Discussion Auteur:Colette Yver
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Sa vie
[modifier]Le Monstre enchaîné Cette maladie terrible, La Tuberculose serait-elle enfin vaincue ? Sous le titre le Monstre enchaîné, Mme Colette Yver, qui s’est consacrée avec un parfait dévouement aux œuvres de lutte contre cette maladie, montre dans un grand article des Lectures pour Tous d’avril que les tuberculeux peuvent être guéris sans conteste si leur entourage et les médecins ne montrent aucune négligence dès le début.
- Carole LÉCUYER, Une nouvelle figure de la jeune fille sous la IIIe République : l'étudiante [3] : "Les Cahiers de la République des Lettres, des Sciences et des Arts, n° 2. Colette Yver a écrit de nombreux romans sur les étudiantes : Les Cervelines, Les Dames du Palais, Femmes d'aujourd'hui, Princesses de sciences. Elle en dresse des portraits péjoratifs."
- Michel MANSON, Colette Yver, une jeune auteure pour la jeunesse de 1892 à 1900
- Guy Thuillier, madame sous chef par Colette Yver. Elle aurait épousé son éditeur [4]
- Légion d'honneur [5]
- Décès de son époux : Journal des débats…
Nous apprenons la mort de M. Auguste Huzard, mari de Mme Colette. Yver, décédé à Rouen à la suite d'une longue et cruelle maladie. M. Huzard était l'auteur de traductions appréciées.
Mme Colette Yver, la romancière de Princesses de Sciences, Les Cervelines, Les Dames du palais, a parlé hier, aux Amis des Lettres, de la femme d’aujourd'hui dans le mariage.
Mme Colette Yver, contrairement à beaucoup d'écrivains d’aujourd’hui, ne fulmine pas contre la jeune fille moderne, celle qui a pris son bachot, qui fait du sport, qui fait même couper ses cheveux à la garçonne, qui n’a plus besoin de sa gouvernante pour traverser la rue ; Mme Colette Yver est remplie d’indulgence et de sympathie pour cet être nouveau, si différent de ce qu’étaient les jeunes filles de jadis. L’aimable conférencière pense que ce petit être là vaut bien celui d’hier, que nous autres hommes n’y perdons rien, et que nous trouverons dans cette jeune fille la charmante petite compagne de tous les temps.
Certes, elle a tort, cette jeune fille, de ne plus savoir comme autrefois s’occuper de sa cuisine, surveiller ses fourneaux et préparer à son mari une bonne chère. Mais la cuisine, dit Mme Yver, « nous avons ça dans le sang » ; la jeune fille moderne est habituée à se débrouiller dans toutes les circonstances : même sans savoir, elle se tirerait d’affaire devant le fourneau ; elle a des qualités d’improvisation qui sont précieuses.
Et il y a chez elle, comme chez celle de tous les temps, des sentiments éternels qui feront toujours de n'importe quelle jeune fille une femme digne de l’homme qui a mis en elle sa confiance. « La jeune fille moderne, dit en terminant Mme Colette Yver, je l’attends au chevet de son premier berceau ». — p.
- Revue française politique et littéraire, 15 décembre 1907 [8]
Mme Colette Yver
Le jury féminin qui, chaque année, décerne à l'auteur du livre qu'il estime le meilleur, le prix de la Vie Heureuse, a, cette fois, par 10 voix sur 15, fixé son choix sur Mme Colette Yver, pour son volume Princesses de Science. Cette décision ratifie le jugement porté par le public lettré sur Colette Yver.
La Revue Française aura sans doute occasion de parler de ses ouvrages; notons seulement aujourd'hui quelques menus détails, qui feront connaître l'écrivain dans son intimité.
Mme Colette Yver est née à Segré. Ses parents allèrent habiter Rouen, alors qu'elle avait cinq ans; elle resta dans la vieille cité normande, jusqu'en 1903. Alors, s'étant mariée,Mme Colette Yver vint à Paris. Elle n'y devait point séjourner longtemps, puisque, l'avant-veille du jour où le prix de la Vie Heureuse allait lui être décerné, elle se retirait à Cléder, une petite ville du Finistère, où elle projette de demeurer des ans et des ans, peut-être toujours. Elle aime, en effet, la Bretagne d'un amour tendre et profond.
Regrettera-t-elle Paris? Elle ne le pense pas. Mais elle regrettera les amis qu'elle y a laissé, et dont elle conserve le plus reconnaissant souvenir, car cette femme de lettres a une qualité peu banale dans le monde des écrivains, elle ne connaît ni l'envie ni l'ingratitude.
Mme Colette Yver commença à écrire à dix-sept ans. Ses débuts furent sans prétention; elle fit des livres de distribution de prix.
On parle souvent des visites répétées dans les bureaux de rédaction ou chez les libraires, auxquelles doivent s'astreindre les jeunes auteurs. Mme Colette Yver les ignora, car ce furent les facteurs qui les firent pour elle; habitant la province, elle se contentait d’envоyer par la poste contes et nouvelles.
Elle avait du talent; qu'elle me permette de penser qu'elle eut aussi de la chance, car ses manuscrits devaient plaire s'ils étaient lus ; encore, fallait-il précisément qu'ils fussent lus, et ils le furent.
En 1900, la Revue pour les jeunes filles publia un roman, La Pension du Sphinx, qui affirmait déjà le talent grave et réfléchi de Mme Colette Yver. Ce furent ensuite Les Cervelines, La Bergerie, puis Comment s'en vont les Reines, et les Princesses de science.
Mme Colette Yver aime les roses, comme tout le monde, dit-elle, quant elle avoue ses préférences pour cette fleur.
Quant à sa distraction favorite, qu'elle ne cache nullement, devinez-la, mesdames, devinez-la, mesdemoiselles !
Faire la cuisine, tout simplement.
Ainsi Mme Colette Yver synthétise la femme moderne éprise d'art et la femme d'autrefois, bonne et simple ménagère, selon le rêve de Chrysale.
- 1922 : habite toujours Cléder [9] Annuaire international des lettres et des arts de langue ou de culture française
- 29 aout 1943, Le Journal, interview par Claude Tilly [10]
Une visite à Colette Yver à Rouen
ROUEN, 27 août. — Quelques avenues poussiéreuses, chaudes et grises, une place, encore une rue en montée raide, et puis, l'église Saint-Gervais, sur la hauteur, à l'ouest de la bonne ville de Rouen.
La rue Chasselièvre débouche là, avec ses grilles provinciales, ses murs discrets, ses fenêtres closes, ses rideaux bien tirés. Une vigne vierge ondule ses pampres au long d'une façade muette. Un chèvrefeuille lance à plein jet son parfum entêtant. Nous voici chez Colette Yver.
Le salon où je pénètre est quiet et frais. Quelques beaux tableaux sur les murs aux tentures citron pâle. Par deux fenêtres grandes ouvertes, un jardin qui se termine en un verger, descend en pente douce.
Colette Yver est petite, toute menue (« Je pèse 43 kilos », m'avouera-t-elle un peu plus tard, « parce que j'ai bien « repris » depuis quelque temps ! ») Elle est vêtue d'une robe noire à la simplicité monacale qu'égaie seulement au col et aux poignets une dentelle blanche. Des bandeaux blancs encadrent un beau front, au-dessus de deux yeux d'un bleu si clair, si limpide, des yeux tout à la fois juvéniles et compréhensibles qui, infailliblement, suggèrent l'expression : « Miroir de l'âme ».
Une autre dame, plus âgée, est entrée, suivie d'une exquise jeune fille brune. « Ma sœur, ma nièce », présente Colette Yver.
Tandis que le thé fleure bon dans les tasses fines, je confesse mon hôtesse :
— Vous avez dû commencer à écrire très jeune ! dis-je à l'auteur de Princesse de science, Les Dames du Palais, Métier de Roi, Comment s'en vont les Reines, qui enchantèrent mon adolescence.
— Depuis toujours ! J'avais quatre ans torique « j'inventai » mon premier roman ! Il débutait par ces mots. (vous connaissez la statue de Napoléon, en ville, en face de Saint-Ouen ? Oui, on nous a laissé celle-là)… « L'histoire se passe au moyen âge… Dans la cour du château fort, il y avait une statue de Napoléon. » Vous voyez que j'appréciais déjà les précisions historiques !
— Et… après ce premier essai ?
— J'avais 17 ans lorsque fut publié mon premier ouvrage.
— Et, dès le début, vous étiez féministe ?
— Comment ne pas l'être, lorsqu'on est une femme, et qu'on a un cerveau et un coeur ? Les femmes ont fait du chemin depuis.
— Grâce à vous !
— Vous êtes gentille de le dire !
— Avez-vous quelque ouvrage en route ?
— Madame Sous-Chef vient de sortir, peut-être le saviez vous ?
— Oui. J'avais souscrit pour un exemplaire, mais ne l'ai point encore reçu…
— Les éditeurs rencontrent de telles difficultés, en ce moment ! surtout pour les beaux papiers !… J'ai aussi un Saint Louis.
- Chez l'éditeur qui avait déjà sorti votre Marguerite-Marie messagère du Christ.
— Je vois que vous êtes très au courant. Et puis va paraître La bourgeoise et le Croisé, qui est un tableau de la vie quotidienne au XIIIe siècle, sous le bon roi Louis IX. J'ai usé, pour l'écrire, du langage de l'époque, celui de Joinville et des autres chroniqueurs…
— Quel travail, pour l'assimiler au point de vous en servir couramment !
— Travail intéressant, en tout cas !
— J'admire que vous réussisiez à vous absorber ainsi, malgré les nombreux soucis que vous causent vos prisonniers, vos tuberculeux ! Oh oui ! je sais, je sais, on m'a beaucoup parlé de la Bonne Dame de la rue Chasselièvre ! et dit « quelle Providence vous êtes pour beaucoup ! »
La « Bonne Dame » a rougi, et elle murmure : « N'est ce pas notre devoir d'essayer d'aider… »
— Avez-vous d'autres projets encore ?
— Oui, je vais aussi écrire une histoire de sainte Colette de Carby, ma patronne, qui vécut au XIVe siècle.
La jeune nièce a allumé une cigarette… Nous échangeons des nouvelles, des potins du journalisme et de Paris.
— Et vous, dis-je à la jeune fille, n'êtes-vous pas tentée d'écrire aussi ?
— Tu avais l'intention de commencer un roman, lui dit Colette Yver, tes idées étaient même excellentes !
— Je ne m'en sens plus l'envie, ma tante, rétorque sa nièce, et puis je manquerais sûrement de la persévérance nécessaire !
— Moi qui ne suis que journaliste, j'aimerais être femme de lettres !
— Et moi, complète en souriant la romancière, qui suis une femme de lettres, j'ai toute ma vie rêvé d'être journaliste ! Je l'ai été, d'ailleurs, à un moment donné; oui, j'ai fait un reportage sur le front, pendant la grande guerre… Et maintenant, si vous le voulez bien, je vais vous accompagner.
Quelques minutes plus tard, je longeais à nouveau, en sens inverse, les calmes rues embaumées de fleurs et de fruits du quartier Saint-Gervais, aux côtés d'une petite dame, qui est une grande dame, au fin visage souriant sous son voile de nonne laïque et que, de-ci, de-là, quelque voisin salue très bas.
Claude TILLY.
- UNF. Union nationale des femmes : revue des électrices[11] 1er avril 1953
COLETTE YVER
Féministe (sic) et membre du Comité Femina, la romancière Colette Yver s’est éteinte le 17 mars à Rouen, dans sa 79e année.
Rappelons, d’après Combat, sa carrière littéraire :
Pseudonyme de Mme Huzard, née Antoinette de Bergevin, Colette Yver était née le 28 juillet 1874 à Segrê (Maine-et-Loire).
Après avoir débuté dans les lettres en 1903, avec la « Pension du Sphinx », elle publia les « Cervelines » qui furent un succès. Bientôt suivirent « La Bergerie » et « Comment s’en vont les Reines », que couronnait l’Académie Française. En 1907, la publication de « Princesse de Science » lui valait le Prix Fémina-Vie heureuse.
S’attachant principalement au problème du nouveau rôle au foyer de la femme médecin ou avocat, Colette Yver donnait encore de nombreux romans dont « Un coin du voile », les « Sables mouvants », « Les Dames du Palais », « Le Mystère des béatitudes », « Haudequin de Lyon » (1927), « Vincent ou la solitude » (1928), « Les deux cahiers de Pauline » (1934), « Lettres à un jeune mari » (1930), « Le vote des femmes » (1932), « Le Sacre » (1936).
Hagiographe, elle donnait également : « La Vierge », « Saint-Pierre », « Sainte-Bernadette », « La Vie secrète de Catherine Labouré », ainsi que des essais et critiques ; « L’Église et la femme », « Dans le jardin du féminisme », « Femmes d’aujourd’hui » (1929). Elle avait, de plus, collaboré à « L’Echo de Paris », au « Gaulois » et à « La Liberté ».
La disparition de cette éminente collègue nous émeut profondément, et nous donnerons un souvenir tout particulier à cette pionnière du féminisme. L. R.
- Figaro : journal non politique, 18 mars 1953 [12]
Colette Yver n’est plus
Colette Yver est morte, hier matin, à Rouen, dans sa 79e année.
De son vrai nom, Mme Auguste Huzard, elle avait consacré sa vie à des œuvres antituberculeuses, aux lettres et au féminisme.
Journaliste, Colette Yver avait collaboré à L’Écho de Paris, au Gaulois, à la Revue de Paris et à la Revue des Deux Mondes.
Elle est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment : Aujourd’hui, Cher cœur humain, Comment s’en vont les reines, Les Cousins riches, Les dames du Palais, Dans le jardin du féminisme, Femmes d’aujourd’hui, L’Homme et le Dieu, Mammon 1924, Le Métier de roi, Un coin du voile et La Chaleur du nid. Il y a quelques années, elle avait fait paraître, enfin, Madame Sous-Chef.
Colette Yver était membre du jury Femina.
Éditions en ligne (Images)
[modifier]Titre et éditions | ||||
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1913 : | Le Vieux Calendrier | Nouvelle | retronews | Le Gaulois, 22 décembre 1913 |
- Chez Gallica (extraits)
Bibliographie
[modifier]- dans Feuilles nouvelles du 1er mars 1905, Petites mamans polybiblion
Sources en ligne
[modifier]- Rien sur Gutenberg
- Rien sur ebook libres et gratuits
Critiques
[modifier]- Le Jardin des lettres : revue mensuelle de tous les livres français & du mouvement intellectuel contemporain 1er juillet 1931 par Armand Rio
- Pour les femmes : organe mensuel, 1er septembre 1913 [14]
À TRAVERS LES LIVRES
Les romans de Mme Colette Yver
Depuis dix ans, sans fracas, sans hâte, mais avec une maîtrise toujours plus sûre, une notion plus compréhensive des ressources de son art, Mme Colette Yver a édifié une œuvre déjà considérable, qui va des Cervelines aux Sables mouvants, publiés naguère par la Revue des Deux Mondes, et dont la physionomie, sous réserve des touches ou des accents ultérieurs, se précise dès aujourd’hui en contours nets et en vigoureux reliefs. Un récent article qu’elle écrivait sur le Roman nous aidera à en dégager le sens. Mme Yver y définit sa conception du roman idéal, et pose en principe que la qualité première en est l’intérêt. « Je veux un roman qui m’amuse, qui me passionne, qui me tienne attachée à mon livre ». Et, sans doute, nul plus qu’elle n’est expert aux adroits récits qui dispensent les événements « avec une diversité copiée sur celle du destin lui-même ». Mais elle sait aussi que le roman serait un genre bien frivole s’il ne visait qu’à divertir, que sa flexibilité lui permet de porter sans faiblir le poids de la pensée, l’analyse des questions troublantes qui conditionnent l’avenir de la société, et encore que les drames de la conscience humaine sont, au demeurant, la plus belle et la plus riche matière offerte à l’écrivain. Le Métier de Roi, les Dames du Palais, les Princesses de Science soulèvent quelques-uns des problèmes de l’heure présente, et ce sont aussi des études d’âmes ; et l’œuvre totale, en même temps qu’elle rend le son de la vie, se leste encore d’un intérêt psychologique et social.
Pour employer une formule de l’auteur, le romancier « crée un monde », et il cherche un cadre où situer sa famille spirituelle. C’est le Berry pour Georges Sand, ou la Touraine pour M. Boylesve. Le cadre familier de Mme Yver c’est Paris, non le Paris des bâtisses luxueuses et des palais modernes, mais le Paris d’autrefois, la Cité, cœur et berceau de notre ville ; l’île Saint-Louis, avec ses quais bordés de peupliers frissonnants qui abritent les pigeons au bec de corail rose ; les alentours de Notre-Dame, le Parvis brûlé de soleil, le square de l’Archevêché, épanoui sous l’abside ; la tranquille rue Chanoinesse, le square du musée de Cluny. Les monuments que Mme Yver dresse sous les yeux du lecteur, c’est l'Hôtel-Dieu, le vieil hôpital gris et lourd construit au dix-neuvième siècle ; c’est le Palais de Justice, dont les fenêtres ogivales, la salle immense, les piliers et les tours racontent toute l’histoire de la France. Quitte-t-elle Paris ? Ses patries préférées sont alors Rouen, — car Oldsburg dans le Métier de Roi, Briois dans les Cervelines, c’est toujours Rouen, sous des noms fictifs, — Rouen, la ville aux trois cathédrales, où « s’attarde le moyen âge dans les pignons archaïques des ruelles tortueuses » ; ou bien Triel, c’est-à-dire l’Île de France, la charmante Seine-et-Oise, dont les fils, demeurés fidèles au sol natal, « donnent au pays son rythme et sont les gardiens, de son génie ». Ainsi, parmi les aspects mouvants de la vie contemporaine, l’auteur se plaît à évoquer les pierres et les paysages ennoblis par la durée et poétisés par le souvenir, et c’est dans les décors du passé, de notre passé national, que se nouent et se dénouent les conflits tragiques où se débattent les héros de ses livres, les Thérèse Guéméné, les Henriette Vélines, les Nicolas Houchemagne.
L’œuvre est une par le souci constant de Mme Yver de rechercher et d’étudier les causes qui, ou bien entravent la constitution de la famille, ou bien, quand elle se constitue, en compromettent, si elles n’en détruisent pas l’unité. Témoins les Cervelines, ou les Sables mouvants, et jusqu’aux Lettres à une femme du peuple, parues ici même, et dans lesquelles l’auteur se penchait avec une si clairvoyante sympathie vers ses sœurs misérables. Pour gagner quelques francs par jour, la mère, en effet, déserte la maison, laisse à l’abandon les enfants, n’offre le soir à son mari qu’un logis sans chaleur ni lumière, et, du fait de son absence, voilà le foyer en ruines. Mais, dans d’autres milieux que la classe ouvrière, ce sont d’autres forces qui travaillent à dissocier la communauté familiale. Le livre livre intitulé Comment s’en vont les Reines est dédié aux femmes d’hommes politiques « reléguées par la raison d’État au second plan des préoccupations de l’époux ». Madeleine Wartz s’est donnée toute à son mari ; mais la gloire d’un beau rôle, l’idée républicaine sont dans l’âme de Samuel les dangereuses rivales de l’amour promis. Après les extases des premiers mois d’intimité, Madeleine connaît l’amertume des soirées solitaires, la tiédeur d’une tendresse combattue par l’âpre devoir ; elle sent mourir en elle sa conception ingénue du mariage, deux vies cœur à cœur fondues en une seule, et cette œuvre qui est « l’agonie d’un règne » est aussi l’agonie d’un rêve.
Mutilation douloureuse, mais d’espèce peu commune. Il est un autre ennemi de l’amour et de la famille plus redoutable que la politique, c’est le féminisme. Nul problème n’a plus souvent hanté la pensée de Mme Yver. Les féministes qu’elle nous présente ne sont ni des Éclaireuses ni des Suffragettes ; ce sont des intellectuelles, des femmes qui ne se sont pas masculinisées, qui ont gardé leur charme, mais qui n’ont plus besoin d’amour, parce qu’en elles la vie du cerveau a tué les besoins du cœur. Ce féminisme, à base d’orgueil, ne voit dans le sentiment sincère qui jette deux êtres l’un vers l’autre qu’un accident transitoire, dans le don de soi-même qu’une faiblesse, dans le mariage qu’une servitude. La femme naît libre, libre de choisir sa vie et sa fonction sociale. Pour défendre l’intégrité de sa pensée, elle a le droit de se soustraire à la tendresse et à la maternité. Comme l’Armande de Molière, elle épouse la science ou la philosophie. C’est une solitaire. Parce que Jeanne Bœrk et Marceline Rhonans, les « Cervelines », ne reçoivent de loi « que de leur tête », et que leur devoir essentiel est de cultiver leur intelligence, elles ne créeront pas de famille, elles méconnaîtront la douceur de ce mot « foyer ». Et la traditionnelle vérité que méconnaissent ces vierges fortes, ces « prêtresses du dieu nouveau », c’est que la femme est faite pour aimer, qu’en vertu d’une loi éternelle, contemporaine des plus vieux âges du monde, son nom est synonyme d’abnégation et de bonté. Ce fait social qu’est le féminisme crée un état de choses qui dénature la femme, la détourne de sa mission naturelle ; il fait de l’amoureuse-née une penseuse ; il désapprend le geste des bras tendus pour les caresses.
Si pourtant, docile à l’instinct atavique, la cérébrale accepte d’aimer et d’être aimée ; si, tout en refusant d’abdiquer son moi et en réservant les droits de son cerveau, elle consent à être l’épouse et la mère, qu’adviendra-t-il d’une famille fondée sur ces nouveles bases ? C’est l’émouvant sujet que contenaient en germe Les Cervelines et que développent avec ampleur les Princesses de Science et Les Dames du Palais. Thérèse Guiméné, la doctoresse, et Henriette Vélines, l’avocate, mariées l’une à un médecin, l’autre à un avocat, qui mènent de front leurs deux existences, intellectuelle et sentimentale, et déjà les maris amoureux souffrent de la parcimonie des tendresses. Mais voici que l’enfant naît. Pour Thérèse, c’est le trouble-fête, le châtiment du servage accepté. Elle re fuse de le nourrir, et il meurt un soir sur les genoux de sa mère, empoisonné par le lait de sa nourrice. Henriette n’a pas vou lu d’une remplaçante, mais la présence de l’enfant n’a pas ici, comme ailleurs, la. vertu de créer « la paix dans l’ordre familial ». C’est, que, dans l’un et l’autre ménage et à l’heure même où ils se constituaient, s’introduisait, à l’insu des époux, un élément de mésentente et de désunion. Égale à son mari par le talent, la femme résistera-t-elle à la tentation de lui être supérieure ? Et le chef de famille se verra-t-il, sans amertume, réduit au second rôle ? Que vaut le modeste savoir d’un médecin de quartier auprès de la personnalité de Térèse, capable de tenir tête aux princes de la chirurgie ? Et André Vélines ne sait-il pas qu’au Palais on l’appelle « le mari de Mme Vélines » ? Dans leurs compagnes, ils trouvent des rivales et dans les succès de ces rivales des motifs, non de fierté, mais de rancune. Ce sont d’abord des sécheresses qui, après les vies, séparent les cœurs, puis des discussions violentes où la jalousie, lentement accrue, crève en cris de colère ou en plaintes désenchan tées. Désormais, c’est- la guerre entre l’époux qui exige l’abandon du métier, la présence permanente au foyer, et l’épouse qui répugne à l’étouffement de sa pensée. Tout est à craindre : l’attrait d’une affection étrangère, la trahison, la fuite de la demeure conjugale, le divorce, la maison en ruines.
Des deux adversaires, qui mettra fin à cette lutte obstinée Ce sera la femme, par une tardive obéissance à la loi naturelle, par l’habitude lointaine du sacrifice. Elles finiront par comprendre que s’il est utile à la femme, pour parer a l’imprévu de la vie, de se munir d’un métier, elle doit, au jour venu, y renoncer pour n’être que l’auxiliaire et « l’assistante » de l’homme. Elles se soumettent, et en s’abaissant elles s’élèvent. Peu d’écrivains, au surplus, ont plus constamment exalté la femme, la femme française, que Mme Yver. Tel livre d'elle, Un Coin du Voile, n’est qu’un bouquet de dévouements féminins. Voici les grands’mères, Mme Mansart, Mme Trousseline, les gardiennes des traditions séculaires ; voici cette exquise figure d’Henriette Tisserel, qui, chastement éprise et du plus pur amour, meurt de n’avoir pas été devinée ; et voici les consolatrices, Thérèse, Clara Helsberg, et la dernière en date, Jeanne Houchemagne, dans les Sables mouvants. Ce sont les sables de la vie parisienne, et. c’est encore l’histoire d’une famille désagrégée, les parents sans principes, les enfants sans direction, la bohème de l’autorité, pire que celle de la bourse. Au nom de quel scrupule ou de quelle loi morale, puisqu’on ne lui enseigna jamais la notion du devoir, Marcelle Fonteuve hésiterait-elle à vivre sa vie, fût-ce en saccageant le bonheur d’autrui ? Elle connaît dans l’atelier de ses parents Nicolas Houchemagne, le noble peintre, frère candide des peintres du treizième siècle, convaincu que « le mysticisme et l’art sont de même essence », et qui travaille « le front dans l’idéal » ; et elle supplante hardiment dans le cœur de l’artiste l’épouse irréprochable qui ne voulait être que la servante de son génie. Alors commence pour la sacrifiée le dur martyre. Elle assiste crucifiée à la double déchéance qui fait mourir en Nicolas, du fait, de son coupable amour, l’homme d’abord, puis l’artiste. Elle demeure pourtant à ses côtés, maternelle et douce étant de la race de celles qui pardonnent, et lorsqu’il meurt enfin, elle concède un sublime tête-à-tête avec le cadavre de son mari à l’adolescente sacrilège, mais comme elle douloureuse, qui détruisit l’idole.
(Echo de Paris).
- Paris-soir, 19 juillet 1925
Mme Colette YVER :
Il y a dans la carrière littéraire de Mme Colette Yver une dignité qui mérite des louanges.
Vous n'avez jamais vu son nom dans les comptes rendus de manifestations bruyantes. Elle ne cherche pas à monter sur des tremplins pour se faire remarquer par la foule. Elle se contente de dire ce qu'elle pense, même quand ses doctrines ne sont pas de nature à lui attirer des partisans tumultueux. Elle travaille selon son goût, qui est exquis, et sa conscience d'écrivain, sans rechercher des sujets éclatants et sans demander au scandale la faveur d'une renommée tapageuse. Ceux qui connaissent ses livres lui témoignent une sympathie fidèle, de jour en jour mieux fondée. Ce sont là des suffrages qu'elle juge suffisants.
Son premier volume : Les Cervelines, était une étude des intellectuelles qui sacrifient l'amour au développement de leur personnalité cérébrale. Les Princesses de Science nous montrent comment une femme médecin peut exercer son art en étant mariée.
Les Dames du Palais furent une étude des avocates, et des rivalités qui peuvent naître entre époux, en une même profession. Dans Les Sables mouvants, elle parle de l'éducation des enfants lorsqu'une mère, femme peintre, est absorbée par son art. Le Mystère des Béatitudes traite le conflit entre l'amour et l'argent.
Vous serez comme des dieux est un développement sur ce sujet fécond : l'orgueil. Le Festin des Autres est une analyse de l'envie.
Et la série de ces romans, dont chacun a pour sujet un péché capital, continuera, pour le plus grand plaisir de tous les lecteurs.
Mme Colette Yver n'a pas hésité à s'attirer l'animosité des suffragettes en déclarant, par ce livre : Dans le Jardin du Féminisme, qu'elle combattait le féminisme en tant que lutte de la femme contre l'homme. Elle ne croit pas que l'affranchissement soit un gage de bonheur. Elle estime inutile le droit de vote. Elle restreint le rôle de la femme à la mission de compléter l'époux et d'en être l'auxiliaire, au lieu de tenter de l'imiter et de devenir sa rivale.
Je n'ai pas le loisir d'ouvrir ici une polémique sur ce sujet.
Qu'il suffise de dire qu'une opinion semble estimable déjà par le fait seul d'être formulée gravement et d'exprimer le résultat de méditations sincères.
Mme Colette Yver, en sa vie littéraire et privée, donne le plus bel exemple de la simplicité et de la modestie. C'est le seul reproche que pourraient lui faire les prêtresses enflammées d'un féminisme ambitieux.
Trop rares sont les femmes de lettres dont l'attitude n'est remarquable que par leur souci de n'être pas remarquées.
Paul REBOUX.
- Camille Bélilon, Le Journal des femmes, 1er juin 1904 [15]
Vous connaissez la fable de l’âne et du petit chien. Impossible au premier de prendre les allures du second.
C’est ainsi qu’une antiféministe enragée, Mme Collette Yver, parlant de la situation des femmes, essaye de se donner des airs d’apôtre.
Au début d’un article paru dans l’Écho de Paris, nous lisons ces lignes :
La femme en possession d’un métier, porte en elle un capital. Celui qui l’épousera ne connaîtra pas, dut-il mourir jeune, l’angoisse de laisser derrière lui un pauvre être désemparé, voué avec ses enfants, à la misère.
Voilà qui n’est pas en désaccord avec le bon sens, c’est féministe en même temps qu’humanitaire.
Mais quoi ! chassez le naturel, il revient au galop !
Aussi, Mme Yver s’empresse-t-elle d’ajouter :
La grande affaire de la vie conjugale est encore le pot-au-feu, l’ordre et la bonne cuisine. La femme qui aura sacrifié sa profession à son mari…
Est-ce seulement la profession qui sera sacrifiée ?
… n’attendra pas longtemps pour être récompensée de mille manières.
Et parmi ces mille manières d’être récompensée, il y a la dépendance absolue en l’état de mariage et la perspective de mourir de faim en cas de veuvage ! Le confort, la bonne cuisine sont sacrés lorsque c’est l’homme qui en jouit. La veuve n’y a aucun droit. Le pauvre être désemparé, voué, avec ses enfants, à la misère, Mme Collette Iver n’y pense déjà plus, si ce n’est pour lui conseiller de se sacrifier…
Non, Madame, n’essayez pas de plaider la cause des femmes :
Ne forçons point notre talent, Nous ne ferions rien avec grâce.
Dans le même journal, peut-être dans le même article, un fragment de lettre est reproduit.
Il est terrible, ce correspondant, il menace ! Lisez :
Savez-vous, Madame, qu’il existe une ligue dont je fais partie, où l’on s’engage à ne pas épouser une jeune fille ayant embrassé une carrière masculine.
Ô brave Monsieur, ô chers Ligueurs ! merci pour les jeunes filles qui ont ainsi l’heureuse certitude de ne point vous avoir pour époux !
Et vous, Mesdemoiselles, qui n’exercez pas une carrière dite masculine, vite embrassez en une pour être à l’abri du danger de devenir les conjointes de ces messieurs là !
Camille Bélilon.
Sources
[modifier]- article Le Gaulois : littéraire et politique 9 décembre 1918 article par Colette Yver
Le Vote
des Femmes
PAR COLETTE YVER
Nous y arrivons donc. Le grand rêve féministe va devenir réalité. M. Flandin vient de déposer le projet de loi relatif au vote des femmes. Nous allons sans doute assister à d'intéressantes discussions parlementaires sur ce sujet d'essence toute psychologique mais on peut prophétiser dès maintenant que la loi passera. Cette loi est en effet présentée de telle sorte, et dans un tel moment, que le député qui la repousserait risquerait une réputation de barbarie vis-à-vis des femmes. Il devrait renverser tout une architecture de mots séduisants dont l'imagination française a fait le socle de la chose. Le projet dont il s'agit éclate en pleine victoire et sous couleur de consacrer magnifiquement les services inoubliables rendus par la femme à la patrie, pendant la guerre. Comment refuser de s'associer à une manifestation si juste ?
Pour moi, si j'étais parlementaire -- ce qu'à Dieu ne plaise -- et que j'eusse à voter là-dessus, bien que j'aie toujours pensé et dit que les affaires publiques n'étaient point le fait des femmes, je n'hésiterais pas à me prononcer en faveur d'un droit qui représente une récompense indiscutablement méritée -- le droit fût-il peu fondé en raison.
Les femmes ont accompli pendant les quatre années terribles un effort admirable. Elles se sont étroitement mêlées à toutes les activités de la défense. Dans quelques années, quand nous regarderons en arrière, cette défense nous apparaîtra sauvage, farouche, faite de toutes les énergies de la nation offensée. L'aspect de cette résistance qui nous échappait, alors que nous la vivions, l'âme pareille à un arc bandé, angoissés et tendus uniquement vers la victoire, nous l'envisagerons avec le recul du temps, et nous le verrons formidable. Nous verrons aussi le labeur des femmes dans ce travail désespéré pour vaincre. Elles sembleront y avoir outrepassé leurs forces. On s'étonnera. On dira « Comment, ces êtres délicats ont fait les obus, conduit des locomotives, retourné les champs, soigné pendant quatre années, nuit et jour, des plaies épouvantables ? Pire encore elles ont donné sans se plaindre leurs fils, leurs maris, leur chair et leur sans, et quand ils ne sont pas revenus, elles ont continué de travailler avec courage. Oui, on dira cela plus tard, et on frémira d'enthousiasme.
Mais, aujourd'hui qu'il s'agit de reconnaître politiquement cette grande collaboration des femmes, que và-t-on faire Va-t-on leur marchandeur ce pe- tit morceau de papier, ce bulletin de vote qui les rend les égales de l'homme dans la vie publique ?
Gomment youlez-vous ?
Demain, nous serons donc placés en face du fait accompli. La femme sera électeur. Mais un bulletin de vote n'est pas seulement üri bon point national dé- cerné par la reconnaissance publique il représente une fonction et il consa- cre un état de choses. Or, c'est surtout dans ce dernier point que réside le dan- gel'; Encore ne faut-il rien exagérer, ni crier à la révolution, ni prédire la fin de tout-parce que les femmes voteront. En France, tout s'arrange par la mesure et le bon sens naturels à la race. J'ai dit danger, Le mot est trop gros. Mét- tons inconvénient en parlant d'une loi qui va établir définitivement une situa- tion morale que la guerre n'avait insti- tuée que provisoirement.
'Personne ne me fera croire qu'il est conforme à la nature que, dans une so- la femme soit wattman, chaud- feur portefaix à la gare, mécanicien, laboureur, bureaucrate.. De ce qu'elle peut, au besoin, s'improviser bonne pro- fessionnelle en chacun de ces métiers, on ne doit pas conclure que ce soit son affaire. Je me fais là-dessus un raison- nement simpliste (mais ce sont ceux qui ne trompent pas). Je me dis Qui donc- mettra les enfants au monde et qui les élèvera ? » Or le vote des femmes est précisément établi pour reconnaître "Te' droit de choisir elles-mêmes leurs mandataires à celles qui, mêlées -aux activités nationales les plus diverses, ont des intérêts à défendre. Il admet donc, et il favorise, et il institue politi- quement dans la nation ce qui n'eût dû être qu'un pis-aller dû à la grande ra- fale.,
On médit « Du fait de la terrible hé- catombe 'de jeunes hommes, beaucoup de filles, une infinité de filles ne se ma- rieront pas. Il leur faudra gagner leur 'pain cependant. Ne doit-on pas leur ren- dre accessibles tous les métiers qui leur permettront de vivre ces métiers fus- sent-ils' 'masculins puisque leur lot aura été de n'être point de vraies fem- mes ? Et une fois ces métiers en main, ne devront-elles pas être armées comme des hommes pour défendre leur place et ieurë droits ? Et les veuves, les milliers de veuves que. la guerre a faites chefs de famille, faut-il être si regardant pour leur donner du travail et en même temps élargir leur situation morale dans la so- ciété ?
Tout le monde s'incline devant cet ar- gument-là. Qui voudrait refuser à la' femme seule et la faculté de travailler aisément et les protections de la loi ? Ja- mais on ne saura faire assez pour elle, pour la veuve en noir et pour cette veuve blanche dont a parlé Brieux, celle dont le compagnon éventuel, l'élu inconnu est mort, sans qu'elle le sache, au champ d'honneur. Mais il s'agit là encore d'un bouleversement consécutif à la, guerre et transitoire. Il se limite, pour continuer à parler comme pendant ces quatre an- nées, à la classe 18. La classe 19 sera ren- due indemne à ses foyers et je garantis que cela fera de beaux épouseurs pour les filles de France. A ce moment, l'état de la. 'société commencera de redevenir normal. H; ne" .'faudrait point que nos idées' alors cessé de l'être, ni qu'on eût perdu la notion de la femme au foyer.. Gomment la femme s'acquittera de sa fonction d'électeur ? C'est un problème assez curieux qui nous attend. Pour le moment, son vote sera limité à l'élection des conseils municipaux, généraux et d'arrondissement. Je crois que certaines voteront très intelligemment, beaucoup selon les impulsions de leurs âmes sensibles ou de leur nervosité. Mais je fais un pari, impatientée de savoir si je le gagnerai c'est que la plupart se désintéresseront de leur bulletin de vote et, comme,toujours, disputées à la vie publique par les soucis intimes de l'intérieur, elles diront Hast! j'ai d'autres chats à fouetter ! »
Colette Yver
- sur Vincent ou la solitude : François Le Guennec, Le Livre des femmes de lettres oubliées, 2013
Vincent ou la solitude, publié en 1931, elle décrit la lutte d'un jeune homme contre la tuberculose, la vie au sanatorium, les liens qui naissent des souffrances partagées. Vincent, finalement, n'épousera pas Denise ; il se consacrera à…
Cervelines ou les cervelines
[modifier]Une majorité de titres de journaux en 1903 avec Les.
- La Fronde 29 juillet 1903
« Cervelines »
Pas académique le titre, un peu trop fantaisiste peut-être, mais, enfin, joli, n’est-ce pas. Et, en tout cas, qui qualifie fort justement, les héroïnes du roman.
Car Cervelines est un roman. Un roman d’amour même, écrit par une toute jeune femme de Rouen.
Henriette Tisserel, jeune fille bien élevée, bien gentille, bien douce, bien tout, aime le docteur Cécile.
Cécile, lui, sentimental et irrésolu, aime Marceline Bliomans, une cerveline.
Le docteur Tisserel, l’ami de Cécile, aime Jeanne Bœrck, une autre cerveline.
Vous voyez bien qu’il n’y a que de l’amour ?
Comment vont tourner les choses ?
Oh ! bien tristement.
La petite HenrieLe Tisserel, mourra poitrinaire. Et, mon Dieu, c’est tout ce qu’elle avait de mieux à faire.
Cécile n’épousera pas Marceline, car Marceline, une intellectuelle, une littéraire, comme on dit à l’école, aime ses livres plus que la famille et veut « se donner à la science. »
Tisserel ne sera pas plus heureux. Sa Jeanne Bœrck, interne en médecine, se jugeant au-dessus de l’amour.
Alors, la science tue le cœur.
Mon Dieu oui, d’après Mme Colette Yver. Heureusement, non, en réalité. Et à ce sujet, disons que le livre bien construit au point de vue métier, pêche par l’étude des caractères.
L’auteur est une femme du monde — c’est évident — et — pourquoi ne pas le dire — ce milieu de professeurs femmes lui est un peu trop inconnu.
Cela constaté, répétons que Cervelines mérite d’être lu et que l’auteur a vraiment du latent.
Mais pourquoi faut-il qu’elle ne soigne pas son style, qu’elle ait des demi-pages entières bâties avec les seuls verbes être et faire, qu’elle ait des tics : « Cette grosse chose aimante », cette petite chose dansante, celle admirable chose bougeante, etc., etc., qu’elle ait même — mon Dieu oui, — des expressions de cru ?
Et relevant cela, nous ne songeons ni à Mme Yver qui, sûrement ne se fâchera pas, ni aux lecteurs que le roman enchantera assez, mais à la femme.
Oui, à la femme qui a écrit Cervelines qui est bien ; mais qui peut écrire autre chose mieux encore.
- Le Figaro 25 avril 1903 [16]
Petite Chronique des Lettres
Nous sommes décidément dans le royaume des femmes, et la littérature romanesque est en train de devenir l’apanage du sexe qui semble bien avoir renoncé à être « faible ».
Elles empiètent terriblement, les romancières ! Elles produisent de plus en plus, et j’ajoute que la fortune leur prodigue, à elles, des sourires dont elle reste avare pour leurs confrères mâles.
Des noms ? Des titres ? Ils sont dans toutes les bouches, ils s’étalent orgueilleusement à toutes les devantures de librairies, et accaparent les feuilletons des maîtres de la critique.
Ajoutez à cela que ces triomphatrices n’ont rien de commun avec les bas bleus que se représentent des imaginations surannées. Ce sont, pour la plupart, de jeunes femmes pétries d’élégance et de charme, parfois même de toutes jeunes, filles, presque des enfants. Et, loin de partager le scepticisme ironique de tel critique influent devant la « jeunesse » de leurs œuvres, je reste souvent confondu, et vaguement inquiet, de leur profondeur et de leur sapience prématurée.
Telle est l’impression que m’a produite Mlle Colette Yver, auteur d’un roman paru récemment chez Juven : les Cervelines.
Mlle Colette Yver est, me dit-on, une toute jeune fille qui, avec ce roman, fait son début dans la littérature ; Son nom est encore inconnu : je crois bien qu’il ne le sera plus longtemps, et je serais bien étonné que les Cervelines n’eussent pas dans le monde un joli retentissement.
Le titre seul est une trouvaille et ce nom de cervelines mérite de rester pour qualifier ces petits êtres charmants et dangereux, tout pleins de littérature, de science ou d’érudition chez lesquelles le cerveau s’est développé au détriment du cœur, et qui sont destinées à faire terriblement souffrir les hommes, sans même leur accorder les aimables compensations auxquelles les avaient accoutumés les femmes d’autrefois.
L’amour ? Le mariage ? La famille ? Ce sont là-choses négligeables que les « cervelines » ne veulent plus connaître, et qu’elles remplacent par l’orgueil de leur savoir et de leur indépendance. Et comme elles n’ont, d’autre part, abdiqué aucune des grâces qui les font désirables, on juge des ravages qu’elles doivent faire dans le cœur du pauvre homme assez imprudent pour se laisser prendre à leur séduction.
Ce sont en somme, des personnes assez antipathiques à mes yeux que ces « cervelines » au corps fleuri et au cœur désséché. J’en demande pardon à Mlle Colette Yver qui, malgré des élans charmants de juvénile tendresse, pourrait bien être, elle aussi, une future « cerveline » à en juger par le dédain évident où elle tient les héros masculins de son roman, personnages vraiment trop falots, qui se laissent trop facilement humilier et rabrouer et n’ont en somme que ce qu’ils méritent.
Je me suis laissé entraîner à parler longuement de ce roman dont la lecture vous laisse tout à la fois quelque peu désenchanté, très ému et prodigieusement intéressé ; mais le livre valait qu’on s’y arrêtât, et il sera sans doute très lu et très discuté —— ce qui n’est pas banal pour l’œuvre de début d’une jeune fille
… Ph-Emmanuel Glaser
- Le Petit Bleu de Paris, 13 mai 1903 [17]
Mme Colette Yver : « Les Cervelines » (Juven, éditeur). Les Ceryelines ce sont les jeunes filles chez qui la vie cérébrale a remplacé la vie affective. L’auteur s’explique ainsi : l’homme a reculé devant la besogne d’assurer la vie matérielle de la femme : la femme a travaillé et s’est ouvert des carrières ; celles qui sont arrivées à faire œuvre civile ne pourraient par le mariage que rétrograder dans leur émancipation.
Ceci posé, seront-elles heureuses ? de vivre comme des hommes et d’être des Cervelines ? Il semble que d’après Mme Colette Yver cela dépend purement d’elles-mêmes et de la trempe de leurs caractères. Jeanne Berck, une des héroïnes du roman, qui fait avec succès de la médecine, se refuse à l’amour ardent du docteur Tisseret ; sa vie est devenue purement mentale ; la scion— è lui suffit. Marceline Rhortans. plus délicate, d’—’sang plus affiné, malgré ses triomphes d’e vain el de conférencier, souffre de son isolent. et elle est prêle à aimer, lorsqu’elle rencontre le docteur Jean Cécile, homme intelligent, un peu féminin de nature.
Mais alors contre la Cerveline qui veut reprendre son rang de femme ordinaire, la société se montre prudente ; les parents du docteur Cécile, des bourgeois doux et têtus, lui font une condition, pour l’agréer, d’abandonner l’enseignement et le travail littéraire : les conférences leur apparaissent de la mise en scène, presque du théâtre.
La thèse de l’auteur est qu’une Cerveline, une fois qu’elle s’est donnée à la vie cérébrale et a accepté des fonctions scientifiques et éducatives aurait du mal à s’évader de cette vie nouvelle, où le préjugé la bloque encore ; l’émancipation féminine doit se payer de souffrances passionnelles, ou la femme émancipée doit renoncer aux affections ordinaires de la femme.
Cette conclusion n’est-elle point excessive, ou du moins un peu dure ? En tout cas elle est présentée très habilement, dans un roman joliment gradué el très agréablement écrit, une des meilleures choses qu’ait données la littérature féminine de notre temps. C’est sans fadeur et cela ne déclame pas ; ce sont là deux qualités que n’offrent pas toujours les écrits des femmes de lettres, et qui rehaussent fort le livre où on les trouve. —— G. K.
- La Croix, 22 novembre 1925 [18]
Les Cervelines DE Mme COLETTE YVER
On s’étonnera peut-être qu’à notre époque, où la guerre a si durement posé le problème du célibat pour les femmes, Mme Colette Yver ait cru devoir rééditer un roman vieux de vingt ans, qui épousait, voir suscitait, des querelles bien inutiles et bien injustifiées, qui envisageait les conflits sans se placer au seul point de vue qui pût les résoudre — le point de vue religieux — et dont la lecture pouvait bien donner de l’amertume aux jeunes filles d’aujourd’hui.
J’ai pour le talent si probe de Mme Cofette Yver beaucoup d’estime : je crois qu’aux heures où tant d’intellectuelles faisaient figure de parvenues de l’intelligence, elle a souvent été l’image même du bon sens et du sens de la tradition. J’admire ses Dames du Palais, et je crois avec elle difficile à une femme mariée qui veut être une bonne mère, dans toute la force du terme, et une sérieuse femme d’intérieur d’exercer au dehors (surtout par les crises de domesticité que nous traversons actuellement) une de ces professions libérales qui sont d’autant plus absorbantes que, si le succès vient, il est difficile de se disputer à lui et de continuer à faire deux parts de la vie. Mais je suis infiniment plus sceptique qu’elle, quant à cette supériorité dans le travail qu’elle attribue presque toujours à ses héroïnes sur leur mari ou leur amoureux. J’estime que le cas vaut à peine d’être envisagé — socialement sinon littérairement, — parce qu’il constituera toujours une exception, et que la zizanie qui pourrait naître entre les deux époux à cause des succès de la femme dans une profession identique aura trop peu souvent l’occasion de se produire pour qu’on la considère d’avance comme un fléau public.
Et si ce cas se produisait je crois qu’avec le besoin d’admirer qui fait le fond de l’amour féminin, ce n’est pas tant l’envie rageuse du mari qui serait à craindre (pour la bonne entente du couple) que le désappointement de l’épouse à se découvrir elle-même supérieure à celui qu’elle voudrait pouvoir placer sur le pavois.
Mais le sujet des Cervelines n’est pas un de ces conflits conjugaux entre couples extra-modernes ; Mme Yver ne s’y occupe que de jeunes filles : 22 et 26 ans. Emportée par son amour de la tradition, qui ne veut voir qu’une seule sorte de voie ouverte à la femme, Mme Colette Yver n’en a point référé à l’Église et elle a stigmatisé, sans calculer, les intellectuelles qui se refusent à l’amour. Elle n’admet point qu’une jeune fille ne soit point ardemment sentimentale et bouleversée par les premiers mots d’amour entendus ; et, parce que son étudiante en médecine n’accepte point le premier qui la demande en mariage, elle n’hésite point à faire dire, par celui qui est dans le livre son porte-parole :
<quote>Elle a fait quelque chose de très mal. Elle a fait un chagrin terrible, sans mesure, au cœur d’homme qui méritait le plus de ménagements, le plus d’égards et le plus de bonté.</quote>
Pourtant, l’Église n’a jamais songé à ordonner à la jeune fille le mariage avec le premier prétendant venu ; elle regarde le sacrement du mariage comme trop grave — puisque c’est, un sacrement — pour qu’on puisse demander à le recevoir à la légère, et elle n’a jamais prétendu qu’il devait être pour la femme une sorte d’holocauste de ses goûts, de ses attirances, de ses répulsions. « Quelque chose de très mal », appliqué au refus d’un prétendant qu’on n’a jamais encouragé par ses coquetteries comme c’est le cas de Jeanne, l’héroïne des Cervelines, — qu’on a même découragé parce qu’il vous excédait, est donc un verdict un peu aventuré.
Remarquez d’ailleurs que le prétendant en question, qui n’est pas un chrétien pratiquant, est un homme fort quelconque, docteur médiocre, amoureux sans finesse, dont l’amour tout physique se contenterait fort bien de moins que le mariage si Jeanne y consentait. Où donc Mme Yver a-t-elle vu que le devoir d’une femme est forcément dans le mariage ? Dieu sait que je crois que là est le bonheur pour la plupart d’entre nous, et que c’est dans les voies les plus communes que le devoir est le plus facile à suivre ; mais enfin, Jésus a dit qu’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père, et puisque Dieu impose à certaines femmes le célibat qu’elles ne désiraient pas, pourquoi ne serait-il pas permis à certaines, même sans vocation religieuse, d’avoir la vocation du célibat ?
Et d’autant plus quand, comme dans le cas de Jeanne, cette « cerveline » a choisi une profession altruiste, la médecine, où elle veut se dévouer sans compter, et qui lui permet cette protestation : « Est-ce que je n’ai pas ma fonction sociale ? Vous oseriez dire que je ne fais pas mon de voir ? »
Où Mme Colette Yver a-t-elle vu que l’Église la faisait la chose de l’homme ? La femme, en se mariant, promet obéissance, fidélité, amour à celui qui sera le chef de la famille comme Jésus-Christ est le chef de l’Église ; mais la femme reste libre de ne pas se marier ; n’étant ni une bête de somme ni une esclave, la loi et l’Église ont toujours été d’accord pour lui laisser la libre disposition d’elle-même. Bien mieux, l’Église, en encourageant le mariage, ne le regarde pas, toutefois, comme la voie supérieure. Mme Colette Yver l’a trop oublié : qu’elle relise donc la Vieille fille de Pierre l’Ermite…
Puisque la Providence a doué Jeanne Bœrck de facultés si merveilleuses que la sûreté de son diagnostic la destine, de l’avis de tous, à être un grand médecin, n’est-ce pas pour que Jeanne utilise ses dons, puisque le mariage ne l’attire pas ? Au lieu d’être coupable « d’une chose très mal », n’est-elle pas le bon sens même quand elle dit, à propos des bévues médicales de son soupirant :
<quote>Tant que nous sommes étrangers, je m’en amuse ; mais, comprenez-vous, cette rivalité entre mari et femme ? Positivement, Je m’exposerais à rougir de lui, et vous avouerez que ce serait désagréable. Puis il deviendrait envieux de moi, et ce serait tout à fait bête.</quote>
Certes, il serait déplorable que toutes les jeunes filles raisonnassent comme Mlle Bœrck et ne fussent pas plus attirées vers l’amour, le foyer, les enfants. Mais croyez-vous sincèrement que le danger soit à craindre ? Pour une femme qui s’éloigne ainsi de son sexe, combien, même parmi les plus douées, sentiront leur vocation fléchir quand elles rencontreront celui que le ciel leur avait destiné ? Combien en avons-nous connu d’intellectuelles qui, à 22, 25 ans, faisaient passer en premier lieu leurs études et qui, deux, cinq, dix ans après, étaient tentées par ce qui les avaient d’abord repoussé, soit qu’elles eussent évolué, soit qu’elles n’eussent pas jusque-là rencontré celui à qui elles pouvaient, de bon cœur, soumettre toute leur vie !
Mme Yver en veut beaucoup à son héroïne de ce qu’elle n’est pas sentimentale : d’aimer, d’être aimée, il n’était pas question, elle ne se laissait pas prendre à la magie de ces mots, elle n’y pensait pas. Peut-être toutes nos pauvres petites de la génération sacrifiée donneraient elles cher pour se laisser moins prendre, elles, à la magie de ces mots qu’elles rêvent et qu’elles n’entendront jamais prononcer par ceux que la guerre a rendus muets ?
Mais vouloir nous présenter comme un danger social, parce qu’elles pullulent, les très rares femmes de tête froide qui, comme Jeanne, peuvent dire sincèrement : « Sans mari et sans enfants, je me trouve une femme absolument complète », c’est risquer que nous ne puissions prendre au sérieux une thèse qui trop vite alors s’effondre. Mme Yver appelle Cervelines :
<quote>De belles petites cervelles, qui portent de jolies robes, des attraits, de la grâce, qui ont gardé de la femme, et de la meilleure, tout, sauf le cœur, — et le cœur souvent même, sauf l’amour.</quote>
Elle voit un véritable péril chez ces femmes qui, sans féminisme, sans systèmes, sans affiliations, sans mots d’ordre, ayant laissé leur vie refluer au cerveau, n’ont plus besoin d’amour, tout simplement :
<quote>Elles ne se marient pas, on ne les appelle pas vieilles filles, ce sont des « personnalités ». Elles pullulent. </quote>
Après une expérience de vingt ans (les Cervelines ont paru vers 1905), accrue surtout depuis l’amnistie, regardons au tour de nous, est-ce qu’elles pullulent, ces « personnalités » ? Presque toutes sont mariées ; quant aux trop nombreuses célibataires, est-ce parce qu’elles gagnent, pour la plupart (plus ou moins bien), leur vie solitaire, que s’est justifié le mot de Mme Colette Yver : « La femme, pouvant s’en passer ne veut plus se charger de l’homme ? Combien ne demanderaient qu’à dépendre d’un homme ? Combien seraient heureuses de se « charger » d’un homme ?
Et dira-t-on que lorsqu’une jeune fille se marie, c’est uniquement parce qu’elle ne peut pas « se passer », matériellement, de l’homme ? Il me semble que, dans le don qu’elle fait d’elle-même et de sa vie, il entre, dans la plupart des cas, des raisons plus émouvantes ou plus nobles : besoin de se dévouer, besoin tendresse partagée, besoin de protection morale, désir d’ordre et de fixation, enfin aspiration vers la maternité.
L’autre blâme que porte encore Mme Colette Yver contre les intellectuelles ne semble pas plus justifié. Marceline, elle, n’est pas une « cerveline », c’est une jeune fille de 26 ans, très intelligente, très instruite, qui, professeur d’histoire au lycée de jeunes filles et conférencière, a une réputation que, d’ailleurs, jamais historien n’obtint à un âge si tendre ; mais elle ne dédaigne pas l’amour, elle rêve au bras protecteur, et quand elle est demandée en mariage par un docteur (un autre, un garçon intelligent), elle ne songe pas à le refuser, elle s’épanouit. Mieux, d’elle-même, elle se résigne à renoncer à ces cours et ces conférences qui, parait-il, n’auraient pas été, à cette époque, dans une ville de province, compatibles avec la dignité de médecin de son mari. (Est-ce si sûr ? Je n’en sais rien, mais, en ce cas, il me semble que l’émancipation actuelle des femmes aura fait disparaître certains préjugés bourgeois qui étaient absurdes et sans base spécifiquement chrétienne.
Mais voici que la mère du docteur — qui, elle, a bien tenu toute sa vie un magasin de chaussures sans manquer pour cela à ses devoirs de mère et d’épouse — estime qu’il ne peut en être de même quand, au lieu de s’intéresser à des chaussures, on s’intéresse à des livres. Elle exige que Marceline renonce à ses travaux, à toute vie intellectuelle : là sera seulement, pour elle, la preuve qu’elle aime vraiment son fils.
Marceline savait bien que le mariage, c’était la perte de sa liberté, de cette absolue tranquillité intellectuelle si favorable au travail, mais elle sentait aussi, en retour, le prix de l’amour, et cela lui suffisait pour payer son sacrifice. L’étroite méfiance de la mère bornée la retourne :
<quote>Me sevrer de tout [se dit-elle] ! me retirer ma raison d’être ! faire de moi un être nouveau, me donner une autre vie, me changer, me faire mourir, enfin, car mourir n’est que cela.</quote>
Quel romantisme piquait donc notre boutiquière, de croire que l’on ne peut se marier qu’avec un amour capable, dès avant l’union, du plus total sacrifice ? Combien de mariages bourgeois auraient-ils lieu, s’ils devaient être toujours conditionné par d’analogues renoncements ? On peut faire une très bonne épouse, une très bonne mère, sans avoir pour son fiancé un amour aussi tempétueux.
Si, pour prouver que son amour est prêt à renoncer à tout ce qui jusqu’ici la charmait (condition imposée à Marceline), on exigeait d’une jeune fille bourgeoise ordinaire qu’elle renonçât au genre de vie dont elle a eu jusqu’ici coutume, pour en adopter, dans le mariage, un tout différent, combien y a-t-il de jeunes filles qui se marieraient ? Combien de citadines, même éprises, accepteraient, par exemple, de devenir fermières ? Combien ont refusé de s’expatrier, d’aller aux colonies ? Et cela ne les empêchait pas d’être de bonnes épouses dans leur voie naturelle, habituelle.
C’était la boutiquière ici, n’en déplaise à Mme Colette Yver, qui, dans le roman, faisait preuve d’un romantisme excessif en exigeant que Marceline, pour prouver son amour, renonçât totalement à ce qui avait été jusqu’ici sa vie même et sa raison d’être :
<quote>— À quoi se passeront mes journées ? [se disait Marceline. On avait encore des bonnes à cette époque ! ] Je devrai faire des visites, et, en l’absence de mon mari, seule chez moi, dans les loisirs que me laissera la direction du ménage, je pourrai lire quelquefois.</quote>
Pourquoi Marceline, mariée, aurait-elle été obligée de perdre à des visites, généralement fertiles en médisances le temps précieux qu’elle aurait pu consacrer à ses travaux historiques ? Pourquoi n’aurait-elle pas consacré à ses œuvres le temps que l’autre donnait à son magasin de chaussures ?
Des objections de ce genre font penser qu’il y a vingt ans on mêlait vraiment la futilité et l’injustice aux autres légitimes obstacles qui se pouvaient opposer à « l’affranchissement » de la femme. L’Église a-t-elle jamais prononcé le veto contre la culture féminine ? N’a-t-elle pas canonisé une Sainte, sainte Radegonde, qui pourrait être la patronne des étudiantes ? Ne vient-elle pas de canoniser sainte Sophie Barat, mère, en somme, de l’instruction secondaire féminine ?
Avec la tendresse qu’elle avait pour le jeune docteur, le trantran conjugal et la venue des enfants auraient tempéré d’eux-mêmes la passion d’intellectualité de Marceline. Était-ce donc dans son petit milieu bourgeois que cette mère n’avait vu que des mariages fondés sur un amour si exclusif et si romanesque qu’il balayât tout ce qui l’avait précédé ? N’eût-il pas été plus intéressant pour un homme cultivé comme ce docteur, qui trahissait en somme ses besoins intimes en ne s’éprenant, l’une après l’autre que d’intellectuelles, d’avoir à son foyer une femme avec qui il pût causer que l’épouse futile ou terre à terre que sa mère peu perspicace, rêvait pour lui ?
Quand Marceline refuse de se mutiler ainsi pour un amour peut-être peu durable — car Jean n’était pas pratiquant, — le jeune homme, amer, s’écrie : « L’amour s’en va… Je demande une quatrième Cerveline. » Mais on ne peut que trouver la conclusion injuste. Le devoir d’une femme à qui Dieu a accordé certains dons n’est pas de les négliger, c’est de chercher à concilier tous ses devoirs. Si les personnages de Mme Colette Yver avaient un peu plus fréquenté l’Église, ils auraient su qu’il n’est rien qu’on ne puisse demander à la grâce.
Henriette Charasson.