Discussion:La Duchesse de Châteauroux
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Éditions
[modifier]Titre et éditions | |||
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1834 : | La Duchesse de Châteauroux | Librairie de Dumont, palais-royal, n°88, au salon littéraire, 2 volumes, orné d’un frontispice | |
1863 : | La Duchesse de Châteauroux | Michel Lévy frères, éditeurs |
Dédicace de la première édition du roman
[modifier]À Monsieur le Comte de Pontecoulant.
Cet Ouvrage est celui que j’ai écrit avec le plus de plaisir. Je voudrais le mettre sous le patronage d’un homme distingué dont le caractère et l’esprit prévinssent en faveur du livre. Laissez-moi vous le dédier. Dût-il obtenir tout le succès que je désire, j’en serai bien moins fière que de notre vieille amitié.
Sophie Gay.
Critiques
[modifier]Si le titre n’en parle pas, la préface se charge de nous l’apprendre ; ce livre-ci est un livre historique, ou plutôt ce qui est bien différent, ce livre-ci est un roman historique. En fait de critique je sais qu’il n’est pas toujours juste d’écouter ses antipathies. Mais je suis, je l’avoue, sous quelque forme qu’il se présente, drame ou roman, peu partisan du genre historique. Je sais quelle toute-puissance il exerçait encore tout récemment chez nous ; je sais de quelle vogue il a joui, de quel succès il peut s’énorgueillir. Pourtant je n’ai pas pour le genre historique, tel du moins qu’on l’a fait chez nous, la moindre estime que ce soit. Pourquoi ? c’est qu’en littérature, toute chose, pour être appréciée, a besoin, selon moi, d’avoir son utilité, et je ne vois pas, je l’avoue, quelle est celle du genre historique.
Il n’y a rien de moins historique que ce que les faiseurs appellent genre historique. Voyez-leur fabriquer une œuvre moyen-âge : croyez-vous qu’ils vont s’occuper d’étudier le langage, les passions, les caractères du temps ? Les caractères ! l’imagination en fait les frais ; les passions ! le cœur bat de même et sous un frac de drap et sous un corselet d’acier ; le langage ! c’est le parler assez bien que de ne pas parler français. S’enquérir quelque peu des noms, beaucoup des costumes de l’époque, et puis écrire, laisser courir sa plume et ce qu’on a d’esprit jusqu’à ce que l’on ait accompli douze tableaux ou deux volumes, voilà tout le secret du métier.
Pourtant il ne faudrait pas faire de ce reproche une accusation générale. Il y a, même dans le genre historique, des écrivains consciencieux sans doute ; mais je ne sais quelle fatalité pèse sur cette branche à part de la littérature. Il semblerait qu’il en est d’elle comme de ce talisman des contes arabes, qui, bon gré malgré, faisait mentir tous ceux qui s’avisaient d’y toucher.
Il me semble que c’est dans cette classe qu’il faut ranger Mme Gay ; Mme Gay, je lui rends cette justice, a péché par trop de bonté. Elle a vu de l’honneur à se faire d’office le défenseur d’une cause depuis long-temps perdue. Elle a entendu contre Mme de Châteauroux tant et de si violentes et de si absurdes attaques, qu’elle a cru de son devoir, comme femme, de laver une femme de toutes ces calomnies. Mais par malheur, Mme Gay est tombée dans l’excès contraire. Au lieu de convenir franchement des torts de son héroïne, et de faire de ses qualités l’excuse de ses défauts, elle a pris d’avance le parti de tout pallier ou de tout démentir. Elle a peint Mme de Châteauroux non pas telle qu’elle fut, mais telle qu’elle eût dû être. « Je ne sais que raconter, » dit-elle, et il faut voir que de peines elle se donne, que de petits moyens elle emploie, que de petits ressorts elle fait jouer pour disculper Mme de Châteauroux du reproche d’avoir mis sa beauté au service de son ambition. Toute la première partie du livre n’est, à bien parler, que de la diplomatie de boudoir. Il faut à Mme Gay un volume et demi d’efforts, de galanteries, de soupirs, de larmes, de combats, de difficultés levées, de scrupules vaincus, de remords étouffés ; il lui faut des rois en manteau, mystérieux et galans chevaliers, épiant au clair de lune le pas furtif d’une beauté inconnue des parties de chasse, de campagne, des fêtes royales, des soirées de jeu, de danse et de prestidigitation ; des bagues, des montres, des baisers, des rendez-vous escamotés ; des bibles « avec peintures gothiques sur parchemin, aussi belles que celles qui décorent les Heures d’Anne de Bretagne, » des corbeilles « brodées en perles et en chenilles de couleur, » des bouquets d’héliotrope… que sais-je ! pour en venir enfin à ce chapitre tant et si long-temps attendu, la Matinée du lendemain, titre discret qui laisse adroitement deviner la soirée de la veiHe.
C’est que Mme Gay tient surtout à l’honneur de son héroïne, c’est qu’elle ne voudrait pas que l’on crût que la vertu de la duchesse est de celles qui se rendent à la première sommation. Flatteries, promesses, conseils, rien jusqu’à sa perruche favorite (une perruche au collier de rubis), qui répétait sans cesse : Aimez le Roi ! rien auprès d’elle n’eût réussi, si son cœur n’eût été l’écho de sa perruche. Elle céda, parce qu’elle aimait. Que celui qu’elle aima fût roi, ce n’est qu’au sort qu’il s’en faut prendre ; mais elle l’aima pour lui, non pour sa couronne. Dépouillé du manteau royal, sans sceptre et sans puissance, perdu dans la foule, elle l’eût encore reconnu pour celui que le ciel lui avait destiné, et l’eût touché du doigt en disant : « C’est toi que j’ai choisi. »
Telle est, à en croireMme Gay, telle est Mme de Châteauroux ou plutôt Mme de la Tournelle ; car le nom de Châteauroux, elle ne le reçut que plus tard.
Quand, à l’aurore de sa faveur, la marquise accepte du roi cette place de dame d’honneur qui met scandaleusement, aux côtés de la reine, une rivale destinée à usurper ses droits, il n’y a là, croyez-le bien, ni vanité ni ambition ; il y a obéissance, humilité. Ce n’est pas elle qui eût osé porter sur le titre de favorite une honteuse pensée de convoitise ; elle, pauvre jeune veuve, sans soutien, sans ami, elle n’aspirait qu’à fuir le monde, à mener au sein d’un couvent une vie paisible et retirée. C’est sa sœur, Mme de Flavacourt, qui, chassée, comme elle, de la maison de leur tante expirée, s’est fait porter en chaise au beau milieu de !a cour des ministres, et puis, renvoyant ses porteurs, est restée là toute seule, entre le ciet et la terre, jusqu’à ce que la Providence ait daigné lui envoyer un appui. C’est M. de Gesvres qui, instruit du sort des deux sœurs, a couru tout ému solliciter pour elle ; c’est la pitié du roi qui les a recueillies, c’est le hasard qui a tout fait.
À Plaisance, encore le hasard. Veut-elle tenter de s’arracher au coupable amour qu’elle sent naître, va-t-elle chercher au château de Paris Duvernay un refuge contre le roi, voilà qu’une chasse au sanglier y amène le roi lui-même. C’est jouer de malheur ; mais que faire ? Se résigner. Le roi propose son bras, et elle accepte ; le roi est galant, elle rougit ; le roi se déclare, elle écoute ; il offre une fleur, elle la prend. Le lendemain un billet ; le surlendemain un second ; plus tard un rendez-vous, puis un souper, puis un appartement près du prince, puis enfin le titre de duchesse, escorté de 80,000 livres de rente. Si bien nuancée que soit la transition, il y a loin, n’est-ce pas ? de 80,000 livres à la simple fleur du premier chapitre.
Quant à cette partie de Plaisance, qui est le premier acte de la pièce, nous savons à quoi nous en tenir. Les Mémoires du temps et M. de Lacretelle, dans son Histoire du dix-huitième Siècle, ont dit comment cette rencontre inopinée avait été quinze jours à l’avance improvisée par Richelieu. Des chiens dévoyés, des piqueurs en défaut, le roi qui s’égare, un château placé là tout exprès pour lui ouvrir respectueusement ses portes, une belle châtelaine pour en faire les honneurs, voilà, au fond, tout le secret de cette mystérieuse présentation ; car ce n’était qu’une présentation. Mme de Vintimille était morte, Mme de Mailly vieillissait ; il manquait une favorite, l’emploi ne sortit pas de la famille ; on fit tomber le choix sur leur sœur. Mais ceux qui avaient cru trouver en Mme de Châteauroux un instrument de leur ambition se trompaient. Il n’était point du tout dans son caractère de jouer au profit des autres. Si elle se prêta quelque temps aux vues de ceux qui la poussaient, c’est qu’il n’y avait, elle le sentait bien, que ce moyen d’arriver à son but. Elle s’était promis de régner ; elle était jolie, et elle régna. Elle était jolie : le livre XIII de la Pucelle en fait foi. Je dis le livre XIII et j’ai tort ; j’aurais dû dire : les variantes du livre XIII, ce livre XIII en a beaucoup. Il était rare qu’il ne variât pas à chaque nouvelle édition. C’était pour Voltaire un chapitre élastique, une sorte d’autel complaisant dont il changeait souvent les idoles. Du reste, lise qui voudra ce panégyrique : je ne crois pas devoir le citer. Voltaire, assez grossier parfois en fait d’injures, n’était pas toujours, avouons-le, beaucoup plus délicat en fait de complimens. J’ai dit le lieu, plus qu’équivoque, où il a fait figurer cet éloge, et malheureusement l’éloge est digne, tout à fait digne du lieu où il figure.
Tout son sexe n’a pas été avec Mme de Châteauroux d’aussi bonne composition que Mme Gay. En 1804, si je ne fais erreur, Mme Gacon-Dufour, membre de je ne sais plus quelles académies savantes, publia de Mme de Châteauroux, une correspondance soi-disant autographe, et que, par parenthèse, la biographie de Michaud a la simplicité de prendre pour telle. C’est tout un roman que cette correspondance : exposition, noeud, intrigue, dénoûment, rien n’y manque. Je ne crois pas que la pauvre duchesse ait, en sa vie entière, écrit le quart des lettres que Mme Dufour lui a fait écrire en deux ans. Il n’y a pas à dire, du reste, qu’elle songe le moins du monde à se flatter ; jamais, je crois, ses plus chauds ennemis ne l’ont traitée comme elle se traite là. Toutes les accusations, elle les accepte ; tous les défauts, elle en convient. L’ambition est un des points sur lesquels elle passe le plus aisément condamnation. Elle cache si peu l’indifférence que le roi lui inspire, qu’elle va jusqu’à dire dans une de ses lettres : « J’ai bien entendu gratter hier à ma porte ; mais le roi s’est retiré quand il a vu que je restais dans mon lit, et que je feignais de ne pas l’entendre. Il faut qu’il s’y accoutume. »
Certes, je ne suis point ici suspect de partialité : j’ai critiqué assez vivement, chez le roman, l’ingénuité prétendue de l’héroïne ; mais il me semble que la correspondance est tombée dans l’excès opposé. De pareilles inconvenances n’étaient nullement le fait de Mme de Châteauroux ; et quand même Mme de Châteauroux eût été, j’ai tout lieu d’en douter, assez impertinente pour les commettre, elle n’eût pas été, j’en suis sûr, assez sotte pour s’en vanter. J’ai eu sous les yeux plusieurs lettres de la duchesse, lettres un peu plus authentiques, je pense, que celles dont je viens de parler, puisqu’elles sont déposées, écrites et signées de sa main, à la Bibliothèque royale ; et j’y ai lu la phrase que voici : Ie n’ay point enuie de rien faire de singulier, et rien qui puisse retomber sur lui (le roi.) et luy donner des ridicules. Or, un amant, fût-ce un amant royal, qui vient gratter et reste à se morfondre à la porte de sa maîtresse, n’a, selon moi, rien de bien imposant.
D’ailleurs Mme Châteauroux n’était point femme à recourir à des moyens aussi puérils. Elle n’en avait pas besoin. Elle avait sur Louis XV un autre empire, l’empire d’une âme forte, et, soyons justes, ce fut un pouvoir dont la gloire du roi et celle du pays furent loin d’avoir à souffrir.
« Une femme, dit le grand Frédéric dans ses Mémoires, une femme, par amour pour la patrie, entreprit de tirer Louis XV de la vie oisive qu’il menait, pour l’envoyer commander ses armées. Elle sacrifia à la France les intérêts de son cœur et de sa fortune. C’était Mme de Châteauroux. Elle parla avec tant de feu, elle exhorta, elle pressa le roi si vivement que le voyage de Flandre fut résolu. Une action aussi généreuse et même héroïque mérite d’autant plus d’être insérée dans les fastes de l’histoire que les maîtresses qui l’ont précédée n’ont employé leur crédit que pour le malheur du royaume. »
Et cependant (tant il est vrai qu’une faute doit être tôt ou tard punie !) ce fut, tout honorables qu’ils étaient, par ces conseils mêmes qu’elle se perdit. Ces conseils, cette guerre, cette disgrâce, la réconciliation qui la suivit et la mort de Mme de Châteauroux, arrivée à peu de distance, sont l’objet de la seconde partie du roman. Cette seconde partie, très historique, il faut le dire, a le malheur de t’être trop. Sauf une scène de bonne aventure, qui ne nous apprend qu’une chose, à savoir : que Mme Gay tire fort bien les cartes ; sauf l’apparition quelque peu fantastique d’un certain cousin de Mailly, placé là, à ce qu’il m’a semblé, pour ne pas laisser selon le vieil usage du roman et du mélodrame, l’infortune sans un vengeur, tout le reste est de la plus exacte et de la plus aride vérité. C’est de la biographie au premier titre.
Chassée d’auprès du roi malade à Metz, Mme de Châteauroux revient à Paris seule, désolée, prenant les chemins détournés pour éviter de rencontrer la reine. Pendant ce temps un charlatan, auquel, en désespoir de cause, on venait de livrer le roi, le tirait d’affaires en trois heures avec quelques grains d’émétique. Or, j’ai voulu savoir quel mal mystérieux pouvait ainsi mettre en défaut tout un conseil de médecins. J’ai consulté Voltaire, M. de Lacretelle et le grand Frédéric et jusqu’à Mme Gacon-Dufour ; j’ai questionné partout, et à toutes mes questions je n’ai trouvé qu’une réponse : c’était une indigestion !
Cette maladie avait valu à Louis XV le surnon de Louis le bien-aimé. « Un polisson nommé Vadé, dit Voltaire, imagina ce titre que les almanachs lui prodiguèrent. Quand ce prince se porta bien, il ne voulut être que le bien-aimé de sa maîtresse ; ils s’aimèrent plus qu’auparavant ; elle devait rentrer dans son ministère ; elle allait partir de Paris pour Versailles, quand elle mourut des suites de la rage que sa démission lui avait causée. »
D’autres disent que le passage subit de la douleur à une joie excessive la tua ; le plus grand nombre affirme qu’elle fut empoisonnée. Pour concilier ces opinions diverses, Mme Gay a laissé entendre qu’elle pourrait bien être morte de ces trois choses à la fois. Quant à moi, si j’avais, sur ce point, à donner aussi mon avis, je donnerais encore, je l’avoue, une quatrième version. Parmi les autographes dont j’ai parlé, il en est un dont l’adresse porte le nom de M. de Noailles, et que je transcris ici sans toucher à une lettre, quoique, à vrai dire, l’orthographe ne pût guères que gagner au change.
» Ie ne puis pas laisser partir le Courier M. le maréchal, sans vous remercier de votre lettre. Ie la trouve telle qu’elle est, c’est-à-dire, on ne peut pas mieux, et on ne peut pas plus sensé de tous les points, même jusqu’au dernier. Mais, M. le maréchal, j’ay des coliques qui ont un grand besoin que l’on leurs aporte remède, et ie crois que les eaux de Plombières serait merveilleuse et qu’il ni a que cela pour me guérir, si ce n’est pas cette année, au moins l’année prochaine. Ie ne peut pas aller plus loin. Adieu, M. le maréchal, etc. »
Elle mourut un an après, en 1744. À la date de cette lettre, 18 septembre 1743 elle était déjà fort souffrante. Pourquoi ne serait-elle pas morte comme beaucoup sont morts, comme beaucoup encore mourront, tout simplement de maladie ?
Malheureusement ce dénouement a, comme tous les dénouemens historiques, le défaut d’être su d’avance. C’est aussi le tort de presque toute la dernière partie de l’ouvrage. Du moment où Mme de Châteauroux est en scène, il n’y a plus que de l’histoire ; le roman a fini avec Mme de la Tournelle qui était le premier nom de Mme de Châteauroux. Du style j’ai peu de chose à dire ; c’est le style ordinaire de Mme Gay, assez élégant en général, mais trop souvent pâle et froid. Pour ce qui est des détails de mœurs et de cette couleur de l’époque, dont il est question dans la préface, je n’ai rien vu qui en donnât l’idée. Quelques longues et complaisantes descriptions de toilettes seulement, dont, avec les goûts Pompadour qui reviennent, nos dames à la mode pourraient fort bien faire leur profit ; et puis aussi deux petits portraits, Voltaire et parfaitement inutiles qu’ils semblent ne tenir au livre que par le fil de la brocheuse.
Et maintenant, puisqu’il faut, en dernière analyse, que je dise quelle est ma pensée sur cette œuvre ; je résumerai ma critique en deux mots : Si j’avais été l’éditeur de Mme Gay, j’aurais intitulé son ouvrage : Madame de Châteauroux, histoire précédée d’un roman.