Discussion:La Comtesse d’Egmont
Ajouter un sujetRoman historique sur Jeanne-Sophie de Vignerot du Plessis
Éditions
[modifier]- 1836, Dumont éditeur, [1]
- 1836 Bruxelles, Ad. Wahlen, impr.-libr. de la cour [2]
- Traduction 1836 [3]
Critiques
[modifier]LITTÉRATURE.
Mme DE TERCY, par Mme Charlotte de Sor. — LA COMTESSE D’EGMONT, par Mme Sophie Gay. — LE SALON DE LADY BETTY, par Mme Desbordes-Valmore. — UNE PASSION EN PROVINCE, par Mme Camille Bodin. — LES VENGEANCES DU DUC D’ALCANTARA, par Mlle Pauline Renault.
On ferait le moins de querelles aux femmes auteurs si elles avaient toujours le bon esprit de se renfermer dans le cercle de leurs attributions littéraires. Elles seront bien venues toutes les fois qu’elles voudront nous dire ce que le cœur leur révèle, ce que la vie leur enseigne, ce qu’elles recueillent dans le commerce du monde, ce que leur apprend l’instinct de fine et délicate observation que le ciel leur a départi. Les femmes, en général, ont une conscience de certains sentimens, et sont douées de facultés intuitives dont les révélations sont précieuses ; elles envisagent souvent l’humanité sous un point de vue fertile en découvertes qu’il est bon de connaître. Tant qu’elles voudront user de ces trésors qui leur sont propres, et ne point chercher d’autres richesses dans des profondeurs imaginaires ou dans des régions dont elles n’ont pas le secret, elles obtiendront de brillans et légitimes succès.
Mme de Sor, qui vient d’inscrire un nom nouveau sur la liste des femmes auteurs, a parfaitement compris la mission littéraire de son sexe ; aussi s’est-elle, dès son début, placée au premier rang. Son roman, intitulé Mme de Tercy, est une simple histoire du cœur, un récit intime et touchant, où la vie d’une femme nous est retracée tout entière, s’épanouissant dans l’insouciance et s’effeuillant dans la peine. Les premiers souvenirs du cœur sont pour les femmes des souvenirs d’enfance : Mme de Tercy remonte aux impressions de ses jeunes années. Ces premières fleurs de l’ame, écloses au printemps de l’adolescence, fleurs d’un doux éclat et d’un suave parfum, composent toute la félicité de sa vie. Elle se marie sans amour et se retrouve bientôt veuve et pauvre. À vingt deux ans, l’indigence l’oblige à contracter un nouveau mariage avec un viellard ; elle passe de tristes années sous la tyrannie de cet époux, qui lui fait sentir impitoyablement tout le poids d’une chaîne que le divorce vient rompre enfin. Mme de Tercy reprend alors son nom et sa liberté ; le monde lui rouvre ses portes. Elle est jeune encore et toujours belle. La vie va donc lui sourire, et, après de cruelles épreuves, elle pourra renouer le fil d’or de ses illusions, si souvent rompu et brisé aux épines du chemin. Pauvre femme ! ce sont là les rêves de son imagination et de son cœur ; mais pour les ames comme la sienne il n’est point ici bas de pure félicité. Devant ses pas le bonheur fuira toujours vers l’horizon, et la terre promise sera pour elle le champ du repos, où elle arrivera épuisée et radieuse. L’amour, qui parlera haut dans son cœur, et auquel elle se livrera avec toute l’ardente foi et tout le sublime dévoûmcnt de son ame, sera un de ces amours dont meurent les femmes, parce que les femmes quelquefois mettent leur vie tout entière à un enjeu contre lequel l’amant risque seulement quelques semaines. C’est en s’éteignant dans cette mort lente et douloureuse, que de Tercy écrit ses mémoires, adressés à un jeune homme au noble cœur, qui éprouvait pour elle une vraie et forte passion, mais pour qui elle ne ressentit jamais qu’une paisible amitié.
Toute cette attendrissante histoire est écrite avec un charme exquis, une sensibilité vraie et profonde. La délicatesse des pensées, la finesse et la vérité de l’observation, la grace des détails, s’y développent dans un style facile, élégant, sans recherche, et dont le négligé est une heureuse parure. Mme de Sor n’est pas de ces femmes auteurs qui veulent être hommes de lettres à tout prix ; elle a écrit son livre sans prétention et sans effort ; elle n’a point dénaturé deux belles qualités qui ne s’acquièrent pas, et qui se gâtent facilement, le naturel et la grâce, dons précieux sans lesquels il n’y a pour les femmes ni talent complet ni beauté parfaite.
Mme Sophie Gay, qui n’est pas à son début comme Mme de Sor, tant s’en faut ! vient de publier un nouveau roman, dont les deux volumes sont consacrés à canoniser la comtesse d’Egmont, fille du maréchal de Richelieu. Si l’idée n’est pas bonne, il ne faut nullement s’en prendre à Mme Sophie Gay, mais bien à Mme la marquise de Créquy. Mme Sophie Gay, en effet, n’a pas inventé les vertus et le panégyrique de la comtesse d’Egmont ; elle a trouvé la besogne toute faite dans les Mémoires de Mme de Créquy, et elle n’a eu que la peine et le mérite de mettre en deux volumes ce qui était en deux chapitres.
La comtesse d’Egmont a été fort maltraitée par les historiens de son temps. Vivant à une époque où les femmes de sa qualité ne se refusaient rien, jeune, belle et mariée contre son gré, Mme d’Egmont se fit, dit-on, remarquer au milieu des mœurs dissolues et des femmes effrénées du dix-huitième siècle. Les grands seigneurs et les gentilshommes ne furent pas seuls admis aux honneurs de ses bonnes graces : s’il faut en croire la chronique, ses amours descendirent jusqu’aux plus basses conditions. Vêtue en grisette, elle courait les petits théâtres et nouait des intrigues obscures avec des courtauds de boutique ou de jeunes soldats aux gardes françaises. Il n’est sortes d’aventures que l’on n’ait mises sur le compte de cette héroïne ; si bien que la marquise de Créquy, indignée de tous ces propos, entreprit un beau jour de leur donner un démenti formel et de présenter Mme d’Egmont comme un modèle de vertu et un ange de pureté. Si l’on n’avait donné à Mme d’Egmont que des gens de qualité, Mme de Créquy ne s’en serait sans doute point mêlée ; mais la fière marquise ne pouvait voir sans un mortel déplaisir une dame de si haut rang compromise avec des bourgeois et des manans. La comtesse d’Egmont était en effet la plus grande dame de France ; hors des maisons royales, elle n’avait d’égale en Europe que les duchesses d’Albe et de Médina-Coeli ; elle était issue de la maison de Lorraine, grande d’Espagne à la création de Charles-Quint, duchesse d’Agrigente et princesse de Clèves. Les vices d’une aussi émitiente personne devaient, selon Mme de Créquy, porter atteinte à la dignité de toute la noblesse : cette grave considération a dicté les deux chapitres de la marquise ; nous y voyons que la comtesse d’Egmont dut sa mauvaise réputation aux méchans propos des ennemis nombreux que lui avaient suscités son silence habituel et l’air ennuyé qu’elle apportait dans le monde. « De tous les labeurs, ajoute philosophiquement Mme de Créquy, le plus pénible est celui de cacher l’ennui qu’on nous cause ; et voilà pourquoi les personnes nerveuses ont tant d’ennemis. »
Toutes les aventures galantes de la comtesse d’Egmont doivent donc être mises sur le compte d’un tempérament nerveux. La comtesse n’aima jamais qu’un seul homme, le comte de Gisors ; mais ce fut en tout bien, tout honneur. Le comte se maria en même temps qu’elle, et n’eut pas le loisir de la rencontrer dans le monde ; car peu de temps après son mariage, il fut tué à la fête du régiment de Champagne dont il était colonel. Le point le plus difficile du plaidoyer de Mme de Créquy était de justifier la comtesse d Egmont au sujet d’une aventure qui lui arriva au grand couvert de Versailles, un jour qu’elle y fut reconnue et singulièrement compromise par l’ébahissement scandaleux d’un jeune et simple soldat aux gardes, qui ne l’avait jamais vue qu’en déshabillé bourgeois, et qui la retrouvait là, assise près de la reine, avec un grand habit noir en dauphine lampassée, garni de fleurs de capucines brodées en or, et accompagné de toutes les perles héréditaires de la maison d’Egmont, qui valaient quatre cent mille écus. Ce soldat, dit Mme de Créquy, était fils naturel du maréchal de Bellisle, par conséquent frère de feu le comte de Gisors, dont il était la vivante image. Touchée au cœur par cette ressemblance singulière, Mme d’Egmont s’était faite la protectrice du jeune soldat ; mais ses sentimens pour lui se bornaient à l’estime et à la bienveillance, et si elle se déguisait en grisette dans ses entrevues avec lui, c’était afin de ne pas trop l’éblouir.
Mme Sophie Gay a accepté, sans marchander, la version de Mme de Créquy, et nous a raconté longuement les deux amours platoniques de la comtesse d’Egmont, qui fut si nerveuse et si calomniée. La bonne ou la mauvaise renommée de Mme d’Egmont est de peu d’importance au temps où nous vivons ; nous devons constater cependant que les documens nombreux qui donnent une valeur historique aux galantes prouesses de cette haute et puissante dame ne sont nullement ébranlés dans leur fondement et dans leur crédit par les deux chapitres de Mme de Créquy et les deux volumes de Mme Sophie Gay.
Si l’intérêt manque au roman de Mme Sophie Gay, nous trouvons cette qualité abondamment répandue et heureusement variée dans une nouvelle production de Mme Desbordes-Valmore, le Salon de lady Betty. Sous ce titre, Mme Desbordes-Valmore a réuni plusieurs nouvelles où les mœurs, les usages et diverses scènes de la vie anglaise sont retracés avec finesse et bonheur. La manière des romanciers et des peintres anglais, si habile à faire ressortir les détails les plus délicats, les nuances les plus exquises, est reproduite avec esprit par Mme Desbordes-Valmore, qui s’est élevée jusqu’au sentiment dramatique le plus fin et le plus saisissant dans ses nouvelles intitulées le SmogLer et la Servante.
Le nouveau romande Camille Bodin, Une passion en province, mériterait assurément un article particulier et plusieurs colonnes d’analyse, que nous lui consacrerions de grand cœur si l’abondance des matières politiques ne venait couper court à la bonne volonté du feuilleton. Les temps sont difficiles pour la critique littéraire, resserrée entre les discussions parlementaires et les rudes procès qui se succèdent depuis quelque temps. L’examen du livre de Mme Bodin doit donc se plier aux circonstances ; heureusement pour le livre, il peut se passer de commentaires, et son succès a devancé la critique.
Sans rien ôter au mérite du roman, disons d’abord que son titre ne lui convient pas. Ce n’est pas une passion, en effet, ce sont trois passions que nous trouvons dans ce roman ; et ces passions se livrent à leurs développemens dramatiques, non pas en province, mais dans de grandes capitales, telles que Paris et Londres ; la province n’est que leur berceau. Mais qu’importe la précision du titre, si ces passions et cette province sont peintes avec les couleurs les plus riches et les plus vraies ? D’ailleurs, si l’action s’élance vers un vaste théâtre, c’est avec beaucoup d’art que l’auteur la ramène et la rattache par des fils délicats à la petite ville de province dont elle est originaire. Cette petite ville est le coin du tableau sur lequel Mme Camille Bodin a dépensé toute la verve de sa description ; les menées étroites, les intérêts mesquins, les intrigues misérables qui peuvent agiter un chef-lieu de sous-préfecture sont reproduits et présentés avec une vérité parfaite. Les originaux de Mme Bodin seront trouvés ressemblans dans toutes les villes de trois à quinze mille ames. Que le Vigan ne soit donc ni fier du portrait ni jaloux de la concurrence. Le Vigan est une petite ville du Gard, peu connue et bien digne de l’être, que Mme Bodin a choisie comme type, avec un bonheur qui prouve qu’elle a voyagé dans les Cévennes.
Dans Une passion en province, le drame est bien conduit, attachant, fertile en émotion ; mais il est semé de crimes et de catastrophes qui présentent la société sous un aspect trop sombre et trop terrible. L’action est montée sur des ressorts mystérieux et violens qui paraîtraient bien étranges et bien exagérés, si heureusement ils n’étaient adoucis et tempérés par le charme et le naturel des détails. C’est-à dire que dans Une passion en province les qualités effacent les défauts, et que cette fois encore il faut signaler le progrès que l’on remarque à chaque nouvel ouvrage de Mme Camille Bodin.
Il nous reste à parler d’un roman échappé encore à l’inspiration d’une de nos muses ; muse novice et entrant dans la carrière, d’un pas timide et d’une humble voix. Mlle Pauline Renault, auteur des Vengeances du duc d’Alcantara, s’est recommandee à la bienveillance de la critique par un distique peu régulier, mais assez touchant, placé à la tête de son ouvrage.
Lecteurs, prenez patience et soyez indulgens,
C’est mon premier ouvrage, je n’ai que dix huit ans.
C’est ainsi que s’exprime poétiquement Mlle Pauline Renault. Le cas est embarrassant, car en vérité l’indulgence la plus aveugle, la plus sourde, la plus dénuée de tout sens ne saurait défendre le roman plus que le distique. L’œuvre et la prière se ressemblent en fait de correction et de mesure, de style et d’originalité. L’auteur n’avait pas besoin de nous dire son âge et son inexperience : ces dons, précieux partout ailleurs qu’en littérature, percent à chaque page et à chaque phrase de son livre. Ce sont, depuis l’exposition jusqu’au dénouement, les écarts d’une imagination qui recherche les grands effets, et qui croit devoir se jeter à tous propos dans les incidens et les situations étranges, énormes, impossibles. Jamais victimes plus tourmentées, jamais plus farouche tyran, jamais plus de sang, de larmes, d’incendies, de tours obscures, d’échelles de corde, de chaînes, de torches, de souterrains, n’ont attristé, éclairé, assombri, abreuvé et brûlé un roman. Voilà ce qu’écrivent les jeunes filles de dix-huit ans qui écrivent ! Voilà quels sont leurs rêves à l’âge et à l’heure où leurs sœurs ne songent qu’au bal, aux fleurs et aux fraîches parures du printemps. Pourquoi donc entrer de gaité de cœur dans ce monde terrible ; pourquoi forcer le naturel et les grâces de ce bel âge de dix-huit ans ; pourquoi se jeter à l’aventure dans une carrière ardue et dangereuse, quand elle n’offre ni promesses d’avenir, ni chances de succès ?… Mais Mlle Pauline Renault nous a demandé de l’indulgence. Il eût mieux valu pour elle et pour nous qu’elle nous eût demandé un bon et franc avertissement. E. G……