Discussion:Le Parnasse contemporain/1869/La Part de Magdeleine

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Édition du Parnasse contemporain, II[modifier]

Le Parnasse contemporain/1869
Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 143-147).




ANATOLE FRANCE

——



LA PART DE MAGDELEINE



L’ombre versait au flanc des monts sa paix bénie,
Le chemin était bleu, le feuillage était noir,
Et les palmiers tremblaient d’amour au vent du soir.
Celle de Magdala pleurait dans Béthanie.

Elle avait sous ses pieds la pourpre des coussins ;
Le grand épervier d’or des femmes étrangères
Agrafait sur son cou les étoffes légères ;
La myrrhe tiédissait dans l’ombre de ses seins.

Sur la haute terrasse assise solitaire,
Par la nuit indulgente, à l’heure des aveux,
Elle laissait rouler dans l’or de ses cheveux
Des perles, doux spectacle aux amants de la terre.


Les palmes des palmiers & les voiles de Tyr
Sur son front embrasé versaient des fraîcheurs vaines ;
Elle sentait courir ces flammes dans les veines,
Qu’au marbre des bassins l’eau ne peut alentir.

Ses doigts, où les parfums des jeunes chevelures
Avaient laissé leur âme & s’exhalaient encor
Autour du scarabée & des talismans d’or,
Gardaient des souvenirs pareils à des brûlures.

Or, elle haïssait ce corps qui lui fut cher ;
Tous les baisers reçus lui revenaient aux lèvres
Avec l’acre saveur des dégoûts & des fièvres :
Magdeleine était triste & souffrait dans sa chair.

Et ses lèvres, ainsi qu’une grenade mûre,
Entr’ouvrant leur rubis sous la fraîcheur du ciel,
L’abeille des regrets y mit son âcre miel,
Et le vent qui passait recueillit ce murmure :

« J’avais soif, & j’ai ceint mon front d’amour fleuri ;
J’ai pris la bonne part des choses de ce monde,
Et cependant, mon Dieu, ma tristesse est profonde,
Et voici que mon cœur est comme un puits tari !

« Mon âme est comparable à la citerne vide
Sur qui le chamelier ne penche plus son front ;
Et l’amour des meilleurs d’entre ceux qui mourront
Est tombé goutte à goutte au fond du gouffre avide.


« Je n’ai bu que la soif aux lèvres des amants :
Ils sont faits de limon tous les fils de la mère ;
La fleur de leurs baisers laisse une cendre amère,
L’étreinte de leurs bras est un choc d’ossements.

« Nous cherchant, nous pressant pour ne former qu’un être,
Nous voulions, comme font deux corps dans un tombeau,
Unir nos deux néants en un néant plus beau,
Et nous tombions vaincus sans plus nous reconnaître.

« Oh ! sans doute qu’alors, fauve, les yeux ardents,
L’ange au glaive de feu traversait notre couche,
Et venait invisible arracher à ma bouche
Cette âme de l’aimé qui brille entre ses dents ;

« Car nous tombions tous deux étrangers, côte à côte,
Comme le premier couple après l’Éden perdu.
Alors, à cause d’Ève & du fruit défendu,
J’avais honte & j’étais seule devant ma faute.

« Et je criais, voyant mon espoir achevé :
« Pleureuses, allumez l’encens devant ma porte,
« Apprêtez un drap d’or : la Magdeleine est morte,
« Car étant la chercheuse elle n’a pas trouvé ! »

« Et j’ouvrais de nouveau mes bras comme des palmes ;
J’étendais mes bras nus tout parfumés d’amour,
Pour qu’une âme vivante y vînt dormir un jour,
Et je rêvais encor les vastes amours calmes !


« Le silence entendit ma voix qui soupirait,
Disant : « La perle dort dans le secret des ondes ;
« Or, je veux me baigner dans des amours profondes
« Comme tes belles eaux, lac de Génésareth !

« Que votre chaste haleine à mon souffle se mêle,
« Tranquilles nénufars, afin que le baiser
« Que sur le front élu ma lèvre ira poser,
« Calme comme la mort, soit infini comme elle ! »

« Telle je soupirais au bord du lac natal,
Mais sur mes flancs blessés une mauvaise flamme,
Rebelle, dévorait ma chair avec mon âme,
Et voici que je meurs sur mon lit de santal.

« Pourtant, j’accepte encor la part de Magdeleine :
J’avais choisi l’amour & j’avais eu raison.
Comme Marthe ma sœur qui garda la maison,
Je n’aurai point pesé la farine ou la laine.

« La jarre au ventre lourd d’olives ou de vin
Dans les soins du cellier n’aura point clos ma vie ;
Mais ma part, je le sais, ne peut m’être ravie,
Et je l’emporterai dans l’inconnu divin ! »

Elle dit : le reflet des choses éternelles
L’illumina d’horreur & d’épouvantement.
Alors elle se tut & pleura longuement :
Une âme flottait vague au fond de ses prunelles.


Or Jésus, celui-là qui chassait le démon
Et qui, s’étant assis au bord de la fontaine,
But dans l’urne de grès de la Samaritaine,
Soupait ce même soir au logis de Simon.

Vers ce foyer, ce toit fumant entre les branches,
Magdeleine tendit humble ses belles mains,
Et l’on aurait pu voir des pensers plus qu’humains
Voltiger sur son front comme des ailes blanches.

On ne sait quoi de pur embellit sa beauté ;
Ses regards au ciel bleu creusaient un clair sillage,
Et ses longs cils mouillés étaient comme un feuillage
Dans du soleil, après la pluie, un jour d’été.

Celle de Magdala sourit dans Béthanie.
Elle alla vers Jésus qu’on a nommé le Christ,
Et parfuma ses pieds ainsi qu’il est écrit.
Et la terre connut la tendresse infinie.




LA DANSE DES MORTS


Dans les siècles de foi, surtout dans les derniers,
La grand’ danse macabre était fréquemment peinte
Au vélin des missels comme aux murs des charniers.