Discussion:La Daniella
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[modifier]- parut dans la Presse, à partir du 6 janvier 1857.
- édition originale : 1857
Sources
[modifier]Différences entre la source et l'édition WS retenue : exp : M. au lieu de monsieur, sept collines -> Sept-Collines
Statistiques
[modifier]- 196 548 mots soit 13 heures de lecture (à 250 mots/mn)
Critiques…
[modifier]- Revue de Paris 09/1857 [2]
La Daniella, par George Sand. 2 vol. Paris, Librairie nouvelle.
Les événements font les hommes ; Jean Valreg en est un exemple. Ce talent modeste qui redoute les illusions de la vanité au point d’être le dernier à reconnaître sa propre valeur ; ce caractère si ferme, si fort, si droit, à force de craindre sa faiblesse et son inexpérience ; cette âme si passionnée pour avoir plus longtemps redouté les entraînements de la passion ; ce jeune homme nouveau-né à la vie qui, guidé par sa seule raison, traverse sans broncher mille tentations où se prennent de plus savants que lui, est un type d’un intérêt vivant, parce qu’il est vrai et vivant lui-même, et que, ne se croyant qu’un homme, se sachant toutes les faiblesses de l’humanité, il lutte et ne nie pas sa lutte pour sortir victorieux des combats qu’il lui faut livrer. Ce n’est point là une fantaisie, pas même une création, c’est une étude. Le modèle qui a posé sans le savoir doit exister dans un coin de ce monde ; il semble en vérité que le journal de Jean Valreg soit le résultat des impressions de chaque jour et des pensées de chaque heure, et qu’il a fallu passer par toutes les phases de l’existence à travers lesquelles Mme Sand promène son héros, pour avoir ainsi tiré de chaque événement toute sa substance. Jean Valreg est peintre, mais personne encore n’a vu ses essais. Il travaille, il étudie, il compare. Mais, avant de se juger lui-même, il veut avoir consacré à un courageux labeur un temps déterminé. Puis, quand il aura fait, pour acquérir le talent qu’il rêve, tous les efforts dont il se croit capable, il se produira, et, suivant le jugement que le public portera sur lui, il sera peintre ou il renoncera pour jamais à l’art. Visiter l’Italie est un des besoins de l’artiste. Il réunit quelques économies et part pour cette terre de Chanaan. En route, il se trouve en rapport avec une famille anglaise composée de lord B...; de milady Harriet, sa femme ; de miss Medora, la nièce de lady Harriet, et d’une femme de chambre italienne nommée Daniella.
Ce sont là les principaux personnages du drame. Miss Medora est une magnifique personne, belle et romanesque, riche et aristocratique. De sa mère, Grecque d’origine, elle tient un tempérament fougueux et irritable ; de son père, elle a la fierté et l’excentricité britanniques. Valreg reste calme et froid en sa présence. Seul entre tous, il semble ne pas rendre hommage à ses charmes. L’orgueil, le dépit la travaillent. Bientôt son esprit romanesque se met de la partie, et elle veut se persuader que Valreg cache ses sentiments. Elle voit en lui un malheureux qui déguise son amour parce qu’il se croit trop au-dessous d’elle. Et une fois persuadée que, si elle était pauvre et humble, il avouerait aussitôt qu’il l’adore, tout ce que fait et dit Valreg la confirme dans cette illusion.
Pour se dérober à cette passion qui s’impose et qu’il ne partage pas, Valreg se retire à quelques lieues de Rome, dans une solitude où il pourra du moins travailler libre et loin de Medora. Là il retrouve Daniella, la femme de chambre de Medora. L’Anglaise a cru surprendre quelques regards échangés entre Jean et la Daniella ; elle a pensé qu’un caprice passager pour cette fille refroidissait Valreg, et elle a chassé l’Italienne.
Nous ne raconterons pas les amours de Valreg et de Daniella. Certes, nous pourrions, à la rigueur, analyser les événements qui sillonnent la partie physiologique de ce roman. Nous pourrions raconter comment Valreg arrive à être menacé dans sa vie et sa liberté, accusé d’avoir profané une chapelle sainte ; comment Daniella le sauve et le cache. Mais en détaillant cette charpente du roman, nous n’oserions nous essayer à la peinture de l’union ardente de ces deux âmes si grandes et si bien faites pour se comprendre. Ce serait déflorer ce poëme admirable, et, avec quelques phrases sur un pareil sujet, on courrait risque de donner au lecteur une idée fausse du but et du résultat.
Cette création de Daniella est une des plus belles et des plus intéressantes que nous devions à Mme Sand. En nous initiant à toutes les effervescences d’une passion italienne, l’auteur fait un remarquable tableau de l’état actuel de l’Italie ; on se sent pris d’une sympathie profonde pour ce peuple, capable de si grandes choses quand la passion le domine ; on devine tout un avenir de tentatives héroïques derrière cette apathie factice ; si le vice semble prendre la part la plus large dans la vie des Tartaglia, au milieu de cet avilissement profond, de cette existence de ruses et d’intrigues, de ces élans de cupidité, il y a de soudains éclairs de fierté, de dévouement ; le courage vrai remplace alors la férocité, la probité devient un point d’honneur ; et l’on est tout surpris de trouver une intelligence supérieure et des aspirations à de grandes choses, un culte secret pour le bien et la vertu chez cet homme qu’on avait pris simplement pour un bouffon, un fripon, un intrigant capable de toutes les trahisons. On a reproché avec aigreur à Mme Sand, à propos de ce roman, d’avoir calomnié l’Italie. Nous protestons contre ce reproche, tout en l’excusant. Si, parmi tes types qui se sont produits sous sa plume, il en est quelques-uns dont la scrupuleuse vérité attriste l’âme d’un patriote italien, ils sont brillamment rachetés par ceux qui obtiennent et méritent une admiration sympathique. Daniella efface l’impression causée par Vencenza, et Tartaglia fait oublier Marolino. Et cette bonne Mariaccia, et ce fermier, si grand dans sa simplicité énergique et cet audacieux docteur, si dévoué à sa cause ; et ce pâtre, rêveur et savant archéologue, sont éloquents pour répondre à cette accusation ; si c’est là calomnier l’Italie, c’est une calomnie qui fait renaître l’espoir chez ceux qui n’osaient plus croire en elle.
- Le Figaro : journal non politique. 16/04/1932 [3] Pèlerinages littéraires. Avec George Sand sur les Terrasses de Frascati. par Gabriel Faure
- La Revue hebdomadaire : romans, histoire, voyages, 3/04/1909, p. 60 [4]
... Et la nature ne compense pas suffisamment la déception causée parles ruines. « La campagne de Rome, si vantée, est, en effet, d’une immensité singulière, mais si nue, si plate, si déserte, si monotone, si triste, des lieues de pays en prairies dans tous les sens, qu’il y a de quoi se brûler la cervelle qu’on a conservée après avoir vu la ville. » Ce voyage lui inspire un de ses romans les plus faibles, la Daniella, journal de route d’un peintre, Jean Valreg, qui finit par épouser une blanchisseuse. En 1861, après une maladie, elle fait un voyage dans le Midi, ...
- Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 27, 1905 p399
- Revue contemporaine et Athenaeum français 08-09/1857 [5]
La vie anglaise à Rome
II
Madame Sand est tombée dans la faute contraire à celle de l’auteur anglais. Elle nous promet, au début, quelque chose comme une étude morale, une œuvre philosophique ; elle nous donne en réalité un gros roman. L’artiste, devant son bloc de marbre, s’est demandé :
- Sera-t-il dieu, table ou cuvette ?
Eh bien ! ce qui en est sorti, n’est ni divin, ni grand ; je crains même que cela ne soit très mesquin. On trouve bien çà et là quelque trace d’une main puissante, d’heureux détails, un rayon de poésie ; mais ce sont de précieux matériaux égarés dans un mortier vulgaire pétri à la hâte.
Laissons donc le voyage, l’œuvre philosophique, et rabattons-nous sur le roman. J’y cherche une création neuve., ou tout au moins d’un mérite sérieux. Est-ce Jean Valreg, l’amant et puis le mari de Daniella ? « La littérature, dit admirablement l’auteur, doit être l’enseignement direct ou indirect d’un idéal. » Jean Valreg est lui-même à la recherche de l’idéal. Le temps présent ne produit en lui que fatigue et mépris ; il lui semble que quelque chose de lourd comme le plomb et de froid comme la glace est répandu dans l’atmosphère. Cette société a des entrailles de fer et de cuivre comme une machine ; elle ne se soucie plus du royaume du ciel, c’est-à-dire, suivant madame Sand, de la vie de sentiment : « La grande parole : l’homme ne vit pas seulement de pain, est vide de sens pour elle et pour la jeune génération, qu’elle élève dans le matérialisme des intérêts et l’athéisme du cœur. » Jean Valreg est un de ces jeunes aiglons qui ont ouvert leurs ailes, pour la première fois, au soleil de la république, et depuis que l’astre de Jean Valreg s’est voilé, ses ailes se sont repliées. Tout le monde connaît cet ennuyeux refrain de déchéance morale, de corruption, de ruine; ces malédictions et anathèmes contre le temps présent ; ces jérémiades de gens qui ont toute leur vie prêché la théorie du progrès continu, motif usé sur les orgues de Barbarie de la littérature, et dont le public ne veut plus. Si j’osais me servir d’un mot qui est dans ce livre même, mot qui ne saurait nous étonner, depuis que madame Sand émaille sa belle langue limpide d’expressions empruntées aux rapins, cette thèse de la décadence présente est une rengaine de l’atelier littéraire. Nul n’en est dupe, il est vrai ; mais elle est commode pour ceux qui veulent avoir de l’esprit à peu de frais, et un texte d’éloquence à tous propos.Il faut la laisser à ceux qui veulent vivre dans le passé, qui affectent de porter le deuil de nos vertus, mais qui portent réellement celui de leurs espérances. Mais Jean Valreg a vingt-deux ans ; laissez donc à la jeunesse sa vraie physionomie ; elle respire à pleins poumons cette atmosphère qui vous paraît froide ; elle a besoin de ce soleil que vous niez; vous êtes triste, et elle,
- Sa bienvenue au jour lui rit dans tous les yeux.
Tout s’explique cependant. Jean Valreg, ce petit aiglon de la République, apprenti peintre, gagne sa vie comme violon dans un théâtre des boulevards, et vit avec une petite actrice bête comme une oie. Ce n’est pas merveille si l’idéal lui paraît manquer un peu dans son existence. Il part pour l’Italie. Sous quelle forme y trouvera-t-il l’idéal ? Sous la forme d’une jeune grisette, femme de chambre chez des Anglais, puis repasseuse à Tivoli. Ce n’était pas la peine d’aller si loin ; il y a longtemps que Béranger a trouvé cela dans un grenier de Paris. Qu’est-ce que cette fringante Daniella a de commun avec le royaume du ciel, et à quoi bon ces homélies sur le texte divin, l’ homme ne vit pas seulement de pain, ? Tout cela devait-il aboutir à une amourette, à une intrigue ancillaire, où Valreg se laisse aimer, et ne se passionne pour Daniella que lorsqu’il en a tout obtenu, à un mariage entre un jeune homme bien élevé et une petite domestique ravie de l’emporter sur sa maîtresse ? Le mérite de Valreg est de laisser miss Médora, qui est riche, mais sotte, coquette et orgueilleuse, pour Daniella, qui est pauvre, mais qui l’aime et qui a de l’esprit. Mais quand on s’appelle Jean Valreg, il n’y a rien de bien admirable à jouer le comte d’Olban avec une Nanine de Tivoli, et à vaincre le préjugé vaincu tant de fois depuis M. de Voltaire. Il n’y a pas, ce nous semble, de quoi tant crier à l’idéal, de quoi se mettre à part de la jeunesse de son temps, et se vanter qu’on a de plus nobles besoins.
Le personnage de Daniella est plus heureux, parce qu’il est plus-vrai ; c’est la seule création où l’imagination du lecteur puisse se prendre. Nous la connaissions bien un peu déjà. C’est cette fille aimante et active, qui se dévoue, mais qui est supérieure à l’homme auquel elle se dévoue ; c’est Geneviève, c’est la petite Fadette, c’est plus d’une autre encore. Quand madame Sand ne prêche rien, elle peint une passion vraie et naturelle, mais soyez sûr que la femme a le dessus. Elle ne sait peindre que l’amour féminin : les hommes, dans ses romans, n’ont que des sens. Cependant, il y a une tache désagréable sur ce caractère de Daniella. Elle feint d’avoir eu des amants pour ôter tout scrupule à Valreg. Quoi ! cette jeune fille se calomnie afin de donner satisfaction aux désirs de celui qu’elle aime ! Elle renonce à son honneur par un faux dévouement, non pas, à l’amour, mais au plaisir de Valreg ! Paradoxe puéril et malsain ! Si l’amour est capable de mentir, ce n’est jamais pour se flétrir lui-même. Une jeune fille qui feint d’être vicieuse pour encourager son amant à la déshonorer, ne vaut pas mieux en morale qu’une courtisane : elle vaut moins encore aux yeux du goût : je préfère une Manon Lescaut sincère.
Mais si Daniella n’avait pas fait cette faute, elle n’eût pas ressemblé à ses sœurs. Les filles de l’imagination de madame Sand ne s’établissent jamais autrement ; elles appellent cela le mariage devant Dieu. Trop heureux le lecteur quand elles consentent à accepter le sacrement. Filles de mauvaise tête et de trop bon cœur, elles ont le besoin de se sacrifier. Elles ne savent pas faire les choses à demi, et s’abandonnent héroïquement. Chacune de ces, belles personnes vous plaît d’abord par sa physionomie vivante, par sa nature impétueuse et passionnée ; la fierté ne lui manque pas ; on la croirait capable de comprendre la vraie dignité de son sexe. Vous suivez avec intérêt cette fée au port de reine, mais gare le sacrifice !
Au reste, l’auteur n’a compté ni sur Valreg ni sur Daniella pour défrayer son roman. L’intérêt repose sur une machine péniblement construite. Valreg poursuivi par la police est caché dans les ruines de Mondragone, au prix desquelles les châteaux mystérieux d’Anne Radcliffe ne sont que l’enfance de l’art. « Imaginez-vous un château très compliqué, un monde d’énigmes à débrouiller, un enchaînement de surprises, un rêve de Piranèse. » Le roman regorge de souterrains, de portes secrètes, de ressorts cachés, mais c’est du Radcliffe amusant et jovial. Les carabiniers du pape assiégent le prisonnier dans sa citadelle, sous le prétexte de le prendre par la faim, et cependant le macaroni et le jambon y abondent. Vaireg va à la chasse aux lapins dans sa prison, et Tartaglia, une manière de Frontin, moitié mouchard moitié domestique, assez drôle du reste, prend des volailles à coups de pierre. Dans cette périlleuse résidence, on fait de la peinture, on danse la tarentelle et l’on touche du piano. Il y a deux compagnies de prisonniers qui se rejoignent, se font des politesses et s’invitent à dîner. Plus j’y réfléchis, plus je me persuade que madame Sand a voulu profiter de quelque livret d’opéra-comique demeuré sans emploi. Et pourquoi pas ? Voltaire a bien fait des opéras-comiques, et n’a-t-il pas dit qu’une seule chose manquait à la gloire de Newton : c’était d’avoir fait un vaudeville ? Je vois dans Daniella des bandits, des carabiniers du pape, de jeunes paysannes de Tivoli, qui chantent Pâques fleuries ou toute autre fête, un Anglais légèrement ridicule, des Anglaises qui le sont beaucoup plus, enfin une jeune soubrette qui se marie, et qui, douée d’une jolie voix, peut chanter à son tour :
Oui, voilà pour une servante Une taille qui n’est pas mal.
Décidément je crains que l’auteur de Daniella ne se soit trop souvenue de Fra-Diavolo.
Opéra-comique ! mélodrame ! qu’importe, si cela est intéressant ?
— Voilà précisément ce qui est en question. Qu’un ressort vulgaire donne naissance à de beaux sentiments ; qu’une machine de mélodrame fasse éclater des passions vraies et dramatiques, je ne vois plus le ressort ni la machine, mais le jeu de l’âme humaine qui me les cache et me les dérobe entièrement. Je ne suis pas assez ennemi de moi-même pour corrompre mon plaisir et m’assurer, par de pédantesques précautions, si je ris ou si je pleure dans les règles. Mais si l’âme, le sentiment, la vie, c’est-à-dire tout ce que je veux voir, disparaissent sous la machine et sous les ressorts, je ne vois plus que ces derniers. Vous pouvez amuser ma curiosité, mon cœur et mon âme n’y sont plus pour rien.
Madame Sand est un poète trop distingué pour ne savoir pas des choses si simples. Mais c’est un poète dérouté; poète de la matière, Chateaubriand l’a dit, qui voit son siècle se diriger vers d’autres sources, et qui, ne voulant plus redire les mêmes chants, ne sait plus où se prendre. Son talent a une racine dans la corruption et elle n’a pas le courage de l’arracher entièrement. Le désordre d’idées littéraires où nous avons le bonheur de vivre, l’induit en erreur. Elle semble occupée à prouver qu’on fait des romans sans idées, et si elle annonce quelque théorie au début, ce n’est que par la puissance de l’habitude. Placée entre la nécessité de prêcher dans le désert ou de garder le silence, elle rabaisse sa belle intelligence à faire du métier.
Il ne faut pas une petite dose de métier pour dessiner ce personnage de Brumières, ce rapin suffisant, qui fait la chasse à l’héritière anglaise et joue le Céladon, tandis qu’il se ménage une ressource plus positive dans la dévergondée Vincenza. Brumières exprime cette aimable situation avec un réalisme qui ne laisse rien à désirer. Il n’y a ni moins de réalisme ni moins de métier dans une certaine scène qui se passe sur le bord d’un abîme, où lord B..., sa femme, miss Medora et Jean Valreg, ayant tous trop bu, franchissent tous, miss Medora surtout, les limites du décorum. C’est sans doute encore en l’honneur du réalisme que Jean Valreg donne à un coquin, frère de Daniella, un plantureux coup de poing et un mirifique coup de pied, qui C atteignit n importe où. Voilà une des prouesses de cet aiglon de la République ; voilà le jeune homme qui a soif de l’idéal.
Mais peut-être y a-t-il une idée politique au fond de ce livre ?
Peut-être l’auteur a-t-il voulu plaider une cause ? Nous écartons le débat politique, non qu’il nous embarrasse, mais les convenances nous ordonnent de nous taire, quand la loi a parlé. Nous voulons rester sur le terrain littéraire et demeurer jusqu’au bout critique d’une œuvre d’art. Eh bien ! nous ne pouvons même pas admettre cette prétention dans l’auteur de la Daniella. Son roman ne gagne rien, même par ce côté. Je trouve bien à la fin du livre un morceau violent, révolutionnaire, contre les prêtres, contre le pouvoir temporel du pape, contre un gouvernement que protége le drapeau français ; mais cette péroraison n’est qu’un petit ornement jacobin dont le roman pouvait se passer. C’est un post-scriptum irrité que la jovialité du livre ne donnait pas lieu d’attendre. In cauda venenum. Cette conclusion bruyante pourrait avec avantage partager le sort de l’exorde sur l’aiglon de la Piépublique et sur le besoin de l’idéal, et disparaître du roman de la Daniella. Et, en effet, je ne vois pas ce . qu’y perdrait le roman. Est-ce que le brave Jean Vaireg cesserait d’être le bon enfant un peu vulgaire que nous connaissons, si étranger à la politique, malgré son soleil de mil huit cent quarante-huit, qu’il reçoit d’un conspirateur en signe de ralliement, sans imaginer ce que ce peut être ; Tartaglia, d’amuser presque autant qu’un valet de Molière; Brumières, de rappeler çà et là les rôles d’Arnal ? Où est la politique dans cette fiction ? Est-ce que lord B.... est un Anglais conspirateur? Est-ce que miss Méclora est une miss White anticipée ? Est-ce que cette bonne fille de Daniella cache des complots sous son tambour de basque ? Non, ce livre est une longue narration, qui n’a guère de couleur, même politique, précédée d’un lieu commun humanitaire et suivie d’une diatribe contre un gouvernement, un peuple et une Eglise. Ces deux déclamations pourraient aussi bien trouver leur place dans un tout autre ouvrage. Les orateurs anciens avaient des collections toutes faites d’exordes et de péroraisons, qu’ils mettaient, suivant le besoin de la circonstance, aux deux bouts de leurs discours. Il est permis à madame Sand d’avoir la sienne.
Un admirable sujet se présentait à madame Sand : elle avait à peindre le vrai peuple romain, race déchue, nation d’un autre siècle, malheureusement habituée à vivre des bienfaits d’une papauté qui touchait des revenus dans les quatre parties du monde, incapable encore de sortir de cette tutelle de la charité, mais race croyante, qui n’a que des querelles politiques avec son clergé, et qui revient à ses prêtres quand le grief politique a disparu.
Franchement, qu’y a-t-il de romain dans la Daniella ? quelques coutumes, quelques traits de mœurs, mais pas un personnage. Tartaglia n’est d’aucun pays ; il est dans toutes les comédies. Daniella est une artisane française avec le jupon rouge et un capulet de la Romagne. Felipone, ce flegmatique paysan qui cache sa vengeance sous un rire machinal, est un fermier de la Marche ou du Bourbonnais. Que reste-t-il ? des comparses sans valeur ni figure. Une étude sérieuse sur le peuple romain par un talent comme celui de madame Sand eût commandé l’attention de tous les esprits. Elle devait, elle pouvait la faire. On peut toujours dire ce qui est juste, quand on ne veut dire que ce qui est vrai. Madame Sand ne l’a pas voulu. N’insistons pas ; il serait presque naïf de prendre les gens plus au sérieux qu’ils ne veulent.
À ceux qui ont lu la Daniella et qui ont le sentiment de tout ce qui manque à cette peinture fantasque du peuple romain, nous recommandons la lecture de Modern Society in Rome. M. Beste a le mérite d’avoir écrit un ouvrage qui aurait dû être signé d’un nom français. Il n’est ni révolutionnaire ni ultramontain. C’est un Anglais qui a le courage d’être juste envers le Saint-Père, et de mépriser la fausse popularité, qui, de l’autre côté du détroit, flatte M. Mazzini et autres hiérophantes de la République romaine. Ce livre est un témoignage bien honorable à opposer à la parole imprudente lancée par lord Palmerston du haut de la tribune. « La ville sainte, disait le ministre il y a un an, n’a jamais été mieux gouvernée que durant l’absence du pape. » Mot injuste et violent, moyen de tribune, parole excessive dans un pays où les paroles sont une monnaie si abondante qu’elle n’a pas toujours le poids requis. Ce qu’on dit en parlement, on ne le dirait pas en conférence diplomatique. À Rome, où il y avait des plébéiens et une aristocratie comme en Angleterre, les orateurs parlant devant un tribunal de chevaliers, fort loin de la multitude qui entourait le Forum, disaient à demi-voix ce qui était pour l’aristocratie, et criaient à tue-tête ce qui était pour les plébléiens. Les plébéiens auraient sifflé ce qui se disait à l’adresse des aristocrates; mais ils ne l’entendaient pas. Les aristocrates tenaient compte de ce qu’on leur adressait, et faisaient peu d’état de ce qui allait à la foule. N’en est-il pas de même en Angleterre, et n’est-ce pas pour les plébéiens que lord Palmerston a crié à tue-tête contre le pape ? Ce livre de M. Beste est une preuve que tout le monde n’applaudit pas aux boutades anti-papales de lord Palmerston, même en Angleterre. Il est dans l’ordre que le démenti lui soit donné par une plume anglaise, et il convient que la presse, française l’ait constaté.
L. ETIENNE.
- GEORGE SAND Entre littérature et philosophie CONFÉRENCE PAR LÉNA MONERO : «… elle est revenue à la Revue des Deux Mondes, où, jusqu’au terme d’une vie d’incessant labeur, elle donnera des romans qu’on a tort d’englober sous l’étiquette banale de romans romanesques, car certains, comme La Daniella (1857) et Mademoiselle la Quintinie (1863), sont assez explosifs. » Georges Lubin
in Encyclopédie Universalis 7.0
Orthographe, vocabulaire
[modifier]- collége, siége, piége
- grand'chose, grand'faim, grand'peine
- Shakspeare
- poëte, goëland
- Je râcle mon violon tous les soirs
- Je restai absorbé devant un Ruysdaël
- polkaient
- rhythme
- provoquante
- sentimens
- Comme si les clovis et les moules fraîches
- remercîment, dénûment
- une sorte de berret,
- tocade
- tellement dévôt
- recélant
- mylady, mylord
- Cavaliers et cochers sont intrépides, mais généralement équitent ou conduisent
- Il s’est beaucoup moqué des jeux d’eaux et girandes,
- une corbeille de linge blanc, humide et frippé.
- baïoque
- Medora se remit à blaiser et à siffler de plus belle dans la langue de ses pères.
- lazagne
- entre-bâillée
- grand remègeur en sa paroisse