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Discussion:Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/L’Âne et ses Maîtres

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L’âne d’un Jardinier ſe plaignoit au deſtin
De ce qu’on le faiſoit lever devant l’Aurore.
Les Coqs, lui diſoit-il, ont beau chanter matin ;
Je ſuis plus matineux encore.
Et pourquoy ? pour porter des herbes au marché.
Belle néceſſité d’interrompre mon ſomme !
Le ſort de ſa plainte touché
Luy donne un autre Maître ; et l’Animal de ſomme
Paſſe du Jardinier aux mains d’un Corroyeur.
La peſanteur des peaux, et leur mauvaiſe odeur
Eurent bientôt choqué l’impertinente Bête.
J’ai regret, diſoit-il, à mon premier Seigneur.
Encor quand il tournoit la tête,
J’attrapais, ſ’il m’en ſouvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien.
Mais ici point d’aubaine ; ou, ſi j’en ai quelqu’une,
C’eſt de coups. Il obtint changement de fortune,
Et ſur l’état d’un Charbonnier
Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoi donc ! dit le Sort en colère,
Ce Baudet-ci m’occupe autant
Que cent Monarques pourraient faire.
Croit-il être le ſeul qui ne ſoit pas content ?
N’ai-je en l’eſprit que ſon affaire ?
Le Sort avoit raiſon ; tous gens ſont ainſi foits :
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire eſt toujours la préſente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets.
Qu’à chacun Jupiter accorde ſa requête,
Nous lui romprons encor la tête.

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