Discussion:Château-Gaillard
Éditions[modifier]
Titre et éditions | ||||
---|---|---|---|---|
1874 : | Château-Gaillard | édition originale ? | ||
1922 : | Château-Gaillard | Gallica | Le Rappel (14 février 1922…), feuilleton |
Critiques, résumés…[modifier]
- La France : politique, scientifique et littéraire 14 juillet 1874
CHATEAU-GAILLARD
Sous ce titre, doit paraître après-demain un livre auquel nous n'hésitons pas à prédire un très vif succès. Le nom dont il est signé est presque aussi connu dans les arts et dans le journalisme politique que dans les lettres ; il va prendre rang parmi nos peintres de mœurs les plus vigoureux et les plus hardis.
Château Gaillard, c'est le Don Juan d'hier et d'aujourd'hui ; sceptique et débauché comme son aïeul du grand siècle, il est de plus faiseur d'affaires et homme politique. L'action se déroule à travers les grands événements contemporains. C'est dire tout le piquant de ce livre, où l'on cherchera plus d'un type vivant ou ayant vécu.
On nous saura gré de détacher quelques pages de ce volume tout d'actualité.
… …
- Le Temps 15 mais 1891
Parmi les œuvres littéraires de Claude Vignon, l’éditeur Lemerre a cueilli une gerbe de gracieuses nouvelles que M. Jules Simon présente au public dans une éloquente préface. Le format du volume écartait nécessairement les romans et les contes un peu étendus mais cette publication aura, dans tous les cas, le mérite de faire apprécier à sa valeur un romancier qui ne fut jamais vulgaire, un écrivain qui a même, en bien des pages, dépassé cette distinction banale que donne à la longue l’entraînement professionnel.
Mme Claude Vignon a beaucoup écrit, en effet. À dix-huit ans, elle collaborait à des journaux par des articles de critique d’art. Et son esthétique n’était pas faite seulement de doctrines apprises : artiste, elle savait à travers quelles difficultés et quelles angoisses les artistes, ses pairs, recherchent et trouvent l’expression du beau. Elle sculptait ; c’est du maître Pradier qu’elle avait reçu les premières leçons. Elle exposait au Salon dès 1852, à dix-neuf ans. Dès lors, presque chaque année de sa vie est marquée par une œuvre, statue ou livre, car elle menait de front la littérature et la sculpture. À l’Exposition de 1867, on remarquait d’elle la Nymphe Daphné, un beau marbre qui appartient maintenant à la ville de Marseille ; à l’Exposition de 1878, on louait le Pêcheur à l’épervier, qui a été au musée du Luxembourg et qui se trouve maintenant au ministère des finances. Ce Pêcheur est, certainement en sculpture, l’œuvre capitale de Claude Vignon. Les connaisseurs admirent dans ce marbre l’élégante simplicité de l’attitude, l’exactitude observée et vivante des mouvements, la noblesse de l’idée servie par un procédé à la fois très habile et très loyal. Des monuments publics, des musées, des promenades gardent, à Paris ou en province, les bas-reliefs ; groupes ou bustes de Claude Vignon, qui témoignent de son labeur incessant ; le visiteur ne peut passer indifférent et la mémoire artistique du sculpteur est ainsi préservée. Mais, en ce qui concerne l’œuvre littéraire, le lecteur, submergé par la production contemporaine, forcé dans son attention par la bruyante réclame des disputes d’écoles, négligerait aisément l’effort attesté par une quinzaine de volumes ou encore par vingt années de collaboration à des revues et à de grands journaux.
Et cet oubli serait injuste. Ceux qui liront pour la première fois les quatre nouvelles contenues dans le volume de Lemerre en seront bien vite convaincus. Ils le seraient plus encore s’ils voulaient parcourir les autres œuvres de Claude Vignon. Ce n’est point une peine. La fable est toujours attachante on la suit sans effort à travers les péripéties d’une narration limpide, nette, bien française. Le style, toujours correct et d’une clarté parfaite, n’emprunte pas l’éclat maladif, le vernis éphémère des modes et des manies de cénacle il a cette santé robuste que l’on puise aux sources pures du génie traditionnel de notre race.
S’il nous fallait faire un choix parmi les œuvres de Claude Vignon, ce choix ne serait pas en faveur des livres de fiction pure qui se recommandent uniquement par l’invention, la variété et le charme du récit. Certes, ces livres-là ne sont pas à dédaigner ; mais s’il est bon de les lire, on peut se dispenser de les relire. Ils nous auront fait passer en leur compagnie quelques heures agréables ou reposantes ; nous leur devrons un souvenir de gratitude, et pas davantage. C’est là à peu près ce que nous pensons de Château-Gaillard, un roman que Claude Vignon publia en 1874 et qui est une ingénieuse paraphrase de l’Évangile de don Juan selon l’apôtre Molière ; c’est aussi ce que nous dirions de l’Étrangère. Cependant on trouve par endroits, dans l’Étrangère, une peinture assez piquante des mœurs du second empire l’auteur y a noté, sans trop appuyer, les indulgences instinctives de ce régime, installé par surprise, pour les étrangetés exotiques, les aristocraties nomades, les élégances improvisées, hâtives, outrées qui étaient le cortège adéquat à son essence même et à son origine.
Et cependant encore, les aventures de Jean de Château-Gaillard nous amusent ; elles nous montrent un jeune homme né de l’adultère et que le mystère même de son état civil affranchit de toute autorité familiale, de toute direction, de toute contrainte. Il s’élance avec âpreté et sans aucun scrupule à la conquête de toutes les richesses et de toutes les voluptés il relie la tradition entre don Juan et le jeune Paul Astier il tient au superbe et romantique aventurier que toutes les littératures ont chanté, et il fait pressentir les « petits féroces » dont Alphonse Daudet parlera plus tard; c’est un struggleforlifer, moins l’étiquette et les prétentions à la profondeur scientifico-psychologique. Car ceci étiquette et prétentions appartient à notre temps et il ne serait pas charitable de nous contester ce chétif douaire.
À l’Étrangère, à Château-Gaillard je préférerais les œuvres, comme la Parisienne ou le Naufrage parisien, qui joignent à l’attrait du roman l’intérêt plus pénétrant de l’étude des milieux et des caractères. Les deux livres que j’ai nommés en dernier lieu mettent en scène deux femmes, deux Parisiennes, aux prises avec les difficultés de la vie. Nulle part ailleurs, Claude Vignon n’a déployé un soin plus ingénieux et plus heureux pour étayer le drame inventé, d’une observation plus exacte et plus intense. Le romanesque de l’action disparaît devant les sensations de réalité vécue qui naissent des détails du récit.
Et l’on sent que l’auteur lui-même a été pris à ce qu’il racontait ainsi « Les romanciers, dit Claude Vignon au début de la Parisienne, qui daignent seulement s’occuper des grands drames et des types d’exception ; qui se plaisent aujourd’hui à nous peindre tantôt les rebuts sociaux, tantôt des excentriques affolés dont les copies n’existeraient point dans la vie si les romans ne fournissaient des modèles qui fouillent la fange ou nous conduisent à la suite d’hommes de débauche et de femmes de joie, dans des cercles infernaux, les romanciers ont trop négligé de nous introduire dans le milieu moyen qui est le milieu caractéristique des sociétés et des nations. La femme cosmopolite, nous la connaissons la vraie Française nous l’ignorons encore. Dans la Parisienne, Claude Vignon nous fait connaître un milieu social que les romanciers ont trop souvent négligé et qui donne pourtant la notion moyenne, la notion exacte de la société française. À un diplomate étranger qui prétendait connaître notre pays Dufaure demandait « Combien connaissez-vous de familles françaises habitant le quatrième étage ? » Il savait, en effet, le peu de valeur réelle dos observations prises dans las milieux factices et superficiels.
La Parisienne — que les abonnés du Temps ont lu en feuilleton au cours de l’année 1882 — nous fait pénétrer au foyer d’un sous-chef de bureau en 1830 ou 1840. La fille de ce modeste fonctionnaire épouse un jeune homme à qui semble réservé le plus brillant avenir. Il est avocat, il devient député. Sa famille, de bourgeoisie aisée et un peu rogue, avait opposé quelque résistance au mariage avec la « Parisienne » ; mais celle-ci, à force de bonne grâce et d’exquise délicatesse, réduit toutes les préventions. Elle conquiert la sympathie et l’affection générales, lorsque son mari meurt subitement, emportant dans la tombe mille promesses de bonheur, fauchées par la mort. C’est alors que nous voyons quels trésors de force morale et de noble ingéniosité se cachaient dans le cœur de la frêle et délicate « Parisienne ». Elle lutte contre l’adversité ; elle déploie des ressources incomparables d’énergie et de ténacité pour élever son fils et sauver le peu qui reste du foyer familial. Seule au monde, abandonnée de tous, elle se montre courageuse et virile sans rudesse. Le combat où elle s’engage ne lui enlève rien de son charme ni de sa féminité. Elle lutte sans relâche contre les difficultés de la vie, contre les embûches du monde, contre les dévouements intéressés, les tentations de toutes sortes, et, pour finir, contre les conseils délétères. Sa mort est digne de sa vie; mais elle ne saurait être plus belle.
Dans le Naufrage parisien, c’est encore une étude de femme, de « Parisienne » que nous donne Claude Vignon ; mais, cette fois, ce n’est pas une funèbre fatalité, c’est une faute volontaire qui met l’héroïne aux prises avec la vie. Par cette modification dans la donnée initiale, tous les sentiments se trouvent transposés avec infiniment de tact et d’adresse, Claude Vignon a conduit et déduit les péripéties de la malheureuse aventure qui de si haut ravale si bas une femme riche, belle, adorée, enviée. Le caractère du mari, dans le Naufrage parisien, se trouve très finement dessiné il y a, dans cette âme, un enchevêtrement du bien et du mal qui suspend le jugement et fait penser. L’analyse est délicate et fort habile ; elle était scabreuse, car elle était présentée au public à une époque où l’on croyait encore et l’on n’avait peut-être pas tort que le roman ne gagne pas à faire une trop grande place à la psychologie; mais, d’ailleurs, Claude Vignon n’en a point abusé.
Je devrais dire un mot d’Elisabeth Verdier, des Drames ignorés, de tant d’autres volumes encore où Claude Vignon a dépensé un rare talent d’écrivain, un talent auquel on n’a jamais assez rendu justice. La place me ferait défaut pour être complet ; mais il convient de ne pas oublier le roman qui clôt cette série de bons et beaux livres je veux parler de Soldat qui a paru au lendemain de la mort de Claude Vignon. Il ne ressemble point aux autres c’est un roman campagnard ; il rappelle très heureusement la manière de George Sand, jusque dans certains procédés de narration qu’affectionnait l’autour de la Mare au Diable. C’est, d’ailleurs, une histoire très simple qui commence doucement en idylle et se termine doucement en élégie.
C’est l’histoire d’un jeune paysan, Pierre Legrous, qui aime une jeune fille Rose Ricardot, plus riche que lui. Il s’est engagé, il reviendra « capitaine » — espère-t-il — et il sera agréé par les parents de Rose. Il revient capitaine, en effet mais Rose s’est mariée. Dès lors, sa vie semble livrée au hasard comme un navire sans boussole. Il échoue finalement parmi les déboires et les rancœurs d’une liaison irrégulière tous ses rêves sont détruits, tous ses espoirs sont déçus, et pourtant, malgré les dures leçons de l’expérience, son fils sera comme lui un soldat. Les plis sacrés du drapeau abriteront et ennobliront ses misères.
Je ne saurais dire assez le charme de ce récit il séduit par un accent de réalité poignante, et cependant il ne laisse point l’âme vide et désolée, comme tant de prétentieuses peintures des cruautés et des injustices de la vie envers les courageux ou les simples. C’est que Claude Vignon sait nous faire respirer, puis aimer l’honnête parfum des vertus foncières qui soutiennent les cœurs torturés par les misères morales et matérielles. La plus noire détresse ne prévaut point contre leur arome pénétrant et vivace ainsi, dans les rustiques armoires du plus humble des paysans, un brin de lavande cueilli dans les bois embaume à jamais les hardes que l’indigence ronge et que l’usure effiloche.
- Feuilleton de la gazette de france du 20 décembre 1874
Semaines littéraires
CCCLIII
Quintette de romans
Madame Claude Vignon. — MM. Albéric Second, …
I
Le type de don Juan vous semble-t-il pas un peu vieux ? Je croyais qu’il n’existait plus, et je n’étais même pas bien sûr qu’il eût jamais existé. Remarquez, en effet, que le don Juan primitif, le héros de Molière et de Mozart, est en sommes un roué de médiocre aloi. Son bagage de séductions diaboliques est tout entier dans le catalogue de Leporillo, que nous sommes forcés de croire sur parole. Sur la scène, il se borne à éblouir un moment une petite paysanne, à se faire mettre à la porte par dona Anna, à tuer un vieillard et à jouer aux barres avec la mélancolique Elvire. C’est fort maigre. N’en serait-il pas de lui comme de bon nombre de personnages de Shakespeare et de Goethe, où nos imaginations ont fini par mettre ce que les poëtes n’y avaient pas mis ? Or ce travail d’incubation date de 1830. Depuis lors, il s’est singulièrement ralenti, ou plutôt nous l’avons vu s’appliquer à un autre idéal et surtout à d’autres réalités. Je me figure que, si un jeune poëte inconnu offrait aujourd’hui aux éditeurs et au public des vers tels que ceux-ci :
Deux sortes de roués existent sur la terre ;
L’un, beau comme Satan, froid comme la vipère,
Hautain, audacieux, plein d’imitation,
Ne laissant palpiter sur son cœur solitaire
Que l’écorce d’un homme, et de la passion
Faisant un manteau d’or à son ambition…
on lui répondrait que ces vers sont détestables, que Satan n’est pas beau, que l’écorce ne palpite pas, que plein d’imitation n’a aucun sens, et que l’ambition arrive là pour la raison beaucoup moins que pour la rime. En vain chargerait-il de plaider sa cause le Tyrol, dont nul barde encore n’a chanté les contrées et dont la pauvreté tend une maigre main à l’hospitalité ; il n’en paraitrait que plus vieillot et plus incorrect. Étrange engouement d’une génération toute entière, qui, voulant absolument se reconnaître dans la poésie d’un des siens, a pour le portrait les mêmes complaisances qu’elle aurait pour son miroir !
Madame Claude Vignon, femme de talent et de convictions républicaines, est donc quelque peu en retard, lorsqu’elle écrit à la première page et à la première ligne de son roman de Château-Gaillard : « J’ai tenté une œuvre audacieuse ; j’ai voulu incarner le type de Don Juan dans la société moderne. » On serait tenté de lui dire avec Racine :
Et ! quoi, n’avez-vous pas de passe-temps plus doux ?…
Elle en a eu, dans des temps meilleurs, lorsqu’elle publiait dans le Correspondant des nouvelles charmantes, ingénieuses, originales, vrai régal pour les abonnés de ce recueil, peu habitués à ces jolies petites débauches. Cette fois, était-ce la peine de refaire M. de Camors ? M. de Camors, lui aussi, était un don Juan de décadence ; mais Octave Feuillet a trop de tact, il tenait trop à ménager l’Empire et à esquiver les allusions blessantes, pour faire de son héros, dès les premières scènes, un fripon et un scélérat. Du moment que Jean de Château-Gaillard, fils adultérin d’un académicien, — grand merci pour l’Académie ! — non content de tricher au jeu, combine un ignoble guet-apens pour que ses cartes biseautées ne déshonorent qu’un de ses amis, tout est dit. Il ne relève plus que du roman judiciaire. Il est classé ou plutôt déclassé. Richelieu et Valmont, Lovelace et Lauzun, refuseront de le reconnaître, même pour leur arrière-cousin. S’il est vrai, comme le veut la tradition ou la légende, — que le don Juan classique — ou romantique, — exécrable, parjure, sacrilége, mécréant, contempteur des lois divines et humaines, garde pourtant un certain prestige, qu’il personnifie l’antithèse de la grandeur dans le mal, de la poésie dans le crime, de la fascination dans le vice, ce jeune homme de vingt ans, préludant à ses conquêtes amoureuses ou politiques par une escroquerie de tripot, n’est plus acceptable. Séducteur à froid de la femme de son hôte, il serait encore dans son rôle. Remplaçant dona Anna par la dame de pique et don Ottavio par un jeune imbécile qu’il fait surprendre la main dans le sac, il ne peut plus inspirer aux filles d’Ève ou aux sœurs de Zerline qu’un sentiment de dégoût et de mépris. C’est dans une maison centrale que doit le conduire le Commandeur, et non pas dans un enfer byronien ou dantesque. L’attrait, la raison d’être d’un pareil personnage, résident tout entiers dans une vague et secrète complicité de ses lecteurs ou de ses lectrices, qui ne voudraient pas, bien entendu, le recevoir dans leur salon ou dans leur boudoir, encore moins lui donner leur fille, mais qui, le retrouvant dans une œuvre d’imagination, obéissent à une sorte de routine romanesque en murmurant tout bas : « Quel monstre ! mais qu’il est aimable ! » Château-Gaillard, commençant par être un filou, n’a plus le droit d’être un monstre.
Le dirai-je ? Je crois que Mme Claude Vignon s’est trompée, de très bonne foi, sur le véritable objet de son livre. Ce qu’elle a voulu, ce n’est pas recomposer un type suranné et dont personne ne se soucie plus. Rattachée à la République par le plus doux et le plus légitime des liens, elle s’est proposé d’écrire un roman satirique contre les moeurs publiques et privées de la fin du règne de Louis-Philippe, et surtout du second Empire. Dès lors je la comprends, tout en lui demandant avec le respect convenable si ce n’est pas là un jeu dangereux, sujet à répliques et à représailles. Du moins, son héros a un sens. Ce jeune homme merveilleusement doué et horriblement dépravé, écumeur de Bourse et de ministères, bandit en gants jaunes volant dans le palissandre comme dans un bois, enfant posthume des de Marsay, des Rastignac et des Maxime de Trailles, Alcibiade doublé de Talleyrand et de Robert Macaire, arrivant au pouvoir par les femmes et aux femmes par le pouvoir, n’est pas, — ai-je besoin de le dire ? — M. X… ou M. Z… Mme Claude Vignon, qui est aussi, à ses heures, une statuaire très remarquable, forte élève de Pradier, sait que, pour faire une statue, les sculpteurs s’inspirent de divers modèles sans en copier aucun. Cette étude collective l’a tentée, et comment résister à une tentation qui devait offrir en holocauste aux vertus républicaines les turpitudes impériales et monarchiques ?
Mieux que personne, madame Claude Vignon avait été en mesure d’étudier de près ces désordres et ces scandales, et de les peindre d’après nature. L’aimable auteur de Château-Gaillard ne peut avoir oublié, par exemple, certaine saison de Vichy, saison essentiellement napoléonienne, toute chamarrée de chambellans et d’aides de camp, tout ensemencée de graines d’épinard, où l’efficacité stomachique du puits Chomel et de la Grande-Grille ne fut pas de trop pour nous aider à digérer les licences et les fredaines de l’Empire en vacances. Je me garderai donc bien de la contredire. Mais, si j’avais le malheur d’être buonapartiste, voici quelle serait mon objection : Oui l’Empire et même la monarchie bourgeoise de 1830 ont eu leurs roués, leurs intrigants, leurs agioteurs, leurs mines d’Archiennes ou de Saint-Bérain, leurs bourreaux d’argent, pour qui rien n’était sacré, ni les finances publiques, ni la femme de leur ami, ni les pommes du voisin, ni l’honneur, ni la foi jurée, ni le devoir, ni la dette. Les noms, les dates se présentent en foule, quand on songe à ce déplorable dossier. Seulement, une fois sur cette pente de récriminations rétrospectives, où nous arrêterons-nous ? Certes, le spéculateur, l’ambitieux, le séducteur, qui s’enrichissent, s’élèvent ou se font aimer par des moyens illicites, sont bien coupables ; je les méprise, je les évite, je les prie de ne pas me saluer ; ils peuvent pourtant alléguer une excuse ; c’est qu’ils ont travaillé aux dépens de leur pays, de leur prochain ou de leur prochaine, dans un temps de prospérité, de calme, de progrès, au milieu d’un immense mouvement d’affaires qui pouvait donner le vertige. Mais que dire des hommes qui, pour devenir des personnages et arrondir ou créer leur budget, ont saisi le moment où la France agonisante se débattait sous le coup de foudre de la défaite et les serres sanglantes de l’invasion ? Que dire de ceux qui, en prélevant de gros bénéfices sur les fournitures, ont aggravé et envenimé pour nos conscrits et nos mobiles les souffrances d’une effroyable guerre ? N’est-il pas plus odieux de faire argent des misères de la patrie que de pêcher un million en eau trouble, à travers les alternatives de la hausse et de la baisse ? N’est-ce pas une immortalité plus complète de légaliser l’adultère que de le commettre, et le roman de la passion coupable falsifiant les actes de l’état-civil est-il donc préférable à la séduction pure et simple, alors même qu’elle n’est ni simple, ni pure ? Aujourd’hui encore, il n’est pas de semaine où nous n’apprenions la fugue d’un radical du rouge le plus intense, se sauvant avec la caisse et ruinant du coup tout un arrondissement ou tout un canton. En conscience, l’heure est-elle bien choisie pour nous rappeler que le diable avait aussi sa part sous Louis-Philippe et sous Napoléon III.
La part du diable ! Elle existe sans doute dans le roman d’Albéric Second… …
Citations[modifier]
- vous savez que la femme chez qui je vous introduis est une des reines de Paris, qu’elle y donne le ton, qu’elle est coquette, qu’elle est aimée, et qu’elle a un mari qui la gâte et lui laisse faire ses quatre volontés. (sic)