Discussion Auteur:Mme Casa-Mayor

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La Silhouette, 26 septembre 1847 [3]

SILHOUETTE BIBLIOGRAPHIQUE.

Pathologie du Mariage (affaire Praslin). Lettres DE LA DUCHESSE ET CONSIDÉRATIONS, par M"e CASAMayor.

Paris, 1847, au Comptoir des Imprimeurs-Unis.

Plusieurs causes expliquent le grand retentissement qu’a eu l'affaire Praslin : l'énormité du crime et la position sociale du coupable, tout d’abord; mais tel fut le caractère de ce déplorable événement, qu'il mit en jeu les passions et les intérêts de tout le monde, et que chacun y trouva prétexte d’enfourcher son dada et de courir au galop à travers le vaste champ des suppositions et des rêves.

Les jurisconsultes y voyaient une difficulté d'interprétation des lois ; le peuple y puisait une arme contre les riches, l’opposition s'en servit contre le gouvernement ; Mme de Casa-Mayor s’en empare pour battre en brèche l'institution du mariage.

J'ouvre tout de suite une parenthèse, et je rends cette justice au présent livre,que ce n’est point une spéculation de librairie, mais un plaidoyer, sinon désintéressé, du moins convaincu, chaleureux et spirituel, trop spirituel peut-être.

Ce livre est une déduction romanesque tirée des lettres de Mme de Praslin, au point de vue de la victime et en haine aveugle du meurtrier.

Je prends la table des matières ; c’est une analyse toute faite.

Un tyran domestique. — Un mari grand seigneur. — Servitude d’une femme. — Une protection de mari. — Adam et Ève. - Vie privée. — La vie privée est murée. — Les enfans. — L’adultère. — Réconciliation. — Divorce.

Divorce ! voilà la conclusion des attaques de Mme de Casa-Mayor contre le mariage, et particulièrement contre les articles du Code, qui donnent au mari l’autorité, qui imposent l'obéissance à la femme.

« Cet homme, dit Mme de Casa-Mayor, avait le vertige, et la loi lui avait donné un sceptre sans lui donner la raison. Il aurait eu besoin d’être mis en tutelle et pourvu d’un conseil; peut-être lui aurait-il fallu un traitement à la fois moral, médical, Judiciaire. Mais qui donc aurait osé avant une catastrophe toucher a la majesté de ce roi ? Il fut seul, sans attache sérieuse à des devoirs publics, livré tout entier a lui-même. Qui sait encore si de sourdes excitations étrangères ne se joignirent pas aux inspirations de sa haine et de son amour-propre ? Il s’acharna donc, avec frénésie à ce que force restât à la loi qu’il était indigne de faire respecter, et il en vint, comme un monomane, à tuer pour assurer l’exécution de la loi.

» Son protectorat aboutit à un assassinat et à un suicide. »

On voit, d’après cette tirade chaleureuse, que le talent ne manque pas à Mme de Casa-Mayor pour soutenir sa cause. Mais quelle est cette cause? En cherchant bien et en dégageant le sens de certains aphorismes volontairement obscurs, je crois que Mme de Casa-Mayor demande pour les femmes l’affranchissement, l’émancipation, la liberté et la substitution au mariage d’une sorte de contrat qu’elle nomme assez vaguement association. C’est la doctrine saint-simonienne.

Ce que Mme de Casa-Mayor pense au fond, elle a leur de l’exprimer trop clairement dans la forme, et elle se plaindra peut-être qu’on la calomnie. Il est vrai qu’elle proteste de son respect pour le mariage ; elle ne veut pas abolir l’institution, elle veut seulement l’épurer, la perfectionner. Pourtant qu’insinue-t-elle? Il y a quatre sortes de mariages : le mariage d’inclination, de convenance, d’argent et de raison. Mais Mme de Casa-Mayor dit que le meilleur n’en vaut rien, et nous devons l’en croire. Le mariage d’inclination surtout lui répugne ; c’est cependant l'idéal du mariage, celui qui donne à la femme la plus belle et la plus large part. Notre auteur n’en veut pas ; elle lui préfère la fraternité, l’association.

Elle blâme sévèrement ce duc, qui ne songeait qu’à perpétuer sa race. Mais soyons francs ; dans toute société fondée sur la propriété, ayant l’hérédité pour corollaire, le mariage doit assurer avant tout la perpétuité de la famille. Les législateurs, depuis Moïse jusqu’à Napoléon, ont posé le problème en ces termes, qui font du mariage une institution véritablement sociale.

Mme de Casa-Mayor, qui parait versée dans la politique et dans l’histoire, sait ces choses-là beaucoup mieux que moi, sans doute. Mais voulez-vous le secret de ses répulsions, de ses haines et de ses préférences ? le voici tout entier dans cette seule phrase :

« La loi souveraine de toute société est que chacun n'y mange que le pain qu'il a gagné. »

Abolition de la propriété, voilà ce que disent ces deux lignes, résumées plus énergiquement encore par le publiciste Proudhon : « La propriété, c'est le vol. »

Je ne suivrai pas Mne de Casa-Mayor sur ce terrain, où elle a été peut-être entraînée malgré elle. Il est dans la nature des femmes de ne s’arrêter sur la pente d un raisonnement qu’au milieu même de l’abime.

Un mot encore sur ce livre. On blâmera peut-être Mme de Casa-Mayor d’avoir cherché dans la sanglante catastrophe de la famille Praslin un exemple pour ses théories, une preuve pour son système. Ces reproches seraient mal fondés. « Quand les larmes et le sang ont coulé, si le germe d’un enseignement pour les vivants y est contenu, faut il que les larmes soient perdues, que le sang soit stérile ? » Mme de Casa-Mayor a raison, et personne ne doute de sa religieuse sympathie pour sa victime.»

Mais l’assassin ? qui en parle? qui en a pitié? Nous, et nous l’avouons hautement. Comme mari, M. de Praslin a encouru l’anathème de Mme de Casa-Mayor, qui n’a pas vu en lui un assassin ordinaire, mais un mari, c’est-à-dire le monstre le plus odieux, le type du tyran des femmes. Comme homme, M. de Praslin a subi la plus odieuse iniquité, la plus criante injustice; tout citoyen romain pouvait éviter la mort par l’exil ; tout homme, en France, peut éviter l'infamie d’un jugement en se réfugiant dans la mort.

Eh bien ! ce droit suprême a été enlevé à M. de Praslin ; il est mort, et on l’a flétri, parce qu’il était pair de France, et c’est le chancelier de France lui même qui a lu la sentence sur la tombe de M. de Praslin.

Eh bien! c’est trop de cruauté, même contre l’assassin de la duchesse ; rien ne serait plus facile à faire que la contre-partie du livre de Mme de Casa-Mayor, et peut-être approcherait-on plus de la vérité en la cherchant au point de vue du criminel ; mais ces sortes d’études, pour être fructueuses, veulent être faites sous la forme vivante et créée du roman, et non débattues scientifiquement comme des thèses pour la licence. C’est là le défaut très-considérable de la Pathologie du mariage. Dans les lettres de Mme de Praslin, M. de Balzac eût peut-être puisé les élémens d’un éternel chef-d’œuvre ; Mme de Casa-Mayor n’y a trouvé qu’un éloquent premier Paris.

Le Rat.