Discussion:L’Amour qui pleure
Ajouter un sujetL’Amour qui pleure, par Marcelle Tinayre, 1 vol. in-18. Paris, Calmann-Lévy.
Une lettre de M. Raymond Poincaré à propos de la Vie de Jeanne d’Arc, de M. Anatole France. — Historique du mot « patrie », par Achille Delboulle (dans la Revue d’histoire littéraire, tome viii. Paris, Armand-Colin.)
L’autre jour, en revenant d’un voyage de conférences où l’on m’avait chargé de parler de la France aux Français d’Alsace et de Lorraine, je me suis arrêté, dans la gare de Nancy, devant l’étalage du libraire, et j’ai demandé :
— Avez-vous quelque chose de nouveau ?
— Oh ! oui, monsieur, me répondit une gracieuse jeune fille, préposée à la vente des livres et des journaux. Tenez, voici l’Amour qui pleure, de Marcelle Tinayre. C’est bien intéressant, bien émouvant. Je l’ai lu…
Mon excellent confrère et camarade M. Paul Boyer, le slavisant bien connu, que j’avais rencontré à Strasbourg et qui revenait de faire une conférence française à Stuttgart, assistait à ce court entretien et pourrait attester l’authenticité de ce propos qui me fit plaisir. J’aime en effet que les libraires aient une opinion sur les livres que leur vitrine propose à notre choix. C’était la coutume autrefois, au temps où Silvestre de Sacy se reposait de ses articles politiques en allant feuilleter les nouveautés littéraires chez MM. de Bure. C’est encore l’habitude çà et là, en province. À Paris, c’est un usage de moins en moins répandu. Le libraire lettré, capable d’une sincère prédilection pour les bons ouvrages et d’une loyale antipathie à l’égard des mauvais, devient, hélas ! de plus en plus rare sur le marché parisien. On peut craindre la prochaine venue d’un temps où l’honnête commerce des livres — ce commerce noble où il y a comme un reste des bourgeoisies et des seigneuries d’antan — sera remplacé par je ne sais quel trafic de papier noirci. Et puis, la librairie souffre de cette « crise de l’apprentissage » qui préoccupe justement en ce moment-ci les pouvoirs publics. C’est un métier, un fort beau métier, très délicat, très difficile que de servir d’intermédiaire entre l’amour-propre, bien naturel, des auteurs et les méfiances, souvent légitimes, des lecteurs. C’est un office, quasi diplomatique, dont il faut apprendre tous les détails avant de s’en mêler. Si l’on peut compter les vieux libraires qu’une longue accoutumance de leur métier a munis d’une expérience utile et d’une sagesse agréable, je renonce par contre à dénombrer les jeunes commis qui ne savent pas un mot de bibliographie et qui ne paraissent pas souffrir de leur ignorance… Mais revenons à l’Amour qui pleure. J’ai reçu de l’auteur un joli billet, dont je voudrais détacher au moins un passage pour le plaisir et pour le profit des lecteurs de ce livre charmant et mélancolique.
… Peut-être n’est-il pas indifférent au critique de connaître la pensée de l’auteur sur son œuvre, ne fût-ce qu’à titre de renseignement. Je vous dis donc la mienne en toute simplicité.
L’Amour qui pleure ne contient aucune thèse, aucune revendication. C’est un quatuor d’histoires sentimentales, d’ailleurs mélancoliques, où des âmes mûrissantes se tournent avec nostalgie vers le passé. Ce sont les dénouements de longues amours secrètes qui furent toutes heureuses, belles et même nobles dans ce qu’on appelle la faute. J’ai voulu, encore une fois, montrer les rançons douloureuses de l’amour, non pas celles qui viennent d’un conflit de conscience ou d’une loi transgressée, mais seulement des fatalités naturelles, — l’âge, la mort. J’y ai mis beaucoup de pitié, et tout ce respect que j’ai pour l’amour véritable.
Voilà ma pensée, cher monsieur, et voilà mon livre…
- MARCELLE TINAYRE.
Il est bon que les auteurs nous disent ainsi, bien franchement, ce qu’ils ont voulu faire. Nous serons plus aptes ensuite à comprendre ou à sentir ce qu’ils ont fait.
Les quatre nouvelles qu’a réunies Mme Marcelle Tinayre sous le titre collectif de l’Amour qui pleure s’intitulent : la Consolatrice ; — Mirame ; — Robert Marie ; — le Fantôme. Ce sont des aventures sentimentales qui me rappellent un « sonnet d’automne », un sonnet bien inégal, très imparfait, mais sincère et touchant, que fit un de mes amis, Maurice Bénard, mort depuis plus de vingt années.
Oh ! comme il faisait bon dans le jardin étroit
Où tombaient lentement des feuilles, — les dernières !
Des arbres dans le fond, poussant leurs branches droit,
Se profilaient avec des attitudes fières.
Tous ces jours-ci, le vent faisait gémir le toit,
Et la pluie avait fait au chemin des ornières ;
Mais, tout étant serein dans le ciel calme et froid,
Ce jour d’automne avait des douceurs printanières ;
Ce qui faisait songer à quelque ancien amour
Qu’on aurait cru bien mort… Depuis son dernier jour,
La passion changeante a changé d’espérance ;
Mais que l’on se retrouve, et le charme vainqueur
Renaît, calme et froid comme un souvenir d’enfance,
Et doux comme un beau jour dans l’automne du cœur.
J’ai retenu ce sonnet à cause du dernier vers, qui est mélancolique et doux comme une fleur d’arrière-saison, éclose dans un cimetière. Mon pauvre ami, lorsqu’il composa cette brève élégie, était âgé de vingt-cinq ans. Il gardait encore assez d’illusions pour croire que l’ « on se retrouve » dans l’ « automne du cœur ». La vérité, selon l’auteur de l’Amour qui pleure, c’est qu’on ne se retrouve point. Mais, jusque dans le déclin de nos amours tragiquement frappées par le grand drame de la mort ou lentement abolies par la banalité comique et funèbre de la vie quotidienne, nous trouvons parfois une consolation qui n’est pas sans charme.
Heureux qui peut garder, quand tout tremble et chancelle,
Des sentiments anciens dans une âme nouvelle,
Et son cœur immuable en un décor changeant !
Voici une belle figure de « consolatrice » : Pauline Clarence. Elle est la femme d’un célèbre artiste, d’un grand musicien. Son mari est amoureux, mais elle sait que ce n’est point d’elle,
« À quarante-cinq ans, le célèbre musicien, professeurau Conservatoire et membre de l’Institut, demeure, par la sveltesse de sa haute taille et l’éclat de son regard bleu, un homme jeune, sinon un jeune homme. Ses cheveux, précocement gris, abondants et bouclés, ne le vieillissent point ; sa moustache est restée légère et brune ; ses tempes, ses joues mates gardent leurs fermes contours. Dans les vêtements négligés qu’il porte, à la campagne, — complet de molleton marine, chemise de soie écrue, — il conserve un air d’élégance et de bonne grâce… Pauline pense :
« Comme il a peu changé, depuis notre mariage ! »
Et elle regrette qu’il ne soit pas vieux, tout à fait
vieux… »
Tel est, en effet, assez fréquemment, le douloureux
souci de ces femmes d’élite qui ont eu
le noble courage d’épouser des grands hommes.
Les grands hommes, surtout quand ils sont
jeunes, n’appartiennent guère à leur foyer.
Tout les attire au dehors. Ne faut-il pas que leur
destinée s’accomplisse ? Et volontiers ils prennent
pour un décret du destin le caprice de leur
cœur, la fantaisie de leur imagination ou simplement
le vagabondage de leurs sens. L’illustre
artiste Georges Clarence, « le musicien de
l’amour, l’auteur de Sylvabelle, de la Princesse
de Clèves, de Parisina, l’amant de la fameuse
cantatrice italienne Béatrice Alberi », n’a point
de vocation pour les salubres délices du pot-au-feu.
« Après quinze ans de mariage, malgré le succèsvenu et la fortune commencée, malgré l’exemple d’autres ménages d’artistes affolés par le luxe tardif, Pauline Clarence garde les sévères habitudes de sa première éducation. C’est la vraie bourgeoise française, dominée par la crainte de l’avenir et
les ambitions maternelles, bonne mais prudente… »
Combien j’approuve Pauline lorsqu’elle dit à
Georges :
— À quoi bon faire de la musique que personne ne comprend ?
Voilà une parole pleine de bon sens. Mais Georges en est exaspéré. Il finit par croire que sa femme — sa femme légitime — est l’ennemie personnelle de son génie. C’est à elle qu’il attribue la chute d’un de ses opéras les plus fameux.
« La chute de Parisina le bouleversa profondément,réveilla ses doutes… Hélas ! Georges s’apercevait qu’une compagne affectueuse, irréprochable, dévouée, peut avoir une influence néfaste sur son compagnon. Sans participer à l’œuvre de l’homme, elle crée l’atmosphère morale où cette œuvre doit être conçue et réalisée. Sa médiocrité
rapetisse et décolore la vie autour de lui, etc., etc. »
Et ailleurs :
« … Seul avec Pauline, il s’ennuyait. « Je lui aitout dit, elle m’a tout dit, et la matière de nos entretiens ne se renouvellera pas si vite », pensait-il. Pourtant il croyait aimer sa femme ; il la voyait encore en beau, avec ses yeux de jeune mari. Elle aussi l’aimait à sa façon, disposant elle-même la lampe, les pantoufles, le fauteuil au coin du feu, méditant sans cesse la surprise d’un petit plat pour le dîner.
N’es-tu pas heureux de m’avoir ?… Comment vivais-tu autrefois ?… Tu mangeais au restaurant. Ta concierge raccommodait tes habits… Hein, quelle différence ! Tu es soigné, tu es gâté un vrai coq en pâte !
Cette expression de « coq en pâte » et quelques autres, qui étaient familières à Pauline, agaçaient
Georges cruellement. »
Ah ! pauvres femmes d’artiste, votre tâche est
si malaisée en ce bas monde qu’il faut bien espérer
que vous serez récompensées dans l’autre.
Vous êtes obligées d’avoir de la raison pour
deux, et de combattre sans trêve cette puissance
divagante qu’un moraliste appelle précisément
la « folle du logis ». Vos maris sont de grands
enfants. Vous leur donnez souvent de délicieux
bébés, dont ils ne veulent retirer qu’un surcroît
d’agrément égoïste. Et vous voilà tenues par des
devoirs doublement maternels. Vous êtes ménagères
et ils sont dépensiers. Vous êtes économes,
ils sont prodigues, et ils vous accusent d’être
avares. Vous administrez et ils gaspillent. Leur
génie a besoin de votre sagesse pour ne point
glisser dans l’erreur ou tomber dans le ridicule.
C’est grâce aux garde-fous que vous multipliez
autour de leur sublime étourderie, qu’ils peuvent
se livrer impunément aux impulsions de
leurs nerfs. Vous écartez de leur porte-monnaie,
toujours béant, les vieux copains volontiers emprunteurs.
Vous acquittez leurs créances, vous
les exemptez du vacarme des petites dettes
criardes, vous gérez leur budget, vous nouez
leur cravate, vous les empêchez de colporter par
la ville des vestes trop bizarres ou des chapeaux
insuffisamment bourgeois. Vous laissez toute
liberté à leur méditation géniale en écartant de
leur vie extérieure le désordre et l’indiscipline
que la société ne pardonne pas. Bref, c’est à
vous qu’ils doivent ces menus bénéfices sociaux,
sans qui la gloire elle-même ne serait
qu’une vaine fumée, je veux dire l’estime du
concierge, la considération du propriétaire, la
déférence des fournisseurs, le salut des voisins,
la politesse des cochers, l’aptitude à recevoir un
ruban honorifique, une dignité corporative, et
le cas échéant un mandat électoral. Vous les
rendez respectables, décorables, académisables,
éligibles, voire, ministrables, aux yeux d’un
monde qui est jaloux de leur supériorité, et qui
ne demande qu’à profiter de leurs moindres faiblesses.
Soyez bénies, femmes excellentes,
compagnes admirables ; vous êtes pareilles à la
Minerve casquée et sereine qui offre le secours
de ses armes aux rêveurs désarmés, et qui empêche
les astrologues de choir dans les puits au
pourchas d’une étoile illusoire. Sans vous, tel
peintre archimédaillé barbouillerait encore les
enseignes des cabarets de Montmartre, tel musicien
considérable s’estimerait heureux de tenir
le piano dans un boui-boui de banlieue,
tel poète, bien renté, confortablement académisé,
chevalier ou officier de tous les ordres dont il
n’est pas commandeur ou grand-croix, continuerait
de vociférer des rhapsodies truculentes
dans les brasseries du quartier latin. Vous avez
tiré de la vie de bohème presque tous les « chers
maîtres » à qui vont les hommages de la jeunesse
pensive et les sourires des visages émerveillés.
Vous les consolez de la « rosserie » des
camarades envieux. Avec tout cela, on vous
trompe ! Et c’est ici que votre rôle de « consolatrices »
atteint son plus haut degré de sublimité.
Pauline sait que Georges a eu pour maîtresse, entre autres, Béatrice Alberi, jeune femme esthétique et passionnée comme les héroïnes de M. Gabriel d’Annunzio. Et c’est elle qui le console avec une délicatesse infinie lorsqu’il apprend que cette cantatrice a brûlé dans l’incendie du Grand-Théâtre de Budapest…
Mirame est une transposition, en prose agile et souple, et dans un cadre familièrement pittoresque, du leitmotiv que Victor Hugo a merveilleusement orchestré dans la Tristesse d’Olympio.
« Que peu de temps suffit pour changer toutes chosesNature au front serein, comme vous oubliez, Et comme vous brisez, dans vos métamorphoses, Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !
Eh bien, oubliez-nous, maison, jardin, ombrages ! Herbe, use notre seuil ! Ronce, cache nos pas ! Chantez oiseaux ! Ruisseaux, coulez ! Croissez, feuillages ! Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas,
Car vous êtes pour nous l’ombre de l’amour même. »
En causant de l’« ombre de l’amour » dans la
vallée de la Bièvre, avec Mlle Mirame Picot, M.
André Chalouette, professeur en congé, explique
les origines de ce poème.
Il raconta que cette vallée avait abrité les amours de Victor Hugo et de Juliette Drouet.
— Il y a, dans les Rayons et les Ombres, un très beau poème qui s’appelle la Tristesse d’Olympio, et qui a été inspiré par cette vallée de la Bièvre.
Tiens ! j’avais toujours cru que la Tristesse d’Olympio se rapportait à une maison située aux environs de Blois, et que Victor Hugo avait dédié cette magnifique élégie à sa femme légitime.
Oh ! ces artistes ! Tout de même, il faudrait élucider cette question troublante…
… … … …
- 17 septembre 1921 : Le Gaulois littéraire et politique [2]
Les Lampes voilées
par Marcelle Tinayre
(Calmann-Lévy.)
Mme Marcelle Tinayre possède également le don de peindre les âmes et les paysages : elle possède, par surcroît, le privilège de fondre ce double aspect psychologique et pittoresque de son évocation, de telle façon que ses personnages s’expriment par la poésie même de ses paysages.
De là l’émotion profonde, aux larges résonnances, de chacun de ses livres, de chacune de ses nouvelles.
Sous ce titre émouvant, Les Lampes voilées, Marcelle Tinayre nous offre aujourd’hui deux études de cette province pour laquelle, comme tous les vrais amateurs de la nature humaine, elle a toujours éprouvé une prédilection. La plus longue de ces deux nouvelles, Laurence, est l’une des oeuvres les plus accomplies et les plus larges que nous deviens encore au vigoureux auteur de La Maison du Péché.
Laurence est une vieille demoiselle de trente-quatre ans, fille d’une mère frivole, d’un père sans fortune, qni s’est repliée de bonne heure dans un orgueil un peu janséniste et qui s’est vouée au bien comme elle mis sur sa poitrine un cilice. Quand elle se consacrait aux enfants infirmes d’un hôpital, elle croyait donner son cœur, mais elle s’aperçoit, à l’heure de l’amour longtemps méconnu, que, dans la vertu, comme dans le talent de certaines femmes, il y a toujours quelque désespoir caché. La vie que Lawrence s’était imposée n’était pas la sienne : elle y persévérera pourtant, après avoir failli mourir ; mais qui donc connaîtra la vraie flamme de cette lampe voilée ?…
Le malheur de ces créatures fières, à « l’ombrageuse modestie » est que, trop tôt isolées en elles-mêmes, elles n’auront point, connu le malheur ni la passion ; cette joie de vivre, qui apparaît à Marcelle Tinayre elle-même, semble-t-il, comme la seule forme humaine du bonheur, et « qui sort naturellement d’une âme bien faite, comme s’éveille la mélodie sur les cordes d’un instrument dès que le musicien l’effleure. »
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