Discussion:Aline-Ali
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[modifier]Titre et éditions | ||
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1869 : | Aline-Ali ![]() ![]() |
Librairie internationale |
2015 : | Aline-Ali ![]() ![]() |
réédition savante dans les Cahiers du Pays Chauvinois, n°42 |
Critiques
[modifier]Madame André Léo vient de faire paraître un nouveau volume, Aline-Ali, qui fait preuve d'un talent réel mais qui témoigne aussi d'une incurable monotonie, comme procédés et comme fonds d'idées, à savoir ceci qu'il est bien fâcheux d'être femme.
Après avoir eu le cœur brisé par la mort de l'homme qu'elle aimait et qu'elle a refusé d'épouser avec ou sans M. le maire, Aline-Ali se voue à l'enseignement professionnel des femmes. et meurt fille. Maintenant une objection: à l'instar de mademoiselle de Maupin, Aline de Maurignan court le monde déguisée en jeune monsieur Ali; à l'instar de la Laurence de Jocelyn, elle devient amoureuse dans les Alpes.
Je n'ai pas d'objection particulière contre ce genre de travestissement, bien qu'il soit réservé d'ordinaire aux jeunes personnes de mauvaises mœurs pendant les jours gras; mais et mon dire s'applique tout aussi bien à la sublimement belle mademoiselle de Maupin comment des personnes si accomplies, au point de vue féminin, arrivent-elles à se masculiniser de façon à faire illusion ? Le pourpoint de mademoiselle de Maupin explique bien des choses, mais Ali de Maurignan s'habillant à peu près comme tout le monde, il faut bien croire que la charmante Aline était comme la poupée de Jeanneton. Vous savez le proverbe!
Un homme d'esprit a défini ainsi madame André Léo.
Une George Sand aigrie.
Francis Magnard.
- sur Aline Ali [3]
REVUE LITTÉRAIRE
À ceux qui nient la puissance de la critique littéraire,
on peut opposer victorieusement les noms
de Stendhal, de Balzac et de Baudelaire. Le public
français, qui aime peut-être le vaudeville, se défie
de la vraie littérature. Quant à la poésie, il la traite
comme Charles X faisait de la musique : il ne la
craint pas, voilà tout. Mais il a un certain respect
pour la critique. Aux affirmations nettes, impérieuses
de celle ci, si rétif qu’il soit, il dresse l’oreille,
écoute. Tout d’abord il reste ironique.
Qu’importe ! la critique vient à la rescousse, explique ses admirations, dispose des raisonnements, groupe des commentaires : le voilà pris, car il est raisonneur, s’il n’est pas artiste, et les arguments lui tiennent lieu d impressions. Il n’a pas goûté spontanément l’œuvre d’art, mais il goûtera et s’assimilera facilement les idées émises à ce sujet par les critiques. Voyez ce qui s’est passé en musique pour Richard Wagner, en peinture pour Delacroix.
Quelques-uns croient que M. Manet aura son tour, Avec le public français il ne faut désespérer de rien.
Pour Baudelaire, la tentative de lui faire franchir le cercle des raffinés de lettres était paradoxale. Elle a réussi. Il y a fallu des monceaux d’articles. Mais ici, comme pour Stendhal et pour Balzac, la critique littéraire a fini par triompher, et les Œuvres complètes de Charles Baudelaire s’impriment comme les œuvres d’un classique, et se vendent ! Les Fleurs du Mal, d’une forme si pure, d’une couleur si ferme et si savante, mais où la férocité zurbaranesque de l’idée, la recherche du satanique et de l’étrange, l’horrible poussé jusqu’au précieux, ressemblent à des défis et confinent à la mystification ; les recueils d’articles publiés sous le titre de Curiosités esthétiques et de l’Art romantique, où des pensées justes, souvent originales, des vues élevées et fécondes sur l’art contemporain revêtent une forme magistrale, solennelle et hautaine : tout cela si peu fait pour plaire au gros du public, est accepté en fin de compte et goûté, grâce à la critique.
Il faut lire la notice, je veux dire l’admirable plaidoyer que Théophile Gautier a écrit pour servir de préface aux œuvres de Baudelaire. La vie du poëte, son idéal, sa conception de l’art, sa méthode, les diverses faces do son talent y sont exposés et décrits dans un merveilleux langage. Il faut lire aussi le volume que Charles Asselineau a consacré à la mémoire de son ami. La synthèse de l’idée abstraite et de la forme pure, l’homo duplex, l’artiste et le philosophe s’y trouvent analysés avec un sentiment très-fin et une compréhension toute fraternelle. Asselineau nous fait assister à la gestation de chaque ouvrage, et ne permet pas que notre jugement s’égare aux hypothèses. Il nous introduit au cœur de la place, je veux dire qu’il nous montre l’homme intérieur, le creuset mystérieux où s’élabore la matière artistique. C’est un travail d’ami, sans doute, mais qui porte la marque de l’analyste et de l’homme de goût. Cinq portraits de Baudelaire (le meilleur, le dernier est de Manet) accompagnent ce livre, qui est le complément obligé des œuvres du poëte, de même que les volumes de souvenirs que Louis Gozlan et Théophile Gautier ont publiés sur Balzac, doivent figurer dans les bibliothèques à côté de l’œuvre du grand romancier.
C’est là une transition, — faut-il en rougir ? — pour arriver à dire un mot, en attendant les autres, sur l’édition définitive de la Comédie Humaine, dont la librairie Michel Lévy vient de mettre en vente le premier volume. Cette édition est splendide et vraiment digne du nom rayonnant de Balzac. Admirateurs fervents de ce génie qui n’a dans l’humanité tout entière que de rares égaux, et qui paraît plus gigantesque à mesure que nous avançons, nous nous désolions de n’avoir entre les mains que des volumes mesquins, remplis de fautes, ou des brochures maculées d’illustrations grotesques. Maintenant ce qui était fête pour notre esprit sera fête aussi pour nos yeux, et nous voilà forcés, à notre grande joie, de relire une fois de plus l’immense poëme.
Ce premier volume contient La Maison du Chat qui pelote, le Bal de Sceaux, les Mémoires de deux jeunes mariées, la Bourse et Modeste Mignon. Il paraîtra un volume chaque mois. Je reviendrai prochainement sur cette publication.
M. Angelo de Sorr se place, par le Drame des Carrières d’Amérique, entre Paul Féval et Ponson du Terrail. Son roman est amusant, bien charpenté, pt s’il n’a pas trouvé place au rez-de-chaussée des journaux qui tirent à cent mille, l’auteur ne doit s’en prendre qu’à sa mauvaise chance ou à sa modestie. Les types de Trocadéro, du professeur, du Gosse et de la Gossette, sont curieusement étudiés et peuvent rivaliser avec ceux d’Echalot, de Similor et de Saladin dans l’épopée des Habits noirs.
Les bibliophiles forcenés qui, dans les ventes, payaient au poids de l’or les rares exemplaires de La Puce de Mme Desroches, pourront satisfaire à moindres frais leur fantaisie. M. D. Jouaust a réimprimé pour eux, en lui conservant sa disposition et son aspect typographiques, ce curieux échantillon de la poésie de salon au seizième siècle.
Aux Grands-Jours tenus à Poitiers en 1579, le salon de Mme Desroches réunissait les magistrats appelés dans la ville par cette solennité. Un jour Etienne Pasquier apercevant une puce, fille d’Orion ! qui s’attaquait à Mlle Desroches, fit remarquer la témérité de l’animal. Il s’ensuivit des propos badins, suivant le goût de l’époque, puis un échange de pièces de vers, et enfin un concert, tohu-bohu serait plus juste, de sonnets, de quatrains, de dixains, en français, en espagnol, en latin, même en grec ! l’illustre Pasquier, le grand du Harlay, le savant La Coudraye, Lommeau, Odet Tcurnebus, Binet, Lescale, et autres graves magistrats se donnèrent carrière, et les allusions, les calembours, les jeux de mots de pleuvoir. Le goût n’était ni difficile, ni raffiné, à cette époque. On s’amusait de peu, et ce qui nous paraît plat et fade, semblait exquis au cénacle. Le sujet prêtait aux plaisanteries, on devine qu’il en fut fait abus. La Contre-puce, de Rapin, est fort amusante. On y sent l’influence du chef de la Pléiade. Mais le sel en est bien gros, et ne convient qu’aux palais cuits et tannés.
Parmi les derniers volumes de la Bibliothèque des Merveilles, que je n’ai cessé de recommander à mes lecteurs comme une forme nouvelle et très-réussie de l’enseignement encyclopédique et élémentaire, je remarque les Merveilles du Monde souterrain, par M. L. Simonin ; Le Fond de la Mer, par M. L. Sonrel et les Merveilles de la Peinture, par M. Louis Viardot. Tous se plaignent du peu d’espace qui leur est accordé pour se mouvoir. Et que dirai-je donc à mon tour ?
J’allais oublier les Merveilles de la Force et de l’Adresse, par M. Guillaume Depping. Mes compliments au savant bibliothécaire de la rue de Richelieu pour l’érudition vraiment effrayante dont il a fait preuve dans cet intéressant travail. Je sais bien qu’il était à la source et qu’il n’avait qu’à puiser. Mais c’est précisément contre l’embarras des richesses qu’il est difficile de lutter. Sachons gré à M. Depping de n’avoir pris que la fleur de son sujet et d’en avoir extrait pour nous l’essence. Depuis l’athlète Polydamas de Thessalie jusqu’aux modernes boomarangers d’Australie, il a passé en revue tous les exercices de force et d’adresse. La partie consacrée à l’antiquité est peut-être un peu trop développée au détriment de notre époque. L’escrime, l’art si noble de la savate, y sont sarifiés, les clowns manquent et les tours contemporains qui se sont succédé dans nos cirques sont passés sous silence. Mais les critiques ne sont jamais contents.
Aussi vais-je me brouiller avec Mme André Léo dont j’aime beaucoup le talent, et qui a écrit deux livres remarquables : Un Mariage scandaleux et Les deux Filles de M. Plichon. Mais est-ce ma faute si son dernier roman d’Aline-Ali est exaspérant ? Est-ce ma faute si elle abandonne de plus en plUS l’étude des caractères, le jeu naturel des passions, l’art enfin, pour prêcher la revendication des droits de la femme ? Reconnaissons qu’elle apporte dans son ardeur réformatrice une austérité de principes qui commande l’attention, le respect et, jusqu’à un certain point la sympathie. Je ne la suivrai pas dans sa polémique souvent acerbe, je n’examinerai pas ses desiderata très-vastes, et aussi très vagues. Le lieu serait mal choisi, et le moindre examen soulèverait d’ailleurs, des questions sociales grosses comme des montagnes. Personnellement j’inclinerais aux concessions, et j’irais peut-être jusqu’où va M. Stuart Mill, c’est-à-dire assez loin. Mais croyez-vous que Mme André Léo se contenterait de cet assez ? Point du tout. Alors, je suis bien tenté d’opérer ma retraite. Ce n’est pas généreux, mais vous allez voir qu’avec notre auteur, il ne peut être question de générosité.
Il y a entre Mme André Léo et nous un malentendu énorme. Nous ne comprenons pas la femme, nous dit-elle ; nous sommes ses tyrans, ses oppresseurs, bref, des monstres. Elle ne nous mâche pas le mot, non plus que les épithètes d’ignobles et d’immondes. Elle, par contre, à notre sens, s’est fait de l’homme une conception absolument erronée et incomplète. Il suit de là que la plupart de ses critiques tombent dans le vide. Je crois bien qu’elle ne représente qu’une position très-faible du sexe opprimé (?), mais ce n’est pas par dédain des minorités que je me refuserais à combattre ses arguments. C’est que je ne vois pas de base commune sur laquelle nous puissions discuter avec quelque chance de nous entendre.
Le défaut capital de ses romans, puisque ses romans ne sont désormais que des cadres commodes où elle développe ses théories, c’est de ne préparer nullement le terrain à la conciliation. Étant donnés notre injustice et la sienne, notre égoïsme masculin et son égoïsme féminin, je ne vois pas pourquoi nous abandonnerions notre prétendue souveraineté. Beaucoup de grands esprits, qui n’étaient point des réformateurs timides, se sont montrés très-conservateurs sur ce point. Le piquant c’est que Mme André Léo réserve ses meilleurs flèches et ses sarcasmes les plus affilés pour les écrivains bénévoles qui se sont faits les avocats des femmes. Donc, soyons ennemis, madame, dans les termes de la plus parfaite courtoisie, cela va sans dire, mais ennemis, puisqu’aussi-bien nulle concession ne saurait vous fléchir.
J’ai fait mon possible pour lire avec calme Aline-Ali. J’ai cherché, dans les rares descriptions, les quelques scènes bien faites du roman un soulagement à l’irritation où me jetait l’étrange héroïne. J’ai passé sur les invraisemblances, sur les thèses longuement exposées, je n’ai voulu voir que le talent artistique de l’auteur. Puissent tous les lecteurs se trouver dans d’aussi favorables dispositions !
Il y a certain passage où Aline-Ali lance cette parole menaçante : « Si les femmes voulaient !… » J’ai frémi. Puis j’ai songé que cette menace datait de vingt-trois siècles, pour le moins, et qu’Aristophane y avait répondu de la manière la plus comique. Cette réflexion m’a conduit à relire Lysistrata, et les Femmes à l’Assemblée, de ce Clairville de génie, et j’ai bien ri.
PHILIPPE DAURIAC.
- Dans le Temps [4]
VARIÉTÉS
ALINE-ALI, par ANDRÉ Léo[1]
Le début de ce roman est vif. Aline, jeune fille de vingt ans, a une sœur mariée. Celle-ci, Mme de Chabreuil, se décide un jour à faire à Aline les plus délicates, les plus graves confidences. Elle veut l’éclairer sur le mariage, le mariag-e, cet « antre que voile un rideau de théâtre peint de guirlandes et d’amours, mais derrière lequel est une chute immense. Mme de Chabreuil se borne d’ailleurs à raconter ce qui lui est arrivé à elle-même. Elle avait dix-huit quand elle s’est mariée. « Une nuit, sans m’avoir dit où j’allais, à la suite d’un bal, on me jeta dans le lit d’un homme, d’un débauché. J’étais marquise de Chabreuil. » L’auteur insiste sur ce premier scandale qui attend l’innocence de la femme. Il montre ce que devient soudain le fiancé, la veille encore si respectueux et si discret « au rebours des contes de fées, ce n’est pas la bête, spirituelle et bonne, qui se change en un beau prince… hélas ! non, c’est le beau prince qui se change en bête. » Le temps et l’expérience finirent cependant par adoucir les impressions de Mme de Chabreuil. Puis, elle devint mère, et mère passionnée. Pas assez passionnée, toutefois, pour ne point s’indigner des infidélités de M. de Chabreuil, ni ressentir ce vide de cœur que le mariage aurait dû combler, mais qu’il n’avait fait que creuser davantage, du moment qu’elle n’avait pu s’attachera son mari. On a chassé l’amour du mariage, il faut bien que l’amour se fasse sa part ailleurs. Qu’un étranger offre ses hommages à cette délaissée, il sera accueilli comme le sauveur qui lui rend l’idéal. Il faut voir avec quel emportement Mme de Chabreuil proteste que son mariage était nul, revendique le droit qu’elle avait de se donner a un autre, se glorifie du sentiment qui, l’ayant saisie un jour, lui fit habiter un moment les sommets de la joie et de la foi. Malheureusement, ce bonheur dura peu. Elle s’était rendue, comme tant d’autres, à l’admiration qn’inspire un grand caractère, à la reconnaissance inspirée par des sentiments délicats et ardents. Elle avait compté sans l’égoïsme masculin. Le jour vint où elle fut obligée d’en appeler au dévouement de l’homme qu’elle aimait, et où celui-ci recula. Mon cœur, en le voyant si lâche, s’écrie la marquise de Chabreuil, se souleva, et, par une convulsion horrible, rejeta cet amour qui avait été mon culte et ma vie. Je n ai pas besoin de dire quelles conclusions l’infortunée tire de son expérience. Les hommes ne sont qu’égoïsme brutal et sensuel. De tous ceux qui entourent une jeune fille, et auxquels elle sourit, confiante, il n’en est pas un qui n’ait perdu plusieurs femmes. à moins qu’il ne se soit contenté de femmes perdues. On invoque l’exception Leurre éternel auquel chacune se laisse prendre à son tour ! Non, « l’homme ne comprend pas comme nous l’amour. Pour lui, ce n’est pas un échangé, c’est une conquête. À ses yeux, la femme est bien moins un être qu’un objet. Aussi éveille-t-elle en lui 1 idée du plaisir, plutôt que celle du devoir. Nous sommes hors la loi de justice ; nous sommes une proie de chasse, et l’homme est notre ennemi. Il y a plus, c’est par la trahison qu’il nous attaque. Rampant à nos pieds tant que nous sommes libres, il attend pour nous frapper et nous insulter, que nous nous soyons données par confiance et pat amour. » Et Mme de Chabreuil termine en suppliant sa sœur, au nom de sa propre dignité, de rester libre, ou, du moins, de n’aliéner sa liberté qu’à bon escient. Cet étrange entretien dura jusqu’à une heure avancée delà nuit. Les’deux sœurs se séparèrent enfin, mais quand Aline, le lendemain matin, entra dans la chambre de la marquise, elle la trouva morte. Mme de Chabreuil s’était empoisonnée, laissant pour legs à la jeune fille les terribles révélations qu’elle venait de lui faire.
À partir de ce point, le livre change de caractère. Au lieu d’un drame moral palpitant, du réquisitoire passionné d’une femme contre la vie, qui ne lui a tenu aucune de ses promesses, nous n’avons plus qu’une fiction très romanesque et des dissertations très paradoxales. Aline, qui était fiancée, se dégage d’une union où son futur ne consent pas à lui assurer l’indépendance. Elle decide en même temps qu’elle ne se mariera jamais, « à moins de connaître son fiancé, non comme un frère est connu de sa sœur, mais comme un frère connaît son frère. » Condition difficile à remplir, on l’avouera Aline, pour y réussir, se met à voyager sous des vêtements d’homme, d’abord en la compagnie de son père, qui se prête à cette aventure ; puis après la mort de son père, seule, à ses risques et périls. Elle tombe d’emblée dans la compagnie de trois ou quatre jeunes gens, dont l’un ne tarde pas à gagner secrètement son cœur, mais qui tous professent des principes et donnent des exemples auxquels la jeune fille, malgré les avertissements qu’elle avait reçus, ne pouvait guère s’attendre. Elle exprime elle-même, de la manière suivante, les impressions que lui laisse cette expérience « Ce que j’ai vu sous mes yeux, ce que d’odieuses confidences ont appris à mon oreille, ce qu’il m’a été donné de découvrir d’infamie, de lâcheté, d’abjection, dans ce monde où mon pied ne s’est posé qu’en passant, à jamais, vois-tu, mon âme en sera troublée. Je suis comme un voyageur qui, s’approchant d’une source pour y boire, la voit remplie d’immondices, au milieu desquels nagent des reptiles affreux ; il fut pénétré d’un tel dégoût, que sa soif se trouve éteinte sans avoir été satisfaite. » Cependant Alinef ou plutôt Ali c’est le nom sous lequel elle cache son sexe s’attache de plus en plus à Paolo, le seul de ces jeunes gens qui montre quel- que élévation et quelque délicatesse. Paolo, de son côté, éprouve pour Ali une affection mêlée de respect. Ils finissent par aller passer ensemble quelques semaines dans un chalet des Alpes. Un accident révèle à Paolo le secret de son compagnon ; voilà l’amitié qui se change soudain en amour. Demande de mariage. Aline hésite ; elle a beau faire, elle a vu de trop près la légèreté de son ami elle ne peut secouer le souvenir des banales amours auquelles il s’est livré jadis. Il n’est pas assez pur pour elle. Elle al- allait céder pourtant, lorsque Paolo, désespérant de vaincre ses résistances, va se faire tuer dans une tentative d’insurrection patriotique. Et Aline ? Elle se console en se vouant à la philanthropie.
Toute cette histoire d’Ah et de Paolo soulève bien des objections. La situation n’est pas nouvelle ; nous l’avons déjà vue dans Jocelyn et dans le Comte Kostia. Une jeune fille déguisée en jeune garçon ; et, à la faveur de ce masque, s’attachant comme ami à un homme qui deviendra un jour son amant. La situution serait piquante, si elle n’était par trop invraisemblable. Le moyen qu’une jeune fille de vingt ans, douée de tous les charmes de son sexe (et il faut bien qu’elle soit charmante), se déguise assez bien pour tromper tout le monde ! Le moyen surtout qu’elle vive dans l’intimité d’un jeune homme, partageant son logis et jusqu’à sa chambre, sans éveiller un seul moment ses soupçons Et ce n’est là que la moindre difficulté, la difficulté matérielle, si j’ose ainsi dire. La difficulté morale est encore plus grande. Cette situation si péniblement, si artificiellement établie, reste sans issue.
Les deux amis, à un moment donné, voient changer leurs relations. Je veux bien que-la jeune fille, elle, maîtresse de son secret, se soit rendue plus ou moins compte du sentiment qu elle éprouve pour son compagnon ; mais il n en est pas même de celui-ci. 11 croit avoir affaire e a un être de son sexe, et il ne peut lui porter que les sentiment qu’un homme éprouve pour un autre. Son amitié a beau être exaltée, ce n’est que de l’ami- tié. Or, l’amitié n’erst pas un degré do l’amour ; il n’y mène pas nécessaire- ment et quand le voile tombera, quand Jocelyn, Gilbert ou Paolo sauront que leur ami était une amie, ils n’auront nullement été préparés par leurs senti- ments précédents pour un sentiment nouveau il n’y aura point de passage naturel de l’un à l’autre. En vain l’écri- vain cherche-t-il, comme l’a fait André Léo, à ménager la transition en jetant toute sorte de troubles et de pressenti- ments dans l’âme de Paolo il ne fait par là qu’évoquer des idées, dont son innocence a seule pu lui dérober l’in- convénient.
Aline-Ali, malgré ce vice fondamentale, est un livre qui se laisse lire, disons mieux, qui se fait lire, et même avec un certain entraînement. L’auteur, on le sent à chaque page, n’est pas le premier venu. Malgré une grande inexpérience littéraire, il sait inventer et raconter, décrire et écrire. Et puis, il est passionné, passionné pour toutes sortes de théories, théories elles-mêmes très naïves, très incohérentes, très extravagantes, si l’on veut, mais qui intéressent par la sincérité et la hardiesse d’esprit dont elles témoignent. J’ai un faible, je l’avoue, pour les écrivains qui, comme André Léo, ont le courage de mettre en question les choses établies. D’autres résoudront les problèmes l’important à mes yeux, c’est que les problèmes soient posés. Les précédents ouvrages d’André Léo, semblables en ceci à tant d’autres romans écrits par des femmes (André Léo est un pseudonyme sous lequel se cache Mme Champseix), s’occupaient du mariage. Aline-Ali va plus an fond et s’attaque à l’amour lui-même. Tout, dans les relations des sexes, telles qu’elles sont établies aujourd’hui, non-seulement par la société, mais par l’usage et par la nature, tout offense l’âme chaste et idéaliste de notre écrivain. Il ne voit pas pourquoi la femme n’exigerait pas de son époux la pureté qu’elle lui apporte. Il signale, nous l’avons vu, l’espèce de viol auquel la jeune fille est livrée par le fait d’un mariage où l’amour n’entre pour rien, où la conquête, par conséquent, n’est point déterminée par l’ivresse du cœur, et où l’ignorance réserve à l’épouse de flétrissantes surprises. Mais l’auteur ne s’arrête pas là. Ce qui le scandalise, c’est l’amour même. Il lui en veut, on le voit bien, de n’être pas une union purement spirituelle. Que dis-je ? il ne condamne pas seulement la profanation qui ne cherche dans l’amour qu’un plaisir, mais jusqu’au sentiment trop passionné qui s’empare de l’âme et décide de’la vie. Il voit dans cette préoccupation exclusive comme une maladie de l’espèce humaine. Ces rêves de tendresse, d’ailleurs, ont un lendemain, et ce lendemain, c’est le mariage, c’est-à-dire un joug injuste et humiliant. Voilà donc ce que sont les relations des deux sexes aux yeux de Mme Champseix souillure et esclavage ! Pour elle ; l’homme est un être égoïste et brutal, dont le contact avilit celle qui devait être son égale. Elle a contemplé la société ; elle a vu fouler aux pieds ses dieux dans la boue ; elle a rougi du sort fait à ses compagnes en voyant ce qu’on a fait de l’amour, de la beauté, elle s’est trouvée honteuse d’être femme
Les conditions naturelles du mariage, la position sociale faite à la femme, le caractère sensuel et tyrannique de l’homme, telles sont les trois thèses qui se confondent dans le réquisitoire de notre auteur contre l’amour. Ces trois griefs, du reste reviennent à un seul. L’homme, il n’est que trop évident, est la cause de tout ; c’est parce qu’il est impur qu’il souille la femme, et c’est parce qu’il est injuste qu’il la tient en sujétion. Et le remède, me demandera-t- on ? Mon Dieu ! le remède proposé par l’auteur est assez simple. Il ne s’agit que de rétablir l’égalité des sexes. Il est vrai qu’on ne dit pas qui sera chargé de. cette œuvre d’équité mais la chose ne saurait offrir de grandes difficultés, si la femme est bien telle que se la représente André Léo. Nous sommes loin ici de cette pauvre créature infirme, nerveuse, mobile, en faveur de laquelle M. Michelet implorait notre compassion. La femme d’André Léo est un être doué des mêmes facultés et des mêmes sentiments que nous, ne différant guère de l’homme que par ces différences artificielles que créent à l’envi leur éducation, leur condition sociale, la volonté des hommes et les fantaisies de l’opinion. » Qu’on l’élève autrement, elle reprendra la vigueur du corps, la virilité de l’esprit, les fortes occupations ; égale de celui qui est aujourd’hui son maître, l’amour entre ôux ne sera plus le point unique où se rencontrent les deux sexes, et, par consé- quent aussi, il ne sera plus la passion maladive’et envahissante qu’il est aujourd’hui. Au lieu d’un terrain où les deux parties se rencontrent forcément en adversaires, une lutte « où il s’agit d’être le plus fort, et où le plus fort est toujours celui qui aime le moins, » l’amour deviendra l’union de deux. de deux frères dans une même vie. Le mariage d’ailleurs sera libre, affranchi des formalités civiles aussi bien que des formalités religieuses, un engagement d’honneur, au— quelle vice pourra sans doute se soustraire, mais que la vertu regardera comme in- dissoluble, et qui le sera d’autant plus qu’il s’appuiera sur la justice.
Le malheur des systèmes, c’est qu’ils sont presque toujours l’expression d’un tempérament. On généralise son sentiment personnel, et on en fait la loi même du monde. Les vues d’André Léo sur l’amour et le mariage partent d’une cpmplexion robuste, d’un cœur pur, d’un esprit raisonneur, d’une imagination enthousiaste, le tout accompagné d’une tendance toute féminine à l’idéalisme, c’est-à-dire au mépris des faits. L’auteur n’a consulté que ses propres conceptions du beau et du juste. Il s’est formé une image de l’homme, de la société, et il nous somme de nous y conformer. Nous le devons, puisque nous serions ainsi beaucoup plus vertueux et beau- coup plus heureux ; et puisque nous le devons, nous le pouvons sans doute.
Il est une circonstance —cependant qui aurait dû faire réfléchir notre auteur. Aline a couru le monde sous son déguisement elle a vu les hommes, et elle les a trouvés, à peu de chose près, tous les mêmes. Il y a plus les femmes ne sont pas seulement les victimes des hommes, elles sont aussi leurs compli « Elles veulent aimer ! » comme s’écrie tristement Aline. Eh oui, elles veulent aimer et être aimées, et les hommes aussi, et c’est là le train du monde, et il n’y a pas apparence que vous y changiez grand’chose !
Fontenelle a dit de l’amour « C’est l’étoffe de la nature, que l’imagination a brodée. » Au lieu de l’imagination, mettez le sentiment, le cœur, tout autre mot propre à désigner le côté supérieur et spirituel de notre nature, et vous aurez la définition la plus juste. Vous aurez en même temps la seule solution dont le problème soit susceptible. Toute cette question de l’amour et du mariage se confond avec la question générale de la destinée humaine. Il n’y a rien à cet égard de sûr ni de vrai, si ce n’est de prendre l’homme tout bonnement pour ce qu’il est, ni ange, ni bête, mais un corps et une âme, et encore faut-il bien se dire que le corps est le premier, que l’âme ne vient qu’après, et que même elle ne vient pas toujours. L’homme ne se dégage de la brute que comme la statue de la pierre, lentement et par un effet de l’art. Il n’arrive que peu à peu à élever le règne de l’esprit sur le fond de nature aveugle par lequel il tient à l’ordre inférieur et animal. Subordonner de plus en plus la nature à l’esprit, tel est le but de toute éducation et de toute civilisation, le but dernier imposé à l’humanité. Il faut seulement prendre garde de ne pas intervertir l’ordre des choses. La nature, on ne saurait trop le répéter, reste toujours le point de départ. Qu’on la cultive, qu’on l’élève, qu’on la spiritualise tant qu’on voudra ou qu’on pourra, mais, au nom des intérêts même de l’esprit, qu’on ne cherche pas à la supprimer elle se vengerait trop cruellement.
L’application de ces principes se fait d’elle-même aux sujets traités par André Léo. L’amour est le chapitre de la morale où l’ascétisme se trouve le plus empêché. L’amour est le plus grand et le plus saint des mystères, précisément parce qu’il constitue le point où la vie purement naturelle se transforme en s’exaltant, où ce qu’il y a de plus vulgaire dans les fonctions devient ce qu’il y a de plus délicat dans les sentiments, où l’appétit devient tendresse, où le sang devient esprit, où la chair devient âme. Voilà ce qu’André Léo n’a pas compris, ou pour mieux dire, ce qu’il n’a pas toujours compris. Il règne à cet égard, dans son livre, une sorte d’inconséquence qui semble trahir une lutte entre les instincts de son tempérament moral l’auteur et les exigences de sa raison. Je pourrais citer plusieurs passage où il s’exprime avec force sur la folie de vouloir refaire l’œuvre divine de la vie, et sur cette « innocence des lois éternelles, qui se transforme en chasteté dans l’amour humain, par l’intelligence et la liberté. » On ne peut dire ni plus juste ni plus heureusement. Il n’en est pas moins vrai que la pente de l’écrivain est vers l’idéalisme, c’est-à-dire vers une autre forme de cet ascétisme qu’il reproche à la loi chrétienne. Chose bizarre Rien ne ressemble plus aux vues d’Aline sur l’amour et le mariage que celles de l’Église pour l’une comme pour l’autre, l’union des sexes est excusable, sans doute, puisqu’elle est inévitable ; on peut même y rattacher d’assez nobles considérations et d’importants devoirs mais, au fond, Aline et l’Église tolèrent plutôt qu’elles n’approuvent. Elles n’ont dépassé ni l’une ni l’autre la vieille opposition du corps et de l’esprit. Elles se scandalisent à l’idée qu’une femme puisse se donner avec orgueil et bonheur. Ce qu’elles voient dans l’amour, c’est essentiellement l’œuvre de la chair, partant quelque chose de profane, une nécessité dégradante. Elles ignorent que l’amour vrai est au contraire le triomphe de l’âme, et qu’il. devient d’autant plus chaste qu’il est plus passionné.
ED. SCHERER.
- https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30758440/f333.item
- https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6448925p/f10.image des romans de plus en plus féministe… Philippe Dauriac
Personnage
[modifier]- Aline de Maurignan, 21 ans au début du roman. Aussi appelée Ali de Maurion, lorsqu’elle se fait passer pour un jeune homme.
- M. de Maurignan, son père
- Suzanne de Maurignan, Mme de Chabreuil, de 10 ans l'ainée d’Aline, mal mariée
- Monsieur de Chabreuil, mari violent de la sœur d’Aline
- Gaetan de Chabreuil, vicomte
- Mlle V… amante de M. de Chabreuil
- Germain Larrey, prétendant à la main d’Aline
- Miss Dream, ou Hélen, gouvernante des Maurignan
- Ernest de Vilmaur amant de la sœur d’Aline
- Mlle de Vilmaur, soeur du précédent et futur femme de M. Larrey
- Mme de Rennberg ex-amante de M. Larrey
- Donato Bancello, paresseux, de Bologne, peintre de l’école del Guido, ami de Paolo et Léon, faisant du tourisme en Savoie
- Paolo Villano ou Paul, docteur ès arts et ès lettres, docteur en médecine de la Faculté de Paris, ami et amant d’Aline
- Léon Blondel, journaliste
- Rosina, cantatrice de Florence, amante de Paul
- Favre, guide de Montagne
- Carlo Pisacane, personnage réel, dans le roman ami de Paul
- Mettela Marti, orpheline pauvre, déchue puis institutrice dans l'institution créée par Aline
- Anatole Rongeat prétendant de Miss Dream
Lieux
[modifier]- Paris
- Grion en Savoie (nom imaginaire de village)
- Florence
Vocabulaire - orthographe
[modifier]- séve, siége, piége, sacrilége, privilége, complétement, cortége
- protége, m’assiégent
- poëte
- dénoûment
- myrtiles => myrtilles
- provoquante
- au dehors => au-dehors
- Et je ne me suis ?? détempcé / détrempé?? que pour cinq minutes de prière
Statistique
[modifier]- environ 100 000 mots (moins de 7 heures de lecture à 250 mots/mn)
- ↑ 2° édition. Paris, librairie internationale, 1 vol. i-18.