Discussion:Théâtre complet de George Sand
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VARIÉTÉS.
Théâtre de George Sand. (Trois volumes. Paris, 1860.)
Cette publication n'est pas complète, il y
manque un certain nombre de pièces, Molière,
les Vacances de Pandolphe, Marguerite
de Sainte-Gemme, et notamment Cosima ou
la Haine dan l'amour, qui fut le coup d'essai
de George SandErreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. au théâtre. On jugea autrefois
que ce n'était point un coup de maître,
et sans doute l'auteur s'est rendu depuis
à cette opinion, puisqu'il n'a pas tenté de
soumettre à l'épreuve de la lecture ce que la
représentation avait condamné. Proscrite
dès sa naissance par le public, et,
ce qui semble plus amer encore, désavouée
après sa chute par son auteur, la pauvre
Cosima aura donc connu toutes les disgrâces,
épuisé toutes les infortunes. Tand de
malheur prouve du moins qu'un écrivain,
même qui a de l'amour-propre, peut revenir
sur ses pas, quand il reconnait qu'il s'est
trompé, et faire à l'opinion un sacrifice nécessaire.
Cosima était une victime bien choisie,
et digne d'être offerte aux dieux inferanux de
la critique ; mais, si bien choisie qu'elle fût,
de pareilles immolations, surtout accomplies
...
...
VARIÉTÉS.
Théâtre de George Sand. (Trois volumes. Paris, 1860.)
(Deuxième article.)
Au premier abord, et sans rien préjuger, il semble qu'il n'y ait point de qualités plus opposées au vrai géniedramatique que celles dont nous avons fait l'analyse en parlant des romans de George Sand. Le théâtre en effet n'aime point les passions dominantes, exclusives, uniques. L'effet ne s'y produit que par l'opposition, par la lutte des sentimens entre eux; et toute pièce bien conçue est au moins un duel. Celles qu'une seule passion envahit et où un seul caractère règne sans partage ont du moins besoin qu'uneintriguetrès accidentée en soutienne, on renouvelle l'intérêt. Les obstacles que doit vaiacre cette passion dominante pour triompher ne viennent plus alors des passions rivales qui la combattent, mais des accidens, des hasards qui l'entravent. Je m'explique Un héros de théâtre est amoureux, mais il est ambitieux en même temps, et le but que se propose son ambition est justement l'opposé du but que se propose son amour qui sera vainqueur, l'amour ou l'ambition? Voilà une pièce. En voici une autre Un homme est amoureux, mais il a un rival, et l'objet auquel ils s'adressent l'un et l'autre a un cœur qui balance entre les deux; alors ils font assaut d'esprit, de grâce, de mérite; qui l'emportera? Enfin,, en voici une troisième Notre amoureux qui n'a que son amour en tête, et point de passion contraire qui le retienne, pas de rival qui le gêne, serait heureux tout de suite, si quelque épée de Damoclès ne se trouvait suspendue sur sa tête. Il y en a beaucoup, dans la vie, des épées de Damoclès un voyage, une ruine, une mort, que saisje ? Et comment tout cela finira-t-il? Epousera-t-il enfin ou n'épousera-t-il pas? Et dans les trois cas que devient, je vous prie, la simplicité de moyens qui fait le charme des romans de George Sand et que l'auteur de Françoise essaie d'imposer comme une règle au théâtre ? Ou deux passions, ou deux héros, ou les hasards d'une intrigue compliquée, il faut choisir mais il n'y a guère de quatrième parti à prendre du moins pour un auteur qui recherche le succès, car le public, qui n'a que deux ou trois heures pour être ému, réclame des émotions violentes et beaucoup d'émotions à la fois. Le talent de George Sand, porté au développement large, à l'analyse consciencieuse qui suit le cours naturel des événemens et des passions, se trouve bien mal à l'aise devant de pareilles exigences. Il lui ~I est défendu ici de prendre ses coudées fran- ches, car une des grandes passions ordinaires de l'auteur de Mauprat demanderait douze ou quinze actes pour être traitée. Que fait-il alors? Obligé de subir ces servitudes, et jaloux cependant de rester luimême autant que possible, il diminue son sujet, il circonscrit sa tâche; au lieu d'une passion capitale, au liea d'un bel amour bien franc et bien net comme celui des Indiana, des Valentine et des Mauprat, il ne prend plus qu'une nuance d'amour et comme un reflet de passion. Et sur cet objet ainsi atténué il travaille, il étudie, il dissèque; il abstrait avec une infinie délicatesse la quintescence de toutes ces passions amoindries; il raffine avec une pénétrante subtilité les analyses les plus minces et les plus extrêmes. C'est fin, ténu, déli-,cat, précieusement observé, détaillé avec des ressources incroyables d'imagination et d'adresse. Combien de scènes pourrait-on citer à l'appui de ce dire dans Maître Favilla, le Démon du foyer, Flaminio, et même dans les pièces paysannes, Claudie et François le Champi 1 Quelquefois cette subtilité devient même un peu sophistique; au lieu d'éloquence passionnée, nous avons de temps en temps un ton de galanterie romanesque, et souvent, au lieu de passions vivantes et agissantes, de pures abstractions. La logique de l'esprit, qui est fort brillante, remplace celle du cœur, et une argume tation.' serrée supplée à la chaleur véritable. 4jors nous voyons les héros de George Sand analyser eux-mêmes leurs sentimens, et en parler comme des gens qui en sont revenus, lesdtecuter comme pourraient le faire des témoins indifférens autour d'eux. Ecoutez {/krôtValentin dans le Pressoir: La scène est viobnte; c'est un homme instillé, provoqué pârîon ami qui s'exprime de cette façon
« Oui, vous êtes faible, parce que vous êtes » injuste, et en ce moment je suis plus fort » que vous parce que je suis sincère. Pierre, » il est temps que je vous dise ta vérité, » parce qu'elle me frappe moi-même Vous » voulez faire le maîtee et rien de plus, vous » n'aimez pas! Il y a quelquefois des pas» sions sans amour. Ses amitiés sans ten» dresse, des libéralités sans dévouement. » Regardez en vous-même, vous y verrez » que l'orgueil est près de corrompre ce » noble cœur que Dieu vous avait donné. » Vous n'aimez pas cette jeune fille, je vous » le dis, puisque Vidée de son bonheur par un » autre vous révolte et vous offense. Vous ai» mez mal votre ami, puisque son bonheur » à lui ne vous consolerait pas de la perte » du vôtre. Vous n'êtes dévoué à personne, » puisque la pensée de vous oublier pour » quelqu'un ne vous est seulementpas venue. » Plus heureux et plus fier que vous, je sens » encore en moi toutes les forces du dé» vouement. L'homme est faible, et je » ne suis pas plus fort qu'un autre mais » j'avais pour moi la vraie religion du » cœur » Voilà un beau sermon, et c'est un ouvrier qui le fait, et on en trouve un certain nombre comme celui-là dans le Théâtre de George Sand. Du moins l'auteur est resté fidèle à ses goûts et à son talent; nous avions tout à l'heure des romans psychologiques, nous avons maintenant un théâtre psychologique, ou plutôt un vrai traité métaphysique des sentimens. On souffre du voir ua talent si spontané se débattre dans les entraves du théâtre. C'en est fait, le fleuve est endigué, canalisé; ce n'est plus qu'un bassin, resserré de tous côtés par des quais factices, par des constructions ridicules, où l'art n'a rien à espérer. Si vous saviez ce que deviennent au théâtre les belles héroïnes de George Sand si. vous saviez ce qu'en a fait un besoin de moralité qui est légitime, je ne dis pas non, mais auquel certains auteurs ne sauraient céder sans s'anéantir eux-mêmes. La moralité des romans de George Sand a été très discutée, et je n'ai point l'intention d'aborder, après tant de moralistes convaincus; un sujet où les personnes tolérantes apportent naturellement trop d'indulgence, mais George Sand s'est bien puni de ses romans par son théâtre. Voilà des pièces qu'on n'accusera point d'être immorales; voilà des drames honnêtes, des comédies inoffensives; et certes, tout compté, l'auteur est maintenant en retour. Où sont-elles ces héroïnes si coupables et pourtant si charmantes qui ne savaient que vivre d'amour ou en mourir? Indania, Valentine, Lucrezia, Geneviève, et tant d'autres, qui pour être moins coupables, ne sont pas moins sympathiques? Où est-elle, la gentille Lowe? où est-elle, la vaillante Edmée? où est-elle, l'adorable Consuelo? A la place de ces figures si animées, si vivantes, nous avons des visages pâles, des faces ternes, des grisailles, la Madeleine du Champi, la Victorine de Sedaine, lady Melvil, et Françoise, encore aimables, je le veux, et dignes d'être aimées, mais qui n'ont guère envie qu'on .les aime. Elles vous regardent toutes en dessous, avec leurs yeux baissés, et ont l'air de vous dire, comme la Viriate du grand Corneille
Vous savez que l'amour n'est pas ce qui me presse. En vérité, on le voit bien.
C'est là que George Sand est hors de son vrai talent; c'est là que le créateur de tant de passions violentes se manque à luimême. 11 faut s'empresser de dire qu'il y a là un parli pris, un dessein arrêté, et que ces pièces hautement morales, cette philosophie sentimentale, ce théâtre métaphysique enfin est précisément ce que George Sand a voulu faire. Mais le théâtre ne vit guère de psychologie abstraite, et les passions qu'on y représente ou qu'on y étudie veulent s'y incarner dans quelques figures précises, dans quelques types vivans. Au moins faut-il que la rapidité de l'intrigue, l'habileté de l'action, la force des sentimens supplée à la faiblesso et à l'indécision des caractères, au peu de relief des personnages. Malheureusement, nous l'avons dit, George Sand s'est également fait une loi de la simplicité des moyens, delà pauvreté des ressources, de la rareté des situations. Or la conscience ne suffit pas au Ihéâtre. C'est en vain que l'auteur écrit dans la préface de François ïe Champi « Il faudrait s'enten» dre sur ce mot d'habileté. Si c'est de faire » avaler au public une situation fausse et » des résolutions incompatibles avec le ca» ractère des personnages, en vue d'un effet » heureux, l'habileté n'est pas grande. En » toutes choses, dans l'art comme dans la vie, n dès que l'on se débarrasse delà conscience, » on simplifie beaucoup les questions. » Cela est fort bien dit mais le public, qui ne raffine point sur l'art, aimera toujours !os coups de théâtre et savourera toujours, plus que les finesses de l'analyse la plus déliée, « ce rapide moment d'une conjoncture imprévue», comme dit Bossuet dans une oraison funèbre. Le public n'a point tout à fait tort, attendu qu'une pièce de théâtre, par sa brièveté même, est condamnée à n'être jamais que la condensation d'un sentiment comprimé qui se trahit par des éruptions soudaines et aboutit à une sorte d'explosion finale. Toute pièce de théâtre est une crise, et c'est pourquoi le régime de la psychologie ordinaire n'y suffit point. La logique est excellente mais, dit La Rochefoucauld, « les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours »; et il y a bien peu de passions dans les comédies ou les drames de George Sand.
On n'y rencontre guère plus de caractères, car des personnages ne sont point, à proprement parler, des caractères. De personnages d'ailleurs, George Sand n'en a qu'un seul, et c'est le héros amoureux de ses romaris. Ici comme ailleurs, il se subdivise en deux types principaux le paysan et l'artiste, que l'auteur de François le Champi et de 31aMre Favilla chérit particulièrement, et dont il a prétendu composer un double idéal d'honnêteté, de vertu, de perfection. « Le » public, dit George Sand dans la préface de » Maître Favilla, semble cette fois m'avoir » entièrement pardonné l'ingénuité peut» être un peu surannée qui me porte à » croire que les bonnes natures et les géné» reuses actions ne sont pas des fantaisies » insupportables. Une seule critique m'a af» fligé dans ma vie d'artiste c'est celle qui » qui me reprochait de rêver des personna» ges trop aimans, trop dévoués, trop ver» lueux, c'était le mot qui frappait mes oreil» les consternées. Etquandjeravaisentendu, » je revenais, me demandant si j'étais le » bon et l'absurde don Quichotte, incapable
» de voir la vie réelle et condamné à cares» ser toiît seul des illusions trop douces pour » être vraies. Et, dans cette incertitude-là, » ce n'est pas l'orgueil de l'artiste qui » souffre, c'est sa croyance, c'est sa meil» leure aspiration qui se révolte contre le » doute. S'entendre dire que le sentiment » de l'idéal est une lubie, c'est vraiment » cruel pour ceux qui sentent l'amitié, l'ab» négation et le désintéressement naturels et » possibles, » Non, le sentiment de l'idéal n'est point une lubie; non, rien dans la vertu n'est essentiellement contraire à la nature de l'homme; mais il est fâcheux de voir incarner le bien, le beau, l'honnête, précisément dans deux types extraordinaires, excentriques, comme François le Champi et Maître Favilla. L'auleur, en prenant ses modèles si loin de la vie commune, va presque à l'opposé de son but et semble prouver que cet idéal de bonté et de vertu, si aimé, si caressé, si vanté, n'est que la plus rare et la plus fugitive exception. D'ailleurs le bien n'est pas seul à régner sur la terre, l'honnête homme n'est point en possession du monde; à côté de lui, le méchant vit et prospère, et il faut 'tenir compte de cette prospérité. Rien n'est plus légitime que la création du traître dans le théâtre contemporain, et c'est le traître que George Sand a trop négligé. Si ses comédies étaient réellement des comédies, faites pour exciter le rire, on ne s'en plaindrait point, car la comédie se passe bien dès trahisons; mais elles sont toutes de petits drames où la passion tourne immédiatement au sérieux, et où l'étude de quelques petits vices ne serait point déplacée. George Sand s'excuse modestement de cette omission en disant que le bien est plus facile à peindre que le mal. La vérité est que le bien convient mieux à son pinceau délicat mais autrement il est bien plus difficile à démêler et à peindre, parce qu'il est unique. Il y a mille faces, mille variétés du mal, il n'y en a qu'une du bien. Monotone quelquefois par cela même, la vertu, au théâtre, a besoin d'emprunter de l'éclat t aux vices qui l'environnent, et de briller, grâce à ce voisinage, dans une solitude où on serait exposé à ne point l'apercevoir. François le Champi et Maître Favilla, dont Claudie et Flaminio ne semblent être que des éditions doubles, n'en demeurent pas moins les deux pièces les plus intéressantes du théâtre de George Sand, parce que les deux types favoris de l'auleur y apparaissent plus arrêtés, plus complets, parce que sa sensibilité s'y est donné plus de carrière parce que la passion enfin, qui est tout George Sand, s'y développe avec plus de naturel et plus de liberté.
On trouve dans Françoise un autre type sur lequel je voudrais insister, parce que George Sand l'a repris plusieurs fois, surtout dans ses romans, et qu'il semble exciter chez son auteur une pitié plus que littéraire c'est Henri de Trégenec. Voici comment George Sand le dépeint dans sa préface « II n'était » ni scélérat ni odieux; il était souvent » aimable et bon, sa conduite n'était pas » volontairement lâche; aussi on le plai» gnait, on se dévouait à lui. Il n'abù» sait pas sciemment de cette pilié, il la » repoussait, il en avait peur. Il n'avait » ni le courage de l'accepter, ni celui de » s'en passer; une soif avide de bonheur le » rendait malheureux il avait des remords » stériles, des élans de cœurimpuissans.» Vous l'avez reconnu c'est le Laurent A' Elle et Lui, c'est le Raymond d'Indiana. Et pour qu'on ne s'y trompe point, l'auteur a eu soin de placer en regard son consolateur ordinaire, M. de La Hyonnais, taillé sur le patron des Ralph et des Palmêr, un monsieur sec, froid, pédant, né pour profiter des faiblesses et des malheurs d'autrui, le plus ennuyeux des hommes. Et entre les deux une héroïne un peu vieillote, comme Thérèse et Françoise. Françoise a vingtquatre ans, Thérèse en avait vingt-huit ou vingt-neuf, l'âge des mariages de raison aussi se décident elles également pour les La Hyonnais et les Palmer. Or ce caractère étrange de Raymond, de Laureut et de Trégenec a entraîné George Sand dans une curieuse contradiction dont on suit la trace à travers tous ses romans et tout son théâtre. « Cette âme expansive et légère, tour à tour ardente et froide, éprise du vrai et du faux, » qu'est-ce autre chose que l'âme même de cet éternel artiste qu'elle a chanté, glorifié, divinisé sous tant de noms divers, et qui semble être en effet le dieu de son œuvre tout entière? Artiste, George Sand a loué l'artiste jusque dans ses fautes, donné à l'artiste le beau rôle, pardonné tout à sa supériorité; et voici maintenant qu'elle rabaisse ce même personnage au niveau des plus vulgaires natures. Oublieux de la grandeur qu'il lui a donné, du piédestal où il l'a mis, l'écrivain se plaît à le dépouiller de son tilre d'artiste pour l'en faire descendre, pour l'humilier a plaisir, tant il est vrai que le parti pris le plus décidé cède parfois aux ressentimens de souffrances intimes où la littérature n'a rien à voir, et qu'une vengeance quelquefois involontaire anéantit d'un seul coup l'idéal le plus aimé de l'écrivain.
Nous avons examiné dans les pièces de George Sand les passions principales et les caractères les plus importans reste le style qui semble n'avoir pas de raison pour être moins parfait que celui des romans. Il l'est pourtant, ou, pour être plus juste, le style, dramatique de George Sand n'a pas l'ampleur de son slyle romanesque, il ne peut pas l'avoir. Ce serait un curieux paradoxe que celui-ci, à savoir qu'il n'y a point de véritable style au théâtre, du moins dans les ouvrages en prose; car il faut rendre à ces pauvres verssi méprisés céquiJeur appartient. Cequi est certain, c'est qui* le langagedu théâtre chez les auteurs qui n'ont pas un tempérament fait exprès pour la scène est toujours un langage de convention; il ne saurait avoir la complète vérité de la con-. versation et il en a l'humilité relative. Les mille transitions imperceptibles qui lui donnent le vrai naturel y manquent presque nécessairement. Les tours, gênés par la nécessité de la riposte, y sont des à-peu-près, des équivalens, des pis-allers. La fatale concentration du dialogue vers l'objet de la pièce lui font perdre toute alhire franche et naïve; étriqué forcément, il trahit immédiatement sa maigreur et sa gêne par l'absenee de description, de fantaisie, de liberté. L'auteur n'est plus lui-même et ne peut parler que la langue d'autrai. Ses idées, qu'il les supprime, ses impressions, qu'il. !es retranche il ne peut réussir qu'en s'anéantissant lai-mêine qu'en abdiquant
toute personnalité. Où sont, dans Sri art ainsi réduit, ces beaux paysages de George Sand, où se trahit vraiment l'âme de l'artiste? « Quand j'ai vu l'endroit si changé, la moitié des arbres coupée le moulin qui a perdu la parole et la roue toute prise dans la glace. je me suis dit Voilà une maison qui va à sa ruine; une meule qui n'a plus de grain. plus de chevaline au pré. plus de volature dans la cour, ça ne va plus! ça ne va plus! et il est grand temps que j'arrive. » C'est tout ce que le pauvre Champi peut dire et peindre c'est tout ce que George Sand a pu mettre de son cher Berry dans sa pièce, et pourtant ces quelques lignes sont remarquables. Si vous désirez le reste, et vous le désirez, ouvrez le roman.
Voilà, ce semble, bien des critiques» elles se réduisent pourtant à une seule, très humble et très sincère, comme on le doit à un grand talent c'est que le théâtre de George Sand, comparé à ses romans, n'en est qu'un diminutif. Et, qu'on y prenne garde, le reproche s'adresse peut-être plus au genre qu'à l'auteur lui-même. Le théâtre, en effet, surtout avec le peu de liberté que le goût français luipermet, est souventl'écueil desgrands talens. Il faut, pour y réussir, certaines facultés spéciales qui réclament presque l'anéantissement des facultés contraires et deux ou trois exemples fameux, qui sont des exceptions ne serviraient qu'à confirmer la règle. Le théâtre, par son essence même, amoindrit, confisque l'originalité lyrique d'un écrivain. La grande et unique passion dont George Sand excelle à peindre les violences et surtout à analyser les délicatesses, c'est-à-dire l'amour, l'amour presque fatal, indomptable et satisfait, n'y trouve guère sa place, il est obligé de la céder à la morale, en même temps que la puissance de description dont l'écrivain est doué disparaît presque complètement dans le dialogue. L'impression qui en résulte est celle que produit une œuvre terne, effacée, mais cu- rieuse encore et semblable à une belle gri- saille.
Aussibien n'est-il pas juste d'opposer ainsi h un auteur contemporain les œuvres supérieures qui l'ont illustré; et le théâtre de George Sand, quand on consent à le regarder séparément, conserve une incontestable valeur. La psychologie dont il est plein, si elle n'est pas fort dramatique, fait du moins pénétrer des enseignemens très salutaires dans les hautes régions de l'âme. Il s'exhale de cet ensemble moral et philosophique une odeur de vertu, un goût d'honnêteté dont on peut s'étonner, mais dont on aurait mauvaise grâce à se plaindre. Encore, sur ce terrain même, l'écrivain n'a-t-il pu que planter quelques jalons, car le théâtre écourte la philosophie comme tout le reste, et, par exemple, la belle figure du bonhomme Patience, si grande dans le roman de Mauprat, a du singulièrement se rapetisser dans le drame. Ce que l'auteur a pu conserver de ses larges conceptions romanesques suffit à faire briller les mérites d'un style amoindri, mais toujours charmant, toujours pur, et c'est à ce point de vue ou'il est juste d'apprécier le théâtre de Geôrge' Sand. Il restera comme une curieuse tentative de réforme qui n'a point complètement réas&i, mais qui, en donnant l'éveil aux esprits et* en les mettant en goût, a commencé l'heureuse réaction littéraire qui s'annonce depuis quelques années. Une chose certaine, c'est (j'ue si l'on applaudit pins volontiers aujourd'hui tout ce qui a une apparence de littérature et quelque prétentiorf au style, George Sand a beaircoup contribué à cette petite révolution.
Ce qui a 'empêçtté cet essai de théâtre psychologique^ et de ̃'créations' purement idéalesjde complètement réussir, c'est que la prerhière condition des rnavres clramatiques c'est la vie, et que les personnages de George .Sand manquent de vie. Qu'est-ce que vivre pour un personnage de théâtre? On ne sait. Quel est ce-secret de l'existence "imaginaire aussi mystérieux que le secret de l'existence réelle? On l'ignore. Les héros de Shakspearc disent et font parfois des choses bien extraordinaires, bien en diîiors du possible, ils vivent cependant, même les plus fan tas-"tiques depuis le premier jusqu'au dernier. Au contraire, ces types de la soi-
disant école réaliste ncr hasardent pas un mot que n'ait prononcé le personnage réel sur lequel on les a copiés. Tout ce qu'ils disent a été dit, tout ce qu'ils font a été fait; malgré cela, aucun n'est vivant; ils n'ont qu'une existence manuscrite. Malgré leur factice relief, ils ressemblent à des soldats de plomb soudés sur une surface plane. Les personnages de George Sand n'ont point tant de sécheresse; en supposant qu'ils manquent parfois de relief, ils possèdent du moins une certaine grâce idéale qui repose des couleurs criardes du théâtre contemporain. Et parmi eux l'on rencontre quelques figures charmantes, le Champi, Claudie, Maître Favilla, qui se détachent à travers la métaphysique de l'écrivain, comme ces ombres vaporeuses que Virgile fait passer dans le brouillard des Champs-Elysées. Celles-ci ont dû le jour à cette fantaisie gracieuse dont une fée semble avoirdotéGeorgeSand, et qui règne souverainement dans le Comme il vous plaira de Shakspearc que George Sand a traduit. Ici elle se mêle trop souvent aux intrigues sentimentales de la comédie bourgeoise tellequela pratiquèrent surtoutDestouches et Sedaine. George Sand reconnaît ce dernier pour son maître, et il est certain que tout le théâtre de George Sandf comédies, drames et pièces romanesques, vit de ce pathétique doux qui fait l'agrément de Sedaine. Ce sont des pièces qu'on ne sait comment prendre, des pièces entre le rire et les larmes, dont l'impression demeure un peu vague, comme le genre, et qu'on rangerait difficilement dans une catégorie. On y retrouve d'ailleurs le charme légèrement convenu de Sedaine, sa grâce attendrissante, et 'surtout cet esprit très fin qui vise à la naïveté. » Est-ce que c'est gai d'être toujours triste? » dit Mariette dans François le Champi. « Si cet homme n'était pas fou, il ne serait pas sot, dit Keller dans Maître Favilla, et voilà la simplicité de la 6ageure imprévue, la bonhomie du Philosophe sans le savoir. Si plaisante qu'en soit la tournure, n'y a-t-il pas trop de modestie à se faire l'élève de Sedaine, quand on s'appelle George Sand, à ressusciter ce théâtre platonique, quand on est l'auteur de Valenline et à Indiana?
A. CLAVEAU.
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