- Les Slaves de Turquie : Serbes, Monténégrins, Bosniaques, Albanais et Bulgares. Leurs ressources, leurs tendances et leurs progrès politiques - Parsi : L. Passard - Jules Labitte 1844 Tome II Google books
- La Pologne - annales contemporaines, politiques, religieuse et littéraires des peuples de l'Europe orientale - publication de la société slave de Paris - directeur M. Cyprien Robert
- Le Panlatinisme, confédération gallo-latine et celto-gauloise, contre-testament de Pierre le Grand et contre-panslavisme, ou Projet d'union fédérative des peuples gallo-latins... par Cyprien Robert, d'après Barbier Gallica notice Paris : Passard, 1860
- Révélations sur la Russie ou L'empereur Nicolas et son Empire en 1844 par un résident anglais ouvrage traduit… par M. Noblet… et annoté par M. Cyprien Robert Gallica notice Paris : Hachette, 1972 reprod. de l'éd. de, Paris : J. Labitte, 1845
- Société Royale d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers. Séance du 8 mai 1846 (Extrait relatif à Cyprien Robert) Sur Google Books
M. Sorin prend la parole au nom de la commission, à l'examen de laquelle avait été renvoyé le discours d'ouverture du cours des langue et littérature slaves, professé au collége de France, par M. Cyprien Robert.
Après quelques réflexions aussi profondes, qu'heureusement développées sur les tendances ambitieuses qui agitent les hommes de notre époque à tous les degrés de l'échelle sociale, M. Sorin fait observer que dans un temps où chaque ambition se produit arec les prétentions d'un droit, c'est - page 43 - une sorte de phénomène moral, qu'une haute capacité qui se dérobe au grand jour avec autant de soin que d'autres peuvent mettre d'ardeur à le rechercher. Notre compatriote se présente comme une de ces trop rares exceptions.
M. le rapporteur raconte en effet comment, confiné à Paris dans une humble retraite, M. C. Robert, jeune encore, mais ayant déjà amassé en silence les trésors d'une vaste érudition, attira l'attention de quelques personnages haut placés qui parlèrent de lui à M. Villemain ; comment le ministre avec une spontanéité aussi honorable pour le pouvoir que pour l'homme dont il voulait dans l'intérêt public utiliser le savoir, ayant exprimé l'intention formelle de voir M. C. Robert, celui-ci se récria à l'idée qu'il pût entreprendre d'instruire les autres, et fit parvenir au ministre ses excuses de ne pouvoir répondre à son appel ; comment enfin , avec une simplicité digne des philosophes antiques, notre jeune savant reprit incontinent, mais non peut-être sans une ardeur nouvelle, le cours paisible de ses études et de ses méditations, préparant ainsi à son insu, comme le fait observer M. le rapporteur, l'accomplissement d'une destinée contre laquelle il s'armait vainement de toute sa modestie. Aussi lorsque la chaire des langue et littérature slaves vint à manquer, M. Cyprien Robert déjà choisi par le haut comité polonais, pour son secrétaire, s'est-il trouvé le seul peut-être en France qui pût dans la circonstance donnée, l'occuper convenablement.
Tous les instants de son existence ont d'ailleurs été jusqu'ici consacrés à la science.
Né à Angers en 1807, après de bonnes études au collége de Beaupreau, puis à Angers, il entra au séminaire, où il ne fit en quelque sorte que passer, sa vocation l'appelant ailleurs. Il fut admis par M. de La Mennais, parmi ce petit nombre d'esprits d'élite qui, sous sa direction se livraient aux plus hautes études religieuses et philosophiques ; école célèbre , non pas seulement par la puissante intelligence du maître , mais encore par le vif éclat qu'ont jeté la plupart des disciples, et au sein de, laquelle Angers peut s'énorgueillir d'avoir compté plusieurs autres de ses enfants
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Bien qu'en apparence toute son activité intellectuelle s'absorbât dans cette vie contemplative , le jeune adepte était secrètement tourmenté d'un besoin impérieux, celui d'aller étudier sur place les peuples, leurs croyances et leurs langues. Nul sans doute, sous l'impression des nécessités inexorables qui pesaient sur son existence, eût osé se laisser aller même à former un semblable désir... M. C. Robert ne recula devant aucune des éventualités probables d'une telle entreprise, et grâce à une persévérance dans son œuvre qui ne devait plus jamais l'abandonner, il est parvenu à réaliser pleinement ses projets.
Il débuta par visiter la classique Italie, et y recueillit une ample moisson d'observations, qu'il consigna à son retour dans son premier ouvrage, l'Essai sur la philosophie de l'art.
Mais ce voyage n'était en réalité qu'une tentative pour acquérir le sentiment de ses forces comme voyageur et comme observateur. Aussi à peine se fut-il arrêté le temps nécessaire pour reprendre haleine et élaborer un plan que désormais il devait suivre avec une ténacité irrésistible et sans tenir jamais compte des obstacles, qu'il entreprit une course nouvelle, et celle-là fut longue... Elle ne dura pas moins de dix années ! C'est que M. C. Robert poursuivait la réalisation d'une grande et généreuse idée, préconçue sans doute dans ses longues méditations sur les origines des langues de l'Europe, celle de rechercher, et de reconstituer pour ainsi dire de toutes pièces, en l'étudiant jusque dans ses rameaux les plus brisés, la grande et infortunée famille des peuples slaves ! Ici nous ne pourrons qu'emprunter les paroles mêmes de l'éloquent interprète de notre commission. « Il a, dit-il, exploré ces vastes contrées (celles occupées par les Slaves), le bâton du pèlerin à la main, la curiosité réfléchie du philosophe dans l'esprit, la charité du chrétien dans le cœur. Il s'est mêlé aux plus intimes habitudes de ceux qu'il voulait connaître. Quelquefois il a habité la maison du riche, mais ordinairement la demeure du pauvre ; il a couché sous la tente et en plein air, il a dormi sur la dure et souvent s'est réveillé enveloppé dans un
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linceul de neige. C'est en supportant de telles fatigues qu'il a observé les masses, apprécié les degrés divers de la civilisation. On comprend quelles richesses intellectuelles et morales a dû rapporter le voyageur habile à réfléchir qui a vu de cette manière, etc., etc. »
M. Cyprien Robert était parti de cette idée qu'au fond de toute grande race, est une tribu-mère, comme au fond de toute famille de langues est une langue-mère. Après avoir cherché vainement cette tribu et cette langue dans le nord de l'Europe et avoir reporté ses investigations de la Hongrie à la Russie méridionale, et de celle-ci à la Turquie, il en est venu, à l'aide de faits nombreux, à conquérir cette vérité à la science, que les Serbes d'Illyrie sont les plus anciens des Slaves. Comme la plupart des autres peuples, les Slaves aussi auraient donc eu leur berceau dans les montagnes, et, de ces âpres rochers de l'Illyrie se serait écoulée par flots successifs, cette race aux instincts guerriers, douée de toutes les grandes qualités qui ont fondé l'indépendance des autres nations, et qui cependant a éprouvé tant de dislocations et de fractionnements, a eu à subir des fortunes si diverses, qu'il ne restera bientôt plus d'autre similitude dans les destinées des peuples, en qui coule ce sang généreux, que leur asservissement plus ou moins parfait, plus ou moins rapide, au joug des étrangers ! Étrangers ! nés d'hier pour la plupart à la civilisation, et dont les mœurs profondément antipathiques aux élèves, rendent à jamais impossible une assimilation complète entre ces races opposées et condamnées ainsi à rester fatalement partagées en opprimés et en oppresseurs.
M. le rapporteur a choisi dans le discours de M. C. Robert, les passages qu'il a jugés les plus propres à mettre en relief la pensée, qui, fait-il observer, imprime aux écrits de l'auteur un caractère particulier de haute moralité. Il fait ressortir avec soin les qualités de l'écrivain après celles du penseur, ainsi que la manière qu'il affectionne. Il termine en exprimant au nom de la commission, le vœu que la Société vote des remerciements à M. C. Robert, pour l'hommage qu'il lui a fait de son discours
L'assemblée consultée par son président, accueille à l'unanimité la conclusion de la commission.