Discussion:La Politique/Livre I

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Texte en double[modifier]

J'ai supprimé le texte suivant, qui reprend en fait le texte du chapitre IV. Remarque : la division en chapitre est différente dans la version anglaise.

CHAPITRE V: Du pouvoir domestique; rapports du mari à la femme, du père aux enfants. — Vertus particulières et générales de l'esclave, de la femme et de l'enfant. — Différence profonde de l'homme et de la femme; erreur de Socrate; louables travaux de Gorgias. — Qualités de l'ouvrier. — Importance de l'éducation des femmes et de celle des enfants.


§ 1. Nous avons dit que l'administration de lu famille repose sur trois sortes de pouvoirs: celui du maître, dont nous avons parlé plus haut, celui du père, et celui de l'époux. On commande à la femme et aux enfants comme à des êtres également libres, mais soumis toutefois à une autorité différente, républicaine pour la première, et royale pour les autres. L'homme, sauf les exceptions contre nature, est appelé à commander plutôt que la femme, dé même que l'être le plus âgé et le plus accompli est appelé à commander à l'être plus jeune et incomplet.

§ 2. Dans la constitution républicaine, on passe ordinairement par une alternative d'obéissance et d'autorité, parce que tous les membres doivent y être naturellement égaux et semblables en tout; ce qui n'empêche pas qu'on cherche à distinguer la position de chef et de subordonné, tant qu'elle dure, par quelque signe extérieur, par des dénominations, par des honneurs. C'est aussi ce que pensait Amasis, quand il racontait l'histoire de sa cuvette. Le rapport de l'homme à la femme reste toujours tel que je viens de le dire. L'autorité du père sur ses enfants est au contraire toute royale. L'affection et l'âge donnent le pouvoir aux parents aussi bien qu'aux rois; et quand Homère appelle Jupiter « Père immortel des hommes et des dieux, » il a bien raison d'ajouter qu'il est aussi leur roi; car un roi doit à la fois être supérieur à ses sujets par ses facultés naturelles, et cependant être de la même race qu'eux; et telle est précisément la relation du plus vieux au plus jeune, et du père à l'enfant.

§ 3. Il n'est pas besoin de dire qu'on doit mettre bien plus de soin à l'administration des hommes qu'à celle des choses inanimées, à la perfection des premiers qu'à la perfection des secondes, qui constituent la richesse; bien plus de soin à la direction des êtres libres qu'à celle des esclaves. La première question, quant à l'esclave, c'est de savoir si l'on peut attendre de lui, au delà de sa vertu d'instrument et de serviteur, quelque vertu, comme la sagesse, le courage, l'équité, etc.; ou bien, s'il ne peut avoir d'autre mérite que ses services tout corporels. Des deux côtés, il y a sujet de doute. Si l'on suppose ces vertus aux esclaves, où sera leur différence avec les hommes libres? Si on les leur refuse, la chose n'est pas moins absurde; car ils sont hommes, et ont leur part de raison.

§ 4. La question est à peu près la même pour la femme et l'enfant. Quelles sont leurs vertus spéciales? La femme peut-elle être sage, courageuse et juste comme un homme? L'enfant peut-il être sage et dompter ses passions, ou ne le peut-il pas? Et d'une manière générale, l'être fait par la nature pour commander et l'être destiné à obéir doivent-ils posséder les mêmes vertus ou des vertus différentes? Si tous deux ont un mérite absolument égal, d'où vient que l'un doit commander, et l'autre obéir à jamais? Il n'y a point ici de différence possible du plus au moins: autorité et obéissance diffèrent spécifiquement, et entre le plus et le moins il n'existe aucune différence de ce genre.

§ 5. Exiger des vertus de l'un, n'en point exiger de l'autre serait encore plus étrange. Si l'être qui commande n'a ni sagesse ni équité, comment pourra-t-il bien commander? Si l'être qui obéit est privé de ces vertus, comment pourra-t-il bien obéir? Intempérant, paresseux, il manquera à tous ses devoirs. Il y a donc nécessité évidente que tous deux aient des vertus, mais des vertus aussi diverses que le sont les espèces des êtres destinés par la nature à la soumission. C'est ce que nous avons déjà dit de l'âme. En elle, la nature a fait deux parties distinctes: l'une pour commander, l'autre pour obéir; et leurs qualités sont bien diverses, l'une étant douée déraison, l'autre en étant privée.

§ 6. Cette relation s'étend évidemment au reste des êtres; et dans le plus grand nombre, la nature a établi le commandement et l'obéissance. Ainsi, l'homme libre commande à l'esclave tout autrement que l'époux à la femme, et le père à l'enfant; et pourtant les éléments essentiels de l'âme existent dans tous ces êtres; mais ils y sont à des degrés bien divers. L'esclave est absolument privé de volonté; la femme en a une, mais en sous-ordre; l'enfant' n'en a qu'une incomplète.

§ 7. Il en est nécessairement de même des vertus morales. On doit les supposer dans tous ces êtres, mais à des degrés différents, et seulement dans la proportion indispensable à la destination de chacun d'eux. L'être qui commande doit avoir la vertu morale dans toute sa perfection; sa tâche est absolument celle de l'architecte qui ordonne; et l'architecte ici, c'est la raison. Quant aux autres, ils ne doivent avoir de vertus que suivant les fonctions qu'ils ont à remplir.

§ 8. Reconnaissons donc que tous les individus dont nous venons de parler ont leur part de vertu morale, mais que la sagesse de l'homme n'est pas celle de la femme, que son courage, son équité, ne sont pas les mêmes, comme le pensait Socrate, et que la force de l'un est toute de commandement; celle de l'autre, toute de soumission. Et j'en dis autant de toutes leurs autres vertus; car ceci est encore bien plus vrai, quand on se donne la peine d'examiner les choses en détail. C'est se faire illusion à soi-même que de dire, en se bornant à des généralités, que «la vertu est une bonne disposition de l'âme», et la pratique de la sagesse; ou de répéter telle autre explication tout aussi vague. A de pareilles définitions, je préfère de beaucoup la méthode de ceux qui, comme Gorgias, se sont occupés de faire le dénombrement de toutes les vertus. Ainsi, en résumé, ce que dit le poète d'une des qualités féminines: « Un modeste silence est l'honneur de la femme, » est également juste de toutes les autres; cette réserve ne siérait pas à un homme.

§ 9. L'enfant étant un être incomplet, il s'ensuit évidemment que la vertu ne lui appartient pas véritablement, mais qu'elle doit être rapportée à l'être accompli qui le dirige. Le rapport est le même du maître à l'esclave. Nous avons établi que l'utilité de l'esclave s'applique aux besoins de l'existence; la vertu ne lui sera donc nécessaire que dans une proportion fort étroite; il n'en aura que ce qu'il en faut pour ne point négliger ses travaux par intempérance ou paresse.

§ 10. Mais, ceci étant admis, pourra-t-on dire: Les ouvriers aussi devront donc avoir de la vertu, puisque souvent l'intempérance les détourne de leurs travaux? Mais n'y a-t-il point ici une énorme différence? L'esclave partage notre vie; l'ouvrier au contraire vit loin de nous et ne doit avoir de vertu qu'autant précisément qu'il a d'esclavage; car le labeur de l'ouvrier est en quelque sorte un esclavage limité. La nature fait l'esclave; elle ne fait pas le cordonnier ou tel autre ouvrier.

§ 11. Il fait donc avouer que le maître doit être pour l'esclave l'origine de la vertu qui lui est spéciale, bien qu'il n'ait pas, en tant que maître, à lui communiquer l'apprentissage de ses travaux. Aussi est-ce bien à tort que quelques personnes refusent toute raison aux esclaves et ne veulent jamais leur donner que des ordres; il faut au contraire les reprendre avec plus d'indulgence encore que les enfants. Du reste, je m'arrête ici sur ce sujet.

Quant a ce qui concerne l'époux et la femme, le père et les enfants, et la vertu particulière de chacun d'eux, les relations qui les unissent, leur conduite bonne ou blâmable, et tous les actes qu'ils doivent rechercher comme louables ou fuir comme répréhensibles, ce sont là des objets dont il faut nécessairement s'occuper dans les études politiques.

§ 12 En effet, tous ces individus tiennent à la famille, aussi bien que la famille tient à l'Etat; or, la vertu des parties doit se rapporter à celle de l'ensemble. Il faut donc que l'éducation des enfants et des femmes soit en harmonie avec l'organisation politique, s'il importe réellement que les enfants et les femmes soient bien réglés pour que l'État le soit comme eux. Or c'est là nécessairement un objet de grande importance; car les femmes composent la moitié des personnes libres; et ce sont les enfants qui formeront un joui- les membres de l'Etat.

§ 13. En résumé, après ce que nous venons de dire sur toutes ces questions, et nous proposant de traiter ailleurs celles qui nous restent à éclaircir, nous finirons ici une discussion qui nous semble épuisée; et nous passerons à un autre sujet, c'est-à-dire, à l'examen des opinions émises sur la meilleure forme de gouvernement.