Discussion:La Rebelle

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Éditions[modifier]

  • Paru en 1905 dans la Revue de Paris [1]

Statistiques[modifier]

  • 83 828 mots environ, moins de 6 heures de lecture à 250 mot/mn.

Critiques…[modifier]

  • Gaston Deschamps [2]
  • [3] Le Radical 2 mai 1906

CAUSERIE LITTÉRAIRE

La Rebelle, roman, par MARCELLE TINAYRE (Calmann-Lévy). — L'Ame étoilée, par EMILE BLÉMONT (poésies).

La Rebelle semblerait d'une autre « Marcelle Tinayre », qui aurait beaucoup de talent aussi.

Josanne, sans dot, épousa un petit employé sans santé. Ce fut bientôt misère et compagnie. Pierre Valentin, cloué par la maladie, Josanne dut pourvoir à l'entretien du ménage. Elle trouva quelques élèves, et fut secrétaire d'un « magazine ». Mais elle ne put longtemps vivre sans bonheur. Tandis que la pitié l'invitait encore à satisfaire un mari diminué, elle cédait à un petit bourgeois, dont elle eut un fils. Elle attendait cet amant sous les galeries de l'Odéon, où il est accoutumé de feuilleter les nouveautés de la semaine. Elle parcourut ainsi un livre sur les métiers féminins, où il semblait que l'auteur se fût proposé de justifier sa propre conduite à elle, Josanne. Et elle s'avisa que cette conduite, M. Noël Delysle l'avait admirablement justifiée, en effet. Il disait, ce Delysle, que la nécessité seule contraint au travail la femme qui ne veut point vendre son corps. Il la montrait abordant, une à une, les carrières des hommes, et ne s'y montrant pas inhabile. Peu à peu, s'étant égalée au mâle dans la conquête du pain quotidien, la femme voulut jouir des mêmes prérogatives morales. Elle réclama « le droit de penser, de parler, d'agir, d'aimer à sa guise — ce droit que l'homme avait toujours pris et qu'il lui avait refusé toujours… »

Josanne acheta un livre qui répondait si bien à sa pensée intime, et dont le directeur du « magazine » allait lui demander le compte rendu. Elle connût ainsi Noël Delysle, et par Noël Delysle l'amitié d'abord, puis l'amour. Elle était doublement veuve — car son amant l'avait quittée pour se marier : comme elle était vaillante et jolie, Delysle souhaita qu'elle devint sa femme. Cependant, en dépit de ses théories, il souffrit d'apprendre qu'elle avait eu un amant : « Est-ce que je vous méprise ? Est-ce que je vous condamne ? Est-ce que je vous parle de droit ou de devoir ?… Je souffre, voilà tout !… c'est illogique, c'est stupide… car, enfin, j'étais préparé… Eh bien ! d'entendre ça, d'être sûr ide ça… d'imaginer ça… »

Et Josanne dit tout le passé, le lien qui demeure, l'enfant. Et Noël pleure :

« Et je me rappelle que j'ai voulu m'affranchir des préjugés ordinaires et de la morale dogmatique… Eh ! oui, j'ai dit, j'ai écrit qu'il n'y avait pas deux honneurs, l'un masculin, l'autre féminin. Mais ce qui était pour moi une théorie était pour vous la réalité quotidienne !… Et maintenant que je suis sorti du paradoxe et de l'abstraction, que je suis aux prises avec des faits, je sens que je suis un homme comme tous les autres, ni plus libre, ni plus juste, ni meilleur… Ah ! Josanne, ah ! mon amour, je suis jaloux !… je ne suis pas un moraliste qui juge… je suis un homme qui aime, je suis un amant désespéré… Le bien, le mal, vos devoirs, vos droits, la justice, la logique, je m'en moque !… je pe sais plus que ça, ma Josanne, je suis jaloux ! »

Ils essayèrent de vivre en amitié. Puis Josanne se donna : les fantômes du passé troublèrent leurs premières rencontres amoureuses. Noël épiait et suspectait les pensées de sa maltresse comme il était jaloux de sa personne physique. Patiente, elle s'ingéniait à accumuler les heures douces dans les souvenirs de son amant. Les colères de Noël ne la rebutaient point. Ses rudesses même lui étaient douces. Elle savait, qu'elle allait le conquérir peu à peu. Cependant, il ne pouvait se faire à l'idée qu'elle eût conçu le petit Claude entre les bras d'un amant ; il sentait que la mort de l'enfant l’eût délivré d'un fardeau. Et la mort souhaitée s'approche…

Mais, devant la douleur de Josanne. au pied de ce lit d'enfant que la souffrance habite, Noël sent s'évanouir les dernières ombres de son cœur.

« Et maintenant, après le dernier assaut et le dernier choc, le passé n'était plus que cendre et poussière… Comme naguère, dans le jardin de Cernay, Noël prit entre ses mains la tête chérie de Josanne… Il s'enivra de baiser le beau front intelligent, où la pensée se formait, pareille à sa pensée ; les yeux fidèles qui reflétaient ses yeux dans leurs miroirs sombres ; les lèvres dociles à ses lèvres, et qui ne mentiraient jamais. Il voulut parler, mettre toute sa foi, toute sa tendresse, toute sa ferveur dans un mot, et il ne put que murmurer : « Ma chère femme… » La victoire restait à l'amour, qui n'avait pas faibli, qui n'avait pas désespéré — à l'amour fort comme la vie. »

Josanne est un peu la sœur de l'héroïne de la Maison du péché ; toutes les deux vont, avec une belle vaillance, vers l'amour libre. Pour mieux embarrasser ceux ou celles qui ne peuvent admettre que l'amour se passe de permission, Marcelle Tinayre a rendu sympathiques ses amoureuses. Il est, en effet, malaisé de blâmer les actions de deux femmes qu'on ne peut s'empêcher d'aimer, et même d'approuver, quand elles les commettent. Et ainsi le charme prêté à une thèse dangereuse nuit à la thèse contraire. Il fallut à Mme Tinayre beaucoup de talent et quelque astuce, pour amener le moraliste à ces fâcheuses capitulations de conscience, dont il se repent à peine quand il a fermé le livre — si bien la musique des mots s'est prolongée en son âme.

… …

Paul Duprey