Discussion:Lucie (Sand)
Critiques[modifier]
- Jules Janin ne voit dans la pièce qu’une pâle et mal ficelée copie du frère et la soeur de Goethe [1]
- 1/3/1856 Le Journal des coiffeurs : publication des coiffeurs réunis [2]
George Sand vient de préluder à cette importante tentative par un acte joué au GYMNASE DRAMATIQUE la semaine dernière sous le titre de Lucie. L’auteur du Mariage de Victorine, de Claudie, du Démon du Foyer, de tant de pièces originales et intéressantes, semble avoir voulu prouver qu’il savait au besoin aborder tous les genres, même le genre vulgaire et romanesquement sentimental : -- Adrien a été éloigné de son Père par les manoeuvres d’une servante despote. Quand il revient au château, paternel, après la mort de l’auteur de ses jours, il ne trouve plus pour tout héritage que des murs en ruine, habités par la servante en question ; sa jeune fille Lucie et le garde-chasse Daniel. La servante une fois chassée, Adrien - voudrait aussi chasser Lucie ; mais l’ami d’Adrien, un Anglais flegmatique, intercède pour elle ; et puis d’ailleurs la naïve enfant est si charmante, qu’Adrien, serait presque tenté de la reconnaître pour sa soeur. À quoi bon ? Adrien ne peut rien faire pour Lucie ; son père ne lui a laissé, comme on dit, que les yeux pour pleurer, et l’infortuné jeune homme va se voir forcé de s’engager dans la marine pour gagner son pain. Heureusement, Daniel est attendri par cette situation ; il révèle, au risque de donner une triste idée de sa délicatesse ; qu’il a volé 300,000 fr. en billets de banque, qui composaient l’avoir que le châtelain a laissé en mourant ; il confesse en outre que, vingt ans auparavant, il a substitué sa propre fille à la fille naturelle du père d’Adrien, morte en naissant, afin d’assurer à son enfant, à lui Daniel, une éducation et une fortune. Ô bonheur! Lucie n’est plus la soeur d’Adrien. Elle est pauvre, il est si doux d’enrichir ce qu’on aime, comme on chanterait à l’Opéra-Comique ; malgré le calme désespoir de Stephens, l’anglais amoureux, il faudra bien que Lucie épouse Adrien, ainsi que le veulent les lois éternelles du Gymnase. La finesse des détails, le prestige du style, l’adresse et l’habileté des comédiens : MM. Lesueur, Dupuis et Mademoiselle Laurentine, ne suffisent point pour donner de l’intérêt à cette comédie dépourvue d’invention. Si elle garde quelque temps une place sur l’affiche, ce sera grâce au talent des acteurs et aux deux jolies pièces dont elle restera flanquée : Je dîne chez ma mère et l’amusante boutade qu’on appelle le Camp des Bourgeoises.
- 1/3/1856 : Le Journal amusant : journal illustré,… [3]
Le résumé est inexact dans les détails.
THÉÂTRES.
Le petit acte que madame George Sand vient de donner au Gymnase réunit des qualités bien diverses : il est spirituel et il est prétentieux ; il commence comme un drame émouvant et il finit comme un ôpéra-comique ; il est joli de style et il est pauvre d’invention ; le point de départ est simple et le dénoûment se contourne en berquinade ultra-romanesque.
Madame George Sand a brillamment habillé une fable assez commune qui, après ; des promesses charmantes, aboutit à un dénoûment vulgaire.
Voici l’exhibition des personnages de Lucie en forme de musée de Curtius.
Ceci vous représente un vieux serviteur madré et sentimental qui vole trois cent mille francs à un vieillard mourant, pour en faire cadeau à une jeune donzelle que le vieillard a pris toute sa vie pour la sienne propre, et qui n’est que l’enfant du vieil écornifleur.
Au dénoûnent, vous verrez ce modèle de l’amour paternel rongé de remords qui restituera l’argent qu’il a chipé.
Ceci vous représente un Américain flegmatique qui passe son temps à répéter sur le ton le plus froid, le plus tranquille du monde, qu’il est dévoré de passions impétueuses, qu’il n’a jamais pu supporter d’obstacles à ses désirs ; qui demande à une femme son cœur comme il lui demanderait un bouillon, et qui rappelle beaucoup certain baron de l’opéra-comique d’Emma (poëme… n’en parlons pas, musique de M. Auber).
Ceci vous représente un amoureux. Il n’en a pas l’air, mais c’est un amoureux. En arrivant au château du défunt, il trouve l’héritage escamoté. Adrien chasse tout le monde du logis… excepté Lucie… Elle est si gentille, si douce… Mais n’empiétons pas, passons à Lucie.
Ceci vous représente une jeune fille innocente, taillée sur le patron de tous les anges en jupon qu’on montre sur le théâtre. La pauvrette se croit la fille naturelle d’une servante qui a été pendant vingt ans la maîtresse du vieux châtelain, lequel a éloigné de lui son fils Adrien pour mieux se mettre sous la tutelle de ses domestiques mâles et femelles.
Voici donc Adrien pauvre et Lucie qui le plaint. Bientôt la plus vive sympathie unit les deux jeunes gens… Mais Adrien, qui sait ce que c’est que la panne et la rafale, veut s’engager dans la marine. Lucie pleure, le vieux garde-chasse s’attendrit. Il est agité, ému, il médite quelque grand projet… Enfin il tire d’une valise un portefeuille. Il va le placer dans la chambre d’Adrien. Ce portefeuille, c’est l’héritage du jeune homme.
Explication. Le garde-chasse avait autrefois substitué sa propre fille à l’enfant du vieux baron, morte en naissant, pour enrichir tout simplement sa progéniture. Cet héritage filouté, il le destinait à Lucie. Mais il l’a rendu. Alors l’Américain prétend enlever Lucie et l’épouser ; mais du moment qu’elle n’est pas la sœur d’Adrien, le petit monsieur garde Lucie pour lui.
Signé d’un nom moins glorieux que celui de George Sand, ce vaudeville sans couplets eût été beaucoup vanté. Il est certain que nous connaissons peu de vaudevilles écrits de ce style charmant et où l’on trouve cette délicatesse de pensées et de sentiment. On eût tenu compte à un auteur ordinaire d’un mérite auquel madame Sand nous à habitué ; Avec l’auteur du Champy et de Victorine on est plus sévère et on a raison.
C’est Dupuis, Lesueur et mademoiselle Laurentine qui ont servi l’œuvre de l’illustre écrivain avec ce brio, cette sûreté d’exécution, ce charme, cette vérité, qu’on ne rencontre à l’état d’ensemble nulle part ailleurs qu’au Gymnase. Rendons-en grâce au directeur Montigny, le Gymnase va de pair avec la Comédie française.
- Des similitudes avec le Roman La Filleule, le thème de la servante-maîtresse qui fait renvoyer de la maison le fils légitime, le prénom de Stéphen (le parrain d’un côté et le l’américain de l’autre).