Discussion:Le Moqueur amoureux
Ajouter un sujetÉditions
[modifier]Titre et éditions | |||
---|---|---|---|
1830 : | Le Moqueur amoureux | GoogleGoogle | Paris. Levavasseur, 2 volumes |
1838 : | Le Moqueur amoureux | Meline, Cans et Comp. | |
1871 : | Le Moqueur amoureux | Gallica | Michel-Lévy frères, éditeurs |
- 1830 : Gazette littéraire : revue française et étrangère de la littérature, des sciences « Le Moqueur amoureux, par madame Sophie Gay ; 2 volumes in-8, ensemble de 38 feuilles cinq huitièmes. Paris. Levavasseur [1]
- 1830 : [2]
- 1830 : dans le Courrier encart publicitaire [3]
Vocabulaire - orthographe
[modifier]- Lizieux ou Lisieux
Critiques, résumés…
[modifier]- 1er janvier 1829 La Mode : revue des modes, galerie de moeurs, album…
— On annonce pour la fin de ce mois, un roman nouveau de Mme Sophie Gay, intitulé le Moqueur amoureux. L'on prétend déjà que c'est une galerie très-piquante de portraits et d'esquisses du monde. Un autre roman fort-distingué, qui prend le monde à un autre époque, doit aussi paraître prochainement. Il a pour titre les Mauvais Garçons. Voilà donc enfin quelques livres que l'on pourra lire et qui ne seront plus, sous le nom de Mémoires y de méchantes compilations, ou d'insipides libelles.
- 1er janvier 1831 La Mode : revue des modes, galerie de moeurs, album…[4]
… — Un journal a annoncé que madame Sophie Gay préparait un de ces tableaux fidèles, corrects, de la société élégante qu'elle a déjà si bien peinte à deux époques différentes dans le MOQUEUR AMOUREUX , et dans les MALHEURS D'UN AMANT HEUREUX deux livres qui méritent de rester comme les meilleurs mémoires de nos moeurs., à un quart de siècle de distance. — Le titre et le sujet de ce nouveau livre que les Anglais caractériseraient d'un mot, par celui de fashionable, seraient un MARIAGE sous L'EMPIRE. —
- éditions [5]
- statistique du nombre de livres parus au premier trimestre de 1830 [6]
- Le Figaro [7]
- 1830 : Le Mercure de France au dix-neuvième siècle [8]
LE MOQUEUR AMOUREUX,
PAR MADAME S. GAY , 2 VOL. IN-8.
Ce roman, d'une dame accoutumée à des succès, paraît depuis quelques jours chez Levavasseur, libraire, Palais-Royal.
- La Mode [9]
Revue et intérêts du Monde
… — Un journal a annoncé que madame Sophie Gay préparait un de ces tableaux fidèles, corrects, de la société élégante qu’elle a déjà si bien peinte à deux époques différentes dans le MOQUEUR AMOUREUX, et dans les MALHEURS D’UN AMANT HEUREUX deux livres qui méritent de rester comme les meilleurs mémoires de nos moeurs, à un quart de siècle de distance. — Le titre et le sujet de ce nouveau livre que les Anglais caractériseraient d’un mot, par celui de fashionable, seraient un MARIAGE sous L’EMPIRE.…
- Revue française 1er janvier 1830 [10]
XVI. Le Moqueur amoureux ; par madame Sophie Gay.2 v.in-8*. Prix 7 fr. Paris, Levavasseur, libraire, au Palais-Royal. 1830.
Pourquoi le Moqueur amoureux ? en quoi ces deux qualifications contrastent-elles ? qu’a de singulier leur rapprochement ? Je conçois qu’on peigne l’avare fastueux ; ces deux dispositions qui semblent s’exclure offrent de piquans contrastes, de plaisans détails ; mais qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce qu’un moqueur soit amoureux ? cela ne lui va ni bien ni mal, et ce titre, à mon sens, n’indique rien de plus saillant que ne le ferait le buveur amoureux, le joueur amoureux, etc. etc. Il y aurait bien à la vérité un moyen de tirer parti de ces deux mots si singulièrement accolés ; si le Moqueur l’était tant que de ne pouvoir prendre sur lui d’épargner celle qu’il aime, on pourrait espérer, de ce tort si difficile à pardonner, des scènes très-vives, des évènemens assez singuliers ; il est vrai que du moment où l’affection deviendrait sincère, le défaut devrait cesser , sous peine d’invraisemblance et d’absurdité ; ce qui, malgré toute la bonne volonté possible, condamne le caractère de moqueur à n’être pas celui d’un héros de roman : bien sou tenu, il détruit l’intérêt ; ne l’est-il pas, ce n’est plus la peine d’en parler et surtout de l’annoncer. Entre ces deux écueils madame Gay a choisi le dernier; Albéric de Varèze, son Moqueur, loin de s’être jamais permis la moindre légèreté sur le compte de la jeune et belle duchesse de Lisieux, lui a toujours rendu le plus éclatant hommage ; et l’on voit, du premier coup d’œil, que dès qu’elle voudra bien le désirer, il ne se permettra plus la plus petite malice contre qui que ce soit : aussi ce caractère de moqueur proclamé dans le titre, déclaré dès le premier chapitre, et rappelé toutes les dix pages, ne produit-il pas grand effet sur l’esprit du lecteur ; on est même étonné qu’il puisse inquiéter tant soit peu la duchesse de Lisieux.
Si madame Gay ne peut prétendre à avoir créé un personnage nouveau et original, s’en sera-t-elle dédommagée par une peinture fidèle des mœurs actuelles ? Chacun peut s’assurer facilement de la ressemblance ; car, grâces aux conversations sur les bals parés de madame la duchesse de Berri, à quelques détails politiques et à beaucoup d’initiales mal dissimulées, on ne peut ignorer que la scène se passe pendant l’hiver de 1829, moitié dans les salons du faubourg Saint-Germain et moitié dans ceux de la Chaussée-d’Antin. Pour l’intérêt de l’ouvrage, il eût mieux valu, selon nous, que la comparaison fût moins à la portée de tous, car on n’y retrouve guère les traits des deux sociétés que madame Gay a voulu peindre ; ses deux portraits, pour être des caricatures, n’en ont pas même obtenu la grossière ressemblance ; ses nobles, avec leurs prétentions surannées, leur provision de lieux communs, leur frivolité et leur manque d’élégance, ne retracent rien qui ait eu vie. Ses financiers sont tous de la famille de Turcaret ; la position respective des deux classes est aussi complètement fausse ; grâce à la révolution française et au gouvernement représentatif, tous les ordres de citoyens, toutes les sortes de monde ont eu trop de rapports ensemble pour que les insolences du marquis de Moncade puissent encore avoir lieu. Je ne vois pas non plus pourquoi madame Gay a chargé de tant de ridicules son banquier et sa famille ; quand on ne donne qu’un échantillon, est—il permis de le choisir parmi les exceptions ? Certaines bévues sont de toutes les classes et partant d’aucune. Il est très-possible qu’on trouve des millionnaires qui croient Teniers contemporain de Girodet; mais c’était une grande dame qui se flattait qu’on ferait recommencer une éclipse pour elle.
Tout cela n’empêche pas, au surplus, le roman de madame Gay d’être amusant et attachant, qui plus est ; on le lit avec plaisir ; on l’achève sans s’interrompre ; on est fâché de l’avoir fini. Que cet aveu le venge de nos critiques ; car, pour un roman, avoir atteint ce but c’est presque avoir réussi complètement. Mais, dira-t-on, si le caractère du héros n’a rien de frappant, si la représentation des mœurs de l’époque est peu fidèle, où trouver le mérite de ce livre ? Ce n’est sans doute pas celui de la passion : le Moqueur n’est pas un roman d’amour. Eh ! mon Dieu si ; le Moqueur, malgré son titre léger, malgré ses épigrammes bonnes ou mauvaises, ses satires en formé - de chapitres, ses malices personnelles, emprunte dans le fait tout son intérêt au sentiment qui y est peint et à la manière souvent heureuse dont il est peint. Il y a peut-être des personnes qui s’amuseront à entendre parler, avec un air si bien au fait, de la société du faubourg Saint-Germain, ou qui riront de la peinture grotesque des salons de la Chaussée-d’Antin ; d’autres seront charmées de connaître l’opinion de madame Gay sur nombre de personnes de la cour et de la ville, qu’il leur sera facile de reconnaître dans son livre ; d’autres encore, curieuses de voir comment elle traite la politique et fait parler M. Casimir Périer sur le ministère Martignac ; d’autres enfin pourront remarquer quelques observations heureuses, quelques mots spirituels épars çà et là dans le cours de deux volumes ; mais ces plaisirs divers sont de peu de durée ; et si, ce que nous n’affirmons pas, on pense encore dans quelque temps au Moqueur, madame Gay le devra à l’amour de M. de Varèze et de madame de Lisieux, et à la passion malheureuse de Maurice d’Audermont, ami d’Albéric et de la duchesse, nourrissant pour cette dernière une affection sans espoir. L’influence de l’amour sur le caractère d’Albéric, la violence avec laquelle il se livre à l’espoir et au dépit ; les combats toujours inutiles de madame de Lisieux pour ne pas donner son cœur à un homme qu’elle ne croit pas devoir estimer ; son désespoir au départ d’Albéric pour la Morée, et la manière dont elle le retrouve ; les cruels efforts de Maurice sur lui-même, son amitié victorieuse de son amour, l’empire que lui donnent sur ses deux amis son noble caractère et sa ferme raison ; voilà, selon nous, la partie remarquable du roman de madame Gay ; voilà ce qui le tire de la ligne vulgaire de tant de comédies qui prétendent peindre les mœurs, et de romans qui ne craignent pas de désigner les personnes. Avoir entrepris de faire un livre piquant ; et même méchant, et y avoir échoué ; n’avoir guère songé à faire un livre intéressant et y avoir réussi ; un auteur quelconque, et surtout une femme pourrait-elle se plaindre du marché ? Nous ne le croyons pas.
- Adolphe (??? de René de Chateaubriand ???, réédité en 1829, et dont s'inspire Mme Sophie Gay dans le Moqueur amoureux (1829) [11]
- Le Correspondant, N°4 tomeII, vendredi 12 mars 1830, IIe année, p.34 [12]
LE MOQUEUR AMOUREUX,
par Mme Sophie Gay, 2 vol. 1830.
Un roman fashionable est un livre que vous prenez un soir quand ne sachant que faire, n'étant ni gai ni triste, l'envie vous vient en même temps de rester chez vous pour être tranquille, et d'aller dans le monde pour vous distraire. Vous voilà au coin de votre feu et à la clarté de votre lampe, établi dans un salon où vous voyez passer sous vos yeux des figures gracieuses, spirituelles, graves, ridicules, du toute sorte, et où vous parlez à qui bon vous semble. Car, si la conversation vous ennuie, libre à vous de tourner vite les feuillets et d'arriver à quelques vers de Lamartine et de Victor Hugo, ou à quelques lignes de prose de M. Châteaubriand, ou de Mme de Duras, mises à la tête des chapitres, sous forme d'épigraphes qui rafraichîssent votre attention ou qui vous font rêver un instant. Puis, parcourant en observateur cette galerie agréable et pittoresque, vous jouant de toute cette politesse de moeurs et de toute cette élégance de manières, vous attachez vos regards sur deux ou trois personnes qui excitent votre intérêt. Ainsi, je suppose, voici un caractère moqneur, M. de Varèze, dont l'esprit caustique jette le trouble dans quelques sociétés, et dont la légèreté et la froideur appareate rendent bien rêveuse et bien triste la duchesse de Lisimon. Eh bien ! vous riez des saillies de M. de Varèze, qui fait manqner un mariage pour avoir dit qu'il n'avait point vu d'homme plus loyal et plus franc que M. ***, et qu'il ne lui connaissait de faux que son toupet et ses mollets. Car le moyen après cela qu'une jeune personne épouse ce ridicule personnage ? Assurement vous riez de M. de Lormier, le roi des lieux communs, comme dit M. de Varèze, qui s'en va répétant toujours avec une immense prétention au nouveau, ce que tout le monde sait depuis Adam. Vous riez encore des embarras d'un riche parvenu qui veut singer les personnes distinguées, et qui ne sait ni parler, ni marcher, ni entrer, ni sortir. Vous vous amusez de milles choses encore.
Mais votre æil curieux suit avec l'intérêt de l'âme ce pauvre moqueur, que l'amour rend sérieux, puis triste, puis malheureux, puis voyageur, puis malade, jusqu'à ce que la vue de sa Mathilde qui bien souvent avait tremblé, qui bien souvent avait pâli à la moindre crainte, à la moindre espérance, vienne lui rendre la santé et le bonheur. Jetez sur les différents incidents de cette petite aventure, la fraicheur et la grâce qu'y peut mettre l'imagination d'une femme de talent, et vous aurez l'idée du Moqueur amoureux. Je reprocherais peut-être à l'auteur d'avoir donné au moqueur trop peu de cette force et de cette élévation d'âme qui, dans le malheur, tourne l'homme vers ce qu’il y a de bon dans un coeur vertueux. Mais je la remercierai certainement d'avoir placé à côté du caractère d'Albéric celui de Maurice, qui consent à son propre malheur pour jouir du bouheur de son ami. C'est une belle image qui a bien des formes différentes, et qu'il faut aussi souvent offrir à nos yeux que celle de l'amitié.
- La France nouvelle, 30 janvier 1830
Paris, chez Lavavasseur, libraire au Palais-Royal, et chez Mongie, boulevard Italien, n. 10. Prix : 14 fr, et 17 fr. par la poste.
Voici un roman du beau monde : odeur d’aristocratie se répand tout autour : fine fleur de société, grands sentimens de boudoir, observation des moeurs privilégiées, dévouement de cour ; on dirait notre vieux Saint-Simon en cornette, dévoilant une des mille intrigues amoureuses qui tant plaisaient à sa verve indiscrète. Bonne gens comme nous, cherchant plaisir ou instruction, n’ouvons ce livre, bon Dieu ! qu’irions-nous chercher dans les six cents pages vélin de Mme Sophie Gay ? C’est là pour nous langage barbare. Tous ces barons, tous ces comtes, tous ces ducs, galans comme on l’était sous Louis XIV, ne parlant que de leur costume de bal, que de leur service chez le roi, se faisant traîner de comtesses en marquises, sont gens que nous ne connaissons plus et dont le piéton aime à se garer car ils éclaboussent.
Mais où diable Mme Sophie Gay est elle allée chercher le type de toutes ces caricatures dorées ? Moi, qui croyais que dans un salon la révolution avait nivelé les individus, et que l’on tournait le dos tout net au niais titré pour écouter le roturier d’esprit ; moi qui croyais que l’aristocratie du talent et de la fortune industrielle avait à jamais renversé le privilège de la noblesse, et qu’ainsi tel brave artisan de sa fortune et de son nom marchait au moins de pair avec le descendant présumé des premiers barons chrétiens ; moi qui croyais qu’il n'y avait plus ni peuple, ni cour, ni ville, mais des citoyens égaux devant la loi, travaillant au bien commun… Ah bien oui ! demandez à Mme Sophie Gay ! pour sacrifier ainsi (car elle les sacrifie) les droits de la roture aux exigences de la noblesse :; ou bien elle afonc à se plaindre de ses égaux, ou bien elle a donc quelque intérêt secret à flatter les belles duchesse et les jolis marquis, que sais-je moi ? Je me perds à vouloir expliquer cette manie contre-révolutionnaire qui cherche sans cesse à idéaliser, à magnifier les moeurs de ce qu'on appelle les hautes classes au détriment de la vraie société, de celle qui, étant connue de tous, prête le plus à l’étude d’observation et au développement d’un drame. C’est dans ce milieu de notre institution sociale que le poète dramatique, le romancier, le philosophe, doit aller de nos jours puiser de l’intérêt ; ailleurs il y a lacune, il y a débris, rien n’est plus complet. Mettez donc les princes de notre époque, les rois, à l’exception d’un seul, sur la scène du théâtre ou du roman ; prêtez-leur tout le prestige de la grandeur des Agamemnon, des Alexandre, des Augustes passés ; affublez-les de tout le clinquant banal du magasin de l’antiquité : faites-les monter sur vos échasses de convention, et puis vous verrez rire les peuples, mais rire de ce rire qui fait du bien… Le seul être dramatique qui soit à exploiter maintenant, lorsqu’on veut peindre ce qui se passe sous nos yeux, je le répète, c’est le peuple, c’est la classe du milieu, ou bien l’on n’est pas compris. Là franchement, à quels lecteurs Mme Gay a-t-elle compté s’adresser ? À quelques arriérés du faubourg Saint-Germain sans doute, à quelques jeunes éventés, fils nourris de l’ancien régime ; à quelques vaporeuses parvenues, et encore ce monde-là qui est tout exceptionnel et qui lit peu, dira que c’est de l’antichambre que Mme Gay a vu la cour, et comme la roture la voit une fois par année en défilant, en vertu d’un billet, autour de la table du festin royal… Mme de Duras s’est mêlée d’écrire ; mais voyez quelle résignation, quelle influence révolutionnaire a présidé à ses deux charmantes compositions ! La noble romancière avait compris son temps, et les Deux Pages, échappés à sa plume aristocratique, ont donné une bonne idée de son esprit et de son coeur. Dans Ourika, dans Édouar, c’est un parti pris avec les moeurs actuelles, avec l’égalité des positions ; les regrets y sont naturels, la catastrophe ne peut blesser la susceptibilité roturière ; ici au contraire, non dans le fond, mais dans tous les détails, dans le cadre, dans les voeux de chaque instant, c'est un besoin de se raccrocher au passé, de reconstruire l’inégalité, de créer, au milieu de notre société refaite, un monde idéal de priviléges et de beaux airs. C'est une complaisance continuelle pour des gens avec lesquels on voudrait se mettre à l’aise, et dont il semble qu’on ait eu à endurer les dédains. Voyons maintenant la partie romanesque et le développement de ce caractère bâtard de Moqueur amoureux.
La duchesse Mathilde Lisieux est une jeune veuve, étalant le luxe de ses attraits modestes à la cour et dans toutes les réunions du grand ton. Parmi les habitués de son salon se trouve le comte de Varèze, aide-de-camp de je ne sais quel maréchal, mais brave, noble, et ayant le travers horrible (à ce que dit Mme Gay) de voir avec un esprit pétillant toutes choses sous un côté ridicule ; il est de ces gens qui, pour un mot, perdraient vingt amis. Après avoir ri de l’amour comme chose bouffonne, sans doute, le joli militaire, papillon en bottes fortes, finit par se brûler les ailes à la chandelle, et de volage indépendant, il devient amoureux bête de Mme de Lisieux. La défiance de Mathilde pour un homme caustique, la réputation que ce caractère donne dans le monde à notre héros, la difficulté que le moqueur éprouve à faire prendre pour argent comptant à sa belle duchesse les démonstrations de son amour, le caquetage de société, qui sans cesse éloigne ou détruit l’issue probable de cette passion, tels sont les ressorts principaux de cette action, qui se termine, comme toujours, par la conversion du pêcheur, et l’union de Mathilde et de M. de Varèze. Ajoutez à cela un bavardage insupportable de boudoir, une causerie d’opéra Italien, et la peinture prise au sérieux des moeurs de ces messieus à la cravatte bien mise, au bouquet à la boutonnière, à la voix empesée, faisant chaque soir fracas de leurs chevaux et de leurs duels, et vous aurez une idée de cette triste composition. Mme Gay a cependant jeté au milieu de tout cela la fille d’un banquier, espèce de Georges Dandin en jupon, épousant un jeune pair de Ffrance. Rien de plus faux et de plus en dehors de nos moeurs que la description des apprêts et des fêtes de cet hyménée. La famille de la jeune fille est peuplée de Turcarets, qui affrontent courageusement les sarcasmes de la famille titrée et semblent acheter à prix de bassesse et de nullité l’honneur d’avoir un pair au milieu d’eux. Le banquier est un maître sot tel que les voyait Le Sage de son temps, mais tel que Mme Gay n’en trouvera plus sous les portiques du palais de la Bourse, où l’on sait coter le néant d’un nom et la valeur réelle d’une grande fortune. On dirait que le Monsieur Ribet de Madame Gay est une petite vengeance personnelle, car la prévention seule a pu dénicher un coryphée de la banque, ne sachant pas distinguer un Téniers d’un Girodet, et prenant un maître de philosophie pour faire un sonnet à une belle marquise. Mme Gay n’est pas plus heureuse dans la peinture du caractère de son personnage principal ; il est bien dit sur le titre, en lettres ombrées et avec cul-de-lampe, qu’il s’agira du Moqueur amoureux… Amoureux, passe ; mais moqueur, non. Qui dit moqueur, s’il ne dit sot, ennuyeux et lourd, dit un homme d’esprit, maniant l’épigramme avec délicatesse et malice, et mettant les rieurs de son côté. M. de Varèze est un fat sans gaîté, sachant mieux donner ou recevoir un coup d’épée que révéler un travers avec finesse ; s’il se rit du prochain c’est en disant, par exemple, que M. de Méran monte à cheval comme une paire de pincettes ; que M. de Marigny n’a de faux que ses mollets et son toupet, et le public de Mme Gay n’a pas assez de bravos et de oh ! oh ! pour ces sornettes. En vériré, je ne vois que le lecteur d’un tel ouvrage qui soit bien et duement mystifié par le Moqueur amoureux.
Un reproche non moins grave que, galanterie à par, je me crois en droit d’adresser à l’auteur d’Anatole, c’est le ton peu décent de quelques conversations, et surtout de celles qui se tiennent entre femmes. Peut-être dans le petit monde à part, que Mme Gay s’est avisée de rebâtir, les belles dames parlaient-elles de leurs amours et de leurs amans avec cette naïveté du bon temps ; mais lorsqu’elles descendent ou s’élèvent plutôt vers notre sphère bourgeoise, elles n’ont pas ce langage, et c’est encore une peinture sans originaux. Quand au style de cet ouvrage, il est en général clair et facile, mais il vise souvent aussi à la prétention. Du reste, on voit que Mme Gay est nourrie de ses auteurs, et notamment de ceux qu’elle reçoit à ses brillans roûts de bas bleus. Elle ménage leur amour-propre avec un tact qui annonce une vaste conception et une grande entente des faiblesses humaines. Ainsi dans les épigraphes (j’allais dire épitaphes) qu’elle place en regard de chacun de ses chapitres, elle a le soin délicat de faire ses coquetteries tantôt à M. Casimir Delavigne, tantôt à M. Victor Hugo, ici à M. Lamartine, là à M. Alfred Devigny ; M. Scribe y trouve sa part, M. le comte Jules de Resseguier la sienne ; en bonne et tendre mère, Mme Gay n’oublie pas Mlle Delphine, et il n’y a pas jusqu’à M. Vatou, qui ne voie son nom en toutes lettres au bas de ces vers que nous recommandons au lecteur :
<poem> « Qui vous aime le plus est aussi le plus sage ; Et quel plus doux transport, et quel plus noble hommage, Que de vous consacrer et sa vie et son coeur ! Le trépas que l’on trouve au champ de la victoire, On l’exalte, on l’envie, on en fait un honneur : Mais vos charmes sont-ils moins puissans que la gloire, Et mourir à vos pieds n’est-ce pas le bonheur ? »
On assure que ce joli madrigal a valu à l’auteur trois livres de chocolat demi-vanille, que lui a décernées le fidèle Berger, rue des Lombards. Ce point d’histoire gastronomico-littéraire a cependant besoin d’être éclairci, car d’autres assurent que l’ode de M. de Sainte-Beuve sur Racine l’a emporté d’emblée sur la devise ci-dessus !
Le Rédacteur en chef, gérant responsable
Léon Pillet