur terre et sur mer, et cette disposition devait durer tout le temps de la guerre. Ils décrétèrent que du trésor de l’Acropole il serait tiré mille talens *, qu’on mettrait à part sans pouvoir les dépenser, et que le reste serait consacré aux frais de la guerre. La peine de mort fut prononcée contre celui qui oserait proposer de toucher à cette somme, a moinscjue ce ne fût pour repousser l’ennemi, s’il venait attaquer Athènes par mer. Outre ce dépôt de mille talens, ils mirent aussi à part chaque année cent trirèmes de la meilleure construction, auxquelles on nommait des commandans, et l’on ne pouvait disposer de cette Motte qu’en même temps que de la somme, pour repousser le même danger, sj la nécessité l’exigeajt.

XXV. Les Athéniens, qui étaient partis pour tourner le Pélopontièse avec les cent vaisseaux, les Corcyréens qui les accompagnaient avec cinquante en qualité d’auxiliaires, et d’autres alliés de ces contrée ?


? infestèrent dans leurs courses

(Scol.) Qn peut être étonné que |a dernière ne se fût pas déclarée pour les Lacédémonieris qui partout se montraient les protecteurs de l’aristocratie et de l’oti garchie.

1 Cinq millions quatre cent mille livres.

plusieurs campagnes, et descendirent près de Mëthone dans la Laconie. Ils attaquèrent la muraille, qui était faibleet dépourvue dedéfenseurs : mais il se trouvait aux environs un Spartiate, à qui était confiée la garde du pays ; c’était Brasidas, fils de Tellis. H apprend le danger de la place, vient au secours avec cent hoplites, et, traversant à la course le camp des Athéniens étendu dans la campagne, et tourné du côté des murailles, il se jette dans la ville, et la conserve, sans avoir perdu dans sa marche précipitée qu’une faible partie de son monde. Pour prix de son audace, il fut le premier qui, dans cette guerre, reçut les éloges de Sparte.

Les Athéniens remirent en mer. Ils s’arrêtèrent aux environs de Phia, ville de l’Élide, et ravagèrent le pays pendant deux jours. Ils remportèrent la victoire sur trois cents hommes d’élite de la Basse-Élide et des endroits voisins qui venaient défendre contre eux le territoire. Un vent impétueux s’éleva : tourmentés sur une plage qui manquait de ports, la plupart remontèrent sur la flotte, tournèrent le promontoire nommé lchtys, et gagnèrent le port de Phia : ils trouvèrent que la place venait d’être prise par les Messéniens et quelques autres qui n’avaient pu monter sur les vaisseaux, et qui s’étaient avancés parterre. Ils les recueillirent, et remirent en mer, abandonnant la place, qu’une troupe nombreuse d’Éléens venait secourir. Ils continuèrent de côtoyer, et ils dévastèrent d’autres pays.

XXVI. Vers le même temps, on envoya d’Athènes trente vaisseaux faire le tour de la Iajcride et garder l’Eu. ée. Le commandant était Cléopompe, fils de Clinias : il fit des descentes, dévasta des campagnes voisines de la mer, prit Tbronium, et en reçut des otages. Il combattit A Alopé les Locriens qui venaient au secours, et les vainquit.

XXVII. Dans le même été, les Athéniens chassèrent les habitans d’Ëgine, jusqu’aux femmes et aux enfans : ils les accusaient d’être une des principales causes de la guerre. Ils sentaient qu’ils seraient plus surs de cette place qui touche au Péloponnèse, en y envoyant eux-mêmes une colonie tirée de leur sein : et c’est ce qu’ils exécutèrent peu de temps après. Les Lacédémoniens donnèrent aux Êginèles chassés de leur patrie, Thyrée et les campagnes qui en dépen

dent. Ils étaient portés à cette générosité par leur haine pour les Athéniens, et parce que les Éginètes leur ava ; ent rendu service dans le temps du tremblement de terre et du soulèvement des Hiloles. La campagne de Thyrée confine à l’Argie et à la Laconie, et louche à la mer. Une partie des ftginèles s’y établit, et les autres se dispersèrent dans le reste de la Grèce.

XXVIII. Encore dans le même été, à la nouvelle lune, le seul temps où l’on croit que puisse arriver ce phénomène, il y eut après midi une éclipse de soleil1 ; on le vit sous la forme d’une demi-lune ; quelques étoiles brillèrent, et le soleil reprit son disque.

XXIX. Ce fut aussi dans le même été que les Athéniens traitèrent comme ami, et appelèrent un homme qu’ils avaient auparavant regardé comme leur ennemi : c’était Nymphodore, fils de Py thés, citoyen d’Abdère, dont la sœur avait épousé Sitalcès, roi de Thrace, et qui avait auprès de son beau-frère un grand crédit. Leur objet était de se faire un allié de Sitalcès. Térès, son père, s’était formé le premier à Odryse un royaume plus respectable que les autres principautés de la Thrace. Il y a même une grande partie de la Thrace qui est libre. Ce Térès n’appartenait en rien à Térée, qui eut pour épouse Procné, fille de Pandion, d’Athènes : ils n’étaient seulement pas de la même Thrace. Térée habitait Daulie, ville du pays qu’on appelle aujourd’hui Phocide. et qui était alors occupé par des Thraces. Ce fut là que les femmes commirent sur lthys cet attentat si fameux ; et bien des poêles, en parlant du rossignol, le nomment l’oiseau de Daulie. II est vraisemblable que Pandion rechercha l’alliance de Térée, et lui donna sa fille, pour en tirer des avantages que permettait le peu de distance où ils étaient l’un de l’autre, ce qui ne convient point à l’éloignement d’Odryse, qui est de plusieurs journées de chemin.

Térès donc, qui n’a pas même avec Térée la conformité du nom, fut le premier à Odryse un roi puissant. Les Athéniens recherchaient l’alliance de Sitalcès son fils, da’ns le dessein de s’unir certaines contrées de la Thrace, et d’obtenir l’amitié de Perdiccas. Nymphodore vint à Athènes, consomma l’alliance de Sitalcès, et fît

• 3 aoiu.

accorder à Sadocus, fils de ce prince, le droit dait de citoyen. 11 promit de mettre fin à la guerre de Tlirace et d’engager son gendre à envoyer aux Athéniens une armée compos e de cavale— rie et de peltastes’. Il réconcilia aussi Perdiccas avec les Athéniens, en les engageant à.lui rendre Thermé. Aussitôt Perdiccas porta les ■truies dans la Chalcidique conjointement avec les Athéniens et Phormion. Ce fut ainsi que Si— talcès, Térès, roi des Thraces, et Perdiccas, fils d’Alexandre, roi de Macédoine, devinrent alliés d’Athènes.

XXX. Les Athéniens qui avaient monté les cent vaisseaux, et qui se trouvaient encore autour du Péloponnèse, prirent Solium, ville des Corinthiens ; ils ne permirent qu’aux seuls Pâlirions, entre tous les Acarnanes, de l’habiter et d’en cultiver les campagnes. Ils prirent de vive force Astacus, dont Évarque avait usurpé la tyrannie, le chassèrent et engagèrent le pays dans leur alliance. Ils passèrent dans l’Ile de Céphalénie dont ils se rendirent maîtres sans combat : Cépbalénie est située en face de l’Acamanie et de Leucade. Elle renferme quatre cités : celles des Pal liens, des Crâniens, des Saméens et des Pronéens. Les vaisseaux d’Athènes s’en retournèrent peu de temps après.

XXXI. Vers l’automne du même été 2, les Athéniens en corps de peuple, tant citoyens que simples habitans, se jetèrent sur la Mégaride. Périclès, fils de Xantippe, les comman

1 Le » [H-llastes, que les Romains nommaient cetrali, étaient des troupe* légère* qui liraient leur nom de leur* petits bouclier* appelé* petite. Ces boucliers étaient échancréx à la partie supérieure en forme décroissant, et avaient, dit Julius Pollux, la Bgure d’une feuille de lierre.

’En sepiembre. Le* Grec* ne comptaient alors que deux taisons ; la dernière partie du printemps et la première de l’automne apparlenaient à l’été. Thucydide, au commencement de son quatrième livre, fait remarquer que l’on est en été, et il commence le paragraphe suivant par ce » roots : fiers la même époque du printemps. Il dit au paragraphe cxvu du même livre : Dès le commencement du printemps de l’été suivant, et au derlier paragraphe : A la fin de l’hiver, lorsque déjà le mntemps commençait. Toutes bizarres que puissent paraître dans notre langue ces manières de s’exprimer, j’ai cru devoir les adopter, parce qu’elles tiennent au costume du temps de Thucydide, et que le costume doit toujours être respecte. Le* traducteurs se sont trop souvent permis de le changer, et par cette licence, ils donDentaux lecteurs des connaissances fausses ou impartants He l’antiquité.

Les Athéniens qui avaient été en course sur les cent vaisseaux autour du Péloponnèse et qui revenaient dans leur patrie, se trouvaient alors à Égine ; ils apprirent que ceux de la ville étaient \ Mégare, firent voile de leur coté et opérèrent avec eux leur jonction. Par cette réunion des Athéniens, l’armée devint très formidable. La république était alors dans toute sa vigueur, et l’on n’y ressentait pas encore la maladie qui ne larda pas à l’ai laquer. Les Athéniens seuls ne formaient pas moins de dix mille hommes pesamment armés, sans compter trois mille qui étaient à Potidée, et l’on ne comptait pas non plus moins de trois mille habitans qui partageaient cette expédition. On avait d’ailleurs un corps nombreux de troupes légères. Ils s’en retournèrent après avoir ravagé la plus grande partie du pays. Ils firent encore chaque année pendant la durée de la guerre plusieurs incursions dans la Mégaride, tantôt seulement avec de la cavalerie, tantôt en corps d’année, jusqu’à ce qu’ils se fussent rendus maîtres de Nisée.

XXXII. Les Athéniens, â la fin de l’été, ceignirent d’un mur Alalanie, Ile auparavant déserte, voisine des Locriens d’Oponte. et ils en firent une citadelle. Leur dessein était d’empêcher que des brigands ne sortissent d’Oponte et du reste de la Locride, pour incommoder l’Eubée : voilà ce qui arriva cet été, après que les Péioponnésiens se furent retirés de l’Attique.

XXXIII. L’hiver suivant 1, Evarque l’Acarnane, qui voulait rentrer à Astacus, obtint que les Corinthiens l’y reconduiraient avec quarante vaisseaux et quinze cents hommes : luimême soudoya quelques auxiliaires. Les généraux de l’armée étaient Euphamidas, fils d’Aristonyme : Timoxène, fils de Timocrate ; et

| Eumaque, fils de Chrysis. Ils s’embarquèrent et | rétablirent Évarque. Ils voulaient s’emparer de I quelques autres endroits de l’Acamanie, situés sur les côtes ; mais ils ne réussirent pas dans leurs tentatives, et reprirent la roule de Corinthe. En côtoyant Céphalénie, ils prirent terre et descendirent dans la campagne de Cm né ; ils entrèrent en accord avec les habitans qui les trompèrent, se jetèrent sur eux par sur

, 1 Après le octobre.

prise, et leur tuèrent une partie de leur monde. Vivement repoussés, ils retournèrent chez eux.

XXXIV. Le même hiver, Athènes, suivant les anciennes institutions, célébra aux frais du public les funérailles des citoyens qui étaient morls dans cette guerre. Voici ce qui s’observe dans cette solennité. Trois jours avant les obsèques, ou élève un pavillon où sont déposés les os des morts, et chacun peut apporter à son gré des offrandes au mort qui lui appartient. Au moment du transport sont amenés sur des chars des cercueils de cyprès, un pour chaque tribu, dans lequel sont renfermés les os de ses morts. On porte en même temps un lit vide et tout dressé pour les morls. Les citoyens et les étrangers peuvent, à volonté, faire partie du cortège. Les parentes sont auprès du cercueil et poussent des gémissemens. Les os sont déposés dans un monument public élevé dans le plus apparent des faubourgs l. C’est là que toujours on inhume ceux qui sont morls à la guerre ; les guerriers qui périrent à Marathon furent seuls exceptés ; car pour rendre à leurs vertus un hommage signalé, ce fut dans les champs où ils avaient perdu la vie qu’on leur donna la sépulture. Quand les morts sont couverts de terre, un orateur choisi par la république, homme distingué par ses lalens et ses dignités, prononce l’éloge que mérite leur valeur. Ce discours terminé, on se retire. C’est ainsi que se célèbrent ces funérailles, et cet usage fut observé pendant tout le cours de la guerre, autant de fois que l’occasion s’en présenta. Quand le momenl fut venu, Périclès monta sur une tribune élevée près du monument et d’où le plus grand nombre des assistans pouvait l’entendre ; il parla ainsi2 :

XXXV. « La plupart des orateurs, qui, de ce même lieu, ont déjà fait entendre leur voix, ont célébré le législateur qui a cru devoir ajou

’Ce faubourg était le Céramique.

’Périclès, au rapporl de Hlmarque, n’avaii hissé par écrit que îles plébiscites. Il était cependant l’oraieur le plus ê’-o tuent de sou temps ; maison a lieu de présumer qu’alors les orateurs n’écrivait m point encore leurs discours. On avait retenu de PoraisOn fourbie prononcée par Périclès une pensée qu’AHstotP nous a conservée, et que n’a pas recueillie Thucydide ; c’es— qu’enlever la jeunesse d’une république, c’est dépouiller l’année du printemps.

ter à l’ancienne lui sur la sépulture des citoyens, victimes de la guerre, celle de prononcer leur éloge 1 : persuadés que c’est une belle institution de loti r en public ceux qui sont morls pour la patrie. Pour moi, j’oserais croire qu’à des hommes qui se sont rendus grands par leurs actions, il suffit de ce qu’ils ont fait pour justifier les honneurs qu’ils obtiennent, honneurs rendus parle peuple entier et dont ce monument vous offre le spectacle : plutôt que de livrer les vertus d’un grand nombre de héros au hasard d’être appréciées suivant qu’un seul homme en parlera plus ou moins dignement. 11 est difficile à l’orateur de garder la mesi re convenable, quand on peut même à peine avoir une opinion fixe sur la vérité. L’auditeur qui joint à la conscience des faits de la bienveillance pour ceux dont on prononce l’éloge, trouvera peut-être tout ce qu’on pourra dire au-desso s de ce qu’il voudrait entendre et de ce qu’il sait : el celui qui ne connaît pas les choses par luimême, trouvera, par envie, de l’exagération dans tout ce qui s’élève au-dessus de on caractère. Car on ne supporte l’éloge des autres qu’autant que l’on se croit capable soi-même de faire ce qu’on entend célébrer : ce qui s’élève plus haut, on refuse d’y croire. Cependant, puisque les anciens ont jugé convenable qu’un tel éloge fût prononcé, je dois me couronner à la loi, et tenter de satisfaire, autant qu’il me sera possible, le désir et l’opinion de chacun d’entre vous.

XXXVI. « C’est par nos aneè’res que je vais commencer. Dans une telle solennité, il est juste, il est convenable de leur accorder les honneurs d’un souvenir. Des hommes d’une même origine ont toujours occupé cette cou rée, et c’est par leurs vertus que les plus anciens l’ont transmise à leurs descendons, libre comme elle continue de l’être. Nos premiers aïeux sont dignes d’éloges, et nos pères encore plus : c’est eux qui ont ajouté à l’héritage qu’ils avaient reçu la puissance que nous possédons, et ce n’est pas sans de grands travaux qu’ils l’ont lransmi.se. Mais nous-mêmes, nous surtout qui vivons en

1 La loi qui ordonnait de faire ■ ux frais du publir les funéra’l<-s

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