Discussion:La Famille de Germandre
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Orthographe - vocabulaire
[modifier]- grand’salle
- poëme
- coffres-forts
- très-sage
- au delà ?
Critiques…
[modifier]- Le figaro 1/08/1884 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2790131/f1.item
Voilà une querelle pour George Sand ! Elle doit en tressaillir dans sa tombe, la silencieuse Berrichonne qui n'aimait ni la réclame ni le bruit: Une querelle académique, dont George Sand fait les frais ! Je n'en sache pas de plus vaine, et on peut croire que j'ai nulle envie de m'en mêler. L'Académie a-t-elle tort, a-t-elle raison de ne pas aller à Nohant dans la personne de quelques-uns de ses membres ? J'incline à croire qu'elle a raison. L'Académie ne visite guère, même pour honorer. Elle a l'âge où l'on ne se déplace pas. Elle vous invite chez elle, et ne sort point de sa maison, sauf quelquefois pour les siens, quand ils sont morts. Cela ne me choque à aucun point de vue, à aucun degré ; cela m'est égal. L'Académie a ses traditions et ses habitudes qu'il faut respecter. Laissez-la donc tranquille avec toutes vos histoires ! Je vous demande un peu ce qu'elles viennent faire ici et ce que tout ce beau tapage peut ajouter à la gloire de George Sand !
Si du moins on avait saisi l'occasion pour nous donner quelque belle et définitive étude sur l'auteur de Mauprat ! Si la critique, secouant le reportage qui l'étouffe, s'était arrachée à tous ces potins de la porte pour dresser, elle aussi, à George Sand une statue, qui nous manque ! L'heure n'a-t-elle pas sonné de mettre cette femme de génie dans sa pleine lumière et son plein relief ? Mais non ! Tout s'en va en mots et en fumée, et, si l'on n'y prend garde, George Sand sera presque la seule qui disparaîtra dans la bagarre... . ",
J'aurais voulu, qu'on mît dans l'hommage qu'on va lui rendre beaucoup de simplicité, beaucoup de recueillement, et pas l'ombre d'hypocrisie. Je crains d'y démêler, sous les trompettes, un peu de manière, d'acquit, et, pour tout dire, moins de respect attendri, moins de conviction profonde que ne le souhaitent les vrais admirateurs de George Sand. Si je me trompe, tant mieux ! Mais j'en suis, de ces admirateurs sincères, persévérants, fidèles ; je mets aussi haut que possible, et tout à côté de Balzac, cette grande figure de George Sand ; je pense qu'on-ne pourra jamais trop lui faire honneur. Et voilà précisément pourquoi j'ai des doutes. Oui, il me semble qu'il y a certain écart entre le zèle que l'on affiche et les sentiments que l'on a ; il me semble apercevoir, comme toujours, une petite pointe de comédie dans l'affaire. Je suis avec attention et curiosité un certain déchet qu'à subi depuis quelques années la réputation de George Sand, j'entends parler, j'écoute ce qu'on dit, j'observe ce qu'on fait, et je suis bien obligé de voir qu'elle a sensiblement baissé dans l'opinion des gens de métier comme dans la faveur du public. Elles est un peu démodée, passez-moi le mot, par la faute et la concurrence de beaucoup de gens qui affectent de se montrer assez chauds pour elle en ce moment, mais qui ont fortement contribué à sa disgrâce.
Je ne veux rien exagérer, je ne prétends pas qu'on ne la lise plus ; mais on la lit moins. Les jeunes gens ignorent Valentine, André, et même le Marquis de Villemer, les ingrats ! Ils ignorent surtout les émotions que ces livres délicieux nous ont causées, les larmes, douces ou amères, qu'ils nous ont fait répandre, quand nous les cachions, tout ouverts, dans nos pupitres. Ils sont acquis au roman naturaliste, ou même à la chronique naturaliste, plus courte et qui va plus vite au dénouement. Quant au roman naturaliste lui-même, on sait à quel point il dédaigne George Sand dans l'intimité, et même en public. Fini, rococo, troubadour, un doux assemblage de Chateaubriand et de Berquin ! Faites-vous donc tant de différence entre Mauprat et Malek-Adel ?
C'est ainsi qu'ils en parlent, et ils la renieraient absolument si elle n'avait pris, dans les dernières années de sa vie, une bonne physionomie de grand'maman littéraire, qui garde une place dans leur souvenir. Le fait est qu'elle aimait à prendre les petits romanciers en sevrage, et même les grands. Elle était vraiment bonne et secourable, et sage conseillère, d'une délicatesse infinie, d'un extraordinaire bon sens. Il lui fallait des pupilles, et elle en recevait de toute espèce et de toutes mains. Telle on la voit dans sa Correspondance avec Flaubert et dans la plupart de ses Lettres, et dans l'Histoire de ma vie, et dans toutes ces pages semi-confidentielles, mais très promulguées aujourd'hui, où se complaisaient sa plume et son coeur. Telle nous la peint la chronique, en s'y attardant beaucoup trop. Mais George Sand, l'ancienne, la vraie, la grande, où est-elle ? qui nous la rendra ? Quel historien digne d'elle lui est réservé ? On dirait, en vérité, qu'ils ne la connaissent pas, qu'ils ne l'ont jamais connue, dans sa force et sa puissance, dans son expansion sympathique et contagieuse, cette maîtresse femme qui a passionné la France à un point dont la France contemporaine ne se doute pas ? On lui élève une statue, je demande qu'un sculpteur littéraire consacre tout un livre à louer son génie. Mais où est-il, le sculpteur ?
Il faut presque avoir vécu à un certain moment, de ce siècle pour bien se rendre compte de l'impression que produisaient les romans de George Sand, j'entends, les premiers, Indiana, Lelia, Valentine, Jacques, et tout ce délire de passion débordante qui s'en échappait. Plus tard, l'auteur eut une seconde manière, calme, reposée, qui fut tout l'opposé de cette fièvre ; et on n'a pas assez remarqué, dans le temps, cette grande et radicale transformation, cette conversion éclatante d'un écrivain devenu ermite. Elle coupe en deux moitiés d'égale valeur et presque d'égale durée sa vie littéraire ; elle divise son oeuvre par le milieu, elle fait deux George Sand au lieu d'une. Qui songe à cela aujourd'hui ? Et pourtant, quel intérêt offre cette étude pour les curieux et les amateurs ! La première George Sand, on se la rappelle encore. On sait vaguement qu'il y eut un jour une romancière de feu qui alluma un incendie dans le monde. C'est celle-là, je pense, qu'on va honorer et fêter. Mais la seconde, la plus récente pourtant, la George Sand transformée et transfigurée, la George Sand revenue et sereine, qui s'en souvient ? Qui a lu seulement ces chefs-d'oeuvre qui s'appellent Jean de la Roche ou la Ville Noire ?
Et cette seconde manière, si originale, si capitale dans le développement littéraire et moral de l'écrivain, où commence-t-elle ? Comment s'est-elle manifestée ? Par quelle série de phénomènes a-t-elle été annoncée ? Par quelles indécisions et quelles défaillances a-t-elle passé ? Sous quelles influences et à quelle date est-elle devenue définitive ?
La démarcation, à vrai dire, semble nettement tranchée : c'est un roman fameux, Elle et lui, qui forme la ligne et sert de barrière ! Mais la période des romans villageois, la Mare au Diable, François le Champi, la Petite Fadette, Jeanne, la période de poésie paysanne et campagnarde est déjà transitoire. L'auteur est touché. On pressent, sinon le désaveu, du moins le demi-abandon des anciennes chevauchées romanesques. L'éclat du premier feu s'est amorti ; il y a plus de calme et plus de mesure, une plus grande possession de soi et de maturité, un acheminement vers la sérénité finale ; l'art s'habitue à dominer la passion.
Dans Elle et lui, George Sand laisse échapper un mot bizarre. Elle dit, ou à peu près : « Entre l'artiste et l'épicier, c'est l'épicier qui a raison ! » Et ce mot étrange, répété et développé à dessein dans un roman qui ressemble à une confession vous frappe à l'instant même comme un reniement définitif du passé. Il implique une entière renonciation aux anciennes théories, un changement complet d'idées et de vues, un désenchantement de tout ce qui fut aimé et prêché dans les beaux jours de la jeunesse. Et, en effet, une nouvelle éclosion répond à cette nouvelle morale. C'est alors - il y a environ vingt-cinq ans de cela, vingt-cinq siècles ! - que paraissent coup sur coup Jean de la Roche, la Ville noire, le Marquis de Villemer, Valvèdre, la Famille de Germandre. Pas très bon, ce dernier ! Il fut «publié dans le Journal des Débats, et je me rappelle que Mlle Louise Bertin, qui était alors une des propriétaires de cette feuille, me disait tristement : « Nous n'avons pas de chance avec Balzac et George Sand ; ils nous ont donné leurs rognures, George Sand la Famille de Germandre, et Balzac Modeste Mignon. » Je sais qu'il y a des gens pour qui Modeste Mignon est un chef-d'oeuvre.
La plupart des romans de Mme Sand que je viens de citer, et qui caractérisent la seconde manière, sont cotés très haut dans l'estime des connaisseurs. Mais que nous sommes loin ici de la passion impétueuse des Indiana et des Valentine ! Mme Sand, qui autrefois sacrifiait tout à ces belles ardeurs, et qui faisait de l'amour, de l'amour invaincu et invincible, le grand ressort de ses romans ; Mme Sand, qui préférait de beaucoup les héroïnes coupables aux héroïnes pédantes et soulevait ainsi bien des réclamations ; Mme Sand est devenue scrupuleuse d'honnêteté et casuiste de vertu. Elle remplit ses livres de personnes et de sentiments qui pourraient remporter le prix Montyon. Elle donne aux uns et aux autres une logique subtile - dont elle a même terriblement abusé dans son théâtre - des raffinements merveilleux, une délicatesse inouïe. Comme il y a deux forces dans l'âme humaine, la passion et la raison, dont la première a tant d'intérêt à être dominée par la seconde, et la seconde tant de plaisir à être dupée par la première, Mme Sand, qui faisait autrefois de l'amour son dieu, en arrive à faire de la raison sa loi. A partir d'Elle et lui, c'est-à-dire de son roman expiatoire, elle n'admet plus que des héros et des passions.raisonnables. Il s'est produit dans son esprit un petit saut de bascule qui est tout simplement un déplacement de l'idéal.
J'avoue que j'aime ces évolutions psychologiques et littéraires, j'en aime, surtout l'étude, et avec quel plaisir je m'y oublierais s'il ne fallait conclure ! Ma conclusion sera fort simple ; c'est qu'on éprouve un certain ennui à voir George Sand accaparée en ce moment par des écrivains qui n'ont avec elle aucun côté commun, aucun rapport intellectuel, et dont plusieurs, manifestement, la méprisent. Elle ne leur appartient pas ! Ils sont convaincus que par un effet inévitable de la loi du progrès, l'art nouveau, qu'ils ont inventé et qu'ils cultivent avec tant de succès, est un art supérieur au sien. Ils relèguent sans doute, avec une grimace, parmi les attributs et emblèmes de l'ancienne école, ce style toujours chaud, toujours éloquent, mais savamment fondu, qui coule avec une onction infinie et une fluidité parfaite, sans mollesse pourtant et sans défaillance, comme par un mélange inexplicable de Fénelon et de Rousseau. C'est du vieux jeu, cela ! Mais ce qui me parait encore plus vieux jeu, c'est cet amour, ce besoin, cette passion de l'idéal, qui est tellement George Sand tout entière que si vous lui ôtez cet embellissement continu dont elle illumine et transfigure les laboureurs de la Mare au Diable comme les forgerons de la Ville noire, il n'y a plus de George Sand. Le procédé d'aujourd'hui consiste à faire plus naturel et plus grossier que nature. Je vous demande à quoi rime George Sand, à moins qu'on ne l'y introduise comme une antithèse préméditée, comme une protestation vivante - dans le triomphe d'un système qui est la négation criante et saignante de son génie !
Que messieurs les naturalistes nous le pardonnent. Nous persistons à croire avec George Sand, et même avec Balzac, dont Albert Delpit a très finement aperçu et défini tout récemment le colossal idéalisme, que la nature, servilement copiée, et même puissamment rendue, ne suffît pas toujours à tous les besoins de notre esprit. Quant à moi, les héros mêmes qui ont vécu, les personnages en chair et en os de l'histoire, malgré leur réalité, qui a bien son prix et son charme, ne me satisfont pas complètement. Ils sont trop définitifs ! N'y a-t-il pas quelque chose de plus étendu, de plus vaste, de plus complet dans cette création imaginaire, née d'un souille, éclose d'un rayon, mais qu'un rayon et un souille peuvent varier à l'infini en mille métamorphoses successives, que dans cette, créature purement humaine, bornée, limitée, définitive, dont l'existence, une fois fixée par l'histoire, ne m'appartient plus ; sur laquelle je ne puis rien, à moins de mentir ; tandis que l'autre, j'en suis le maître ; je la fais ainsi, et je la change autrement ; je lui donne une existence nouvelle et des facultés différentes ; je lui assigne une seconde destinée et un second avenir ; je la tue et je la ressuscite ; je la tords et la pétris dans mes mains jusqu'à ce qu'elle ait revêtu ma forme et pris mon empreinte, et si mon empreinte et ma forme ne me plaisent plus à moi-même, je les lui ôte pour la recommencer à mou image, pour la jeter successivement dans tous les moules de ma pensée.
Ah ! les héros de l'histoire - et à plus forte raison les petits personnages exclusivement naturalistes- comme ils sont étroits devant les héros de l'imagination ! L'histoire elle-même, ou la pure nature, dont on leur fait gloire d'être sortis, devient pour eux une marâtre qui les serre comme dans un étau. Elle les étrangle ! Voilà pourquoi je serais tenté de préférer d'Artagnan à Condé ; voilà pourquoi : je préfère certainement Valentine à Gervaise, Mauprat à Jupillon ou à Lantier ; Et George Sand vous savez à qui !
Quidam.