Discussion Livre:Giroust - Illyrine - t2.pdf

Le contenu de la page n’est pas pris en charge dans d’autres langues.
Ajouter un sujet
La bibliothèque libre.


LETTRE VI.

À Julie.

J E suis, ma Julie, arrivé à L… ; que le tra- jet de S à L… est long, ennuyeux ! que

tout ce qui nous éloigne de nos affections est haïssable ! Mais aussi, lorsque je re- tournerai à S, comme tout s’animera

sur mon passage ! tout prendra une forme nouvelle : chaque pas qui me rapprochera de Julie, la nature s’embellira à cet œil qui ne goûte de charmes qu’à te contem- pler. Tendre Julie ! samedi je respirerai le môme air que toi, et dimanche, je pom- perai sur tes lèvres le soufle du plaisir.

J’ai pris des arrangemens pour passer l’hiver ici ; je paye pension dans une mai- son honnête et aimable ; on À pour moi beaucoup de soins, d’égards : si j’y possé- dais Julie, je serais heureux ! mais ce tems d’hiver va nous tenir claque-murés : il fau-


C



( 36 )

dra donc, Julie, vivre de souvenirs ?…. Ce genre de vie n’est pas sans agrémens ; mais la réalité, ô Julie, que tu rends si déli- cieuse ! Cependant, si tu veux un peu

faire le rôle d’amanle, nous nous verrons plus souvent, Julie ! Anizy ( petit village charmant où est la maison de plaisir de l’Evêque de celte ville), Anizy, dis-je, coupe la moitié de la route de S….. à L…, si Julie était assez bonne pour s’y transpor- ter ! je t’abandonne cette pensée ; mes obli- gations de fonctionnaire public s’opposent à ce que je me transfère à S…. aussi sou- vent que mon cœur le desire ; mais un peu de bonté de ta part, ô Julie ! nous parta- gerons le différent par la moitié, tu vien- dras une fois à Anizy, et moi l’autre à S

Oh ! voici des importuns : je veux que ma lettre parte aujourd’hui ; je n’ai plu# que le teins de baiser ton bel œil.

N. Q K




LETTRE VII.


Julie à son ami .

Q UE ta petite lettre me fait de plaisir ! je l ; ’ai reçue en uiêine-tems qu’une charmante d une personne do mes amies que tu verras dimanche chez moi : quoique ma liaison avec Lise existe depuis quatre ans ; qu’elle me parlait de tous les miens, puisque c’est de chez eux qu’elle m’écrit. C’est ta lettre que j’ai décacheté» la première, quoique l’adresse fût d’une inain étrangère. O pou- voir magique de l’amour ! je n’eus point plutôt touché cette lettre que mon cœur tressaillit. Après t’avoir lu plusieurs fois, avoir tâché d’aspirer le baiser que tu me donnais, j’ai prêté quclqu’attention à celle de Lise ; tu sais qu’elle et mon frère bien aimé, dînent dimanche chez moi ; viens me faire une visite de bonne heure, afin que si monsieur conserve toujours sa belle humeur’, je puisse t’engager à dîner avec nous.



( 38.)

Nous aurons aussi madame de B dont

mon mari est nouvellement épris ; tu sais que c’est une femme aimable qui À de l’es- prit ; que ne peut-il s’y fixer, au moins, il donnerait dans le bon genre.

Mon frère est du dernier mieux avec lûise ; mon mari avec la sémillante madame de B…., que veux- ;tu que je devienne, si tu n’es pas là pour doubler le cadrille ? Ne manque pas, cher petit ami, de venir avant midi, ou même, trouve-toi à la messe de midi à la cathédrale ; tu m’en ramèneras ; il sera tout naturel que, d’après ces couples arrangés, je te gardes pour ma part, quitte à être la plus mal partagée, n’est- ce pas ? Je

sais que madame de B À du goût pour

toi ; je veux que tu t’en apperçoive ; mais > garde-toi d’y répondre ! ta conduite de ce jour, que tu peux rendre fortuné pour Julie, sera la boussole de celle qu’elle tien- dra avec toi.

Au sujet du voyage d’Anizy, je ferai le rôle d’amante, si mon amant s’en rend di- gue À dimanche, toute pour toi,

Ta Julie.




LETTRE VIII.

À Julie.

O divine amante ! tu m’as ravi au troisième ciel ! peut-on être plus aimable ! peut-on mieux faire les honneurs de chez soi que toi ? Ecoutes ; oui, oui, je fus le plus heu- reux ; et ton époux enrageait d’être si avan- cé avec madame de B qu’il ne pouvait

se dispenser de la reconduire chez elle à

B et que ne pouvant revenir, il me

laissait par conséquent le champ libre. O ! malicieuse Julie ! tu avais si bien tout ar- rangé, que personne ne pouvait se plain- dre ; et cependant on eût bien voulu les trocs pour trocs ! Pas moi, s’entend. Ta re- commandation de ne pas répondre aux aga- ceries de la coquette petite B était

trop : n’étais-tu pas la plus belle ? Mai£, Julie joint la modestie au mérite. /

j

Oui, ton mari était amoureux de toi, et je t’assure qu’il eût bien voulu me doriner



( 4o )

madame de B pour t’arracher de mas

mains, et toi-même l’as vu aussi ; car 1 u l’as craint un instant…. ; niais lu es si adroite, que tu as tout remis dans l’ordre qui plai- sait à ton cœur. Rappelles-loi bien que c’est toi qui provoqua la petite B…. à en- voyer chercher des chevaux de poste, et que Ion mari se fit tirer l’oreille pour mon- ter dans sa voiture ; et alors madame de B…, offensée, dit en colère, il faut bien que quelqu’un me reconduise ; m’adressant la parole, elle nie fit une semi- invitation ; tu rougis ; je m’en défendis aussi honnê- tement que le cas le permettait, elle sen- tit qu’elle avait fait une sottise ; et tout à coup se retournant vers ton mari, qu’elle saisit par le bras, elle lui dit avec véhé- mence : •• Vous viendrez, monsieur, je l’exige…. « Atléré plus encore de son ac- tion que de son expression, il la suivit, regrettaiA de nous laisser ainsi en bonne fortune ; et je parierais encre que, pour comble de malheur, elle l’aura très- mal mené ; car elle À l’air méchante, et vérita- blement, elle n’a pas. à se louer de lui.

Toi,




Y’-"


( 4 1 )

Toi, friponne, tu as triomphé double- ment ; ce qui donnait un nouveau charme à ta phisionomie…. Non, Julie, en face, tu n’as jamais de rivale à craindre.

Enfin, les chevaux les éloignent avec vitesse, et nous restâmes maîtres du champ : tu nous fit servir un galant souper. Que ce quatuor était charmant ! Combien ton amie était aimable ! elle manifesta cependant quelques regrets de l’absence de ton époux ; oui, je parierais qu’elle À un caprice pour lui. Ton frère lui en À fait de tçndres re- proches ; et j’ai remarqué que pendant tout le dîner, elle avait les yeux fixés sur lui ; elle n’a pas non plus goûté madame de B…. et de la loyauté et de la franchise dont est Lise, elle t’en dira quelques mots ; mais je n’ai jamais vu une femme plus singulière- ment aimable, sur-tout plus philosophe sur les plaisirs de l’amour ! Elle aime ton frère : eh ! qui ne l’aimerait pas ? Mais elle t’aime aussi ; elle aime ton mari ; je ne parlerai pas de moi ; car tout mon culte est unique- ment et tout entier à Julie.

Si, dis- je, près de la charmante Lise, je Tome IL 6




C 42 )

me donnais quelques soins, j’aurais peut- être aussi mon tour. Je vous admirais, en

. t • * ■ i

’soupant, tour-à-tour ; vous êtes d’un genre de beauté tout à-fait difFérént : aussi lan- «  guissante que tu es piquante : ces grands yeux bleus ont l’air de dire : aime-moi, je suis sensible ; l’éclat, le feu des tiens, qui sont pour le moins de même taille, semblent dire aussi ; je vous aime d’un ton plus im- pératif, mais non moins tendre. Vous êtes de la même taille : son port est bien plus majestueux ; mais l’abandon négligé du. tien semble promettre plus de volupté. Eh ! Julie ! je t’assure que tu tiens parole ! les cheveux que vous avez encore en égale quantité ; les siens, quoique jolis, sont tous blonds ; j’aime mieux ceux de Julie, qui sont blonds cendrés : la gorge de Lise À l’air parfaite, à ce que j’en ai pu voir ; mais il en est une où ma bouche se repose avec dé- dire ; celle-là À le charme des proportions, je ne veux pas en connaître d’autre. Que ne puis- je être à jamais inséparable de ce joli petit bouton ! oh ! joli dans toute l’étendu® du terme ! joli boulon 1




( 4.3 >

Mais où m’égarai-je, Julie ! tu vas me gronder ! voilà ce que c’est que de ne vivre que de souvenirs Mais, adôrable maî-

tresse ! viens me donner des réalités. C’est dimanche la fête à Anizy ; viens, mon amie ; prend un déguisement : mets-toi en homme ; tu seras mon pupile. Cette folie ne te parait- elle pas aimable, mon amier* Il est quelquefois bon de se servir du grelpt de la folie, pour égayer la triste monotonie de la raison.

Adieu, amie, amie*de mon erpur ; écris- moi ; dis-moi l’arrivée de ton mari : il aura sûrement encore eu quelque nouvelle ori- ginalité. Mais, Julie ! tu l’aimés trop pour avoir un amant ; et Lise À dit, avec bien de la vérité, que quoique tu lui passât la moutarde lorsqu’il te passait le séné, tu le retrouvais encore avec plaisir, et que tu en avais beaucoup à nous faire la chouette ; que tu me faisais repique et lui capot . En vérité, je t’avoue que je me sent bien jaloux de lui. Il me semble que si tu partageais tes faveurs avec un autre amant, je serais moins offensé que d’avoir un mari pour rivaL




(40

>

Je n’ai jamais souillé (pour me servir d& ton expressjon) ta couche nuptiale ; mais assure moi que lui, il n’a jamais profané cette ottomane…., ce lit bleu dans ta cham- bra jaune Adieu, ma Julie ; viens di-

manche à Anizy, j’y serai à midi précis ; à midi je serai sous un gros noisetier qui est au bord du chemin croisé, à l’entrée du

village en arrivant par S Adieu, loin de

toi je suis sans force et sans vie




(4M


LETTRE IX.


Lise à Julie.


Mon amie, le voyage de S neme sort.

pas de la tète ; je me piquais d’originalité, tnais je. vous cède les armes. Oh, friponne ! es-tu tissez heureuse ! tu fais la chouette aux deux hommes les plus parfaits qui soient sortis des mains de la nature ( tou frère à part cependant ) : ces deux hommes sont amoureux de toi, et tu raffole des deux ! oui, des deux, mademoiselle ; car si

M. Q te était ton mari, Q et serait ton

amant ; et s’il faut dire son goût, moi,

je suis pour ton mari ; je veux le voir en- core ; j’irai à S te voir, et ce sera pour

lui : tu le passe bien à madame de B à

la petite marchande de modes, etc. etc. etc. Eh bien, mademoiselle ! tu me le prêteras bien aussi ? Je t’avoue que je n’ai jamais vu une singularité aussi aimable qu’en cet être là. Puis, de l’esprit, le charme de l’élo- quence, des yeux, des soucils, une



( 46 )

bouche divine ; mais j’en conviens, il n’est pas fait pour être un mari, et sur-tout d’une femme de dix-huit ans, qui À une tête aussi électrique, et un cœur aussi pas- sionné que le tien ; mais il t’aime, et il re- trouve un nouveau plaisir dans tes bras, lorsqu’il en À connu une autre.

Enfin, il me disait : » Lise ! j’aime ma femme au-delà de toute expression ; jan’en suis point jaloux : j’aurais désiré qu’elle me restât fidelle ; mais c’est fait ; je n’irai pas faire une esclandre, l’empêcher de voir son amant, c’est vouloir arrêter .un torrent ; j’aime mieux être tolérant, et en profiter, pour qu’elle souscrive à toutes mes petites fantaisies ; mais je crains qu’elle ne me fasse un enfant ; sans cela, je l’aime.assez pour lui souffrir tout ce que je me permets bien moi-même. Puis, elle À de l’esprit ; elle est jolie, bonne : chacun À ses défauts ; je sais combien les femmes qui peuvent se targuer de chasteté ont d’autres vices ; ma femme est bien piquante ; elle aime lo plaisir : je l’aime bien mieux comme cela > qu’une sotte bégueule, précieuse ridicule.»




( 47 )

Je le rassurai sur ce qu’il n’avait point à craindre que tu lui fisse d’enfans J en ajou- tant que tu étais trop livrée au plaisir pour cela. Il m’embrassa et demeura fort satis- fait ;■ il me fit une déclaration ; je lui ai pro- mis de revenir pour lui ; il m’a paru très- sensible à cette promesse. Tu es une bonne enfant, me dit-il en m’appliquant un dé ces baisers où l’ame se montre à nu. C’est véritablement pn très-aimable homme, et je te félicite encore plus sur ton époux qqe sur ton amant.

, r

Mais je sais que tu veux que jé te parle* de mol, J’avais chez toi respiré l^.ir des avantures ; aussi en revenant, nous en eû- mes une qui faillit devenir tragique. Mal- gré que la nuit fut bien employée, nous nous piquâmes d’émulation à votre exem- ple ; puisqu’une seule cloison nous sépa- rait, nous étions témoins auriculaires dé vos exploits, et nous faisions chorus ! ! !

’ • r

Nous avions pris notre route par le bois de Barus, comme étant la plus jolie. Ton frère qui n’aime guère ton mari (celui-ci le




( 43 )

lui rend bien) et qui, en récompense aime beaucoup ton amant, ne cessa de me par- ler de lui et de toi toute la route ; ce bois, dis-je, nous rappella votre souvenir d’une manière plus positive. .

« Voici, dit-il, un arbre charmant, il À servi d’ombrage aux plaisirs de ma sœur et de son amant, Lise, la lune nous invite ;- et sans attendre mon consentement, il est en bas du cheval et m’attire dans ses bras ; lé pied meglisse, et me voila sous 1 arbre, prenant la bride des deux chevaux dans sa main ; mais au moment que tu connais si bien…* le bras de ton frère s’étendit sans force ; les chevaux profitèrent de ce qu’ils ne sentaient plus de résistance, se déga- gèrent insensiblement ; et lorsque nous re- vînmes de ce délicieux extase, nous ne trouvâmes plus nos chevaux ; nous imagi- nâmes qu’ils mangeaient de l’herbe à peu de distance ; mais nous les cherchâmes en vain.

11 est impossible de décrire notre em- barras ; et s’il n’eût point lait clair de lune,

I e




( 49 )

je né sais ce que nous serions devenus ; la nuit était fermée que nous étions toujours dans le bois. Ton frère dit : mais peut-être sont-ils retournés à la maison ? donne-moi ton bras, et gagnons au moins un gîte. Nous sortîmes du bois ; tout aussi-tot nous entendîmes appeller à grandes cris ; nous reconnûmes la voix de Décau ( domestique de ton père ) : nous lui répondîmes. Ce bon homme avait aux larmes : il accourt à nous. — Vous vivez donc encore ? vous n’êtes pas blessés ? Dieu soit loué ! Vous nous avez fait une belle peur ; c’est vos mamans qui ont vu les premières les chevaux rentrer seuls dans la cour ; ils ont cassé leur bride ; un étrier de celui de monsieur est perdu. Votre maman, mademoiselle, À fait un cri : ma fille est tuée ; elle s’est trouvée mal ; votre père court les champs ; il voulait prendre le cheval pour venir voir où on vous trouverait ; mais moi, j’ai dit : je con- nais mieux les chemins que vous, je vais courir : ils auront voulu descendre de che- val ; ils sont vifs ; les mouches sont mé- chantes, ils leur auront échappé, et ils re- viennent à leur gîte, c’est tout naturel. tome II. 7




( 5b )

Un petit moment de patience, ce n& sera rien, il faut espérer qu’ils sont vivans : je galoppe pour vous retrouver ; j’ai déjà fait plusieurs tours dansle bois, lorsque je me suis avisé d’appeller ; mais venez tout en vous promenant, je vais rejoindre M. votre père qui est sur le chemin pour le tran- quilliser, et courir à toute bride à la mai- son-, ces dames se désolent ; est-il possible de donner tant de chagrin à tant de monde ?….

Nous le renvoyâmes ; car son discours aurait duré plus long-tems : nous n’eûmes pas plutôt atteint la plaine, que nous trou- vâmes mon père qui se reposait dans un fossé. Décau l’avait tranquillisé, et il nous attendait. Ton frère lui dit que j’avais eu besoin de descendre ; qu’il avait mis pied à terre ; qu’il ne m’avait pas plutôt reçu dans ses.bras, que les chevaux tourmentés des mouches, s’étaient échappés, et que nous n’avions pu les joindre ; ce bon père, ravi d’aise de nous trouver sains et saufs, nous embrassa les larmes, aux yeux.

Nous revînmes tous trois à la maison ;

\-\

I

U .




( 5 ’ y

c’est lui qui transmit à nos mamans, et J ton père, l’histoire que nous lui avions fa- briquées, elle prit de la consistance près de ta mère ; mais ton père secouait l’oreille ; ta mère nous embrassa bien tendrement ; car on nous avait cru perdus : on nous retrou- vait, ce moment était bien précieux !….

Adieu, adieu, chère amie ; je compte aller te voir la semaine prochaine ; je t’em- brasse : donne un baiser sur l’œil gauche de ton mari pour moi. Tu n’es pas jalouse de moi, n’est-ce pas ? Si c’était ton amant qui m’eût inspiré ce que je sens pour ton époux ! je l’eusse étouffé comme un crime de

lèze-ainour Mais aux termes où vous en

êtes, ton mari et toi, j’ai cru le pouvoir, sauf ma philosophie à toute outrance, et même te faire ma confidente ; puis, ô Ju- lie ! peut-on te donner un suffrage mieux démontré ? J’ai embrassé hier ta Clarisse > elle se porte à merveille.

Toute à toi, Lise.

1 ■


I




(’&> )


LETTRE VII.


Julie à son ami.

Celui qui part’ est toujours plus heu- reux que celui qui reste, ne fut-ce que parce qu’il est distrait par la route. Tu partis le premier après le dîner, Lise et mon frèie s’en furent aussi. Mon mari est reve- nu pour dîner ; il était d’assez bonne hu- meur ; cependant je ne crois pas que sa belle l’ait infiniment bien traité ; mais sans mon frère, il s’en serait bien dédommagé ; car Lise À réellement pour lui des s’enti- mens prononcés ; mais cette partie est re- mise à la semaine prochaine : ce petit inci- dent pourra déterminer mon voyage à Anisy, pour leur laisser le champ libre ; car quoique je les aime tous deux, je ne suis pas encore assez à la hauteur pour être

témoin auriculaire J’aime bien mieux,

pour mon compte, mettre au profit de l’a- mour les nombreux caprices de mon mari ; «omme tu vois, il n’y À que manière de




  • ,


( 53 ) 1

prendre les choses ; et je dirai avec le com- père Mathieu : tout est pour le mieux dans l’ordre des mondes possibles.

. \ • * *

Combien je m’ennuyai lorsque vous fûtes tous partis ! Ma petite maison si gentille, dans laquelle les occupations du ménage,, d’une mère de famille enfin, me tenaient si agréablement : tous ces charmes sont perdus pour moi ! toi seul est mon uni- vers ! mais si tu amènes le bonheur avec, toi, derrière toi, il ne reste que les ennuis et les regrets !

Si je n’avais pas avoué à mon époux ma passion pour toi, pouraiî-il l’ignorer long- tems ? Si-tôt que tu n’habites plus S…., je n’aime plus que la solitude : enfermée dans mon boudoir, rever sur cette ottomane..,., est la seule chose à laquelle je puisse me livrer. J’abandonne toute toilette ; je né- glige ma personne jusqu’à la veille de ton arrivée ; c’est tellement si visible, que- l’Espérance, tout bête qu’il est, la der- nière fois que tu vins à S, je me fai-

sais coëffer, il dit ; » Sans doute M.




( * 4 )

va bientôt paraître, car notre dame se bi- chonne.

Je fus chez madame V hier, passer

la soirée : on annonça ta mère : ce nom

  • à

retentit au fond de mon cœur ! je me lève et la salue en rougissant ; elle me témoi- gna un bien tendre intérêt ; deux autres personnes vinrent, on fit ùn reversy ; à la fin de la soirée, mon mari vint me cher- cher ; la femme-de- chambre de ma sœur y (sûrement malicieusement) profitant de la conformité de nom, annonça M. Q.*… Te . plutôt que M. Q et, et il me fut impos-

sible de cacher mon trouble, au point qüe mon mari s’en est très-offensé ; nous sor-’ tîmes peu de tems après ; mon mari donna la main à ta mère pour descendre ; je m’embarrassai dans la queue de ma robe : la femme-de-chambre qui nous éclairait me dit encore : « prenez-garde de tomber,’

madame Q te …. : mon mari la regarda.

Tu sais que son œil exprime assez ce qu’il veut faire sentir ; la soubrette baissa les yeux en ajoutant, je m’y trompe toujours, tant ces noms sont-ressemblans. Ta mère

• f




( 55 )

dit avec grâce, si le nom de madame res* semble au mien, son âge fait une si grande différence, qu’il doit empêcher toute mé- prise. Nous étions à la porte, nous recon- duisîmes tous les deux ta mère chez elle.

Voici de ces petits embarras difficiles à éviter •’ un domestique qui fait ce qui-pro- quo malicieusement, peut toujours s’en, excuser comme d’une méprise naturelle ; que dire ? y faire attention, c’est lui donner envie de renouveller ce jeu : cependant, ne pas s’en appercevoir, cela est difficile ; mais il faut que nos amours soient bien di- vulguées ; car nombre de fois, on m’a in- terpellé par ton nom. Oui, je voudrais pour beaucoup que tu eusses, ou moi, un autre nom.

Adieu, ami cher : décidément je serai le dimanche de midi à une heure à Anisy^ ; c’est-à-dire, que je passerai, dans cette heure, près le noisetier, au bout du che- min croisé. Pour que tu ne t’y méprenne pas, lorsqu’une voiture de poste contien- dra un jeune homme en redingote couleur


( 56 )

de pensée, un pantalon de soie gris, un gilet rouge de Casimir, un chapeau rond, pluche, à haute forme, tu pourras arrêter la voiture, et demander si le jeune homme

n’est pas le chevalier Jules Adieu, à

dimanche, je le presserai dans mes bras ; je serai ton ami, ta pupile, ton amante,

Julie.



LETTRE


1


(* 7 >

J


LETTRE XL t Julie à Lise.

Viens, chère amie, viens m’assurer d’un nouveau suffrage, en prouvant tes tendres sentimens à l’homme que j’aime bien sin- cèrement, quoiqu’un amour effréné me précipite dans les bras d’un autre ! rend-le heureux, cet aimable époux. Lise ! non, je ne suis point jalouse ; mais je ne pourais

être témoin ; ainsi, dimanche, je vais

à Anisy joindre mon amant ; viens rendre à mon époux les plaisirs que je porte à mon amant, peut-être à son préjudice ; mais lorsque je saurai qu’il est heureux, cela ajoutera encore à ma félicité !

Je pense à tout le monde : ce sera pour mon pauvre frère un coup mortel ; il t’aime si tendrement ! lui as-tu bien inculqué ta philosophie ? Pourquoi ne peut-on être heureux les uns qu’aux dépens des autres ? Mais j’arrête mes réfleaflons, peut-être pourais-tu me soupçonner de jalousie.

Tome IL 8



( 58 )

  • Ne manque pas de venir dimanche chez

moi, tu seras maîtresse de maison ; j’arri- verai mardi" : ne sois pas partie ; car je veux t’embrasser, et te renouveller que je suis à jamais ta meilleure amie,

’ Julie.

Baise ma Clarisse pour sa mère.



( 5g)


LETTRE X 1 .1.

. ! \ * ’ Î"


Lise à Julie .

D E quoi se sojit avisés tes parens de C..,„ de venir nous enlever à notre comité. Que nous avions de choses à nous dire ! Et nous ne pûmes avoir une conversation particu- lière. Ta qualité de maîtresse de,, maison t’obligeait à ne pas laisser les nouveaux ar- rivés pour t’entretenir seule avec ton amie. Tu me dois une lettre très-circonstanciée de ton voyage d’Anisy ; de ton déguise- ment, dont tu n’as pu me parler qu’en bâ- ton rompu ; je ne t’en tiens quite qu’après des détails qu’il ne doit pas être pénible à ton cœur de me donner.. r ..

’ . . ’ ‘ t

  • 4 À
  • • • » I . ;*>

Je te remercie de ta complaisance de

m’avoir mis à l’aise avec ton mari ; c*est une fantaisie qu’il me fut doux de satis- faire : cependant, je sent qu’elleest passée ; je resterai son amie ; mais, quand je serais



(6o)

plus à proximité de lui, je ne désirerais point être sa maîtresse : cependant, il est aimable ; mais que sais- je ? Je me suis re- trouvée, avec plaisir, dans les bras de ton frère ; que je plains ceux qui ne connais- sent pas le sel du changement ! Ton mari n’est pas sans charmes, sans voluptés ; mais il fera plus de conquêtes à la table qu’au lit

  • ’, l

Nous avons beaucoup parlé de toi ; il t’aime véritablement ; puis, nous somme* entrés en confidence sur sa fortune ; elle ést très-délabrée ; vous êtes si honorables tous les deux ! Il craint toujours le moment où le frêle édifice de son existence culbu- tera ; et le fin mot est qu’il se débauche plutôt pour "s’étourdir, que pour chercher des plaisirs ; ainsi, sa conduite et celle qu’il te laisse prendre, est plutôt l’effet du cal- cul du malheur, que de l’insouciance. Il vaut mieux paraître original, dit-il, que tout autre chose. Il ne fait presque rien de son état : insensiblement votre maison s’est montée sur un ton de dépense ; il loue néanmoins ton économie. — Mais tout-à-




( «o

eoap ma maison n’a qu’à fondre, me dit-il ! dans ce cas, lu le sais, je ne puis m’adres ? ser aux parens de ma femme ; elle sera ri- che ; mais son père peut vivre long-tems ; ma foi, tout cela pesé, je lui ai laissé faire u À amant ; s’il est honnête-homme, ce sera pour elle, en cas d’événemens, une

ressource Puis, il est déjà obéré avec la

petite madame de B Enfin, tout ceci

n’était pas provocation à l’amour.

Adieu, ma chère amie ; jouis bien de ton bonheur ; car je crains bien qu’il ne puisse être de longue durée ; cependant. Dieu me garde de te mettre le poison de l’inquiétude dans le cœur. Tu as encore bien des ressources ; tu es jeune, jolie, plus aimable encore. Ta maison culbute- rait, ton amant, comme tous les hommes, serait inconstant, que mille êtres sensibles seraient trop heureux de réparer vis-à-vis de toi, l’injustice du sort ! quant à ta fille, ta mère, tant qu’elle vivra, en aura tou- jours’ soin ; si elle meurt, sa fortune te donnera des moyens d’exister toujours ho- norablement.


\




(62 )

Adieu j cetie lettre est trop sérieuse ; pardon si mon amitié À su lever le voile, de ces vérités amères-, dans tous les cas, crois-moi toute à toi,

’ Ta L i s E.



/


( 63 )


LETTRE XIII.

/

. Julie à Lise.

T À lettre m’a fait peine et plaisir ; ce n’est

pas que tu m’apprenne du nouveau, quant » 9

à mes afFaires ; depuis long-tems, je soup- çonne mon mari d’être fort embarrassé ; et peut-être est-ce ce même embarras qui m’a déterminé à faire un amant, et avons-nous touché tous deux dans les mêmes vues sans nous l’être indiqué. Je sais bien que tout l’éclat, le séduisant de notre maison, tout ceci n’est qu’un château de cartes j long- tems je m’en suis creusé la tête ; mais ne pouvant y remédier, je préfère, comme mon mari, oublier mon chagrin dans les délices de l’amour. Puis, ma bonne amie,

la peur du mal, c’est déjà le mal de la

peur !

Mais revenons à des sujets plus gais. Tu veux que je te parle de mon voyage ; eh bien, chère amie ! dimanche, àneufheures




( 6 f y

du matin, sons un petit habit cVhomme assez leste, je montai dans une voiture que j’envoyai chercher à la poste, je me fis con.- conduire à Anizy, qui est à cinq lieues d’ici. Je croyais bien être inconnue du pos- tillon, et qu’il s’imaginerait avoir un jeune homme dans sa voiture ; mais lorsque nous fûmes au noisetier du chemin croisé, à l’entrée d’ Anizy, où mon amant m’avait dit qu’il m’attendrait, le postillon l’apper-

cevant, s’arrêta tout court. Q te crut que

j’avais dit au postillon d’arrêter ; moi, je crus que c’était lui qui lui avait fait signe ^ mais lorsqu’il eût monté dans ma voiture, et que nous nous fûmes expliqués là-dessus ; que nous vîmes que le postillon avait arrêté de son chef, et que par un plus mûr exa- men, mon. amant le reconnut pour l’avoir mené souvent, et que m’ayant prise chez moi, il ne doutait pas que je ne fusse ma- dame Q ct travestie en homme, tout cela

nous inquiettabeaucouprnous ne voulûmes pas rester à l’auberge où le postillon nous avait descendus, nous fûmes à une autre. Comme nous étions sans armes ni bagages, cela nous fut facile ; mais nous faillîmes

encor©


I




( 65 )

encore être reconnus ; et mon amant, pour tout-à-fait rompre les chiens, n’eut d’autre parti à prendre que celui de nous faire passer pour des opérateurs

Le lendemain après dîner, nous fûmes à L… ; il pleuvait ; il faisait un tems pitoya- ble. Crainte de me compromettre, mon amant ne voulut pas me mener chez lui ; nous descendîmes encore à l’auberge ; mais il voulut que j’allasse souper avec lui chez un de ses amis ; je le priai d’y aller seul, que je prendrais un œuf frais, et que je me coucherais ; qu’il viendrait me trouver après son souper ; nous en étions-là, lorsqu’un de se3 amis entra, et lui dit : on vous at- tend chez l’abbé M pour souper avec

votre compagnon de voyage ; ce M. s’a- dressa à moi. Oui, répondit mon amant ; monsieur est mon pupile ; mais il est bien fatigué ; il est arrivé hier par la diligence à S….., et il est venu me joindre aujour- d’hui ; ainsi joignez vos instances aux mien- nes pour le déterminer à venir souper avec nous. Enfin, ils firent tant, que je me laissai entraîner. Nous entrâmes dans le sallon de Tome IL 9





( 66 )

l’abbé M…. où étaient encore deux con- vives * : jugez de mon embarras. À tous, mon amant me présenta comme son pu- pile ; par honnêteté, ces messieurs eurent l’air de le croire ; et moi, je me persuadai qu’ils le croyaient effectivement. Pour le leur prouver davantage, je m’amusais à sauter entre deux chaises, comme un éco- lier. Je te vois rire

On servit le souper ;-Placez-vous, messieurs, dit le maître de la maison ; le petit voyageur À froid ; mettez-vous près du feu, jeune homme ( et tous sou-

riaient ). Si nous avions une dame, nous la prierions de servir. — Je m’en charge, dit mon amant. Cher pupile, voulez- vous de ce poulet ? il À une excellent® mine : cependant, ce n’est pas une pou- larde de chez Méot ; mais vous voilà en province. — Volontiers, je mangerai cette aile. Le maître de la maison me servit le foie : je ne voulus point l’accepter. — Ac- ceptez ; chez nous, c’est au plus jeune que nous déférons les honneurs. Puis, ils sou-, riaient ; la conversation devint générale.




C 6 7 )

On parla littérature ; mais on eut soin que ce fût à la portée d’une femme :• je prouvai que je n’étais pas tout-à-fait igno- rante. Lorsque l’on fut à la fin du repas, on apporta de la liqueur des îles ; puis, ces messieurs jurèrent fidélité, fraternité, amitié : je mis ma petite main dans les leur ; le contraste était frappant. On pro- posa de l’eau-de-vie ; je fis quelques gri- maces pour l’avaler. — Jeune homme, dit le plus gaillard, cela vous fera pousser de la barbe. Mon amant, d’un coup-d’œil lui imposa silence.

» . i • » >

On renouvella le serment : mon amant porta ma main dans la sienne, et ajouta à la formule du serment, amour et fidélité ;

1 je répète, amour et .fidélité- On ajoutait son nom ; je dis : Jules, jure d’ être fdèle à ses nouveaux amis,, les regardant. Un d’eux- ajouta ie… ie..* Mon amant tombant à mes pieds, baisant fortement mes^mains, dit : — Pourquoi ne pas dire qpe tu es jna Julie ? Ce fut un coup de théâtre > tous. les autres suivirent son exemple. Ces mes T • sieurs se ’piquaient d’qtre sentixpenlàL ;


/


( 68 )

puis, ils avaient une petite pointe de vin. qui était fort tendre. Mon amant remit ; tout de suite le bon ordre, en disant t s 1 madame veut le permettre, je vous don- nerai notre confiance. — Tout, hors le* noms, dis-je en serrant la main de mon amant d’une mauière signifiante. — Eh. bien, mes dignes amis, pardonnez mon égoïsme, d’avoir voulu seul, au milieu de mes amis, posséder ma maîtresse ; mais vous ne m’aviez pas donné votre confiance, * et on ne pouvait faire trouver avec ma- dame, qu’une amante de cœur : une femme quelconque n’eût pu être admissible ; j’ai " cru, sous ce déguisement de notre sexe, pouvoir me permettre cette supercherie. Vous avez vu madame, si vos amantes sont d’un genre au sien, nous arrêterons un jour où nous pourrons renouveller ce joli souper, et où tous après, nous pourrons être heureux. — Demain, demain s’écriè- rent-ils. — Demain, madame part de grand matin : on ignore chez elle cette fougue ; elle était supposée 1 aller dîner à deux lieues / de Paris, et elle doit y coucher demain ’ soir ; il est de tciutë impossibilité ; il faut *

/

/ t

J :

\

0




C 69 ) ’

remettre le souper à un tem« plus éloigné, et j’écrirai à Julie, qui sera assez bonne pour s’y rendre. On me le fit promettre. On renouvella le serment de fidélité, et nous les quittâmes après qu’ils m’eurent donné chacun un baiser, et qu’ils m’eurent as- sommée de coinplimens, et mon amant de félicitations.

On nous avait couvert deux lits à l’au- berge ; mais nous n’en occupâmes qu’un. Le lendemain matin vint le bottier de mon amant ( c’était celui d’un régiment en gar- nison dans cette ville. ). Mon amant voulait • me faire la galanterie d’une paire de bottes d’officier ; il me fit aussi prendre la mesure d’un pantalon de peau de reme ; ce qui me donna tout-à-fait l’air martial ; le cu- lottier ne fut point la dupe que c’était des mesures qu’il prenait à une femme ; mais elles lui furent tant recommandées, qu’il ne pût douter que c’était pour une maî- tresse chérie ; ainsi je ne doutais pas qu’il n’y mît tous ses soins ; puis, M. l’adminis- trateur du département jouit dans cette ville de certaine considération.

/




( 7 °)

À onze heures, nous nous sauvâmes pouf éviter la poursuite de ses amis ; je ne me souciais pas d’être vue de jour ; il me con- duisit jusqu’à la porte ; nous prîmes une voiture ; il y monta avec moi jusqu’à une lieue de la ville, puis me quitta pour re- tourner en se promenant. Je le suivis des yeux par la petite lucarne, tant qu’il me fût possible ; j’eus le plaisir de voir qu’il se retourna souvent tant qu’il pût appercevoir la voiture qui contenait sa Julie ; il s’était arrangé avec le postillon pour qu’il payât les relais que j’étais obligée de prendre à l’Ange-Gardien ; et celui-ci devait me dé- poser aux portes de S…. J’en traversai les • rues avec timidité ; enfin, j’arrive chez moi ; tu sais le reste ; tu vois combien j’ai été minutieuse ; mais ^1 l’as voulu !….

Adieu, bel ange ! mesparens, les C…. n s sont repartis : me voilà seule ; ils veu-* lent que je fasse un rôle principal. Ma- dame R va faire chez elle une petite

salle de comédie pour s’amuser cet’hiver : ils débuteront par la petite pièce : mauvaise tète et bon coeur. On À prétendu m’y recon-




( 7 * )

naître trait pour trait. Elise est le nom de Tainante qui est déguisée pour suivre son amant sous le nom du chevalier d’Anceny. Mon costume d’homme convient parfaite- ment à ce rôle. J’ai eu la hardiesse, pressée par leurs sollicitations, de dire que l’on

proposât à M. Q te le rôle de Dorval

( l’amant )-, q#e s’il l’acceptait, je promet- tais de prendre celui de Lise. Adieu, je te baise.

Julie.




lettre XIV.

À Julie.

J’ai possédé ma maîtresse au milieu de

mes amis, ciel ! que je fus heureux !

Julie ! que tu fus aimable !^i sous l’habit de ton sexe tu es Hébé, sous le nôtre tu es l’amour ! Ce nouveau costume n’a rien d’emprunté pour toi ; tous mes amis raf- folent du pupile. Notre hôte qui nous À donné à souper, vient d’être nommé vi- caire épiscopal à S et nous allons tous

l’installer les fêtes de Noël à S…. Sans doute vous vous rencontrerez dans la société ; car

l’abbé M est aimable ; il y sera reçu

avec plaisir. Ne conviens de rien, ô Julie » je ne pourrai guère, avant ce tems-là me

rendre à S : alors, tout le département

ira installer l’évêque et ses grands vicaires ; mais suivant ce calcul, bonne Julie, nous serions encore six semaines sans nous voir ; il semble, cher cœur, que nous avions prévu cela la dernière nuit que nous pas- sâmes ensemble.

À




( ?S>

À propos, Julie ; tu m’as fhit une biéii mauvaise réputation à L…. ; car tes séparai tions des appartemens de l’aubergé n’étant que des cloid#ns, le Voyageur voisin s’est beaucoup plaint que nous l’avions empêché

de dormir Et, à la réponse que fit là

servante de l’aubergè, que c’étaient deuà jeunes hommes qui avaient couché, cet officier assez mal embouché À dit : ce sont donc des B….. ; et ce matin, passant devant la porte dé cette maison, la servante rhé fit remarquer à deuic personnes qui y étaient, et ils rirént ; mais ces mauvais propos ne peuvent avoir dé consistance^ Au surplus, tu sais bien que je n’ai point des goûts dépravés ; que m’importe l’uni- Vers, lorsque ma Julie connaît jusqu’au moindre réplis de mon cœur.

O dieu ! adorable et adorée amante ! six semaines sans te voir ! quel siècle d’ennüi ! je t’ai suivie de l’œil aussi long-tems qu’il me’ fût possible ; toi, tendre amie, tu étais’ aussi à la petite lucarne de ta voiture. Mon Dieu ! que les chevaux t’enlevaient avec vitesse ! qu’il est toujours douloureux Tome IL 10




( 74 )

de se séparer ! Rentré chez moi, je. m’a.- ; bandonnai à la rêverie ; je suivais tes pas, timides en traversant la ville pour arriver chez toi ; puis, ma main sout^iait ton bras tremblant en sonnant à ta poite. Julie ! connais-tu l’effet du talisman ? combien ce jour, j’ai éprouvé sa bienfaisante inagië !

Enfin, .j’élais seul dans ma chambre, as^is dans un fauteuil ; de la rêverie, je nie suis laissé aller au sommeil : un songe trie conduisit sur tes pas ; c’était une femme blonde qui t’a ouvert la porte ; elle s’est précipitée dans tes bras : tu lui demanda timidement si ton mari était à la maison ; à sa réponse que non, tu la suivis dans ton. boudoir, et vous parlâtes de moi i puis t Lise (car c était elle), te dit : voici du monde qui t’arrive. Je me suis réveillé.

• ’ . …, i

, Dis-moi, Julie, si j’ai rêvé juste ? Ecris-

moi souvent ; penses que ci ici À. six semai-

nés, je n’ai point d’autre aliment pour mon

pauvre co ur que tes lettres. Adieu /mille

baisers. Noël ! tu es pour moi le siècle des

j . • ’ « 1 | i

siècles. Adieu. Je compte tous les jours



Go.


8 1


jusqu’au détail que tu me dois de ton re- tour. Lili ! chère Lili ! encore un baiser sur ta bouche ! *

N. Q….. te

P. S. Je t’envoye tés pantalons et te* bottes ; dis-moi si tu en es contente»




LETTRE XV.


Julie à son ami. ■

Ami, ami cher ! si je connais l’effet du talisman ! ne m’as-t u pas appris à tout con- naître ? Hier soir, je me promenais avec madame V ; la soirée était belle, quoi-

qu’un peu fraîche ; il pouvait être de sept à huit heures. Mes yeux, malgré moi, se fixèrent sur le haut du pain-de-sucre que tu habites, j’éprouvai un petit éblouisse- ment, et je te vis : tu étais du côté de

l’Aniscourt, appuyé contre un arbre qui

« 

est au haut de la montagne : tu tenais une de mes lettres à ta main ; j’étendis le bras pour te toucher, tout s’évanouit com- me une ombre. Je fis un cri ; ma sœur me * dit avec sévérité : — Est- ce que vous êtes folle ? — Ce n’est rien ; je garde ma vision pour moi. Quant à toi, tu as rêvé juste ab- solument : c’est Lise qui m’a ouvert la por-


I




( 77 >

te ; mon mari était sorti : nous nous assî* mes sur l’ottomane et nous parlâmes d® toi. Le monde qui arrivait chez moi, c’est encore vrai, c’est M. et Madame de R…. d® C .


À propos, tu ne sais pas ? Ils ont fait, faire un petit théâtre pour jouer chez eux la comédie bourgeoise ; et ils veulent que je fasse un rôle, justement celui d’amante si tu veux faire celui d’amant, j’accepte-, rai, et nous jourions bien d’après nature, moi sur-tput ; oar la pièce est mauvaise tête et bon coeur. Mon petit costume à l’officier est à merveille pour cela ; car Elise, l’a- mante de Dorval, prend le déguisement dn chevalier d’ Anceny, pour suivre son amant. Dis : veux tu faire Dorval ? .je ferai Elise, tu n’auras pas si loin à te rendre à C …. K

qu’à S et nous serons chez nos bon®,

i parens comme chez nouç. Veux-tu ? Par le prochain courier, je t’enverrai ton rôle.

Tu me demandes le détail de ma. route ; il est simple. Si-tôt que je t’eus perdu de




, ~ ( 7 «)

vue, je m’enfonçai dans le fond de ma voiture ; je me rappellai et retraçai à nfa ; pensée tout ce qui s’était passé ’• je restai plongée dans une aimable rêverie jusqu’à ce que mon postillon s’arrêtant tout court : me dit : « Monsieur, nous voici à S…. Où voulez-vous que je vous descende ? — Ici, lui répondis- je ; je me rendrai à pied à ma destination. Je saute de ma voiture, et d’un pas lent et timidè, je me rends chez moi ï le reste t’est connu

Mais tu me fais trembîèrT comment ? tout le département va venir les fêtes de Noël installer l’évêque constitutionnel et ses vicaires^ Ifcrgueil de mon mari ; puis, en sa qualité de P.-S. du D-, il voudra vous recevoir, vous donner à dîner ; sur-tout il voudra faire sa cour 1 au nouvel évêque, , né ’fut-ce’ que parce qu’il déteste l’ancien M ! de’ B…. Mon ami, que deviendrais-je ? Mon mari ignore que c’est à Anisy que je fus, et bien plus encore, le souper que j r aî fait 4 L… avec tes amis ; assure-toi de leur discrétion. Adieu, mon amour.




  • 1 •

( 79 ) *

Je ne puis trop te faire de remerciement des jolies petites bottes et du pantalon que» tu m’as envoyés ; ils vont à ravir. Si tôt leur arrivée, j’ai voulu les essayer ; j’avai* déjà passé une heure avec ma femme-de- chambre, sans succès, et nous faisions tint de ris et de train, que nous n’entendî- mes pas mon mari qui montait ; il nous surprit dans cette occupation : comme il était de fort belle humeur, il nous aida, nous passâmes encore trois heures pour parvenir à les meltre dans tout£ la perfec- ticm : lorsque nous y fûmes parvenus, mon époux me trouva charmante ; il ne voulut pas que je me déshabillasse avant le soir, il amena deux de ses amis souper. Après m’être déshabillée, j’étais broyée ; mais je les ai remis depuis ; ils ine vont mainte- nant à merveille. Il me tarde de les re- mettre une seconde fois pour faire une nouvelle excursion en faveur de mon ami.

Oh ! qu’il me tarde de redevenir ton pnpile, ton petit Jules, ton amante.


(8o)

Adieu, mille baisers, que tu déposera»

6ù bon te sembleras.

Toute à toi, Julie.

F. S. Si tu fais le rôle de Dorval, je ferai Elise, et mon frère, celui de Charles, ami dèDorval.

V *


LETTRE



LETTRE XVI.


1


À Julie.

]VTon amie, elle est partie beaucoup plu- tôt que je ne m’y attendais, ni elle non plus. Tu sais que son père À un procès con- sidérable à Paris. M. de B, son oncle

F.-G. al lui À écrit de se rendre tout de suite à Paris ; elle me charge de te mander son départ : elle t’écrira de Paris, si tôt qu’ell* le pourra ; mais tu la connais ; d’autres lieux, d’autres soins ! Mon amie, peut-on avec tant de qualités aimables, avoir tant, je n’ose dire, de traverses ; car elle t’a in- culqué sa morale, mais de légèreté, d’in- conséquence ; et moi, il faut que j’aye le malheur de l’aimer ! Plains-moi, bonne Julie ! l’univers est vide pour moi ; elle À su animer, vivifier ces déserts à mes yeux : mais depuis son départ, ils ont repris tout leur hideux ! les arbres sont presque déjà dépouillés de leurs feuilles ; nous ne som- mes plus qu’entre des montognes et des Tome II. 1 1



(’8a )

brouillards épais : ma sœur, ma bonne mon excellente sœur, si tu ne trouves pas un moyen d’égayer mes ennuis, je n’ai pa* deux mois à vivre.

Mais, chère amie, je t’entretiens de mes maux ; et toi, comment es-tu ? comment se comporte ton mari ? Le bruit court ici que ses aflaires sont mauvaises ; qu’il noyé ses chagrins dans le vin, la bonne chère et les femmes : toi, à son exemple, tu portes ton insouciance apparente dans les délices de la volupté ; mais je te connais trop bien, ô chère saur ! ce caraclère, pour toi, n’est que factice : ta sensibilité, mal- heureusement, se retrouve : alors, tu as peine à chasser l’effroi de te voir suspen- due sur le bord d’un précipice immense. Mais, adieu : ta fille est charmante. Quel malheur qu’elle ait un tel père ! Tout ici va toujours de même : mon père boude ; ma mère crie sans cesse ; cette maison est un enfer. Nous ne voyons presque plus per- sonne que les habitans de l’Epines. Adieu ; je t’embrasse de toute mon ame,

Ton frère C. G




( 83 )


L


LETTRE XVII.

Julie à son frère,

Si-tôt ta lettre reçue je prends la plume pour te répondre ; car tu as be- soin de consolation ; elle est partie. C’est pour toi un vide immense. Je partage bien sincèrement ta malheureuse position, mon trop tendre ami : cette sensibilité est en- core, dirai-je, héréditaire, oui, de ma mère, s’entend ; mais mon père, cet être indéfinissable ! pour être heureux avec lui, il faut ctre son chien.

Oh, mon ami ! tu me demandes si je suis heureuse 2 Oui, si je ne réfléchis pas, si je ne porte pas mes regards sur l’avenir : mon mari, qui est tout extrême, se conduit tou- jours avec moi par sauts et par bonds .• cet homme est aussi indéfinissable que notre père. Oh ! cependant il vaut mieux. Il À toutes les vertus, tous les vices ; c’est un mélange, un composé de toutes sortes de



( 84 )

choses. Il est le plus aimable et le plus dé- testable de tous les hommes. Cependant nul doute que s’il était fort riche, je ne fusse heureuse avec lui, parce que véritablement il m’aimeC : je sais le prendre ; mais tout- à- coup, je crains de faire le soubre-saut ; c’est ce qui me fait vivre vite. Le bon tems que je me serai donné sera toujours autant de pris sur l’ennemi. Mon ami, lorsqu’on ne peut faire les circonstances pour soi, il faut se faire pour elles. Dans les mains d’un autre mari, .j’eusse été une toute autre femme. Par exemple, si j’avais été plus heureuse chez mes père et mère, je n’eusse pas été si pressée de me marier : j’aurais pu épou- ser un homme honnête, et sur-tout un „ honnête homme, un riche habitant de la

  • campagne ; j’aurais pratiqué toutes les ver-

tus rurales ; j’eusse été une vertueuse

mère de famille.

Eh bien ! combien de gens ne sauraient pas tirer parti de ma position ? s’abandon- neraient aux larmes, faneraient leurs belles années dans la douleur ? Eh bien ! moi, je ne veux point penser à l’avenir, je veux


\





( 85 )

jouir du présent, profiter de mes beaux jours.

Le moment qui fuit n’est plus en notre pouvoir,

Et manquer à jouir, c’est abuser de la vie.

Voilà ma devise, adoptes-là pour toi, mon ami, et tu t’en trouveras bien ; et pour le prouver que nonobstant tous les on dit sur mon compte et sur celui de mon mari, je veux faire envier mon sort à ceux qui sont mille fois plus heureux que moi. Je veux m’amuser, étaler du luxe, avoir l’air de regorger de plaisirs, et bien réel- lement en prendre dans les bras de mon amant.

Nous avons, avec M. et madame de R…. de C…. le projet de jouer la comédie bour- geoise chez eux cet hiver. Nous jouons Mauvaise tète et bon coeur. C’est moi,

comme tu vois, d’après nature ! Q te fait

le rôle de Dorval ( d’amoureux ) ; moi ce- lui d’Elise ( d’amante ) ; et toi, je te des- tine celuf de sir Charles, ami et confident de Dorval. Tu as des grâces, de la mé- moire, quoique ta jtoitrine soit faible, tu as l’organe avantageux, voilà un moyen,


i




4


( 86 )

jmon-arm, d’adoucir les frimats et l’ennui v de l’hiver pour cette année, il faut eu profiter.

Adieu. Embrasse ma fille, ma chère Cla- risse ; ce seul bien qui, peut-être un jour, me retiendra à la vie. Je t’embrasse et suis la meilleure de tes amies,

Julie G. Q*…. ct .


(*/>


j ■■■■■■ ! ■■■gg— aaa>

f

LETTRE XVIII.

. lise à Julie.

Je suis, mon amie, partie avec tant de précipitation, que je n’ai pas eu le tems de t’écrire ; j’en ai chargé ton frère ; je l’aime toujours beaucoup ; c’est une si par- faite créature ! consoles-le de mon absence, toute bonne Julie !….

Mon père À l’espérance de gagner son pTocès, cela me rendrait dix mille livres de rente de plus. Julie ! si l’infortune t’at- teint, si l’amour ne répareras ses torts, ressouviens- toi de Lise ! que l’amitié soit ton réfuge ! mes amis-, ton charmant époux et toi, vous êtes si dignes d’être heureux ! et le sort serait-il injuste ?

Mon amie, nous sommes descendus chez mon oncle le F.-G. al Cette maison est d’un luxe, d’une opulence^, dont tu ne peux


i



( 88 )

pas te faire d’idce. Il m’a très-bien accueil- lie ; il me fait des cadeaux tous les jours-, ^out le inonde me fait la cour et brigue ma main ; mais j’aime trop mon heureuse liberté ; ma philosophie, ma moralité sur l’amour ne plairait peut être pas à beau- coup d’hommes : pourquoi me donner un maître ? Je ne veux recevoir de loi que de mon cœur ! et qui le commande aujour- d’hui, demain peut trouver un rebèle ; oh 1 c’est bien à moi qu’appartient ces vers :

Non, non, j’ai trop de fierté Pour me soumettre à l’esclavage,

Sous les liens du mariage

Adieu ; parles-moi de toi ? de ton mari, de celui qui À tant d’empire sur ton ame, ma chère amie ; ton amant À un grand moyen de séduction que je ne t’ai pas en- core observé, c’est un son de voix le plus séducteur ; c’est véritablement le sentiment qui découle de ses lèvres : sa voix va droit àl’ame. Adieu, délicieuse Julie,iouteàtoi,

Ta L I s E.


LETTRE




(§ 9 )


ATI IM IH—Ea—— I— Il «waM r»M— i—

LETTRE XIX.

À Julie.

C’est décidé, nous partons tous cinq pour aller chercher l’évêque constitutionnel : nous le gardons ici quinze jours, et nous

le menons ensuite à S Que ces quinze

jours seront longs pour ton impatient amant !

Ecris-moi, Julie ; tes petites lettres vivi- fient mon ame. Aimable pupile ! je te re- verrai donc encore au sein de mes amis ? Ton habillement de femme te change to- talement, sur-tout pour quelqu’un qui ne t’a vu qu’une fois, et à la lumière ; puis, tu es bien plus grande en femme ; mais ce qui se reconnaît, ce sont tes grands yeux, ma Julie ! Je ne les ai jamais trouvés qu’en toi, ton frère et ta sœur Henriette ; mais cette langueur, ce délicieux abandon, ce feu qui, tout-à-coup, vous embrase ; voilà Tome IL 1 2




( fjo )

ce qui, sous tous les costumes, caractéri- sera toujours ma divine Julie ; mais rassure- loi, mes amis sont prudens ; ils respecte- ront ma Julie pour elle et pour moi.

J’accepte de grand cœur le rôle de Dor- val, quand Julie est Elise, ton frère sir Charles, ce ne sortira pas de la famille ; jusqu’à ta fille, qui À aussi un petit rôle proportionné à son âge : cependant, j’ai un petit chagrin ; il n’y À qu’elle qui nous

éloignera de la vérité Envoye-moi mon

rôle bien vite ; qu’il me tarde d’être à ce jour !….

Demain il part une lettre du départe- ment au district de S pour prévenir de

l’arrivée du nouvel évêque ; ton mari t’en apprendra la nouvelle. Que je suis curieux de savoir comment il va se tirer delà i Car, comme tu dis fort bien, il voudra traiter le département, et moi qui en fait nombre ! Combien je desire ta prochaine lettre ! je t’envoie à mon tour tous* les baisers de la volupté sur les ailes de l’amour.

Ton ami, N. Q te


Digttiz’ed by GoogI


( 9 1 )

LETTRE XX.

Julie à Lise.

Tu es à la capitale, ma belle, fi^tée, ai- mée, chérie ; une foule d’adorateurs t’en- tourent ; tu es heureuse, charmante Lise :- te savoir heureuse, c’est doubler ma féli- cité ! Jusqu’à celte heure, je la dois toute à l’amour !…. Mais tu sais que je suis née pour les incidens : en voici un nouveau que mon amant ni moi n’avons pu prévoir, au moins de si-tôt. Tu sais qu’il m’entraîna à L… ; qu’il me fit souper avec ses amis, bien sûr qu’ils nepouvaient pénétrer que je fusse madame Q et . Eh bien ! on vient de nom-

mer un évêque constitutionnel, et c’est le département qui vient l’installer les fêtes de Noël à S…. Les amis de mon ami avec qui j’ai soupé, sont deux administrateurs du département ; le maître de la maison est un abbé qui vient d’être nommé grand vicaire épiscopal ; ainsi il va établir sa ré- sidence à S…. Je ne puis éviter de le ren-



( 9 5 )

contrer dans la société ; car c’est un homme aimable qui y sera accueilli ; quand bien même, les fêtes de Noël, j’irais à la cam- pagne pour éviter le département, je ne pourais échapper à l’abbé M…. Puis encore, puis-je avoir le courage d’abandonner cette ville au moment où mon amant y vient : de- puis six semaines, je vis de privations ; dans cette saison, il ne peut faire des voyages aussi fréquens ; non .* dussai-je me compro- mettre, et tous les miens, je n’ai pas la force de m’éloigner de cette ville : tu con- nais l’orgueil de mon époux ; il fait déjà des préparatifs pour les recevoir ; sa place, en quelque sorte, l’y oblige : tout ce que j’ai pu obtenir de lui, c’est de ne pas leur donner à dîner, mais à souper ; je lui ai prouvé l’économie d’un souper ; d’ailleurs, c’est toujours plus aimable ; puis, encore moi, il me semble que je serai moins re- connue et moins déconcerlée ; qu’il me tarde d’avoir quinze jours de plus !….

Tout est prêt pour jouer la comédie ; je sais déjà mon rôle, mon amant À le sien : mon frère fait celui d’ami et de confident ;




Clarisse en À un aussi ; tous les autres sont aussi fort bien distribués : il y À tout lieu d’espérer que tout le monde sera content. Quel dommage que cette idée ne soit pas venue pendant que tu étais dans le canton ! Mais toi, tes jours gras à Paris seront plus superbes ! Tu iras au bal de l’Opéra, et sous le masque, ton esprit acquerrera en- core de nouveaux charmes ; mais pour nous autres gens de province, c’est déjà beau- coup d’avoir eu l’instinct de’nous procurer ce genre de plaisir : j’en goûte un bien sen- sible de pouvoir le faire partager à mon frère ; il est maintenant comme un corps sans aine !

Je ne te fais point de remerciinens des offres obligeantes que contient ta dernière lettre : rien ne peut assez te manifester ma reconnaissance ; niais tu connais le cœur de ton amie ; c’est à lui que je te renvoyé ! mon mari partage ma sensibilité et mon inviolable attachement à toi.-Adieu.

Ta Julie.


( 94 )


LETTRE XXI.

Julie à son ami.

D ANS douze jours je te verrai, ami de mon cœur. Hier soir, mon mari est rentré pour souper ; il se frottait les mains d’une

manière de gaieté.

Tu ne sais pas, me dit-il ? Eli bien ! le dé- partement vient ici les fêtes de Noël ; ainsi tu verras ton amant ; je veux les bien réga- ler, et l’évêque ! oh ! je suis bien aise que ce petit J. F. de B… ne soit plus ici pour prier à la chapelle, puis, le nouvel évêque est un fort galant homme, etc. etc.

Tusais qu’il est honorable quand il donne à manger, même prodigue : tu sais encore que nous ne sommes pas riches ; j’ai eu tou- tes les peines du monde à le dissuader de donner à dîner ; enfin, je l’ai détermine à un souper, outre qu’un souper est moins dispendieux, c’est plus gai, plus aimable ;


Dicjitizccî b, Goevtflc



( 9 $ )

d’ailleurs, sais je quelle figure je ferais ? les lumières me seront toujours plus favorables. Dans tous les cas, une lemrae plus sage que Lili eût été à la campagne pendant ces fêtes pour éviter de se compromettre ; mais, je te l’avoue, je n’en ai point le courage. Ce- pendant, madame V…. nie l’a conseillé, sans savoir tous les motifs que j’avais de m’absenter :peut-être medéterminera-t-elle. — Cela, me disait-elle, nia chère amie, évitera à votre mari de donner à manger pendant ces jours : votre voyage sera son ex- cuse ; autrement, il fera de* extravagances ; vous le connaissez ? — Eh, mon dieu ! ma sœur, il en fera encore bien davantage, si je n’y suis pas ; il donnera un repas d’hom- mes,’ et mes domestiques profiteront de mon absence pour pêcher en ea^ trouble ; puis, vous savez que J. H. arrive demain ; il faudrait donc aussi que je la mène à la ’ campagne ? Elle vit bien que j’étais dilli-

cile à dissuader de rester à S ces fêtes ;

elle n’ignorait pas le motif de mes objec- tions pour mléloigner ; elle s’est tue ; mais toi, si tu pouvais venir me joindre à la cam- pagne !


( 9 ^ )

Je dois t’apprendre que mademoiselle J. Q…., sœur de mon mari, arrive demain de Paris, pour venir passer quelques mois avec nous, peut-être y rester ; je ne la con- nais pas ; mais on la dit bonne enfant ; ainsi nous serons deux maîtresses de maison, cela donnera au moins le change pour un petit moment ; j’ignore comment ma belle sœur prendra notre liaison ; mais elle est elle-même une victime de l’amour ; et j’aime à croire qu’elle sera indulgente sur les autres. Peut-être aussi y aura-t-il moyen de l’occuper à une affaire de cœur t Adieu, bel ange ; ta Lili te baise sur l’œil gauche.

P. S. Une lettre de mon mari se trouvera au distrirt pour vous engager à souper chez lui le jour de votre arrivée.


( 97 )


LETTRE XXII.

À Julie.

Aussi-tôt ta lettre reçue, vîte j’y ré- . ponds, tendre Lili. Quoi ! tu pourais te laisser séduire pour aller passer les f£tes à la campagne, tandis que moi je serais à S… ? Ne crois pas que je pourais me dégager de mes lurons de collègues, pour courir à la campagne ? Puis, où ? et dans cette saison, Lili, Julie, Lili, réfléchis donc ? La tête m’en tourne. Je ne t’ai pas vue depuis six semaines …. Oh ! tu ne m’aimes pas, Julie, tu 11e m’aimes plus ! Pense que si tu reste à S…. nous souperons chez ton mari le jour de notre arrivée ; 1* lendemain, on dînera sûrement chez madame V…. On ne pourra se dispenser de vous engager ; ni chez

M. M ; puis, l’évêque rendra à son tour ;

l’abbé M…., son grand-vicaire ; tu seras de tous ces galas : nous serons toujours en- semble, ô ma Julie ! et comment voudrais-tu que je me dégageasse de tout ce monde-là Tome II. 1 3



( 9 »)

pour aller courir les champs ? Mon amie, cela est impossible ; mais reste chez toi, c’est beaucoup plus simple : ne crains rien ; je serai là ; je sais que ta timidité À besoin de ma force, et qu’unis, nous en valons mieux.

Boîine, toute bonne Lili, rassure- moi I tranquillise-moi ! je serais un homme dé- sespéré, si je ne te trouvais pas à S-… Ecris- moi deux mots sur le caractère de ta belle- scrur J. H…. J’ai beaucoup entendu parler deses avantures ; c’est aussi un petit roman ambulant ; mais elle, je ne la connais nul- lement ; dans tous les cas, si ce n’est point un espion, c’est toujours un témoin de plus dont nous nous serions bien passés.

/ “-è .

Adieu, je n’ai plus 1| force de t’embras- ser, que je ne sois sûr de me trouver dans . tes bras ces fêtes. Lili, très-idolâtrée Lili.

Ton ami N. Q te <





]


( 99 )


LETTRE XXIII»

Lise à Julie.

L E bonheur, amie de mon ame, s’est plu à me combler ; je sais véritablement son enfant gâté ; mon père À gagné son procès, j’ai dix mille livres de rente de plus. Mon oncle m’adore, me comble de bienfaits ; l’ainonr vient encore embellir ma destinée ! Oui, l’amour ! j’aime, Julie ! j’aime à ta manière, c’est-à-dire, avec extravagance,

délire, fureur ; mais encore bien moins

rigoureuse que toi ; je sais rendre heureux l’objet de ma passion. Eli, mon amie ! à quoi me servirait la fortune, la beauté, la santé, la jeunesse, si je ne savais pas jouir, si j’étais assez pusillanime pour faire taire l’éloquence de mes sens. Non, non, la vertu des bégueules n’est qu’une chimère, le partage des âmes étroites, des femmes laides et ineptes, qui n’ont pas l’ame as-

\

%




( 100 )

aez élevée pour en avoir d’autre ; car, ô Lili ! où trouve-t-on l’humanité, la bien- faisance ; c’est dans une femme galante » la sensibilité n’appartienl qu’à une amante î quelquefois un phénomène se rencontre, comme voilà ta mère ; mais c’est si rare » Oh ! que je plains ces femmes bersées dans les préjugés, incapables de ces sensations délectables qui naissent de la volupté, qui n’ont jamais goûté cette félicité suprême qu’on partage avec l’être qu’on adore.

Mon amie, quoique je permelte à mon cœur toutes ces fantaisies, je garde le dé-, corum en société ; j’ai l’air d’une vestale ; il n’y À pas un de mes nouveaux soupirans qui ne croye avoir mes prémices ; je ne trompe cependant personne ; je ne suis point hipocrite ; mais la décence que je me conserve est pour me faire respecter ; c’est aussi parce que cela plait aux hommes : si j’ai deux amans à la fois, je ne les trompe pas, puisque je ne promets ni ne demande jamais de fidélité à personne ; mais que sert de leur apprendre ce . qui leur ferait de la



$


Digi’ized by Googte


( roi )

peine ? Lorsqu’on le sait, c’est peu de chû- se, et lorsqu’on l’ignore, ce n’est rien.

Je vais te faire une confidence, ma Lili, mon hôte devint amoureux de moi ; il de- sirait tant que je le rendisse heureux ! cela me coûtait si peu !…. tu m’entends, Lili ! Depuis ce moment, je plane ici en souve- raine ; mon hôte À de la philosophie à ma manière ; il fut étonné de me trouver si savante : nous rimes ensemble de la bon- hommie de mes parens, qui ne peuvent être comparés qu’aux tiens.

9

Tous les jours, il y À de grands soupers chez mon hôte ; papa, maman, vivent ici chez eux ; ils se font apporter, le plus sou- vent, à manger dans leur appariement ; car quand il y À beaucoup de monde, ils sont sauvages ; puis, ils se couchent à huit heures ; mais ils tue laissent totalement li-. bre. J’ai mon appariement, mes gens, c’est-à-dire, une femme-de-chambre, un jokeis, un cabriolet el deux chevaux, dont je dispose seule ; ma loge à l’opéra et aux




( 102 )

italiens, que me donne mon bien-aimes hôte ; car, quoique vieux, il est encore aimable ; d’ailleurs, lorsqu’un homme est délicat, noble, généreux dans ses procé- dés, il n’a pas d’âge ; à cent ans, il plait encore, c’est-à-dire, à l’ame. J’ai aussi un escalier dérobé, et personne ne me de- mande compte de ma conduite ; enfin, j’ai seule trouvé la pierre philosophale, le bonheur parfait.

. O ! mon aimable Julie ! j’espère un jour contribuer à ton bonheur ; permets que maintenant je contribue, à tes plaisirs….. Je fus hier aux Variétés, paice que l’on donnait Mauvaise tète et bon coeur. J’ai bien examiné le costume de l’actrice. La première fois qu’elle paraît sur la scène » elle est en simple villageoise ( je t’en- voye’tout ce costume dans une boîte qui sera mise demain à la diligence ). Elise apprenant que Dorval va en épouser une. autre, elle prend le costume du chevalier d’Anceny (je saisque tu as celui-là), jeune officier de ses amis ; elle lui propose un




( io3 )

duel ; il ne la reconnaît qu’au moment où ; prêt à la percer de son épée, elle lui ou- vre son sein où est encore son portrait ; ensuite il se présente à son père avec elle et son enfant ( qui peut avoir à-peu- près l’âge de ta Clarisse), pour avoir son consentement à leur himen ;làeileest paréo en dame dans le plus joli costume.

À celui de villageoise contenu dans la boîte en question, est une robe à la Co- blentz ( dernière mode qui paraît ) ; elle est grise et rose ; la ceinture, les gants, tout est assorti ; les souliers, le chapeau aussi gris et rose, et à la plus nouvelle mode, sont presque semblables à ceux qu’a- vait l’actrice qui remplissait ce rôle ; les boucles d’oreilles et l’esclavage, sont aussi dans le même genre. Je n’ai pas oublié Clarisse ; tout son ajustement s’y trouve : cela, dans ta province, fera de l’effet : dis- moi s’il y manque quelque chose, j’aurai encore le teins de te l’envoyer ; essaye la robe ; j’imagine qu’elle sera bien ; car nous sommes de la même taille, et je l’ai fait






\ I0 4 5

faire comme pour moi Mais il est minuit, voici les pas timides de mon amant sur mon. escalier dérobé. Adieu. Dans ma première lettre, je te parlerai de cet adonis. Lili ! toute à toi

Ta L i s E.


lettre





( 105 )


LETTRE XXIV.

Julie à son ami .

Avec combien de plaisir, ami tendre, j’ai vu tes craintes que j’allasse à la campagne ces fêtes. Cependant, trop tôt, tu as cru que Lili pourait se déterminer à • quitter un lieu qui allait être embelli par ta présence. Non, rien ne pourait m’éloi- gner de S….. au moment où tu y arrives : une fois, pour toujours, connais Julie ; tu es tout pour elle, tu es son univers ! J’ai mille fois plus que toi l’impatience que ce jour arrive.. …*Oui, je t’aime tant, que lors- que mon enveloppe mortelle sera réduite en cendres, si on la remue, on y trouvera encore l’étincelle du feu dont je brûle pour

loi ! Viens viens…. que tes amis soient

témoins de ton triomphe, je ne dirai pas de ma faiblesse, mais de toute la passion que tu inspires

Tu veux deux mots sur le caractère de Tome II. 14



( io6 ),

jna belle sœur ; elle est bonne, douce, sen- sible ; déjà je lui suis attachée, et j’aime à Croire qu’elle nie paiera de retour ; mais ja- mais nous ne serons rivales ; car son genre d’agrément est si différent du mien, que Celui qui serait amoureux de l’une, ne pourait l’être de l’autre, sur-tout pour toi ; je te connais assez pour ne pas craindre que tu en devienne passionné : du reste, elle peut conquérir l’univers. On lui À déjà parlé de mes amours sour cent formes dif- • férentes, et on cherche déjà à l’indigner contre toi ; elle n’a pas voulu me nommer les masques ; mais je soupçonne madame V…. Cette beauté altière eût peut-être, dans tout ceci, désiré jouer un rôle prin- cipal ; elle se croit si supérieure à moi t mais qu’elle le croye ; je n’envie ni sa beau- té, ni ses conquêtes. Je te connais trop pour craindre qu’elle m’enlève ton cœur. À pro- pos, tu te rappelles mon travestissement dans notre excursion à L… Eh bien, mon ami, le croirais-tu ? tu n’a pas échappé à la censure ; mais quoiqu’on en ait dit, ou qu’on dn dise, je serai toujours ta pupile. Ah ! que le rafinement ajoute au plaisir I


J



(,0 7 )

Adieu. Viens. Je désirerais bien que ttt eusses un de tes amis vacans, et qui ressentît le désir de toucher le cœur de J. H…. : au total, elle est faite pour être aimée.

Mimi, cher mimi, je viens d’éprouver un bien sensible plaisir ; que l’amitié À aussi de douceur !…. Lise, Lise, cette ex- cellente amie ! Eh bien ! non, tu ne sauras

rien Je veux te ménager le plaisir de la

surprise ! je veux que ce soient tes yeux qui portent le plaisir à ton cœur ; je me tais. Non, monsieur, ne me faites pas de questions ; vous ne saurez rien avant le jour ; je prouverai que, quoique femme > je sais garder un secret.

Sais-tu ton rôle ? Moi, j e possède le mien ; il est si naturel de dire je vous aime, quand ce mot s’adresse à toi ; mais J. H…. est ar- rivée trop tard ; tous les rôles sont donnés > elle À reçu une invitation d’aller passer le

carnaval à C Je l’ai fort engagée à s’y

rendre ; car je vois plus d’un inconvénient à ce qu’elle vienne comme spectatrice bé- névole à C y Nous sommes déjà tant de


i



( «S )

monde des miens chez nos parens ! il fau- drait de toute nécessité qu’elle partageât

ma chambre, mon lit J’aurai ma fille ;

mais c’est un enfant ; elle sera aisée à écar- ter ; puis, je la donnerai à son oncle. Mais que ferais-je de J. H…« Comme j’espère

qu’elle sera partie pour C avant moi

pour C y, je ne lui ai rien dit. Combien

les amans sont traversés. Dieu ! qu’il y À encore loin d’ici à ce jour ! que d’incidens peuvent naîtres !

Mon ami, aimer est-il un bien ?

«. w

Aimer est-il un mal ?

S’il était un bien, causerait-il tant d’alarmes ?

S’il était un mal, aurait-il tant de charmes ?

Ta Lili.

i

) .



r



jr’*


( *09 )


LETTRE XXV.

À Julie.

V

T À petite épître, Lili bien tendre, À porté un beaume salutaire à mon cœur. Tu res- teras à S Je te verrai, sensible amie ! je

te posséderai / quoiqu’en public, ou pour mieux dire, je jouirai de ta présence ; mais il y aurait bien du malheur, Lili, si nous ne pouvions échapper aux regards, ne fus- se que quelques minutes Lili ! tendre Ju-

lie ! nous sommes tous deux de si bonne volonté ! O, Vénus ! j’implore ta protec- tion ! quel est l’olocauste qu’il faut brûler

sur ton autel ? Après demain, j’arriverai

à S : je souperai chez la souveraine de

mon cœur ; nonobstant les témoins démon bonheur, j’en jouirai dans les yeux bril- lans de Lili ; j’y lirai les désirs qui consu- ment mon cœur. Si je puis toucher la jolie main de Julie, je serai électrisé. Lili sera gaie, aimable ; qu’il me sera doux de sa- voir que je serai la boussole de son génie !



( )

Amour ! si te* jouissances sont délectables, que tes désirs ont aussi de charmes pour une ame sensible ! mais Lili ! le désir me consume,et ta jouissance me vivifiera. Julie ! c’est aujourd’hui jeudi ; d’ici à samedi soir il n’y À plus qu’un jour franc ; la matinée du lendemain de ce jour sera distraite par le voyage et le plaisir d’arriver.

Méchante ! tu veux aiguiser ma curiosité. 4Que veut dire ce sensib’e plaisir, Lise et des points ? Quoi ! je ne le saurai pas ? Tu veux me ménager le plaisir de la surprise ! Eh bien, cruelle ! je n’avais pas déjà assez de motifs pour souhaiter ce jour fortuné ! Eh bien ! adieu, méchante, puisque vous vous taisez, je ne vous donnerai pas même

un seul baiser. Adieu, laide Lili

Ton ami, N. Q r °


KJ





. ( ”* )

lettre xxvi.

À Julie.

Ma bien-aimée, j’irai te voir ces fêtes dei Noël : nous conviendrons de nos faits pour les jours gras ; j’espère remplir mon rôlo d’une manière satisfaisante ; puis l’émula- tion ! il est d’ailleurs si propre à mon ca- ractère ! Il est si vrai que je vous aime, que de vous l’exprimer, ce ne peut être un jeu pour moi ; et lorsque l’on est pénétré de Son sujet, peut-on manquer de réussir ? Mais ta Clarisse est un phénix ! elle À des petites grâces si naturelles ; elle y met déjà tant d’expression ! elle chantera à mer- veille ses petits couplets. Elle À la voix juste : au moins, elle tiendra cet agrément de son père. O, ma bonne sœur ! pourquoi ta fille n’a-t-elle pas dix ans de plus ? elle

fixerait tous mes désirs : ce serait, en

quelque sorte, encore me rapprocher de toi ; je te la mènerai ces fêtes : elle est si contente d’aller chez toj î que ne peux-t» voir sa joie naïve !




( 112 )

Ma bonne amie, j’ai été injuste ; Lise* cette excellente, celte charmante Lise. El» bien ! comment réparerai- je jamais ?…. Ma bonne amie ! elle À mis le comble à mes sentimens pour elle. Le croirais-tu ! la veilla de ma fête, on m’apporta une petite boîte à mon adresse ; je tremblais en l’ouvrant- je ne pouvais la soupçonner que de toi : cependant la sensation que j’éprouvais ne se conciliait pas avec un envoyé de ta part. Dans cette boîte s’en trouva une plus pe- tite ; je l’ouvre et soulève un petit papier ; qu’apperçois je ? les traiis de la maîtresse ’ de mon cœur dans un médaillon simple, mais joli ; une gerbe de ses cheveux de l’autre côté. Tu connais ma sensibilité ; j’ai cru expirer de joie ; enfin, mes larmes cou- r loient en si grande abondance, que j’en ai " eu un accès de fièvre. Ce précieux cadeau n’est pas encore tout : deux jolies bagues de quelque chose encore plus charmant ;

mais chut : l’une était formée en

.nœud d’amour, et cette devise autour : le tems peut les effacer ; mais ne les oubliez jamais. Non, non, divine amie ; je ne les oublierai jamais : je veux qu’ils soi en#

-enfermés




1 13 )

enfermés avec moi dans ma tombe ; à la suite était une jolie petite lettre, où elle me peint combien elle est comblée de la fortune et de l’amour, dont elle parle comme d’un déjeûné à l’anglaise ; elle me dit qu’elle t’a écrit ; sûrement elle t’aura encore donné plus de détails qu’à moi, sur-tout sur ses nouvelles amours.

Adieu, chère Lili, sous peu de jours nous nous embrasserons, ton plus dévoué ami,

C G

P. S’ Tout le monde ici va comme de coutume ; la monotonie y est continuelle.


  • 5


Tome IL


.< 1 14 )


»aaaas


LETTRE XXVIL

Julie à Lise.

Enfin, je respire ; je vais m’appesantir

  • ur mon bonheur, en jouir de nouveau en

le déposant dans le sein de mon amie. Lise ! elles sont passées, elles sont passées ces fê- tes de Noël tant souhaitées ; mais tu veux Tout savoir, n’est-il pas vrai ? Il faut t’ins- truire par ordre. Il est brfn que tu saches d’abord que mon mari À fait venir chez lui une sœur infortunée, victime de l’amour et du préjugé ; que cette saur est belle, jolie, bonne, intéressante. Cependant elleest d’un genre à plaire rarement à ce sexe qui nous nomme frivole, et qui l’est bien plus que nous ; et la conséquence en est facile à ti- rer, puisqu’il ne nous aime que telles

La veille des fêtes, dès sept à huit heu- res du soir, ma sœur et moi, sous un né- gligé galant ; un turban mis avec grâce, nous avions l’air, dans une bergère, cha-




( >’5 )

Curre à un coin de la cheminée de roOît charma#t salon, attendre de donner ou recevoir le mouchoir, lorsque l’on annon- ça MM. Q.~.. te, de B…., R…., l’abbé M … l’évêque M…. ; enfin, tout le département qui soupait chez moi ce jour-là. Ma soeur et moi, nous nous levâmes pour recevoir ces messieurs. Dans tout ce monde il n’y avait que mon amant qui connaissait la maîtresse de maison ; les autres nous nom- mant toutes deux madame, ne savaient véritablement laquelle des deux était la maîtresse du. logis : ma sœur, mon amant et moi, nous nous plaisions à nourrir leur incertitude. Aucun de ces messieurs ne connaissait mon mari ; car autrement, sa sœur lui ressemble d’une manière frap- pante !…. elle est à-peu-près de mon âge, beaucoup plus grande que moi ; elle est au- tant l’emblème de la raison, que je suis celui de la folie-

Cependant, ces messieurs voyant que mous nous faisions un jeu de les laisser daps l’indécision desavoir laquelle de nous deux était madame Q “, se piquèrent davan.-



( 1x6 )

tage à le deviner ; l’évêque l’entreprit le premier ; et offrant une prise de t&bacà ma

sœur, il lui dit : — Est-ce à madame Q et

que j’ai l’honneur de parler ? Ma sœur sou- rit et répondit si bae, qu’il n’en fût pas plus instruit. — Oh, pour le coup ! ajouta M. de B…., ces dames s’amusent. Eh bien !

il faut les deviner. M. Q re s’entend avec

ces dames pour nous donner le change ; mais voyons si je serai plus heureux que vous, M. l’évêque ? Et, s’approchant de moi qui m’étais enfoncée dans l’encoignure de la cheminée, et qui avais fait allumer les bougies de manière à ce qu’elles fissent ombre, pour être moins reconnue pour le pupille ; M. de B… s’approchant tout près de moi, dit : — C’est la main de madame Q et

i

que j’ai l’honneur de baiser ! Je gardai la né- gative. Me regardant de nouveau : — Mais, mon ami, s’adressant à mon amant ; voilà des yeux que je connais ; ce sont les yeux, le son de voix, et la jolie pelite menote du pupille ? je me levai ; alors l’abbé M…. dit : — Qu’est-ce que vous dites ? madame est une fois plus grande. — Mais voyez donc ces grandsy eux ! c’est lui, c’estellei l’évêque dit :

W




( ”7 )

•=— Je ne connais point le pupille que l’on m’a tant vanté ; mais il est impossible qu’il

soit aussi aimable que madame. Nous étions

« 

tous levés ; mon amant profitant de ce mo- ment pour me conduire à l’ottomane, il s’y assied près de moi ; un mot que l’on vit qu’il me dit à l’oreille, un baiser fort tendre qu’il déposa sur ma main, M. de B… s’approcha de nouveau, et me dit : — Belle clame ! ou vous êtes le pupille, ou vous de- vez être mortellement outragée contre cet aimableséducteur ; car vous ave ? l’air bien ensemble ! — Eh bien, monsieur ! je ne suis point outragée ; j’aime à croire qu’aucune femme n’a àse plaindre de monsieur. — Oh ! dit de B…. j’ai découvert le pupille ; mais il reste à savoir laquelle de ces dames est

madame Q et . Nous nous rapprochâmes

de la cheminée. J’avais du plaisir, mon amie, à avouer aux amis de mon amant, combien je l’adore ; et un bàiser que je lui rendis avec trop d’expression, eut bientôt décelé toute ma tendresse, ma faiblesse, ma passion ; enfin, tout ce qu’il te plaira de nommer mon sentiment.

Nous entendîmes mon mari qui montait.


(»*)

L’ évêque dit : — Oh ! on ne peut s’y mcprerL- dre ; voici la sœur, la prenant par la main et la comparant à mon mari ; et voici l’é- pouse. La conversation devint générale i on se mit à table, et le souper lut gai, sur- tout vers la fin. L’évêque était à ma droite. Al. de B…. à ma gauche ; ma sœur entre MM. R…. et M. Q enlre ces deux der-

niers. N*y ayant point assez de femmes pour que chaque homme en eût une, nia sœur et moi, nous occupions le milieu de la table ; les autres s’arrangèrent comme âls voulurent. À minuit, l’évêque voulut, par décorum, s’en aller ; alors mon amant, d’un air aimable et aisé, dit : — voici une place vacante, je m’en, empare, et se mit près de moi. Pendant tout le souper, nous avions désiré êlre rapprochés ; que ce mo- ment nous fut doux ! que d’innocentes jouissances le rapprochement nous procura ! et le feu du désir brillait dans nos yeux.

’ À deux heures, on sortit de table ; on remonta au salon pour prendre ses cha- peaux ; et peu de teins après, ces messieurs

se retirèrent. Ma sœur éclairait dans l’anti-

•/




< 1 *9 )

chambre ; mon mari était au bas de l*esca J lier qui causait : mon amant faisant sem- blant de chercher son chapeau, était resté le dernier. Qu’il fut entreprenant et moi

faible ! Te le dirais-je, Lise ? . . . .

il m’avait électrisée ! cependant, je le ren- voyai. Ces messieurs dirent : il est toujours

comme cela, il perd tout Tu comprends

combien la position de ma sœur était em- barrassante ! elle eut l’air de bouder, et moi je pris celui de ne m’en point apper-. cevoir ; chacun fut se coucher …

Mon mari resta chez lui : il ne remonta pas chez moi. Je t’avoue que ma sœur com- mence à ine péser.

Le lendemain, nous dînâmes chez M. V…’ Avant que de se mettre à table, mon amant convint avec moi que je ferais semblant de me trouver indisposée, pour avoir occasion de nie retirer, et qu’il ne tarderait pas à venir, chez moi. Mes sœurs ne furent point les dupes du jeu ; aussi J. H…. ne m’accom- gna-t-elle pas.

Mon amant vint un instant apres chez




lîo )

moi : nous passâmes deux heures ensem- ble Comme nion mari et ma sœur son-

paient chez madame V…. je fis dire que je ne pourais m’y rendre ; que l’on ne m’at- tendit pas. Lorsque je fus assurée que mon mari et ma Sœur ne reviendraient pas avant le souper, je me déshabillai ; mon amant fut mon valet-de-chambre ; je mis mes pe- tites bottes, le pantalon de peau ; et sous cette métamorphose, je pris le bras de mon. amant ; la nuit nous servait encore, nous

fûmes souper chez l’abbé M avec ses

amis : mon costume pouvait me permettre cette espièglerie. Le souper fut fort aima- ble, simple ; la gaieté y présidait.

À une heure du matin, mon amant me ramena à ma porte : j’avais ma clef, je rentrai sans bruit ; Fany dormait dans la cuisine ; je glissai sans qu’elle me vit : ren- trée dans ma chambre, je fis un signe à mon amant par la croisée dont nous étions convenus, pour l’assurer que j’avais pu pé- nétrer chez moi tranquillement ; puis, j’en- tendis au bout de la rue la voix de mon. mari et de sa sœur, qui revenaient ; alors

mon




( )

mon amant qui l’entendit aussi, s’éloigna avec vitesse» et silencieusement, avec la douce certitude que j’étais rentrée la pre- mière. N’y À-t-il pas un dieu pour les amans ? Car quelques minutes plus tard, nous nous serions rencontrés à la porte ; cela est tou- jours désagréable : mon mari, sur-tout re-

! lativement à sasn’ur, en eut été fort dé- 

sobligé. J’ôtai à la hâte ma redingote ; je mis un bonnet de nuit sur ma tête ; et en- tendant monter l’escalier, je me mis toute bot^e et culotée dans mon lit.

Lorsque ma sœur fut à sa porte, je l’ap- pellai ; elle entra chez moi : mon mari, sous prétexte d’avoir besoin de quelque chose dans mon appartement, entra aussi ; alors, ils crurent véritablement que je m’étais trouvée malade ; ils me donnèrent del’erfu et du sucre ; et mon pauvre mari dit, avec une espèce d’inquiétude ; — Est-ce que tu ne pouras pas venir dîner demain chez l’évêque ? Je viens de trouver une carte d’invitation pour moi et vous, mesdames. — D’ici à demain, mon ami, la nuit répare bien vite une légère indisposition. Nous Tome II. 16




\


< 122 }

nous quittâmes lous bons amis. Je rêvai St- ma toilette du lendemain ; quÊ je fus ten- tée de mettre ma robe à la Coblentz et le charuTant chapeau gris et rose ; niais je ré- sistai à la tentation, ; je voulus qu’il rem- plit sa destinée : personne encore ne l’a vu : heureusement que le carnaval est bas, je n’aurai pas si long-tems à garder le secret.

Je mis ma robe à la turque, veste glacée de violet d’évêque, une ceinture rose, bien coëfl’ée en cheveux ; trois jolis pana£nes rose, petit gris et blanc sur le côté :^ette élégante simplicité de coëflure produisait le meilleur effet ; comme il brouillassait un peu, l’évêque nous envoya sa voiture ; le dîner était nombreux, mais presque toutes les personnes qui, la veille, étaient chez M. V…. : l’évêque mit madame V…. à sa droite, et ma sœur à sa gauche* elle était superbe ; elle À la plus belle voix du inonde ; ce fut un grand charme pour l’é- vêque qui, lui-même, l’a très-agréable ; et ’j’ai vu avec un bien sensible plaisir qu’il avait pour ma sœur des soins distin- gués ; c’est véritablement un morceau épis-

« 


Digttized by Goof le


( )

cqpal ; moi, fêtais vis-à-vis son excellence,

Q *’ à ma gauche, de B… à ma droite ;

le reste était tous hommes : ; c’était un dî- ner de cérémonie, chacun s’occupait de ses voisins : ce jour, on se relira chez soi de bonne heure. La dernière fête, tous

ces MM. dînèrent cliezM. M…. ; c’était un - / repas d’hommes, mon mari y fut seul ;,

mais en récompense, le soir, le petit co- mité, c’est-à-dire, Q. …,e et ses amis privés,

nous nous réunîmes chez l’abbé M Oh 1

pour le coup, je ne pus y tenir ; j’ai mis mon petit costume villageois que tu m’aa envoyé pour le premier acte. Le petit bon- net au pot au lait va à ravir.

L’Evêque continua toujours ses soins 4 ma sœur ; et au lait, je ne crois pas ^u’il y aurait sur terre une femme qui lui con- viendrait mieux, tant pour le décorum, que pour le caractère. L’abbé chez qui nous soupions est tout au bout de la ville’ opposé au quartier que j’habite : de- puis onze heures du soir jusqu’à une heure ’ du matin, il fit une pluie épouvantable,, de manière que nous fûmes obligés de


4




C 12 4 )

coucher chez l’abbé ; l’amour, cependant # ne put que se procurer quelques larcins ; ma sœur ut moi, nous couchâmes ensem- ble ; il était dix heures du matin, lorsque Fany entra, nous apporta des chaussure» pour traverser les vues, et des parapluiss, car il tombait encore quelques goûtes d’eau ; elle m’apprenait aussi que mon frère et ma fille venait d’arriver chez moi ; à l’instant, la nature remplaça tous les sentimens que l’amour occupait dans mon • cœur ; je fis un saut en b$s du lit ; un ju- pon, un corset, une pelisse, un mouchoir sur ma tête, j’embrasse notre hôte ; je lais- sai Fany avec ma sœur et toute ma défro- que de la veille ; et comme un trait, je m’élance jusques chez moi : combien mon frère* et moi, nous nous embrassâmes avec plaisir ! Les petites caressas de ma fille m’enivrèrent de délices…..’ Lise ! qu’il est doux d’être mère !….

Peu de tems après, mon amant vint nous faire ses adieux ; nous convînmes fous trois ensemble de nos arrangemens pour le car- naval à G…y. Nous nous répétâmes no»




( iS5 )

rôles ; Clarisse chanta avec beauconp d’ex* pressions ses petits couplets. Ma sœur çt Fany arrivèrent’ ; après nous’être embras- sés, mon amant, que M. B… vint chercher» nous quitta Jmur aller joindre sa voiture qui l’attendait ; mon mari, qui avait été toute h. matinée au district, revint ; nous dînâmes gaiement ; et ce fut dans le sein, de l’amitié que je me reposai des délice# de l’amour

» Mon frère m’a montré tous tes jolis ca- deaux ; Lise ! que tu l’as rendu heureux» jamais il ne se séparera de ton portrait chéri ; avec lui, il sera enfermé dans sa tombe Lise ! je suis on ne peut plus sen-

sible à tes présens ; mais mon frère est plu£heureux que moi. Tu as voulu com- bler le frère, la mère ët la fille ; qu’il me serait doux de pouvoir me venger !….

Adieu. Voici un in-folio. J’abuse de ta complaisance. Pour me lire, tu seras obli- gée de dérober des momens au plaisir, à l’amour ; mais Lise ! tu m’a promis des dé- tails, je ne t’en tiens pas quitte.

Ta Lui, •





( ia« )

P. S . J’oubliais de te dire que lorsque je», me mis au lit toute bot ée, et que mon mari et ma sœur sè furent retirés, je ne pus ja- mais ôter mes botes ; je n’osai sonner per- sonne, voulant que mon excursion soit ignorée ; mais le lendemain, mon amant ayant vu mon mari au district, il profita de ce moment pour venir me donner le bon jour ; il arriva fort à propos pour me débot er ; ce qui lui apprêta beaucoup à rire ; enfin, lorsque mes botes et mon pantalon furent ôtés, je me recouchai ; après une demi-heure de séance, mon’ amant se retira. Je donnai une heure à Morphée pour réparer les fatigues d’êtrp restée comme un officier sous la tente.





( 127 )


LETTRE,X XVIII.

  • . *-in

À Julie.

33 o N N E et excellente Lili, que de jouis* ;

sances diverses tu procures ; je t’ai possé-, dée sous toutes les formes : tu as semblé multiplier ton être pour varier mes plaisirs ; le premier jour, tu fus ma sultanne ; que.- tu rendis ce souper aimable ! oui, Julie, tu aurais eu tous, les mouchoirs….. Combien mes amis ont envié mon siirt ! Voilà le vé- ritable- .triomphe d’un amant….. Lorsqu^ l’évêque fut parti-, et que j’eus- pris sa : place ; que tes beaux yeux prirent d’éclats ; c’était le volcan de la volupté. Petit basilic, tu m’avais tué, et rien au monde ne pût arrêter’ ma témérité, lorsque je me trouvai presque seul avec toi dans ton salon.,,, ^ ’ r-. i •« •---r " •••

Pardon, ô ma Julie ! mais nous étions* électrisés au même période ; et j’aime à. croire que tu. eusses été plus offensée de ne pas être offensée…. C’est donc à ta sçeur ;




( 128 )

que doivent s’adresser mes excuses ; car la ■pauvre-petite ne savait que devenir ; en descendant, elle t’eût compromise ; et sa complaisance d’avoir pris le prétexte d’é- clairer dans l’anli- chambre, mérite notre éternelle reconnaissance ; mais elle est bonne ; elle connaît les maux que l’amour cause. O ma Julie ! que je voudrais être à même de lui rendre le même service î que je désirerais que tout de bon avec l’évêque cela prît une consistance !

Le lendemain, ma Lili était dans un abandon de toilette qui annonçait celui djiun cœur tendrement occupé ; crois que ton amant ne perd rien de tous ces petits détails ; «Tailleurs, je sais jouir aussi de la tournure spirituelle que ta mis à tes ré- ponses aux sottes questions que te fit M. V…. ; et quel intérêt tu n^inspiras lors de ton indisposition supposée. Tu n’avais pas mal au cœur, Lili, mais tous les spectateurs pouvaient voir quetu avaisle cœur malade. Je te retrouve chez toi sur cette ottomane ! Nous resiâmes deux heures ensemble ; je fus ton heureux valet-de-chambre : quand

de




I


’ < 129 )

taa maîtresse j’en eus fait mon ami, qu’il me fut doux de te mener triomphant sou- per avec mes amis ! Charmante métamor- phose ! à jamais je te bénirai ! Le dieu ailé nous servit ce jourdà ; tu arrivas la pre- mière chez toi ; que la voix de ton époux et celle de ta sœur que j’entendis à l’autre bout de la rue, firappèrent agréablement mon oreille ! Mais je ne me doutais pas, Julie, que tu serais obligée de coucher toute botée, et que le lendemain, je se-- rais réservé à te délivrer de cette espèce de prison ; nous en rîmes, ô ma Julie ! et on peut dire, à tout, malheur est tmn ; car, comme tu avais mal dormi, il te restait un certain air de pâleur, de langueur, que l’on appereevait à travers toute ta parure.* Friponne ! combien cette coëffure du der- nier élégant, quoique simple *, te sied ! Et moi qui avais ta gauche à table, ces plumes, emblème de ta légèreté, lorsque tu te pen- chais, lorsque tu folâtrais, venaient me ca- resser. Non, Lili, tu ne peux te faire d’idée de la sensation que j’éprouvai. Lili, mets toujours un panache lorsque tu sera près de ton amant ; c’est une grande volupté. Tome IL 17




( I°° )

Mais la soeur était bien superbe ; c’est là le mot, superbe. Cette robe violetté, cette céinture queue de serein, cette guir- • lande de rnyrthes et de pensées qu’elle avait sur la tête ; elle ressemblait par le port et la tournure à une des prêtresses c]es In cas. Elle est belle, elle est jolie ; mais, mes amis ne l’ont point goûtée ; moi, pour mon

  • compte, je ne sens pour elle que du res-

pect ; je n’aime pas les beautés aussi froi- des Pour l’évêque, ce doit être son fait ;

elle saura conserver le décorum et toute la dignité sacerdotale. .

4 » :, •

Revenons à ma LUi ; le troisième jour,

ce dîner d’hommes chez M quoiqu’ex-

•cellent, était bien maussade ; mais que le souper de chez l’abbé nous À bien dédom- magés ! que. la jolie petite villageoise qui me versait le nectar, versait de feu dans mon ame ! que ce petit bonnet que tu nommes pot-au-lait avait de grâces négli- gées ! mais il renfermait un mystère ; bonne Julie ! tu ne veux donc pas me le dir^ ? Il y À encore beaucoup de choses que je sau- rais en même-tems ; mais pas avant le car-



….. I J…


■*( i3r )’

naval : Lili, il y À encore bieri loin ! quoi ! tu seras cruelle jusqu’à cetems-là l Eli bien, mademoiselle, il ne fallait rien dire du tout : tu sais bien que pour tout ce qui concerne Lili, tout ou rien est nia devise.

Revenons au moment, toujours amère pour mon cnrur, celui des adieux ; mais il me fut doux de te laisser dans les bras de l’amitié. Que j’ai eu de plaisir de voir ton frère ! Que je suis aise de ce que nous passerons les jours gras ensemble ! que ta fille est jolie ! qu’elle sera charmante ! Cla- risse ! tu auras le cœur de ta mère ; sans cela, tous tes charmes seraient annullés ; mais qu’elle sera précoce, ma bonne amie ■ que d’expression elle met déjà dans sa voix !

Lili ! mon départ, cette fois, ne t’aura pas été sensible ; je t’ai laissée dans les bras de l’amitié et de la nature : je suis presque jaloux que Lili toute occupée de sa fille de son frère, n’ait senti avec amertume que je m’éloignais d’elle. Combien mon ami m’a plaisanté ! La voiture m’attendait





/


( i3* ) ÿ»

depuis une demi-heure ; si, dit-il à me* autres collègues, je n’avais pas été l’arra- cher des bras de sa maîtresse, vous l’eus- siez attendu jusqu’au soir, Monté dans la. voilure, je m’enfonçai dans le fond ; je fermai les yeux, et fis semblant de dor- mir pour rêver à Julie ; j’ai eu le plaisir d’entendre qu’il n’y avait qu’une voix sur son compte ; puis, ils me réveillèrent, et firent pleuvoir tons leurs sarcasmes sur moi ; chacun enviait mon bonheur. Adieu, Lili !

Ton ami, N. Q….,**





f

< i33 )


•LETTRE XXIX.

Julie à son ami.

Ne crois pas, ami tendre, que je fus in- sensible à ton départ. À la vérité, il me fut moins amère, puisque je restais avec celui qui aime tout. ce qui plaît à Lili, et que je pouvais lui parler de toi ; ma fille- aussi est une grande distraction à mes ennuis ; et ma sœur qui est toujours avec moi, sûrement je n’éprouve presque ja- mais les ennuis de la solitude ; cependant, quelquefois il me serait doux d’en trouver les charmes. Aujourd’hui, par exemple, j’ai été obligée d’envoyer Clarisse avec sa bonne et ma sœur, chez sa 6reur, pour m’entretenir un peu avec toi ; j’ai mainte- nant trop de compagnie ; je ne puis rêver à toi que lorsque je suis au lit ; aussi mon. mari et sa sœur m’ont ils observé, hier, que je me couchais de bonne heure.

L’évêque n’est venu nous faire qu’une



1




( ’34 ) .

visite d’honnêteté ; j’ai prétexté des affaire», pour le laisser seul avec ma sœur ; niais il n’est pas resté long-tems ; je ne sais ce qu’il lui À dit ; car elle, est toujours sur la réserve avec moi ; j’en fais autant avec elle, et cela n’est pas un commerce bien doux. Tu sais qu’elle À quelques an- nées plus que moi. — Vous êtes jeune, ma Sœur, me dit-elle hier, en voulant affec- ler une morale sévère.- — Oui, dis- je ; mais je nous préviens que je n’ai/ne pas les mo- ralistes ; elle s’est tue : nous nous battons froid ; je sens bien ce quelle À sur le cneur.

À la vérité, tues bien coupable ; et ni elle, ni moi, ne te pardonneront tu sais….

Mais voici déjà Clarisse qui rentre en grognant. Elle dit, je vais le dire à ma- rna* : peste, ce n’est pas tonie rose ; c’est bon pour un petit moment. Mais, adieu, j’ai de l’humeur.

Ta Julie.




,,( ï35 )


LETTRE XXX.

À Julie. .

. »

Une petite lettre bien courte et assez sèche, finissant par dire j’ai de l’humeur» Lili, est-ce bien aimable ? Suis-je cause ’qu’un enfant, un mari, une sœur t’aient conlrariés ? est-ce moi, injuste Julie, est- ce moi qui doit souffrir de cela ? Comme toi, je suis fâché que l’évêque ne soit pas plus empressé près de ta sœur ; que veux- tu ? Ta sœur m’a manifesté son ressen-

timent pour ce que tu nommes ma témérité ( témérité que tu as partagée ), que depuis peut-être l’idée qu’elle s’était formée do cet adorateur est déchu. Tiens, Lili, je vois bien que tout ceci ne poura durer long-tems ; puis, ton mari m’cn paraissait déjà lassé ; ma bonne amie, les tiers ne valent jamais rien ; un mari et une femme ont déjà beaucoup de peine à s’accorder ; mais lorsqu’il y À des sœurs, des enfans ; d’ailleurs, j’aime bien que ce soit moi





(i36)

qui porte l’endosse de tout cela ! Lili, vous êtes une méchante ; voilà donc tout ce que vous avez à me dire de tendre ? j’ai de l’humeur ! En vérité, j’en prends à mon tour. Adieu, maussade Lili ; je ne vous dirai pas que je vous ai/ne ; je ne vous don- nerai pas un baiser jusqu’à ce que vous m’ayez consolé par une épîtrç un peu plus tendre ; jusques-là, je te boude. Adieu, on sonne chez moi, j’ai de V humeur….

N. Q «•


lettre




! 


( i3 7 )

LETTRE XXXI.

Julie à son ami.

Si j’ai des torts, je sais les réparer, ami, ami bien cher ! elle était bien sèche, ma dernière ! Mais, écoules ; on me contrarie si souvent ici ! Depuis huit jours, mon mari est d’une humeur insoutenable, et, comme tu dis fort bien, je crois qu’il est fort las de sa sœur ; mais voici la lactrice qui sonne, je l’entends ; car e le À une manière qui n’est qu’à elle ; et Clarisse qui dispute avec sa bonne pour me mouler elle-même mes lettres. Tiens, maman, me dit-elle, avec un petit minois tout gra- cieux ! Deux lettres de Taris,, une de Lise, et l’autre de la main de mon ami. Comment

se peut-il de Paris ? Ouvrons

Ta Julie.


Tome II.


i S



1


( *38 )

k " " — ■ ■■ — ■

0

LETTRE XXXII.

À Julie.

BlEN-AlMÉE Julie ! les importuns qui m’ont fait fermer si brusquement ma der- nière lettre, venaient pour m’apporter une mission du département, pour nie rendre avec un de mes collègues ( que tu ne con- nais pas) à Paris ; il fallut partir sur-le- cbamp ; et à minuit, j’ai traversé S…. sans pouvoir m’amter ; en passant à sa porte de Lili, je laissai échapper un soupir, et ne pus m’empêcher de regarder ses croisées, comme si j’eusse pu l’appercevoir ! bonne, toute bonne Lili ; mon collègue part de- main matin, et je reste encore quatre jours

à Paris. Viens viens m’y joindre ; qu’il

serait doux de passer quatre jours, et en- core plus les nuits ensemble !…. Dans cette grande ville, on est tout à soi…. Lili, écris- moi tout de suite : promets sans savoir com- ment ; mais promets toujours ; je suis sûr, lorsque tu auras promis, que tu viendras.




( i3 9 }

^pcris-moi ; j’ai un bel appartement pour te recevoir ; tu descendras rue Sainte- Anne, hôtel de la république de Genève. Viens,

adorable amie ! viens…. viens Jeh’ai la

force quç de répéter, viens…. viens

Ton ami N. Q,e .



( M> )


^ . *


LETTRE XXVIII, •

Lire à Julie. * ■

Tu me demandes, chère amie, des dé- tails sur tne$ amours : je serais ingrate si ’ je ne tenais pas ma parole, ne fut-ce que pour répondre à ta même complaisance, si toutefois l’on peut nommer complai- sance le plaisir de parler de ce que l’on aime ? Eh bien ! je n’ai rien d’aussi piquant ici, que toi dans ta province : tout chez toi est événement, incident ; moi, tout so passe à bas bruit : chacun ici s’occupe do soi. On traite l’amour ici avec bien pfcM de simplicité qu’en province ; c’est un enfant avec lequel on s’amuse sans conséquence : chez vous, au contraire, vous en faites un personnage si important, que je suis éton- née qu’il veuille bien enoore habiter cette cité ; pour mon compte, je ne suis pas celle qui lui rendra plus de dignité ; je fai* joujou avec lui ; je réponds à ses folâtres . carresses ; cependant il me traite bien ;





( ’43 )

Est-ce que ce genre plairait mieux à sa légèreté ? Sous ses traits les plus séduisans, et le nom du comte Alphonse de B…., il m’amuse véritablement du matin au soir, ou pour mieux dire, du soir au matin.

Tu sais que j’ai une loge à l’opéra ; il y À environ six semaines que-, sortant du balet de Télémaque dans l’Ue de Calipso, je remonlais dans mon cabriolet ; un très- joli homme qui avait causé avec moi au foyer, où j’avais été un instant, me dit : - 1 — Belle dame,• voulez-vous accepter ma main pour monter ? il me la serra tendre- ment, monta lui-même dans un charmant phaéton, et suivit mon cabriolel ; arrive à ma p#rte, il m’offre encore la main pour descendre ; l’étonnement de sa témérité, la vivacité que’ je mis à descendre, mon pied qui s’embarrassa dans la longue queue de ma robe, me fit faire un faux-pas ; il me retint : l’occasion était belle pour me recon- duire à mon appartement ; il n’y avait "personne à l’hôtel, mon oncle soupait en ville : je demande au comte Alphonse s’il voulait souper avec moi. — Oui, ma divine.




( 143 )

quoique je sois attendu dans deux soupers,’ je ne puis laisser échapper l’occasion de vous assurer de tout ce que vous m’avez inspiré ! Je sonnai Séraphin (inon jokais ) ; il vint ; je demandai des huîtres, un pou- let, une salade, des pots de crcme, et nous soupâmes gaiement.

.L’heure de se fetirer était déjà plus que passée, Alphonse sollicitait avec tant de grâces la permission de n’en rien faire ! J’étais en belle humeur : il est si doux de faire des heureux !…. Je le fis passer dans un petit cabinet, tandis que Rosine ( ma femme de chambre) me mit au lit. Le len- demain, nous nous trouvâmes tres-contens l’un de l’autre ; nous fûmes dîner à Baga- telle ; et depuis ce moment, quoiqu’il soif mon fidèle chevalier, qu’il porte mes cou- leurs et ma devise, tu la connais ? C’est d’être libre. Pour conserver un amant, le moyeu le plus sûr est de ne point le gêner.

Mon oncle donne assez souvent des con- certs : mon amant, qui est bon musicien, y fut engagé comme amateur ; et j’ai




)


044 )

le plaisir de le voir applaudir. Mon oncle ]e retient souvent à dîner ; nous parta- geons le tems entre les spectacles, les con- certs, les bals. Alphonse les craint plus qu’il ne les aime ; car, dit-il, c’est là le triomphe de mon inconstance. Cependant mon bonheur même me devient mono- tone ; n’avoir que des amans fidèles, où en est le piquant ? Un amant qui me donnerait de la jalousie, me plairait bien davantage ; j’aurais le plaisir de triompher d’une ri- vale. %

Adieu Lili ; tu es plus heureuse que moi.

Ta L i s E.


: 


À

■ lettre i




t-45 )


LETTRE XXXV.

À Julie.

Eh bien, bonne Lili, cette promesse de m’écrire pour charmer ma solitude ; eh bien ! où est- elle ? Voici les jours gras qui arrivent ; au moins j’attendais une lettre de toi avant mon départ poiir Oh !

j’en ramènerai Clarisse ici ; c’est pour moi un vuide affreux d’en être privée. Si tu ▼eux avoir toujours un enfant avec toi, fais-en un pour cela ; mais ne compte pas sur Clarisse, ma mère et moi l’avons rete- nue ; jusqu’à mon père qui la redemande. Tu connais son faible pour les animaux : eh bien ! le croirais-tu ? il partage ses car- resses entre elle et Piram (son chien favori ) : il disait rc’est singulier, je n’aime pas la mère ; c’est une si mauvaise tête ! le père, qui vaut encore moins, et je raffole de

. cette petite morveuse !

( • •

Hâtes-toi de m’écrire deux mots ; car je n’ose me mettre en route que je ne les ayes Tome II. 19




C 146 )

reçus ; peut-être que si j’étais parti, on dé- cachet erait ta lettre, et tu n’as pas besoin de cela pour être en odeur de sainteté ici !

Adieu, mon amie ; ma lettre est courte ; mais que veux-tu que te dise un malheu- reux solitaire ; je ne puis te répéter que ce que tu sais déjà, que je t’aime, et que tu n’as de meilleur ami que moi.

Toi, bel ange ! que ta lettre ^oit bien longue ; car mon seul plaisir ici est que de jouir de la description des tiens. Adieu

toute aimable sœur

Ton frère C. G




I


( *47 )


LETTRE XXXVI.


, Julie à son frère.

J’espère que ma lettre arrivera encore à teins ; je te dois, mon ami, une longue explication sur le motif de mon silence.

J’arrive de Paris** j’ai à te transmettre mille baisers de Lise ; mais tu vas me dire que tu as été à Paris ; je le sais….

UnelettredeQ te m’apprenait qu’il était

dans cette ville ;et il m’invitait si instamment

de m’y rendre ! Tu connais mon faible- !

je n’ai pu refuser une si belle occasion de m’amuser ; mais comment m’y rendre seu- le ? prendre la poste, c’était trop dispen- dieux ! la diligence ! c’est trop long, mon amant n’étant que pour quatre jours à Pa- ris. Souvent il semble que le destin se prête avec complaisance, lorsqu’il s’agit

d’une folie. Je reçois la lettre de mon 4 #

amant à midi ; nous soupions chez madame B…. notre voisine ; tu sais qu’elle est à




(148 )

l’affût de tous les plaisirs ; je lui commu- niquai la lettre de Q te et lui dit : trou-

vez un moyen, j’irai avec vous à frais com- muns. Si nous avions une voiture, la poste n’est pas exhorbitainment chère : oui, oui.

Le prieur de V À laissé sa berline chez

moi’, prenons-là ; mais il faut que mon mari n’en sache rien. Si le prieur venait dans l’intervalle chercher sa voiture ? — Bah, Bah ! est-ce que tout^est pas permis à une jolie femme ? Le moine courra après sa voi- ture ; laissez-moi faire : votre mari soupe chez moi ; avec quelques bouteilles de cham- pagne, nous ferons de votre mari et du mien tout ce que nous voudrons. J e veux que nous dînions demain à Paris.

1 * ’ * • » ’ * *

Mon ami J que cette femme est intri- gante ! elle nous fit servir un excellent sou- per avec le meilleur vin ; elle en versait tant et plus à nos maris ;’ il y avait un autre jeune homme avec nous que nous avions mis dans la confidence Les bouteilles vuides disparaissaient et étaient remplacées par des pleines avec une célérité imper- ceptible ; enfin, ces messieurs devinrent




( *49 )

tendres ; elle carressa le sien ; j’en fis-au- tant au mien ; ensuite elle leur dit : j ai Tecu une lettre ce niatindemon pavent C … » Il m’invite d’aller passer quelques jours à Paris ; le veux-tu, mon petit homme ? Cette question ! ut suivie d’un baiser ; puis, s adres- sant à mon mari : — Monsieur, je vais emme- ner madame avec moi ; ce sera mon écuyer. Mon pauvre mari ne savait trop ce qu’il di- sait : — Eh bien ! oui, oui — Allez vous

boter>Lili, et nous partirons. Je fus mettre mon habit d’homme, et la syrène poussa la chose jusqu’à faire signer un billet à mon mari pour demander des chevaux de poste ; elle se fit bien soigneusement remettre le billet ; prenant les clefs du coffre-fort dans le gousset de son mari, elle prit de l’ar- gent suffisamment, jusqu’à ce que nous eussions rejoint Q…… te . Elle avait envoyé

le jeune homme prendre la clef de la re- mise chez le voisin où était la voiture du Prieur ; les chevaux furent mis : nous lais- sâmes nos maris endormis près du feu, et •nous les recommandâmes à la bonne et au jeune homme que ce petit manège amusait beaucoup.




( 1 5o ’)

Nous voici grand train sur la route de Paris ; j’embrasse ma bienfaitrice. — Jevous % dois aussi des remercimens, tout ceci est aussi un peu pour moi ; car vous m’avez fait naître l’occasion de faire ce voyage ; je trouverai à Paris mon amant.

Lorsque nous fûmes presque à moitié chemin, nos roues craquèrent au point qu’il fallut les consolider avec les cordages : nous fûmes obligées de rallentir le pas. À’ neuf heures du matin, nous arrivâmes à N…À…D… Nous descendîmes pour déjeû- ner à la croix d’or. Ma compagne est très- grande, faite à peindre, le plus beau port, quoiqu’elle ne soit pas de la première jeu- nesse, ni d’une jolie figure ; lorsqu’on la voit par derrière, on esl très-curieux d’ap- procher d’elle. ; elle avait un voile sur la figure.

La maîtresse de l’auberge nous demanda si nous voulions du feu : nous dîmes que oui ; et traversant une chambre pour aller dans une autre où on allait nous en allu- mer, nous y vîmes deux officiers qui déjeû-




< i5i )

«aient auprès d’une cheminée très-échauf» fée. Permettez, messieurs, dis-je en appro- chant du feu. — Avec bien du plaisir, dirent- ils,en nous présentant à chacune un fauteuil. La bonne, dit l’un d’eux, mettez-là votre fagot, ces dames seront plutôt réchauffées que dans une chambre qui ne l’est pas en- core. Ma compagne avait de l’esprit, de l’usage du monde ; bientôt la conversation devint intéressante : au bout d’un quart- d’heure, nous oubliâmes que nous ne nous étions jamais vus. Nous fîmes venir à dé- jeûner ; ces messieurs en firent les honneurs avec grâce ; l’un d’eux pouvait avoir qua- rante ans, et l’autre vingt : ce dernier me traitait toujours en camarade ; l’autre m’a- vait tout de suite reconnue pour une fem- me ; mais, dit mon amie, il faut voir notre berline, et la fîlire écrouer, si nous vou- lons arriver à Paris pour dîner. À l’instant ces messieurs se levèrent et furent visiter la voiture ; ils revinrent. — Nous nous y connaissons mieux que vous, mesdames ; votre voiture n’ira pas à une lieue d’ici sans qu’une des roues ne tombe en javelle. — Eh bien ! dîmes-nous toutes les deux, il




( i5a )

faut en envoyer chercher une à la poste.— Non, non, mesdames ; notre berline tient quatre, et même, si vous avez des baga- ges, notre cave n’est point pleine ; que nous nous estimerons heureux d’avoir vo- tre compagnie ! Nous allons aussi aujour- d’hui dîner à Paris. Après un long débat d’honnêtetés, nous montâmes dans la voi- ture de ces messieurs, et laissâmes les per- sonnes de l’auberge très-persuadées que c’élait un rendez-vous.

La route fut très-agréable^ nos compa- gnons de voyage nous déposèrent à notre destination, et eux furent au F.-S.-G. Ils prirent notre adresse à S. .. pour venir nous voir en retournant à leur régiment, qui était sur les frontières ; nous nous quit- tâmes tôus satisfaits les u»s des aulres.

Q,e n’était pas chez lui : on nous ou-

vrit son appariement, il en avait donné l’ordre. Nous vîmes deux lits couverls et des habits d’hommes qui n’étaient pas les sfens ; nous présumâmes que son collègue n’était pas encore parti ; nous nous fîmes

donner




’ \

(

( >53 )

donner un autre appartement où nous l’at- tendîmes. Au bout de deux heures, il entra chez nous. — Je vais emballer mion col- lègue, et vous descendrez chez moi.

Enfin, restés seuls, nous pouvions nous

livrer à notre sentiment Qu’il fut doux !

Il fait venir à souper. Nous voulûmes donner le lit d’honneur à ma compa- gne de voyage, à qui il ne pouvait ja- mais assez faire de remercimens d’avoir aussi adroitement amené ce voyage ; c’é- tait elle cette fois qui lui avait mis sa Lili dans ses bras…. Sans examiner quê c’était encore une confidente de plus, et que ce ne sont jamais les amans qui perdent la réputation de leurs maîtresses, mais bien celles-là. Pour le moment, nous ne pou- vions goûter que le plaisir d’être réunis. Après les débats d’usage, Claire ( c’est le nom qu’avait pris notre amie) voulut ab- solument que nous occupions l’apparte- ment et le lit d’honneur. Que cette nuit

fut délicieuse ! Le coëffeur de mon ami

vint si matin, qu’après sa toilette faite, il voulut encore donner quelques momens à Tome II. 26

\


l




( ^4 )

Morpliée, ou pour mieux dire, à l’amour… Tu sais que mou amant À de fort beaux cheveux châtains bruns. Son coëffeur lui en fit des complimens à perte de vue ; puis, il lui parla galanterie ; que s’il restait long- tems à Paris, il ne manquerait pas d’avoir des avantures ; que lui, il connaissait de charmantes, etc.

Moi qui était sous la toile, je ne pouvais plus arrêter mon besoin de rire. Tout beau, dis-je, mousieur le coëlfeur, vous êtes trop obligeant ; les hommes de la tournure de monsieur, en province même, trouve des femmes aimables ; et lorsqu’ils viennent à Paris, crainte dp la corjtagion, ils les mè- nent à leur suite. Il se retourne tout stupé- fait. Mais, madame, vous n’étiez pas hier ici, et monsieur m’avait dit qu’il était gar- çon. — Monsieur vous À dit la vérité ; mais il À une maîtresse qui doit, pour son cœur, valoir mieux que les femmes charmantes dont vous parlez. Il me demanda mille par- dons, et sortit.

En déjeûnant, mon amie demanda à mon




( > 55 )

amant combien il payait ce superbe loge- ment. — Quinze francs par jour. — C’est être fou ! Venez au faubourg St. Germain chez mon ami ; sa femme est à la campa- gne, il vous donnera un lit ; vous passerez pour le mari et la femme : il À un apparte- ment fort propre de vacant. Mon ami se fit beaucoup solliciter pour accepter ; enfin, nous y fûmes.

Où donc m’abandonnai-je ? À quoi bon te faire tous ces détails, tandis que c’est de Lise que je dois te parler ; c’est elle qui t’intéresse. Nous y voici. Le lendemain de notre arrivée, nous fûmes dîner au palais royal, ensuite aux Italiens ; mon ami vit Lise dans sa loge, entourée d’une cour brillante, dont elle était bien plus occupée que du spectacle ( car ici les trois quarts des femmes vont au spectacle par ton et pour la société ) : — Voici Lise, oblige-moi, bonne Lili, de ne pas l’aller voir ; sa mora- lité est trop licentieuse dans un pays où les occasions sont si fréquentes pour une jeune femme.

À la première phrase de mon ami, je





( i56 )

m’étais levée ; mais le ion pénétré dont il prononça les dernières paroles, me fit tom- ber sur la banquette. Etre à Paris sans voir Lise ! passer tous les jours devant sa porte ! ( car tu sais qu’elle demeure gu coin de la rue du Bacq, vis-à-vis les Tuileries) ; c’é- tait ajouter au désir que j’avais de causer avec elle : on me le défendait ; et c’était la première fois que mon amant avait, vis-à- vis de moi, ifsé d’une espèce d’ordre. Tout le lendemain de ce jour, je sus me conte- nir : mon Ornant nq me quitta pas ; mais la veille de notre départ, il dînait chez ses parens, et par conséquent, il ne pouvait nous y mener : Claire dînait avec son ami ; ils m’avaient bien engagée à dîner avec eux. Mais, me dis-je, voici le cas, ou jamais, d’aller voir mon amie. Mon amant sortit à dix heures du matin, et dit qu’il ne re- viendrait qu’à dix heures du soir ; qu’il me laissait sous la sauve-garde de Claire.

Si-tôt qu’il fut sorti, je me fis joliment coëlfer en boucles, c’est-à-dire, un crêpé, un catogant dotant, mes petites bottes bien luisantes, ma petite badine à la main.


Dfgitized by Gooj


( i$7 )

je saluai Claire et m’éclipsai. — Nous voua attendrons pour dîner, dit-elle. — Oui, jusqu’à trois heures.

J’arrive à la porte de M. de B…. Un tremblement me prend. Tu sais que je suis timide ; je désobligeais mon amant ; je ter- giversai un instant, et j’allais me retirer, lorsque le portier me demanda à qui j’a- vais affaire. Mlle de B…. peut-on lui parler ? — C’est bien matin, monsieur ; mais au surplus, voici son jockais, il vous dira s’il est jour chez elle. — Séraphin »

votre maîtresse est-elle visible ? Séraphin

6e retourne, me regarde, et étonné d’être nommé par un jeune homme qu’il ne con- naît pas ; — Monsieur, je vais le demander à la femme de chambre. Je le suis à un grand escalier ; lorsque nous eûmes monté le premier étage, Séraphin se retourne : — Monsieur, n’allez pas plus loin, je vais venir vous dire si mademoiselle est visible ; mais voici sa femme de chambre qui sort de chez elle. — Rosine, votre maîtresse est- elle visible ? Rosine, étonnée de s’en- tendre nommer, me regarde. — Monsieur,


( *58 )

’ voulez- vous avoir la bonté de me dire votre nom ? Je vais voir si mademoiselle peut vous recevoir. — Demandez à mademoi- selle si elle veut recevoir le chevalier Jules. Elle ouvre une porte à deux battans, tra- verse une anti- chambre, ouvre une porte pareille, et dit : — Mademoiselle, M. le chevalier Jules demande si vous voulez le

t ‘ }

recevoir. Je suivais toujours la femme de chambre à deux pas.

V

Après avoir réfléchis un instant : le che- valier Jules ! se peut-il ? et aussi-tôt elle

est dans mes bras. Elle me fit asseoir sur

/ *

le sopha dont elle venait de s’élancer, et dit ( en me montrant un jeune homme qui était Adonis même ) : voici le comte Alphonse ; puis, me carressant, elle me demanda à-la-fois des nouvelles de tout le jnpjide. Alphonse me regardait des pieds à la tête, et de la tête aux pieds ; Séraphin étjait rqsté comme une statue à la porte de l’anti-chambre ; Rosine, qui chiffonnait quelque chose dans la toileite, ne me per- dait point non plus de l’œil. Enfin, tout s’explique. Mon amie ! ma chère Lili ! je




( l5 9 )

. f ;

te serres donc dans mes bras !…. Après nous

être encore donné le baiser d’amitié, je lui conte connue j’étais venue à Paris, etc. — As-tu déjeûné ? — J’ai pris une tasse de chocolat. — Éli bien, tu mangeras des huîlres. Rosine, faites venir des huîtres. Séraphin, va demander, de ma part, à M. Bertrand le meilleur vin blanc qui soit dans la cave de mçn oncle. En un instant tout fut prêt : nous déjeûnâmes bien. À trois heures, je voulus me retirer. — Ce ne sera pas, me dit-elle en fermant les portes. — On m’attend pour dîner ; il sera fâché contre moi. — Séraphin, va porter un petit billet que l’on ne l’attende pas. Nous avons du monde à dîner. — Com- ment ! sans toilette ! je ne resterai pas. Lise ! — Mais ce sont des amis privés ; d’ail- leurs, si tu veux de la toilette, nous som- mes de même taille ; choisis dans toutes mes robes celle que tu aimes le mieux ; mes chapeaux enfin ; prends à ton goût. Al p bouse dit ; — Sauf meilleur avis, lu chevalier Jules est si joli, qu’il ne devrait pas changer (Le costume. La pluralité des voix fut pour que je gardasse mon costume-


( i6o )

On me dit encore qu’il y avait un petit concert d’amateurs. Une femme de pro- vince est toujours un peu sauvage les pre- miers jours qu’elle est à Paris. — Oh bien non, je ne veux pas rester. — Tu resteras, belle Lili ; je veux que tu entendes l’amour ; il joue du violon comme un ange ; et elle lui donna un baiser.

f

Mais, Rosine, il esl tems de faire ma toilette, et elle s’y mit. Combien elle était belle ! Un joli chapeau posé avec grâce sur le côté, lui donnait un minois fripon qui était tempéré par un port majestueux. Elle était adorable.

Nous passâmes au sallon. Elle me pré- senta à son oncle, qui me fit l’accueil le plus gracieux. À quatre heures, tous les convives arrivèrent. On n’attendait .plus que madame de Sainte Amaranthe et M. de Séchelles. Alphonse paraît ; qu’il était beau ! que de grâces dans sa tournure ! que d’élé- gance dans sa mise et son maintien. Mes yeux ne pouvaient pas se détacher de lui ; mon amie qui l’observait avec complaisance, me dit : que ton suffrage m’èst doux !

Les


/




< i6r )

Xes deux battans s’ouvrent, une femme paraît : non, jamais la nature n’a pu faire un plus bel être, c’est Saint-Amaranthe ; elle est belle, elle est jolie ; c’est une divi- nité….’. Nous amenez-vous M. de Séchelles,

lui demanda M. de B Alors de la plus

charmante bouche sortit l’organe le plus mélodieux. — M. de Séchelles se fait tou- jours attendre ; mais il n’est pas cinq heures.

Encore une fois le| battans s’ouvrent t et paraît le pendant de Saint-Amaranthe : on annonce M. de Séchelles. Figures-toi qu’il n’exista jamais rien de plus parfait. Si Al- phonse avait attiré mes regards ; si ensuite je les avais fixés sur Saint-Amaranthe, je ne pus plus les détacher de dessus le cé- leste Séchelles ! Mon cœur battait ; je me sentais mal à mon aise : mon amie me serra la main et rne dit : —-Es-tu fâchée d’avoir restée ?…. — Oui, certes ; j’aimerais mieux ignorer qu’il existe un être aussi parfaite- ment accompli.

On annonça qu’on avait servi. Lis» Tome II. 21




( 162 )

qui Faisait les honneurs delà table, plaça madame Sainte- Amaranthe à la droite de son oncle ; une autre dame, dont je 11e de- mandai pas le nom, à sa gauche ; un cava- lier qui eût été fort aimable, s’il ri’y eût pas eu là Alphonse et Séchelles ; mais il n’était plus qu’une ombre au tableau Elle prit Alphonse à sa gauche, moi à sa droite, et me fit le funeste cadeau de placer Sé- chelles près de moi. Pendant le dîner, il eut des petits soins aimables pour moi : plusieurs fois il levages beaux yeux sur moi ; je baissais les miens en rougissant : cependant, aujourd’hui que j’ai l’usage du monde, comment se peut-il que je sois si sotte ? Mais non, mon ami ; c’était moins de timidité que de plaisir. Oh ! je ne puis • te rendre l’effet que cet être À produit en moi. Que je suis malheureuse de l’avoir vu !….

Sortant de table pour passer au sallon, il m’ofFrit la main et me la pressa tendre- ment. — Ai mablç Jules ! rest erez- vous Ion g- temsà la capitale ? Pourra-t on avoir l’hon-




( Itt)

\

neur (le vous faire sa cour ?…. — Je pars demain. — ’Demain 1 quoi ! demain, Lili, demain, vous nous quittez ? Il baisa ma main, la porta sur son cœur > et en soupi- rant, il répéta demain.

Nous étions dans un coin du sallon ; je me trouvai si troublée, ou pour mieux dire ; si émue, que je n’eus que le tems de me jetter dans une bergère qui se trouvait près de moi. Lise nous joignit ; le concert com- mençait, nous n^us y rendîmes : l’harmo- nie était charmante ; Alphonse fut beau- coup applaudi. Séchelles était près de moi ; nous eûmes une conversation très-agréable ; qhe de fois il leva ses grands yeux sur le$ miens ! qu’une si délicieuse soirée s’écoule vite ! Dix heures sonnent ; je fais un mou- vement pour me.retirer. — Je vais avoir l’honneur de vous reconduire. — Je de- meure à deux pas d’ici, ce n’est pas la peine ; Lise voulut m’arrêter ; — Tu con- nais mes motifs, lui dis-je ; mais je voulais éviter les instances de Séchelles. Je ne savais comment faire : j’usai de subterfuge*


i

> ’

y ;




( >« 4 )

et j’échappai à la surveillance de Séchelles et de Lise. Je ne rentrai plu*s ; je ine fis reconduire par Séraphin.

Il était onze heures lorsque j’arrivai ; mon ami était déjà couché, Claire allait en faire autant ; elle m’avait attendue pour souper. Il me boude, je lui parle. — Ne me réveillez pas, me dit-il avec humeur ! Je pleurai- De toute la nuit il ne m’a rien dit.

Le matin, cependant,^. se dérida. — Eh bien, Lili ! m’avez-vous tenu la promesse que vous m’avez faite de ne point aller chez Lise* ? Mimi, cher mimi, je l’embrasse. — ; Ecoutes ; ce n’est pas ma faute. J’ai ren- contré Lise, elle m’a obligée d’entrer chez elle ; et elle n’a pas voulu me laisser aller avant le dîner ; jç n’étais pas non plus fâchée de laisser Claire avec son ami ; j’y restai donc. Il y avait un concert, c’est ce qui À fait que je suis revenue si tard ; encore ai je été obligée de me dérober. — Mon bon ami / est-ce que tu ne’ m’aimes . plus ? Cette question était trop positive, il


Digirizc cl 1 : . Goojjfe


( >65 )•

y répondit par un baiser, et noüs nous raccommodâmes

t

’ À deux heures, nous fîmes venir des chevaux et nous partimes. Nous dinâmes à

N…. chez madame G Nous arrivâmes à

S à dix heures du soir : mon amant me

déposa à ma porte, Claire à la sienne, et en droite ligne, il se rendit à L

M. B…. et mon mari, le matin de notre départ, nous demandèrent ; les domesti- ques dirent qu’ils devaient bien savoir que nous étions parties pour Paris ; ce fut pour eux un rêve ; mais tout s’est assez bien ar- arrangé ; d’ailleurs, mon ami, je peux faire tout ce que je veux. Lorsque je ne lui d«- # mande pas d’argent, tout est bien.

Adieu. Je me dispose à partir après-de- main pour C…y. J. H. est partie pour C

Toi aussi, bon ami, viens après-demain à C-. ..y. Je t’embrasse bien tendrement.

Clarisse parle toujours de toi ; si tu l’ai-




. • l >66 )

mes, elle te paye bien de retour ; et si elle

avait quelques-années de plus J’espère

que tu ne te plaindras plus ; voici de quoi t’occuper au moins un jour. _

Ta bonne amie et sœur Lili,




%


( 7 )


i


LETTRE XXXVII.

Julie à. Lise*

Pardon, ma toute belle, si j’ai disparue comme l’éclair ; mais c’est, je t’assure, un. acte de vertu de ma part d’avoir pu te quitter ; abandonner une place qui m’était si agréable ! Mais M. de Séchelles m’avait pressée pour me reconduire ; si j’étais ren- trée, je n’aurais .pu m’en *défendre ; et comment mon amant aurait-il pris eela* ? O, mon amie ! combien il est jaloux ! il m*À» presque-toujours boudé". Il est bien inquiet de savoir qui j’ai vu chez toi ; Il était cou-’ ché lorsque j’arrivai : il m’avait attendu’ pour souper, et il avait .beaucoup d’hu- meur : cependant, le mat in, mous goûtâmes les charmes d’un raccommodement…. Nous’ partîmes à deux heures ;.. et. il une fut im- possible de-m’échapper pour aller t’em-’ brasser.


Nous dinâmes à N chez un de mes ;


ji




( ^8 )

pareils, où nous avions fait transporter & notre voiture lorsque nous montâmes dans celle de ces officiers, qui nous conduisirent à Paris ; c’est encore une anecdote que mon. amant ignore ; car quoique très-innocente, il y aurait encore de quoi lui mettre Martel en tête.

Après le dîner, nous continuâmes notre route gaiement. Lorsque nous entrâmes

dans la forêt de V lu sais combien ces

trois lieues sont agréables : le crépuscule de la nuit était fermé, la lune éclairait ce’ beauJieu de ses rayons : mon amant pré- tendit que je glissais, et voulut me pren- . dre sur ses genoui ; je ne négligeai pas cette occasion pour dissiper l’espèce de sé- rieux qu’il avait toujours conservé, no- nobstant notre raccommodement du ma- tin ; bientôt il fut sensible à mes carresses… Claire fut assez obligeante pour faire sem- blant de dormir….. L’heure > le lieu, la voiture qui marchait rapidement sur la plus belle route du monde, tout avait contribué

à notre bonheur Puis, mongmànt, avec

l’organe que tu lui connais, me dit : Lili,

tu





( )

tu ne m’aimes plus assez pour qu’un ca- deau que je voulais, te faire ait du mérite pour ton cœur. Lise- ! tu sais bien que ce n’est point avec des paroles que l’on ré- pond à une si obligeante inquiétude ! J’é- tais pénétrée jusqu’aux larmes. Que ce soupçon est injuste, mon ami ! et dans quel moment le manifestes-tu ?…. Il était inondé de mes larmes et de mes baisers ! Il tire de sa poche un papier bien plié qui contenait une large forme ovale ; je l’ouvre avec pré- cipitation ; les rayons de la lune me firent appercevoir les traits du dieu de mon ame. Partageant mes transports entre l’original et la copie : toi, tu me resteras toujours, telle chose qui arrive ; que son cœur chan- ge, que je cesse. d’être Lili, tu seras tou- jours à moi ; nulle puissance ne pourra te ravir de mes mains : ta place est sur mon cœur ; lorsque j’expirerai, tu y recevras mon dernier soupir. Que ce moment fut doux pour tous les deux ! Claire vit bien que c’était ici le .triomphe de l’ame, et que sans inconséquence, elle pouvait bien se réveiller, et elle eut l’àir de se mettre bien vite au fait d’une scène aussi tendre !

Tome II. 22




( * 7 ° )

•Nous nous jurâmes de nous aimer à jamais. Diane el les ai bresles plus antiques de la fbrèt lurent pria pour témoins de nos ser- mons. Après un épanchement aussi déli- cieux, le reste de la route fut agréable. Mon amant me descendit à maporte, Claire ô la sienne, et- tout de suite il dirigea sa route sur L….

Il était minuit, tout le monde élait cou- ché chez moi ; mais tu sais que la porte n’est jamais fermée qu’au passe par-tout ; je rentrai sans bruit et me couchai. Le len- demain matin, je donnai,JFany vint : après m’être fait donner ce dont j’avais besoin, lorsque je sus qu’il était jour chez mon mari, je pris un petit négligé et y descen- dit gaiement ; il était au lit. — Bon jour : comment te portes-tu ? jel’embrasse. — J’ai froid, Mimi. — Je le crois bien ; tu es pres- que nue : mets-toi là pour te réchauffer, et fais-moi ta confession. J’entre dans son lit. — Mais tu sais bien qu^madame B…. avait reçu une lettre de son parent pour se ren- dre à Paris ; elle voulut que je l’accompa- gnasse, et’îu fus le premier à m’y inviter ;


\




( »7* )

car c’est toi qui as écrit un billet pour com- mander des chevaux de poste* : vas, mon ami, ce voyage ne me coûte pas d’argent ; j’ai cru pouvoir me le permettre. J’ai vu, Lise ; car c’est pour elle que j’ai fait celte espièglerie, et je te rapporte de sa’ part tout plein de baisers ; aufcsi-tôt je m’acquittai, de la commission. — Oh ! vous êtes de fu-, rieuses rouées, c’est-à-dire, madame B. elle m’avait tant fait boire, et son mari ^ussi, que nous ne savions guère ce que : nous faisions. Le lendemain, je te deman- dai, ne me souvenant nullement do lïv veille. Enfui, nous étions très bons amis ; Claire arrangea cela parfaitement ajissi avec son mari.

• . . . .-. ’-» I

Je passai la journée du lendemain à jouir de souvenirs ; et ce n’est pas une jouissance à dédaigner ; pourLili, elle À bien du prix., Je me couchai de bonne heure pour rêver plus à mon aise sur ce cannant voyage. Je me reportai chez Lise ; je me la peignis dans les bras du délicieux Alphonse… Mais je vis très-distinctement le beau, le divin Séchelles. De toute la nuit, il ne me sortit


. ( I 7 2 ) •

pas de la tête, et il alla même jusqu’à usur- per une place dans mon cœur…. Que je suis fâchée de le connaître ! que je suis curieuse que tu me donnes des détails sur son compte ! sur sa moralité…. Non, ne m’en parles pas ; il vaut migux que j’oublie cet être qui, pour moi, ne sera jamais qu’é- phémère. À-t-il des qualités ? Il doit pos- séder celles du cœur ; il est si sensible ! Les yeux sont le miroir ded’amœ, les siens sont si beaux ! O ! pour Dieu ! Lise, apprends- moi ses défauts. ;… Mais non ; laisse- moi plutôt croire que ce chef-d’œuvre de la . nature est parfait !…. Mais aussi, ne vois- tu que je raffole ?… Adieu. Je vais par- • tir incessamment pour C..,..y : à mon retour, tu auras une lettre circonstanciée de mon voyage. Je t’embrasse et suis ta meilleure amic^

! • Julie. 





( J 7 3 )

• • *1

■’■■■■■■ ■ ■■ g


LETTRE XXXVill. .

À Julie .

Bien clos dans le* fond de ma voiture, en rêvant à mes amours, j’arrive à L… au jour ;

• je me mets au lit, et je rêve encore à Lili ; mais je la vis sur le point de m’être inli- delle. Un être tfeau comme le jour s’était introduit dans l’ame de Julie ; il avait usur- pé une place dans son cœur…. Que ce songe m’a fatigué, Lili ! Il y À quelque chose do réel ! Les songes sont quelquefois des pré- sages… Que cette visite à Lise, qui dura tout un jour, me donne d’inquiétude L… Rassure-moi ; dis-moi qu’il n’en est rien :

• répète-moi que tu m’aimes ; il m’est si do^x de l’entendre de ta bouche ! que ta plume me trace ce mot charmant, Lili ! je t’aime ! As-tu autant de plaisir à l’entendre que moi ? je t’aime !… je t’aime !… je t’aime !…

I

Dis-moi le jour qué tu vas à C…y ; la



r.


/



< >74 )

réception que t’a faite ton mari. Adien, J-ulie ; adieu, bonne Lili ; je te baise de la tète aux pieds,

. • Ton ami, N. Q te





C« 7 5)


LETTRE XXXIX. Julie à son ami.


Tl m’est aussi doux de te dire je t’aime, comme toi de l’entendre, ami bien sensi- ble. Rentrée chez moi, j’examinai, je bai- sai ces traits chéris ;• je le posai sur mon cœur ; c’est-là son empire ! Ton absence m’est moins cruelle depuis que je me con- sole avec ton portrait ; c’est lui qui reçoit mes soupirs : quelquefois il me semble voir l’ivoire s’animer ; la bouche À l’air de s’en- tr’ouvrir lorsque je la presse de mes lèvres. O ! pouvoir de l’imagination ! Le croiras- tu ? celte idée m’a rëndue heureuse !….

Je pars pour C…y après-demain. J. H. est partie poyr C…. : rien ne me gêne plus pour m’y rendre. M. R..,, vient me cher- cher dans sa voiture ; Glatisse en mourra de joie….

Adieu, bien-aiiné ami : toi-même, ar-




’ ( >76 )

rives à C…y après-demain. J’ai le plaisir de parler de toi avec Claire ; c’est vérita- blement une excellente personne. Tu peux être utile à un de ses amis qui est altaehé’ à ton département. J’aime à croire qu’il te sera doux d’obliger l’ami d’une si bonne amie. Adieu. Je te baise de loute mon ame.

Toute à toi, Julie.




I E T T R*E X L.


lise à Julie .

Je ne puis te pardonner la fuite que tu as faite. Mon dieu ! que ces femmes de province sont difficiles à lancer dans le inonde ! le plus bel homme de l’univers était attaché à ton char, une amie desirait te retenir ; et pour courir dans les biças d’un jaloux qui boude toute une nuit, tu te sauves comme un écolier qui craint son régent ! Mon dieu, Lili ! je te croj^ais plus avancée dans le monde ! Tu as encore be-

v

soin d’étre formée !

\

Séchelles comptait bien te reconduire dans son cabriolet ; à la vérité, si tu y eusses monté, il n’eût point été assez sot pour te conduire dans les bras de ton amant ; sûrement qu’il t’eût gardé cette nuit pour son compte ; et véritablement-, il manifesta du regret de ce que tu lui étais Tome II. 23




, ( * 7 ® )

échappée. — Comment, dit-il ! est-ce qu’elle est farouche, notre petite amie ? c’est dom- mage, elle À de jolis 3’eux ; elle doit être bien voluptueuse ! Lise, ô.’tu en sais quel- que chose ? — Oui, extrêmement, et elle vous conviendrait beaucoup sous certain rap- port. .. — Méchante ! est ce qu’elle ne re- viendra plus ? — Jel’ignore ; elle doit partir demain ; elle est ici avec son amant ; et ils ont trompé le mari pour faire ce petit voyage.

Son mari est un homme charmant ; c’est un avocat célèbre : son amant aussi est un bel homme, très-aimable, il est de même avocat ; elle, c’est la fille d’un riche pro- priétaire de fonds : c’est chez son père que je l’ai connue ; je lui ai donné les pre- mières notions du plaisir ; j’ai aimé «on frère qui, si vous n’existiez pas, serait la plus parfaite créature qui fût jamais. — Mais comment, Lise ? Cette femme À un amant, et elle est si sauvage ? Dieu ! que cet amant-là doit être heureux ! que ces femmes de province sont drôles ! Mais»




C *79 ),

Lise ! si je la tenais entre quatre yeux ! Far exemple, si lorsqu’elle s’est assise sur la bergère dans le sallon, c’eût été dans notre boudoir en tête-à-tête, croyez- vous, ma belle, qu’un peu detémérité ne m’eût point réussi ? Si elle eût monté dans mon cabrio- let, j’eusse été heureux ! Je sais qu’il y À des femmes qu’il faut toujours qu’elles aient les honneurs du viol : mais ce que vous m’a- vez dit, Lise, me donne un désir…. Quoi f je ne la retrouverai jamais ! O ! elle revien- dra à Faris, pas vrai ?…

- Tout ce que je te dis-là est, mot à mot sa conversation. Nous nous entretînmes en- core long-tems de toi : vraiment, il À une forte fantaisie pour ta personne ; et, . comme je me l’imagine, toi qui n’est pas tout-à-fait si novice qu’il pourait bien lé croire, je ne doute certainement pas qu’il ne s’attache sincèrement. Mais déjà je t’en- tends me dire : — Et comment êtes-vous si familiers ensemble ? vous qui, dans la * société, étiez si réservés ? — Eh ! mais y voici l’usage du monde ; beaucoup de de-


i




( iSo )

corum en société, et clu dernier mieux en tête-à-tête. Ne crois-tu pas, crédule Lili, qu’un aussi bel homme soit venu chez mon oncle sans m’adresser ses hommages ; et que me les adressant, je ne lesayes pas ac- cueillis ? Mais est-ce que l’on se passionne ? ou, pour mieux dire, est-ce que l’on file le parfait amour avec de tels hommes ? C’est- là le cas de traiter l’amour légèrement, de jouer avec lui comme av$c un enfant. Sé- chellès lut mon avant-dernier amant ; il eut bien envie de moi, je le désirais fort aussi ; je lui donnai rendez-vous au bois de floulogne pour rendre la chose plus tou- chante, et nous revînmes passer la nuit chez moi. Nous nous convînmes beaucoup de caractère, d’esprit et de ca tir ; mais des. rapports pliisiques entre nous ne pouvaient se concilier .nops convînmes, d’après cette découverte de part et d’autre, de demeurer amis, et de nous- pourvoir réciproquement ailleurs. Alphonse me tomba en main ; il n’est pas delà sublime beauté de Séchellesj, il À des attributs aimables que ne possède pas l’autre ; du reste, je ne connais’ pas de




( i8i )

défauts à Séchelles que l’inconstance, la légèreté près (les femmes, aussi un peu or- gueilleux ; mais il À un cœur excellent, une ame sensible, bon, noble, généreux, loyal, probe, délicat : voici bien, je crois» de quoi contrebalancer le goût de varier ses plaisirs en changeant de maîtresses. Puis, tant de femmes charmantes lui font des avances, qu’il ne pourait, même sans injustice, être fidèle à une aux dépens des autres. La reine, la voluptueuse Antoinette en À voulu : comme il était avocat de la noblesse ; qu’il était très-célèbre alors, tant par ses*talens que par sa beauté, la reine lui donna un jour sa ceinture à l’œil de bœuf, à Versailles ; mais les Polignac ont fait une cabale pour le déjouer. Je te quitte ; voici Alphonse qui veut lire.

À onze heures du soir.

Je rentre du spectacle, j !ai encore le teins de fermer ma lettre#avant souper. À propos ; Séchelles soupe avec nous ; mais, comment ! ne voilà-t-il pas qu’il lit ta lettre par-dessus mon épaule, et qui, ayant ap-




\

\


( ’8a)

perçu qu’il y élait nommé, me la prend et fce sauve avec. J’eus beau crier, Séchelles, C’est une perfidie, c’est une horreur : il n’écouta rien, et ne me la rendit que lors- qu’il l’eût lue ; et il veut que je lui donne îa permission d’insérer deux mots dans la

mienne Lili, charmante Lili, je vous

aime ; recevez mes adorations

• Séchelles.

Eh bien ! que vas-tu dire ? ces deux lignes sont simples ; c’est l’expression naïve du coeur ! Il n’a cessé de me dire pendant le souper ; il est bien heureux, son amant ! mérite-t-il de l’être ? Puis, il me fait de»

questions sur ton mari, sur ta fortune

Ma bonne amie, cet homme peut te rendre d’importans services ; mais tu es antichée

de ton Q te : tu peux bien, au surplus,

lui faire une infidélité en faveur du plus aimable des mortels.

». •

Adieu, belle et tendre Lili ; crois que tu auras toujours en moi la plus dévouée de

tes amies. J’attends avec impatience les dé-

! 

« 




tails sur la comédie jouée à C….y ; le succès de l’ajustement gris et rose ; ce sont les cou- leurs de ton nouvel amant ; car je me rap- pelle qu’il ne m’aimait que comme cela ; il m’aime aussi le jaune ; mais comme blonde, je n’en peux pas porter. Je te baise mille


y


( 184 ) …

^ ^

LETTRE X L I.

Julie à Lise .

mie, chère amie, c’en est trop ; je suis trop heureuse : mon cœur ne peut suffire à tant de délices ; j’aiinerai toujours mon mari, j’en suis chérie ; j’idolâtre mon amant, il raffole de moi : au milieu de tout

t

cela, jesens, oui, je sens’que j’adorerai Sé- chelles*. Quoi ! il m’aimerait ? Cela est-il bien vrai ? Charmante Lise ! que son petit . billet, ou pour mieux dire, que ces deux lignes incluses dans ta lettre, ont fait tres- saillir mon cœur ! Séchelles ! que ce nom À d’harmonie pour mon aine ! que je l’ai baisé de fois ; puis, éloignant ta lettre de moi, je reprenais le portrait de mon amant ; je lui demandais pardon de ma tacite infidé- lité ; ensuite, je courais chez mon mari, je l’embrassais, je pressais nia fille dans mes bras ; enfin, je ressemble à une folle : par- tagée entre ces quatre objets, que de com- bats j’éprotive !…. L’honneur, la naiure, la

tendresse,




( . 85 )

tendresse, le plaisir, se choquent mutuel- lement dans mon ame ! Non, Lise, je ne pourai tenir long tems à de si violentes agi- tations ; et dans cequadruple bonheur, j’en- visage des maux inouis pour l’avenir…. Ah !

voilà le sujet de l’émotion que j’aieéprou- •

vée en entrant sur le pas de ta porte. Lise, que dans le lointain j’apperçois une car- rière orageuse ! Mais quittons ce sujet,

il te faut des détails du succès de la co- médie à C….y.

Dimanche, il y À eu un grand dîner chez mes parens, que tu connais : on se mettait à labié comme mon frère arrivait ; il ne manquait plus que le principal de la pièce, l’ainoureux. On était au second service que je mangeais à peine, car mes yeux étaient toujours fixés sur les croisées par où devait arriver l’objet prin- cipal de la comédie, et bien plus encore celui de mon cœur.

LJn cheval arrive écumant de sueur : on • voit bien, dit la compagnie, que ce pauvre Tome II. 24





( ’SG }

animal portait un amoureux ! — Placez- vous près de votre amante, dit d’une ma- nière joviale le maître de la maison. Je re- prends de l’appétit, delà gaieté, et tout fut le mieux du monde. Pour le dîner, je n’etai^que coëlTée ; nous lûmes tous nous habiller. À cinq heures on leva la toile : Dorval et Elise ont fait des merveilles ; ils ont rendu ce qu’ils sentaient, ce qu’ils pensaient…. Pouvaient-ils manquer de réussir î aussi furent-ils applaudis à tout rompre. Clarisse était un petit ange, et sir Charles mit une noblesse et une dignité ravissantes dans son maintien, dans tout son jeu ; la soubrette, le valet, étaient aussi très-bons : mon petit costume villa- geois À commencé à flatter tous les regards. Lorsque je parus en officier, cet habit avec lequel je suis maintenant familiarisée, fit ouvrir de grands yeux aux spectateurs ; mais comme je ne suis pas accoutumée à manier une épée, et que ma main trem- blait de la diriger vers n on amant, en la lui posant snr le cœur, elle m’échappa ( et l’on cria du parterre, la blessure est mor- ’



’ ( « 8 7 )

telle). Lorsque je lui ouvris mon sein pour y plonger la sienne, son portrait parut en toute évidence ; une voix sortant des cou- lisses dit : l’occasion était belle pour le lui donner. J’ai cru reconnaître cette voix j mais continuant mon rôle, je l’oubliai : nous sortons et nous laissons les valets sur la scène.

La femme de chambre de ma parente m’aime à la folie ; elle tenait Clarisse toute habillée, et m’ajusta ma robe, nia coëfFure, et plaça sur le côté mon joli chapeau avec une grâce infinie : le médaillon fut placé à l’esclavage, ce qui produisait un charmant eflet ; je me regarde dans le miroir : satis- faite de ma petite personne, tenant Clarisse par la main, j’entre avec un air de triom- phe sur le théâtre ; les hommes firent un murmure d’applaudissement, les femmes de jalousie ; Dorval entre par une autre porte, je lui présente ma Clarisse ; prenant ma fille d’une main, et de l’autre la mienne qu’il baise ( quoique ce ne fût pas dans la pièce ), il me dit à l’oreille : Lili, que ta es>


\

I




( >88 )

belle ! le voilà donc ce secret ; que je suis heureux ! Il se fit un petit moment de si- lence ; nous eûmes un peu de peine à re- trouver nos rôles. E ; fin, le père de Dorval . paraît ; nous nous précipitâmes à ses pieds pour obtenir son consentement. Clarisse chanta à ravir ses petits couplets, et la pièce finie laissa tout le monde satisfait. Alors cette voix que je crus reconnaître qui s’était fait entendre des coulisses au sujet du portrait, répéta plusieurs fois qu’elle est jolie ! qu’elle est charmante ! qu’il doit être heureux ! et il se montre ; c’était le vicomte de L…. que tu sais avoir été amou- reux de moi il y À trois ans ; mais j’étais alors une vestale…. Je lui serrai la main avec bien du plaisir ; et lui montrant Dor- val : Me le pardonnerez-vous, vicomte ?

Madame de R…. le retint à souper avec nous ; le souper fut gai, aimable ; on ne sortit de table qu’à une heure du matin ; Clarisse couchait avec moi, mon amant et mon frère près de moi dans le même cor- ridor. Lorsque 1 ma fille fut endorniie, je




r


( l8 9 )

la portai dans le lit de son oncle, et mon amant prit sa place dans le mien ; que cette nuit fut encore bien heureuse !

Le lendemain, on dîna chez le vicomte… qui nous donna un joli petit bal : je ne pus

arracher Q te du lit qu’à midi (tu sais

qu’après sa maîtresse, la paresse est sa di- vinité ), quoique moi, par décence, j’avais parue à dix heures chez madame de R.„.

Le dîner chez le vicomte fut excellent, le bal charmant ; c’était presque toutes les mêmes personnes de la veille ; je mis tout mon ajustement gris et rose, qui fut géné- ralement applaudi de nouveau. Le lende- main, nous dînâmes en petit comité chez

nos hôtes. Q te repartit à L…. ; mon frère

s’en fut aussi : il voulait absolument que je lui laissât emmener Clarisse, qui est son joujou dans sa solitude.

Adieu, mon bel ange, je t’embrasse de tout mon cœur et t’aime de même.

Est-ce qu’un songe n’a pas amené cette




( ’O 0 )

nuit Séch elles dans mes bras ? Je suis tentée de me plaindre de ce que ce n’est qu’un songe. Dieu ! que le cœur est bisare. Adieu, Lise ; je suis toujours,

Toute à toi, Julie.




( « 9 1 )


’ .BUT g


LETTRE XLII.

À Julie .

Bonne Lili, mon premier soûl est tic t’apprendre, qu’à cela près d’un peu de neige, je suis arrivé à bon port à L Com-

bien je te dois de remercieinens du secret que tu as gardé envers moi.. Oui, Lili, ce sont mes yeux qui ont porté le plaisir à mon cœur ; que ce costume est charmant ! qu’il te sied à ravir ! quelle jouissance pour moi, de voir tous les hommes te regarder avec admiration ! et les femmes avec envie, lorsque tu entras en scène ! Combien ta fille était charmante aussi ! que j’ai eu de plaisir au dîner du vicomte de me placer à ta gauche, pour être carressé par ton pa- nache ! friponne ! tu l’avais placé avec adresse pour cet effet 1 mais le vicomte l’aime beaucoup, et loi tu as pour lui des attentions si distinguées, que je suis obli- gé de me travailler pour n’en pus devenir jaloux ! Et M. de R…. s’appercevant de mes




( * 9 * )

souffrances, tandis qu’il te baisait la main, qu’il të disait de jolies choses, et que tu y répondais d’un air gracieux, dit : « ils se connaissent depuis long-tems ; c’est le par- rain de sa fille.-Pourquoi, Lili, ne sais je pas tout cela ? pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de cette liaison antérieure, Lili ? Tu nie feras tourner la tête : tu as toujours des petits quartiers de réserve ? Nonobstant, je

t’idolâtre toujours Adieu, écris-moi,

Lili, et crois-moi tout à toi,

Ton ami, N. Q….. te



093 .)

. I ’


ê * * »

LETTRE XL I I I.

• » î i *-4 • . ■ • . . ^ • • ’

< • • JüUe à son amù ;

i /l. vt . *>.v

Toujours mon ami, toujours des rémi- niscences de. jalousie ? Que faut-il donc que je fasse pour te tranquillisé* ? Je ne vis,

}e ne respire que pour toi ! À S..- tu es jalpux de mon mari ! # à Paris > d’un être pléal ; à C….y du vicomte ; comment fau.1-il. s’y prendre pour établir la sécurité dans tontine ? S’il m’est doux de recevoir un applaudissement,, c’est pour te donner un triomphe ? ne sais-je pas que les hommes ai- mentleurs maîtresses, non pasparcequ’elles leur plaisent ? mais encore parce qu’elles * plaisent à leurs amis ; car leur amour-pro- pre en est flatté ; et chez eux comme chez nous, l’amour-propre équivaut à l’amour.

Je t’aime, je ne néglige aucune occasion de te le prouver ; je t’aime : voilà la seule caution que je puisse te donner. Si lu ne crois pas ntfci cœur solvable à ses engage- «. mens, rends-le moi….

Tome IL À 5

i




(,*p4 )•

Je suis chargée de la part de Claire de te faire nneinyii at km en son nom. Lundi prochain psj & j.’ête. dç u ?ati ; elle donne un grand dîner et un bal à la suite. On demande yçi^c être à la gauche

du panache gris et rose ? Je t’abandon ne cette pensée.

, Adieu. J’ai ôtç ton portrait chéri du’

joli esclavage ; je l’ai suspendu sur mon.

  • » •

coeur avec une gance blanche ; et j’ai mia en évidence celui de mon mari ; je t’ap* prends cette particularité pour que tü rie m’accuse pas encore d’avoir des quartiers de réserve. Adieu. Mille baisers ; à lundi.» on t’attendra pour dîner. Fais avoir un congé de deux jours à l’ami de Glaire, et ’amène- le avec toi : tu lui dois ce procédé.



X ’*t& )

’ •, • . i-* » » 4 ’ * » i J î * * . i » . • . 4 i •

■>■>■*— mu ■laiiffÉiM.Éàfrafiifrfti (Tu ■■ tttrmiiii^i

LETTRE XL IV.

» • ‘ * i • " • ; * I x . * y.

À Julie.

; *r ■.. ■ ) . ■ 

ÀiMÀBLE étbûrtîîè J q\i v slS-^À fait ? TA ïl’às pas ckléùl’é ïê jour ou lé niessàgêf apportait rios IéitrèS dé V…, et qué pal tohsé(JuèŸit rat lettré fî’ârri Venait qué lè dimahcbë fcïi’éi rtdtis. Ünè fois pour tout, .s’aiiviërts-tëi ic|üe nbiVs ri*avtifi$ lë factëüit qué les dinta’nch’ës et jeudis ; toi qui hé crois’ art m&lWa’r que lorsqu’il pst â soit ëoihblé,trt fis ert l’ar’t de nié f ranquillisèr à C….y ért rite disant qii’ëll’é serait ‘réstëé dans quelques Mains sûres, puisque son contenu ne poùràit coinproméftrê tout’ au plus que toi. Oui, ma bonne amie, tu vois tout aVec l’œil dé la pïniosoplnè ! mais nos pareils, qui ont une maniéré dé pénser ri d’i lié rente delà tiénné ! Mon père est fu- rieux ; il lance dés iiiveclivés contre’ toi…., i l né veut jamais t e voir ; et il m’à défendu, sous pei’rte d’enc oürir sa disgrâce, toutç ;



.(i9<5.)

$ ’ ’ * l

communication avec toi ; mais qu’il y compte. Il À défendu expressément à te» sœurs de jamais avoir de liaison avec toi\ et à ma mère, de te voir "la bonne femme À pleuré : voici tout ce qu’elle sait faire ; mais elle À promis qu’elle ne te verrait plus : cependant, il n’a voulu montrer ta lettre personne : après l’avoir lue plu- sieurs fois, il l’a jettée au feu, sans que ta craintive mère ait osé la retirer. Il À dit qu’il adoptait Clarisse ; qu’il aurait soin de son éducation ; qu’il userait de l’autorité que lui donnait le droit du sang, pour s’opposer, à ce que jamais elle rettmrne dans tes *mains ; et que s’il avait su que ç’eût été pour jouer la comédie que tu l’avais demandée, sûrement il se serait opposé à son départ, etc. etc.

• • ; ’ . * f’ ’ * . * . g • v t

Comme il lui disait beaucoup de mal de

f < ’ * r",, i ’. ’ * ’ ’

toi ; qu’elle devait le renier pour sa mère ; ; qu’elle n’avait plus désormais que sa ma- ’ mau G… et sa maman-R…,, la petite À beaucoup pleuré, et elle lui À dit : — Papa, il n’y À que toi qui n’aime pas ma petite




( 1 0 ? )

maman Q et . Elle est si gentille : tout le

monde disait à C…’y qu’elle était belle, papa, si tu l’avais vue faire Elise, tu ne poyrais t’empêcher de l’aimer ! elle est si bonne-elle m’aime tant, oui-, mon petit papa, elle est ma maman, Clarisse est sa fille. Ma mère fit signe à l’enfant pour arrêter, ce petit langage naïf. La patience écliappa à mon père ; il la poussa rudement et ’lui dit ; mademoiselle, ne vous avisez pas de parler jamais de votre mèrè devant moi ; je m’apperçois déjà que vous ne vau- drez pas’ mieux qu’elle ; mais, j’y mettrai bon ordre.-

La petite se retira en pleurant, et lors- qu’elle pût me trouver seul. — Pas vrai, mon petit oncle, que ina petite maman de S…. est bien gentille ? c’est mon vieux papa qui est méchant ! Mène-moi chez maman à S…. ; je ne veux plus rester dans cette Vilaine maison-ci. Véritablement cette en- fant est très-précieuse ; mais ici, ils lui aigriront le caractère, et lui donneront des impressions désavantageuses sur sa




( * 9 8 )

fuère ; d ailleurs, quelle éducatioh irêcé- yrà t-elie dans ces rochers, né vivant qu’a- vec des gens à préjugés ? Tout ceei mè désole ; si j’envisage mon petit intérêt par«- tictilier, je veux former le cm tir de ta fillè pour moi- j’attendrai qu’èlîe soit nubilé :j* suis jeune, et elle m’aime ; je veux notiri^ ce sentiment. Clarisse est séhsiblè ; élle À lame de sa mère ; je serai tëlérant sût sei petits écarts de jeunesse, ét nlême, je m’atr- commoderais d’une femme Comme toi ; les auti-es ont tant d’autres Vices ! Jé pênsé comme Lise. •

Adieu, amie de mon ame, ne crois pas que je suivrai l’ordre d’un père injuste ; que je renonce à toi ; non,, ma bien-aimée ; que notre correspondance, qui est main- tenant un fruit défendu, prenne une notr* velle activité ; ce doit être un sel de plus pour toi. O J Lili, sur les lettres que tu m’adresseras, fait mettre l’adresse par une main étrangère ; et lorsque j’irai te voir y jç m’entendrai avec mon ami le C… pour qu’il ait 6oin-de dire que c’est toujours chez lui que je vais.


Ccrogtc



< *99 )

Adieu, mon bel ange : si je n’étais pas ton frère, je serais le rival de ton amant.’ Adieu, Clarisse t’envoye un baiser dé- fendu.


Ton frère C. G


( 200 )


LETTRE XL.


À Julie.

T U m’aimes, Lili, j’accepte celle caution T Lundi soir je le ferai renouveller l’engage- ment de m’aimer toujours : je retiens la gauche du panache gris et rose ; nous arri- verons environ à trois heures ; j’ai, ce ma- tin, porté un congé de trois jours à l’ami <3e Claire ; il est aimable : une ceriaine conformité de position semble nous rap- procher : nous ferons le voyage ensemble. Pauvres chevaux, que je vous plains ! il n’est pas doux de mener deux amans qui s’approchent de leurs maîtresses.

Adieu, Lili, je t’embrasse ; à lundi. Me pardonnes tu mes injustes soupçons ? Alors reçois ce baiser que tu placeras sur ton cœur. Adieu, Lili.

Ton ami N. Q te .


LETTRE



( 201 )


i jCCSS 5 55


LETTRE XLVI.

Julie à son frère.

Tout est perdu, ma lettre est tombée dans les mains de mon père • j’étais déjà trop bien dans ses bonnes grâces ! Il me renie pour sa fille ! je t’aroue, mon ami, qu’il ne faut rien moins que la vertu,de ma mère, que l’on ne peut révoquer en doute, pour que je puisse croire que je lui doive le jour ! mais son originalité n’a rien d’aimable. Pourquoi n’est-il pas resté à la Trape ? (r) C’était-là son lot.

Sois bien sûr que de la vie je ne remettrai les pieds chez lui ; je n’aime que toi de toute cette famille ; à peine connais- je mes autres frère ?, mes sœurs ; ce sont des en- fans auxquels il n’y aura rien de si facile que de les indisposer à jamais contre moi : au

(i) Mon père, dans sa jeunesse, À la suite d’une pas- sion malheureuse, était entré à la Trape, où le déses- poir le fit rester six mois.

Tome II. 2 6



( 202 )

surplus, Charles, soyons à jamais unis : tu es plus que mon frère, et ta sœur est ton amie. Je leur laisse ma fille par rapport à toi ; et qu’il sache, ce père sévère, qu’il ne peut avoir de droits sur elle ni sur moi ; je ne sui«  plus sous son joug. Quel malheur pour mai qu’il n’ait pas le cœur d’un père !

Ecoutes, mon ami, pour lui obéir ponc- tuellement, viens lundi : madame B..~, potre voisine, que tu connais, donne un grand dîner et un bal ensuit^ ; tu prendras encore ce petit moment de plaisir, et nous aurons celui de nous réunir en dépit des ordres donnés.

Adieu, je t’attends lundi. Embrasse ma fille pour moi ; c’est à toi, mon ami, que .je la confie pour apprendre à aimer sa mère qui en est bien digne, nonobstant ce qu’en .piépvent penser les gens à préjugés.

: Ton amie Julie. 


C 2 ° 3 )


LETTRÉ XLVII.

À Julie.

R. AGE, fureur, désespoir ! Lili, je portais mon cœur brûlant à S…. bien enfermé dans une voiture avec l’aini de Claire, nous étions descendus la montagne à pied, et comme il faisait un verglas épouvantable, un mal-à-droit postillon nous campe dans une ornière ; la voiture renverse, je me trouve dessous, la jambe prise dans la cave qui s’était ouverte, j’ai cru l’avoir cassée : heureusement, nous n’étions encore qu’à une demi-lieue de la ville : on me ramena chez moi ; le pansement fut douloureux ; mais je n’ai qu’une entorse. Mon compa- gnon de voyage n’est pas blessé ; ainsi il va partir à flanque-étrier ; il te portera mes regrets. Chère Lili, c’est de mon lit que je t’écris, et à dix lieues de toi ! Cependant, je te vois te retourner toutes les fois que la porte s’ouvre ; tu crois voir ton amant £ peut-être même ton cœur L’assure-t-il î




( *o4 )

Je te suis : tu ouvres le bal d’un pas chan- celant ; ton œil parcourt avec inquiétude les spectateurs, ton cœur desire !….

Tu vois entrer Tarai de Claire, et tu me crois à sa suite ; il te portera ce petit billet ; il tè verra, Lili ; qu’il sera heureux ! je te baise de toute mon ame ; consoles-moi, Lili : écris-moi bien souvent et beaucoup ; donnes-moi des détails du bal. Je te suis de cœur et de pensée ; je serai à tes côtés, et mon portrait qui, lorsque tu feras un saut léger, retombera sur ton cœur, te rappel- lera le souvenir, que peut-être un nouveau flux d’adorateurs le feraient oublier.

Adieu, ma divine amie.

Ton ami, N.




( ao5 )


Julie à son ami.

|

Un bienfait n’est jamais perdu, cher ami, tu as fait avoir un congé de trois jours à l’ami de Claire ; ces trois jours ont été suf- fisais pour pouvoir faire achever le contenu d’une petite boîte qu’il te remettra, et que tu baiseras à l’intention de Lili ; tu la por- teras sur ton cœur par réciprocité.

. . i, • i * i »

’ ’ * \

On vous À attendus jusqu’à quatre heures

pour se mettre à table ; cependant M. B

impatient, fit servir : Claire me regardait en souriant, pour savoir qui elle mettrait au côté gauche du panache gris et rose ; le frère de madame de T…., qui peut avoir une quarantaine d’années, vint s’y placer. — Madame, me per mettez- vous, je choisis, toujours la meilleure place ; cependant, madame, si elle était promise ? — Monsieur, la personne n’arrive pas, il ne la mérite plus. Restez, s’il vous plaît, il est fort bien




remplacé. C’était pour lui une réponse plus qu’honnête, et pour toi, si tu fus arrivé, tu eusses vu ton remplaçant sans ombrage.

Le dîner fut bien long ; je mangeai peu : toujours l’ceil sur les croisées, deux fois pendant le dîner je relus talettre ; elle était positive ; tu n’as jamais manqué à un ren- dez-vous I j’étais très-inquiète, le Verglas m’allarmait aussi. Mon voisin me témoigna, de l’inquiétude sur mon agitation d’une manière très-obligeante. Il me donna la main pour ouvrir le bal ; il y avait trois contre-danses ; je dansai* non-chalamment et avait l’air trèsdoin de la place que j’ôc- cupcis. Enfin, je vois paraître l’ami de Claire ; je laisse-là la danse et le dameur ; je cours à lui. — Je vous cherchais, madame ( après le premier bon jour donné à Claire ).

J’ai une lettre à vous remettre de M. Q *•

Je la lui arrache des mains. J’entre dans uj» petit oabinet de toilette ; je m’assied sur une chaise ; j’ouvre ta lettre, et lorsque j’en fus à la voiture culbutée, je fis un cri et m’évanouis…. Ma disparution causait déjà quelque rumeur dans la salle ; moi !


( *>7 )’

danseur me cherchait ; je n’avais pas pris’ 5 le. tems de fermer la porte du cabinet • bientôt on m’apperçut évanouie ; mon ca- valier entre le premier, mon frère le suit, Claire immédiatement : mon frère me prit dans ses bras, traversa la salle où on dan- sait, et vint me déposer dans l’appartement à coucher de Claire sur son lit ; il dénoua ma ceinture, ma robe, M. de T…. avait un flacon d’alcali volatil ; il m’en fit respirer ; On avait voulu m’arracher ma lettre des mains ; mais je la retenais fortement. Si-tôt que j’ouvris les yeux, je la serrai dans mon sein. Ce petit incident avait dérangé le bal. Lorsque je fus un peu mieux, je fis mes excuses, et priai qu’on ne fasse plus d’at- tention à moi ; mais ni mon frère, ni M. de T…. ne voulurent pas me quitter. Après avoir pris quelque chose, j’achevai la lec- ture de ta lettre : mon frère m’observa qu’une entorse n’était point dangéreuse ; Claire vint se joindre à mon frère pour que je rajustasse mon désordre, et que je reparusse : je repris mon danseur et une place, et nous dansâmes de nouveau. Mon mari était sorti ; il rentra comme je dan-


( ao8 )

• sais ; il s’approcha de moi et me dit avec intérêt, lu es pâle ; on lui dit que je m’étais trouvée mal ; que sûrement je lui faisais un héritier ; il secoua la tête. J’en ai assez d’ua. Tout rentra dans l’ordre. Mon dan- seur avait beaucoup examiné mes traits pendant mon évanouissement ; il me trouva la figure caractérisée et digne du pinceau ; il me demanda la permission de me faire sa cour, et d’essayer les faibles lalens qu’il avait comme amateur ; enfin, des choses obligeantes. J’acceptai tacitement l’oflre de me faire mon portrait, pensant tout de suite à te l’envoyer. Le reste de la soirée se passa agréablement ; l’aimable peintre fut toujours mon chevalier.

Le lendemain, il vint me faire une visite et me renouvella son offre de la veille ; j’acceptai de grand cœur. — Si vous pouviez avoir fini dans trois jours ? — Oh ! certes ! et tout de suite il tira sa palette et ses pin- ceaux. Je me posai négligenmment sur l’ottomane ; c’esî dans cette attitude où tant de fois nous fûmes heureux….. que j’ai Voulu qu’il me peignit. — C’est dans le

cost ume




costume, madame, que vous aviez hier, il était charmant. — «Oui, lui dis-je ; j’ai plus d’un motif à ce que ce soit cet ajustement, sur-tout le chapeau et le panache bien pen- ché sur le côté gauche. Tout-à-coup mon mari nous surprit dans, celte occupation .- C’est bien mal, monsieur, je voulais vous faire une galanterie sans que vous le sus- siez. Eh bien ! madame, je ferai semblant de l’ignorer ; votre galanterie m’en sera toujours fort agréable ; car hier vous étiez très-jolie ; et j’aimerais mieux votre portrait dans l’habillement que vous aviez, que dans celui que j’ai déjà de vous ; d’ailleurs, mon amie, vous étiez si jeune alors !…. Aujourd’hui, du moins, vos traits sont bien plus formés. — Oui, monsieur, vous aurez le portrait de madame dans trois jours, telle qu’elle était hier, c’est-à-dire, char- mante. Mon mari le retint à dîner, et ils se reconnurent pour anciens camarades de collège. Le premier portrait fut fini ce matin ; Claire et tous ceux qui l’ont vu, l’ont trouvé très-ressemblant ; c’est sur-tout de celui qui est pour toi dont je suis ja- louse de ta ressemblance ; car autrement, Tome II. 27


( À 1 © )

l’hommage que tu lui porterait serait m«  faire une infidélité.

• *

Adieu : rends à mon image tous les bai- sers que j’ai donnés à la tienne.

Mille choses jolies de la part de mon frère.


Toute à toi, Julie.


( 211 >


LETTRE XLIX.

lise à Julie.

1 1 y À bien long-tems que je n r ai eu de tes nouvelles, chère Lili, et plus Iong- t Tems encore que je ne t’ai donné des mien- nes ; mais, Lili, sûrement tu ne calcule pas avec ton amie ; et ce ne peut être parce que je n’ai point répondu à ta dernière que Tu ne m’as point écrit Chère amie, j^ai bien du nouveau à t’apprendre. J’ai ^rdu ma mère au bout de neuf jours de maladie j mon père esdPinconsoïable ; car ils s’ai- maient comme deux tourtereaux : cet évè- nement À un peu calmé ma légèreté ; j*ai abandonné pendant quelque tems tous les plaisirs pour me livrer au sentiment de la nature !…. Mais mon père et mon oncle ont profité de cette réminiscence de la raison, pour obtenir mon consentement à un hy- men fortuné. Xili, je vais me marier ! j’é- pouse un fermier général, M. de la W…. II fi. quarante ans, infiniment aimable, beau- « 



( 212 )

coup d’esprit, de la même taille qu’Al- phonse, quelque chose de son-joli son de voix, et les grâces de son maintien : tout ceci n’a pas peu contribué h ce que je lui sois favorable. Je ne doute pas, Lili, que je ne devienne l’exemple des femmes. Mon mari sera heureux ; car j’aurai pour lui quelque peu d’amour, beaucoup de bonne amitié ; je fermerai les yeux sur ce que je

1 4

ne dois pas voir ; je sais que l’époux le plus amant n’est jamais sans caprice ! si moi- même j’en ai, je saurai les lui dissimuler. Mais j’ai tant vécu ! que maintenant je n’ai d’autre désir que, de me fixer à un homme honnête et aimable. J’aurai une maison opulente, de la sére^te dans l’ame » n’est-ce pas là le bonheur ?…

  • * ’ ’,, ., •

O ! mon amiel si les hommes connais- saient tout le prix d’une femme qui À de l’expérience,, qui. connaît le cœur hu- main !… Qu’ils tiendraient peu à ces fri- voles prémices de la première jeunesse* ! si, sortant, comme toi, de l’adolescence, on m’eût mariée, que d’allarmes j’aurais données à mou époux ! me précipitant


Dig i ( ooyh


( 3l3 )

d’écueils en écueils, j’aurais ruiné sa mai- son, ma santé ; en fin, j’aurais détruit notre union, et peut être (le malheureux enfans en eussent été victimes : aujourd’hui si je deviens mère, je saurai les aimer plus pour eux que. pour moi.,,

Enfin, Lili, je vois le parfait bonheur pour M. de la W…. de devenir mon époq^ :. Il ne me restait plus qu’une petite inquié- tude, c’était de connaître sous certain rap- port si nous. i nous conviendrions…. Cela était difficile à savoir ; je ne pouvais pas lui proposer ! ! ! ! Cependant, après notre ma- riage, il eût été trop tard. J’avais beau examiner ses traits, sa tournure, rien ne me rendait plus savante. Cet examen fut si souvent répété > qu’il s’en apperçut ; en souriant, il me prit la main qu’il baisa.. — Ma charmante future, ne craignez rien’, nous nous conviendrons encore davantage lorsque nous nous connaîtrons mieux. Je n’avais d’autre réponse à faire que celle d’une prude, d’ôter ma main en rougis- sant ; il demeura bien coi^aincu que j’étais la femme la plus novice, et que c’était le




( "5 )

Nous avions à souper M, de la W…. On sortit de table à minuit. Mon oncle m’em- brasse, mon futur aussi, et me souhaitè- rent une bonne nuit. Rosine m’habilla à la hâte ; elle s’était précautionnée d’un re- mise ; j’avais la clef de la porte du jardin, je m’échappai par. mon escalier dérobé. Comme deux heures sonnaient, j’arrivais au péristile de l’opéra, où il y avait un embarras de voiture ; un masque descendit aussi d’un remise ; je le regardai beaucoup, et crut reconnaître Alphonse. — Beau mas- que, me dit-il, voulez-vous accçpter mi main. — Volontiers ; plus confirmée que j’étais que c’était Alphonse. — Belle com- tesse, me dit-il, quel fortuné moment nous rassemble ! je me défendis faiblement d’ê- tre la comtesse. BoA, dis-je, voici la nou- velle maîtresse ; qu’il me sera doux qu’il s’occupe tout le bal de moi, croyant s’oc- cuper d’elle. Effectivement mon Bohémien ( c’était ainsi qu’était son déguisement, moi j’étais en pèlerine) ne me quittait pas. 11 m’offrit des glaces, des oranges que j’ac- ceptai. Cependant, quelquefois je disais ; comme le masque donne de l’esprit ! Car


ouvrir ; je ïe reconnus pour avoir parlé à son maître au bal.

Nous entrâmes par une petite porte dans tin jardin assez vaste : nous traversâmes un vestibule, unesalle à manger, et nous arri- vâmes dans un petit sallon bien échauffé, où on nous servit un consommé, un poulet gras,*etc.

Mon aimable Bohémien se démasqua tout-à-fait, et je m’apprêtais à rire de sa surprise lorsque j’en aurais fait autant, et qu’il reconnaîtrait sa lugubre Lise. Mais, ciel ! quel est l’être qui paraît de dessous le masque ? Mon futur ! Je fis un cri ; mais je rappellai bientôt tous mes esprits en respirant d’un flacon d’alcali volatil pour rassurer mes sens, crainte d’un évanouis- sement qui m’eût perdue.

À mon cri, il se retourna. — Eh bien ; est-ce que je vous fais peur, ma belle ? — O ciel ! quelle idée ! Mais vous n’avez pas vu que je viens de me brûler ; je lui mon- trai mon doigt. — Jolie petite menotte. Tome II. . 28


( 218 )

dit-il en la baisant. Je dis : faisons nos con- J ditions. — Tout ce que vous voudrez, ma belle ; je souscrirai à tout. — Eh bien ! je vous aime ; vous m’avez plu ; mais je ne veux pas être connue ; car j’ai un mari et des enfans : vous posséderez toute ma per- sonne, hors mon visage qui restera tou- jours voilé sous une gaze d’Italie épaisse. Je partagerai vos plaisirs : il me sera doflx d’y contribuer ; mais vous ne verrez pas ma fi- gure ;y consentez-vous ? — Quoiqu’il me se- rait bien doux de voir un très-joli visage, je respecte trop vos volontés, charmante amie, je me soumets à tout ; et il me presse tendrement dans ses bras.

Je le priai de passer dans l’appartement voisin, pendant que je me déshabillerais : j’ôte toute ma mascarade ; je reste avec un simple jupon et un fichu ’sur mon col ; j’a- vais mis une perruque brune ; j’eus grand soin de cacher tous mes cheveux blonds ; je me fis un large signe sous le sein gauche, et un autre sur la cuisse droite avec une essence ( qu’heureusement j’avais dans ma poche ) qui À la propriété d’assurer ces si- ^



( 2I 9 )

gnes pour vingt-quatre heures. J’arrange si bien ma gaze sur ma figure, qu’elle était d’une épaisseur impénétrable : je me laissai la facilité de la bouche et de l’œil pour voir, et non être vue. Tout cela fait, je rappelle mon aimable ; nous nous restau- râmes gaiement, et nous allâmes de même au lit ; je découvre en lui de rares beautés, qui, pour moi, tu sais, sont d’un grand mérite, et nous fûmes véritablement heu- reux…. Il ne chercha pas à pénétrer le se- cret que je voulais garder. — Mais, ma .bonne amie, est-ce que je ne vous verrai plus jamais ? Il prononça ce jamais avec une onction qui pénétra. — Laissez-moi faire ; je vous aime, je ferai le rôle d’a- mante, donnez-moi votre adresse, et je vous écrirai lorsque je pourrai être libre. — Ne pourrai-je pas vous être utile en quel- que chose ; je suis riche ; les femmes qui n’ont point de besoin ont des fantaisies. Oserai- je ? Ne vous offenserai-je pas ? II porta la main sur sa bourse. — Non, mon ami, je n’accepterai pas de vous des dons pécuniers, ils m’offenseraient ; je suis dans l’opulence. Il fut fouiller dans son secré-


taire. — Je suis bien heureux, ma géné- reuse amie, de retrouver ici un assez joli bijou que je vous pue d’accepter. — Je ne pus m’y refuser, puisque c’était son por- trait dans \jne bague enrichie de diamans j je la reçus avec sensibilité. Mais, lui dis-je, cette bague avait peut-etre une destina- tion. — Oui et non. Comme Je suis sur le point de me marier, je l’aVais l’ait faire pour ma femme ; irais on m’a observé qu’un riche médaillon serait bien plus galant qu’une bague où il était impossible de don- ner assez de développement aux traits. Ainsi j’ai fait faire un médaillon pour ma femme, et je ne peux mieux placer cette bague !…. Mêla passant au doigt, je voulus le faire jaser sur son mariage. — Qui épou- sez-vous ? Est-ce une jeune personne ? — Oui, une jeune et belle personne, de votre taille ; jelle À aussi, comme Vous, le son de voix charmant ; c’est un ange de beauté, de candeur ! quelquefois je la surprend, me regardant avec curiosité, comme cher- chant à m’étudier, à lire dans mon cœur ; je suis sûre qu’elle redoute le moment, quoiqu’en le souhaitant ; car ses yeux an-


( 22ï )

noncent le feu du désir de s’unir à un homme. Oui, ma belle, je me marie ; j’es- père être heureux, et sur-tout rendre heu- reuse ma femme. Je bompte le lendemain de nos noces, l’amener à cette petite mai- son, et lui en laisser totalement la pro- priété ; mais cependant, ma belle, nous pourrons nous voir quelquefois ; que ma femme ignore que j’ai une affaire de cœur avec vous, en sera-t-elle plus malheureuse, , quand je l’aimerai bien, et que j’aurai toujours pour elle les procédés d’un hon- nête homme ! — Mais si vot*e femme avait ( aussi une aflaire de cœur, comment pren- driez-vous cela ? — J’aime à croire qu’elle aurait trop d’esprit pour que je puisse m’en appercevoir ; car l’histoire delà paternité…. Mais qu’elle garde. le décorum ; je ne suis point soupçonneux ; je ne cherche jamais à savoir ce qui peut me faire de la peine.

Il fit servir à déjeûner, me pressa encore pour me dévoiler. — Ce joli visage, je ne le verrai donc pas ? — Non, mon ami, je ne suis pas jolie ; je n’ai que le corps ; je suis très- marquée de petite vérole ; j’en ai





( 222 )

perdu un œil ; desirez- vous encore me voir ? — Oui. Oli ! vous me trompez !…. — Deux heures. Dieux ! qu’il est tard ! j’ai du monde à dîner. Laissez-moi me retirer. — Moi, je dîne chez ma future ; mais on ne se met à table qu’à cinq heures. La pauvre petite, hier soir, était un peu indisposée ; elle vient de perdre sa mère, elle ne peut se consoler ; et c’est cette perte qui l’a déci- dée à se marier car jusques-là, quoiqu’elle eut d’excellens partis, elle n’a jamais pu se » déterminer. — C’est aussi,. ajoutai- je, que vous lui avez plu ! — J’aime à le croire, répondit-il modestement. Oh ! je veux la rendre bienheureuse ! Tout en causant, nous nous trouvâmes à la petite porte du jardin, et nous entendîmes le nègre qui faisait avancer la voiture. Nous nous em- brassâmes tendrement. — Adieu, cruelle ! adieu, aimable inconnue ! pensez quelque- fois à celui qui vous adore.

Lorsque je fus arrivée à la rue Royale, je changeai de voiture ; j’en repris une au- tre ; je me fis conduire au marais et descen- dis chez la gardé-malade de maman ; elle

» « 




me prêta des habits et je revins chez moi ; il était quatre heures ; Rosine avait dit que j’avais été malade toute la nuit ; qu’il fallait me laisser dormir toute la matinée. À cinq heures, on me dit que M. de la W…. de- mandait la permission de venir chez moi s’informer de ma santé ; je m’étais mise au lit ; un grand bonnet de nuit me donnait un air languissant ; j’avais les yeux abattus. Mon oncle me demanda la permission, puis- qu’ils n’étaient que lui et mon futur, de faire servir chez moi. On me leva ; je me mis dans une’chaise longue près du feu, et M. de la W…. était bien loin de croire que j’étais sa conquête de la nuit….

Adieu, Lili. Mademoiselle, écrivez-moi bien vite.


C 22 f )


, —, . 3

LETTRE L.

Julie à son frère*

v

M ON indisposition, ami bon, n’a pas eu de suite ; c’était une affection .de l’ame un peu trop forte ; je me portais ’à merveille le lendemain. L’aimable che- valier n’a pas cessé .de me prodiguer ses soins ; il À voulu me faire mpn portrait ; je profite de cette occasion pour me rendre toujours présente à toi. Il À parfaitement imité ma mise de ce jour : on me dit fort ressemblante ; cependant, ne trouves-tu pas qu’il À trop conservé cet air de mélan- colie, immédiatement la suite d’un éva- nouissement ? il À poussé la complaisancq jusqu’à en faire quatre copies, dont mon amant en aune, mon mari l’autre ; celle contenue dans cette petiie lettre, et uns que j’ênvoye demain à Lise.

Adieu mimi ; j’ai du monde à dîner ; je suis pressée. Baise Clarisse pour moi.

Ta bonne amie et sœur Lin.

LETTRE


(,< h ’“ ;k


)


( 225 )


LETTRE LI.

Julie à Lise.

. * ’

O h ! pour le coup, cher amie, tu me sur- passe en aventures ; en ai-je jamais eu de cette force ? vingt «fois j’ai frémi en lisant ta derniere ; quelle présence d’esprit !…. Comment as-tu osé rester lorsque tu as trouvé sous le masque ton futur, aulieu de ton amant ?… quoi qu’il en soit, c’est un bon homme, épouse-le bien vite ; il me tarde de te voir légitimement dans ses bras ; il te rendra heureuse, je serais sa caution. ’*

Nous avons eu un bal chez madame B…. ma voisine. Sans être nombreux ni superbe, il étoit assez agréable : pour moi, il devoit être charmant puisque

Q. … te devoit y venir, et amener de L

l’ami de la maîtresse de maison ; mais c’est en vain que l’on retarda le dîner d’une heure pour les attendre : à huit heures Tome LI.



( 2a6 )

du soir son compagnon de voyage arri- va seul il me remit une lettre de lui ; il faisait du verglas : un mal adroit postillon les avait renversés dans un fossé, et mon amant faillit avoir la jambe cassée. À cet endroit de sa lettre, je lis un cri et m’éva- nouis. tJ’étais enlrée dans un petit ca- binet de toilette ; la porte en était res- tée ouverte ), mon frft-e et M. de F……

vinrent à moi : mon frère écartent ceux qui m entourent, me prend sur ses bras, et traversant le salloii ou l’on dansait, il en- tre dans la chambre de Claire, me pose sur son lit, et dénoue la ceinture de ma robe. M. de F… me fit respîret d’iine essence, je revins ; étendant les mains en signe de re- connaissance vers ceux qui m’entouraient, mon frère en prit une qu’il pressait affec- tueusement ; M. de F… baisait l’aulre. Mon amie, une femme évanouie est doric bien antéressante ?…. Ou avait voulu m’enlover

lfi lettre que j’avais’ à la main ; mais je l’a- vais retenue fortement et placée dans mon eêin. ’ >

l

■ : . ’ • • • i

Claire et son amie vinrent me tranquil-

f À ■ ……




( 227 }

liser ; qpe ce n’était rien ; que la pliûtç Tes- tait pas dangereuse ; qu’il f^llajt, qjie.jjp remisse mon désordre et que je reparuss/e au bal : tout reprit l’ordre, et. jerjd^ji- sais lorsque mon mafi revint ; c’est encore heureux qu’il n’était pas là pendant eptte scène ; le reste de la soirée fut, afuKddeîî quelques j|mis furent retenus à soupers de ce nombre était M.F.,.. ; il nou.s remjt à notre porte » et demanda la penujsgjpjÿ de venir nous faire une visite. J / c 1- i. f

•,,.’j I- /.» . < i-’ 1*1 K !*•

Le lendemain, à dix heures du pjatijfc» on me l’annonça ; j’étais encore au li.tÿ je dis qu’on le fasse passer dans le sallqn ; qjue j’allais m’y rendre…. Je me lève, pass© r unq pelouse ( robe du matin ) ; j’ote le peigrjfi qui tenait mes cheveux ; ils tombent à grtvp flots sur mes épaules. Je me présente, à Mj. dé F…. en lui disant bon jour ; je m’assied sur l’ottpmane. — C’est dans cet aimable aban- don qu’il faut vous peindre, me dit-il-ei* aveignant sa palette et ses piqceaux. — Non, lui dis-je, par des raisons particu- lières, je veux être dans le costume ou j’é- tais hier : vous savez que c’est ainsi que


( 328 )

mon mari desire mon portrait. — Eh bien, charmante Lili ! ( il avait entendu mon frère et Claire me nommer ainsi ) permet- tez que j’en fasse un dans cet aimable dé- sordre : soyez assez bonne pour ’qu’il me reste, et je m’engage à vous peindre pour tous vos amis dans votre ajustement d’hier. 11 porta la complaisance jusqu’à» m’en faire quatre. J’en joins un à cette lettre, mon amant én À un, mon frère et mon mari. Le che\alier soupe tous les jours chez nous : mon mari l’aime beaucoup ; c’est Vhomme dli iriOnde le plus complaisant ; il n’est pas beâù : j mais il À un genre d’esprit tout-à- fait aimable et des talens ; j’ai bien de la peine à le faire rester mon simple confi- dent : voici tdujours un atlentif jusqu’à ce que Q.ü.. te revienne ; ce ne sera pas avant les fêtes de Pâques.

’j t • \ 4 •

Adieu, mon aimable amie ; je t’embrasse bien tendrement.

Ta Lili.



( 22 9 )


XI 11 1 Ig

LETTRE LII.

Julie.

Tj’iLI, ma céleste amie, tu me combles

• i • « 

toujours de nouvelles faveurs ; je n’ai plus de termes pour t’exprimer ma passion ; que je suis heureux d’avoir été blessé à ne pou* voir me rendre près de toi, puisque cet ac- cident me procure le plaisir de te porter continuellement sur mon cœur. Mon amie, tu sais toujous changer les larmes de tris- tesse en celles de plaisir ! Lili, que tu es divine ! Lili, dans ce portrait, que tu es frappante ! que j’aime cet ajustement gris et rose, et ce panache ; quelquefois je me penche pour en être caressé ; que de fois dans le jour et la nuit, lorsque je me ré- veille, je baise ce portrait chéri ! et je me dis : peut-être Lili rend-1-elle le même, culte au mien.

Ma santé va excellemment bien ; mais, chère Julie, nous sommes tellement sur-


V




( 3 3o)

chargés de besogne, que je ne pourrai al- ler dans tes bras que les fêtes de pâques. Que deviendrais-je, si je n’avais pas ton portrait ?

Adieu, amie .bien tendre ; il est une heure du matin ; je m’endors avec ton ima- ge. Tout à toi,

Ton ami, N. Q te




( 23i )


LETTRE LIII.


À Julie.


Toujours nouvellement bonne, ado- rable et adorée sa ur ; ton portrait ! De


quelles expressions nie servirai-je pour te rendre ma joie de te posséder continuelle- ment : je l’ai mis à la place de la gerbe de cheveux qui était derrière le portrait de Lise ; ot la gerbe, je l’ai fait monter en ufie épingle pour mettre au col. Tout mon bon-* heur maintenant est en peinture ; j’ai ma sœur et mon amie, je n’ose plus dire ma maîtresse. À propos, elle m’a écrit qu’elle allait se marier, et qu’il fallait que j’allasse lui faire mes adieux, parce qu’après son hymen, elle serait la femme la pli*s sage du monde ; mais qu’actuellement, elle jouis- sait de son reste ; qu’elle voulait, la semaine d’avant ses noces, rendre heureux tous ses amans. Mon père va à Paris ces fêtes de Pâques, je tâcherai de l’accompagner pour "recevoir la dernière faveur de ma bien-



( 233 )

aimée ; oui, elle est capable, ne fut-ce qu» par originalité, d’être d’une sagesse exem- plaire après son mariage.

Adieu, chère amie ; je l’embrasse et aussi ta Clarisse. Tous les soirs et matins, elle vient me dire : petit oncle, fais- moi baiser

ma jolie petite maman Q et

Ton frère G G,


\




/


tETTRE’




X


( *3 )


LETTRE LIV.

Lise à Julie.

Mill E et mille remerciemens, Lili chari mante ; que ton portrait ui’a Tait de plaisir ! combien cel ajustement gris et rose te sied ! véritablement, le chevalier À des talens ; sur-tout le plus aimable, celui de la res- semblance. Comment ? tu n’as récompensé son talent que par lui-même l . . . . Lili, sais-tu que tu es une fenune bien drôle ! Tu manques sans conséquence à la fidélité que tu dois à ton mari, et tu es scrupuleu- sement fidelle à ton amant ! Eh bien ! moi, je serai toute opposée à toi ; je ne fus ja- mais fidelle à un amant, et je le serai à mon époux. Tout est prêt pour la célébration de notre mariage ; la semaine prochaine, il se fera sans fracas à une maison de cam- pagne qu’a mon oncle à Saint-Germain ; quelques amis qui serviront de témoins : ■voilà tout. La mort de ma mère est encore trop ressente pour se permettre d’étaler beaucoup de luxe.

Tome JJ. 30




( ^ 4 )>

Je jouis de mon reste ; jusques-Ià, j’ai donné rendez-vous à tous mes amans pour la dernière fois . j’espère que ton frère s’ar- rangera pour veuir m’apporter ses derniers hommages ; car après cela, crois en Lise ; çllesera sage ; je fais ce que l’on nomme une fin.

Adieu, très-clière amie ; d’ici à mon hy- men, j’ai encore le tems de recevoir une lettre de toi ; quant à moi, Lili, je n’ai plus que celui de penser à toi et non de t’écrire. Je baise ton portrait à ton inten- tion. Adieu.

Ta L i s E.




\


( a35)


X E T T R E- L Y.

À Julie.

J’ ARRIVERAI après demain, chère Lili, à S-… Je comparerai la copie à l’original ; je serai heureux…. Ces fêtes, nous les pas- serons tranquillement ; nous vivrons pour nous. Si tu pouvais être assez adroite pour faire aller ton mari passer les fêtes à la campagne ! je t’abandonne cette idée. … Mais, Lili, vous ne m’avez pas écrit ? Que faites-vous ? Ton portrait m’est bien cher ; mais le peintre m’inquiète. Adieu, Julie : je te baise en peinture…. Puisse ce don ne pas m’être funeste !….

Ton ami N. Q te .



J


(336 )

LETTRE LVL

Julie, à son ami.

Encore des conjectures injurieuses pour Lili ; tu mériterais bien qne je les réalise ! Eh bien ! je suis encore assez bonne pour t’apprendre que le peintre est parti de S … avant hier, et qu’il n’a empoité que l’es- time de Lili.

Mon mari va passer les fêtes à M…. chez madame de P…. Il voudrait bien m’avoir avec lui ; mais je suis malade pour tout le monde jusqu’à l’arrivée de celui qui est l’idole de mon coeur : ainsi nous serons seuls ces fêtes. Pénètre-toi bien de ce bonheur qui m’enchante d’avance.

Ton amie Julie.


r\


À



\


( a3 7 )


LETTRE L VIL

! 

À Julie.

r

J’arrive de la capitale, mon amie ; j’y ai passé les fîtes et deux nuits avec Lise. Que je fus heureux !…. que j’envie le sort de son heureux époux !…. Oui, heureux époux ; car je parie qu’il le sera : elle s’est mise en tête de lui être fidelle ; elle l’aime beaucoup, sur-tout depuis la nuit passée à sa petite maison à la suite du bal que tu sais bien…. Véritablement, c’est un homme fort aimable, elle lui a dit que j’étais le frère de cette dame dont il A vu le portrait : il m’a fait un accueil gracieux ; il a beaucoup d’esprit, et quoi qu’il ait quarante ans, il est bien loin de les paraîlre : il la couvre de ses yeux, et la croit une Agnès.

J’ai vu aussi le comte Alphonse ; elle lui a dit gaiement, ces deux jours-ci, mon ami, sont consacrés à monsieur j




J


( «a )

il vient de loin, et vous, vous êtes à ma porte ; au surplus, c’est une vieille connais- sance, c’est le frère du Chevalier J ules ; il a demandé de tes nouvelles avec intérêt ; faisant une pirouette : adieu, ma divine ; vous me ferez savoir quand ce sera mon jour ; et frédonnant un air, il s’est échappé.

J’ai vu aussi, ciel ! qu’il est beau, de Séchelles !…. Lise ouvrant ma poitrine ; — Connaissez- vous cette dame, lui a-t-elle demandé ? — Pas infiniment. — Mais ce- pendant les yeux, le sourire. — Laissez- moi examiner. Après un peiit moment. — C’est le chevalier Jules ! c’est Lili ! puis, il Regarda Lise : — Vous êtes bien heureux, monsieur ! Si je pouvais vous escamoter cette miniature ! mais vous ressemblez à çe portrait ; est-ce madame votre sœur ? Oserais- je vous prier de lui dire que nous nous sommes beaucoup occupé d’elle dans toutes nos petites fêtes ? Lise, le prétexte de la noce ne pourait-il pas l’amener à Pa- ris ? Enfin, cet homme charmant a parlé de toi avec bien de l’intérêt ; il me succès dera auprès de Lise pour prendre son congé.


( a3 9 )

Le lendemain des fêtes, à onze heure» nous étions encore couchés, Lise et moi, lorsque l’on frappa à sa porte : entrez ( c’est son père-)- ; venez m’embrasser petit papa. Je n’avais plus de sang dans les veines ; elle passa sa tète entre les deux rideaux, avec un air de modestie., elle lui donna un baiser, et lui dit d’aller demander à son oncle s’il veut venir prendre du thé chez elle ; il sort : elle me fait passer dans un petit cabinet où je fis ma toilette, et sortis par l’escalier dérobé. Je reviens par legrand^ et j’entre. Je trouve à déjeuner l’oncle, le père et le futur chez elle ; on m’invite, et nous déjeûnâmes tous ensemble. Adieu, bonne amie ; reçois tous les baisers de l’a- mitié, tout à toi…. Clarisse t’embrasse.

C. G




LETTRE LV1II.


v Julie à Lise.

Il y a bien long teins qu’épistolairement je n’ai causé avec toi, ma chère amie ; mais je n’ai point voulu te distraire de toutis tes jouissances, tant dè tes adieux, que de celle d’entrer en possession de M. de la W…. J’ai atltendu que tu ayes un peu pris l’assiette de ton bonheur, pour t’en féliciter.

Quant à moi, je n’ai rien de neuf à t’apprendre, j’ai passé les fêtes assez agréa- blement en lète à tête avec mon amant…. Puis, j’ai été rejoindre mon époux au châ- teau de M…, chez madame de P… ; par- conséquent, je n’ai goûté que les plaisirs simples de la campagne, qui ne sont pas sans charmes pour le ca ur, et qui enchan- tent souvent par la description.

Depuis trois semaines que xnon amant

est

) ’


( 2 4ï )

est reparti, je n’ai point eu de ses nou- velles ; est-ce qu’il se dégoûterait déjà du bonheur ? cette fois, il ne lui a pa3 coûté de peines ! les hommes, je crois, n’y attachent du prix qu’autant qu’il leur est difficile à l’obtenir… Cette réflexion m’accable. Adieu, chère amie ! que l’ami- tié est bien plus douce ; elle est sans in- qu étude. Je te baise,

Julie.



Tome IL


3 *




7


( 24a )


. LETTRE.LI X.

À Julie.

~i :- . • ’i •

Pà R d 0 N, pardon, belle et tendre Lili r depuis un mois que comblé de tes fa- veurs je suis parti de S..’., je ne t’ai pas dit un mot : peut-être m’as-tu déjà ac- cusé ! Lili, sois vraie ? ton ccrur aurait-il pu. soupçonner celui de ton amant ?

%

Mais, écoutes, pourai-je me justifier ? Non. Un grand mois sans te donner de mes nouvelles, cela n’est pas pardonna- ble. Eh bien ! ma confession. J’ai été en ma qualité d’administrateur envoyé à St.- Q… dans le plus joli couvent du monde, où, entouré de toutes les jeunes religieuses, les novices et pensionnaires, seul, au milieu de ce saint troupeau, je ne voyais que Julie : Olimpe avait les yeux de ma Lili ; Agathe, sa mélancolie ; Agnès, sa vivacité ; Adelle, son maintien abandonné ; Frosine,son en- jouement ; Emilie, sa taille ; Justine, ses




grâces touchâmes ; Estelle, la finesse .d-e son sourire ; Eléonore. son pied migpun. Enfin, au milieu de ce cercle charmant, je ne voyais que toi c’était l’effet duani- roir brisé qui se plaît, à, répéter les, traUs de l’objet qui oçcnpe.l^ coepp.-, Plains t.pi maintenant de mon, originalité. §i tu pya,is un petit grain de cette folie, nous en se- rions plu£ heureux ; mais dans toutes ces jolies vestales, je n’ai pu les animer de cet esprit qui fait chez toi trouver le bonheur suprême ; et c’est encore le charme auquel l’imagination ne peut jamais supplée*.

Eh bien f Lili, m’absous-t.ïr ? pour un ins- tam nies sens égarés, abusés même par la ressemblance, paviaite avec l’objet qui occupe toutes l.îrs facultés de mon cœur ; est ce lui, UK, qui doit être puni ? Je n’o- serai, tendre et sensible amie, me présen- ter à tov, que lorsque je saurai que tu joins l’indulgente bonté à toutes tes autres qua- lités, et si j’obtiens mon pardon. Tou*

• « p’ ’

parlement va encore une fois à # S.*..’ ces Têtes de Pentecôte ; nous nous arrangeront pour conduire Lili et sa sœur à la fête de



( *44 )

V…. : goûtes-tu cette idée ? Adieu, bel ange, crois que je n’aime que toi ; que toi • fieule peut plaire et satisfaire mon cœur.

Ecris- moi ; dis-moi si je peux me rendre près de toi. Adieu. Ton portrait recevra mes adorations, encore pendant quelques jours, jusqu’à l’heureux moment qui m’ap- prochera de toi.

Ton ami, N. Q….. te

v ; ; : i !if i < \ !

… . ; :-.V *-•) !•••’ ■ • ■

. ■ ;, i ■ il ■ ’ ■ ■ >’• • ’ ’

,*(T r, tu.. • ••




’■ —-jk


( = 45 )


LETTRE L X.

V .•* •* • . • J I

Julie à son ami.

Si je t’ai accusé ? oui, oui, trop aimable coupable ; mais si tu avais tort au tribunal de ma raison, mon cœur, ton avocat, plai- dait ta cause avec une telle chaleur, qu’il triomphait, même de toutes les apparences qui sont contre toi ; et maintenant que tu m’avoues avec tant de candeur qu’il y a plus que des apparences, mon cœur, qui n’est jaloux que de la relation qu’il a avec le tien, assuré de sa propriété, ne peut avoir de fiel ; c’est lui qui t’invite à venir

les fêtes de Pentecôte à S ; de-là nous

irons à V…. ; mes sœurs et mon frère y vont ÎGU5 les ans, et moi étant demoiselle, je n’y ai jamais manqué ; de toute l’année, c’était le seul plaisir que j’avais alors ; qu’il me sera doux de parcourir avec toi le parc, les jardins charmans que le duc D…. fait tous les ans embellir de nouveau ; ce parc,




"tfr* ■

r"- * • ’

( 246 )

fcordé par une forêt superbe qui semble, par son antique ombrage, avoir servi depuis long-tems de retraite aux amans.

i

Adieu ; je ne puis cependant te donner cette fois un baiser ; je crains que trop de facilité à t’absoudre ne te rende de même facilement coupable.

Ta Lili.,



( 3 4 7 )


LETTRE L X I.


Julie à son frère.

JVIon ami, n’oublies pas que c’est lundi, . “ second jour de Pentecôte, la fête à V……

viens-y • taches que papa y laisse venir mes sœurs, sur-tout amènes-moi ma Clarisse.

Q te e * le département viennent à S….,

•et nous irons tous ensemble à V…. M. et madame de R…. viennent aussi ; ainsi la compagnie sera nombreuse. Adieu, ami bon ; à lundi, je compte t’embrasser et ma

Clarisse. Adieu.

»

Ta bonne amie et sœur Lili.





( 548 )


LETTRE LXIL

’ . ’ •

1 ’ « . j *

À Julie .

C w

peut-il, Lili ? deux jours passés près dô toi comme Tantale ! méchante. Lili ! quelle faible excuse de m’avoir objecté, que no- nobstant leur source Êivine, ces roses pour un amant, n étaient que des épines l’amant de Lili ne sait-il pas près d’elle tout bra- ver ?… Perfide Lili, c’était pour te venger de l’espèce d’infidélité que je t’ai avouée ; voilà donc comme tu as récompensé ma candeur ? pourquoi cette fête de V… est- elle si mal tombée ? j’arrive la veille à S… je fus te voir, tu m’as remis au lendemain… Le lendemain tu te rend avec madame R…. et J… H… à V… Nous arrivâmes, mes amis et moi après ; déjà ta toilette était faite, lorsque par la croisée je t’apperçus si su- perbe, pouvois-je craindre ?… Nous vînmes vous prendre pour dîner, à cela près que tu avais l’œil un peu abattu, et une pâleur intéressante, occasionée par la petite fat igue

du


-


< *49 )

du voyage : je voulus danser, et tu me dis que tu aimais mieux te promener dans la forêt ; nous y fûmes ; ton frère et J H… y vinrent aussi avec nous. Nous visitâmes encore ensemble les jardins. La nuit était déjà tombée, la lune remplaçait faiblement le jour, lorsque de B.„, Ta cousine, ton frère, J. H~., toi et moi, nous nous engageâmes dans ce charmant labyrinilie. Finement, je m’égarai : après avoir marché long-tems sans retrouver nosamis,tu pris del’humeur, tu ne voulus pas nous égarer dansce dédale, tuYopposas .tu m’objectas.. ;enfin tu nevou- lus pas couronner mes feux… :tu me repro- chas mon infidélité à St.-Q…. Le ciel t’a pu- nie, ô Julie ! l’amour indigné deton procédé 4a prolongé notre égarement ; nous sommes même bien heureux de nous être retrou- vés : cependant, il était deux heures, on nous attendait, on nous cherchait ; les che- vaux mis aux voitures manifestaient leur impatience, ton mari en prit, et la scène affreuse qu’il nous fit n’est encore qu’un ressentiment de l’amour couronné.

Vois, Lili, comme l’occasion manquée est Tome II. 32




r


( 2 *o )

souvent perdue pour long-tems ; tu avais re- mis uion bonheur au lendemain, (il prend fantaisie au roi de quitter la France, il est, dans sa marche, arrêté à Varennes, nous recevons les ordres les plus positifs, comme fonctionnaires publics, de retourner sans délai à nos postes ) le lendemain il fallut sa- crifier son amour pour le salut de sa patrie ; et ce voyage… ô Lili ! je mourrai de regret situ ne me promets de passer la nuit du mercredi au jeudi avec moi, chez moi àS… : je m’y rendrai incognito. Adieu, méchante Lili ; j’attends ta réponse pour me rendre à S… uniquement pour toi.

N. Q *•




( a5i )


LETTRE LXIII.

Julie à son ami.

M E RC R EDI, de sept à huit heures du soir, Julie sera assise sur le bord du petit bois le long de la grande route, à une demi-lieue de S…. sur le chemin de L… ; elle est suppo- sée coucher ce jour-là à la campagne chez madame V… Eh bien, monsieur ! ce sera-t-il assez réparer ce que vous nommez mes ca- price*, qui cependant ne sont autre chose que de la délicatesse ? Ainsi, monsieur, ne grondez plus ; comme vous, j’ai partagé le chagrin de ne pouvoir être heureuse… Ce- lui, mon ami, qui crie le plus haut, n’est pas toujours celui qui souffre le plus. Adieu. Mon mari, depuis ce jour, me fait tous le» mauvais procédés qu’il peut ; j’ignore qui lui a monté la tête, mais il me rend bien mal- heureuse ; c’est dans tes bras que je veux oublier toutes mes douleurs… viens… viens : . ne manque pas de te trouver de sept à huit heures au petit bois de P… Julie y portera



( 252 )

ses ennuis, qu’un de tes baisers aura bientôt dissipés.

Adieu, bel ange, je t’aimerai envers et • contre tous ; mais j’envisage bien des cha- grins : de noirs pressenti inens m’agitent, des rêves sinistres troublent mon sommeil ; puis» je me réveille et baise ton portrait. Vérita- blement je suis unétre bien infortuné ; mais mercredi soir et jeudi matin, mon sort ne sera-t-il pas désirable ?

Ta Julie.


□i





LETTRE LXIV.


Julie à Lise.

Il y a bien long-tems que je ne me suis entretenue avec toi, Lise toute aimable ; tu es sans doute maintenant madame delà W… mais toujours Lise pour Lili, pas vrai ? Les motifs de mon long silence sont quelque peu de plaisirs, beaucoup de peines ; les uns et les autres sont toujours émanés de ma

passion pour Q te : il est arrivé à S… la

veille des fêtes de pentecôte ; tu sais que le lundi c’est la fête à V… M. et madame de R… vinrent chez moi, et nous fûmestousà Y… Il y eut un grand dîné chez M. H… où Bacchus fut plus célébré que Vénus ; nous y étions tous. Mon mari depuis quelque tems a changé de divinité ; il encensa tellement son nouveau dieu, qu’il ne lui restait plus que très-peu de raisôrt ; nous ne le vîmes presque pas de la journée, et nous nous en inquiétâmes peu. Le tems était charmant, je me promenai plus que je ne dansai, par



( 254 )

une bonne raison qui ne servait pas l’a- mour.

Le soir, mon frère, J. H… M. B une de

mes cousines, moi et Q te, après avoir ad-

miré les beautés du parc, des bords de cette majestueuse forêt, nous entrâmes dans un labyrinthe délicieux ; Q,e fit la plaisante-

rie de nous égarer ; mais le jeu devint sé- rièux, car il était deux heures que nous.ne pouvions encore sortir du lieu où une im- prudente gentillesse nous avait engagés. Nous nous étions divisés en trois bandes ; à minuit de B… et ma cousine R. arrivèrent à l’auberge du rendez-vous : à une heure,

mon frère et J. H…, las de nous chercher,

espérant enfin que nous les avions devancés au rendez-vous, y furent, et moj et mon amant n’y arrivâmes qu’à deux heures ; les chevaux étaient mis aux voitures dès minuit ; l’impatience était générale : on lançait des sarcasmes à mon mari, qui n’était pas trop d’humeur à les entendre, ou à riposter de même, et lorsqu’il ne nous vit revenir que tous les deux, il se porta aux dernières extrémités ; il empêcha une personne tierce




( *55 )

de monter dans notre voiture, composée de J… H…, Q…. te et nfoi, et il s’y plaça. Il faut véritablement tout le sang froid de ce dernier pour avoir soutenu l’effroyable scène que nous fit mon mari ; je tremblais à toute minute que les glaces de la voiture ne soient rompues : il était fort heureux que mon mari n’était pas méchant, et mon amant

t

prudent ; mais ce dernier était dans son tort (du moins l’apparence était contre lui ; car jamais l’honneur marital n’avait été tant respecté, outre qu’il y avait pour cela une bonne raison, l’inquiétude de ne savoir que devenir dans ce labyrinthe), mon mari aux trois quarts ivre lorsquenous relayâmes à la poste, un ami de mon amant sollicita mon époux ( car ses imprécations, ses vio- lences étaient entendues des voitures voi- sines ) de lui donner sa place et de prendre la sienne dans la voiture qu’il quittait, et où était la jolie femme de chambre de ma

cousine. Enfin, en menaçant Q te, il nous

laissa et monta dans l’autre berline. Nous arrivâmes à S…. à cinq heures du matin : nous devions, le lendemain, dîner tous chez l’abbé M… ; mais l’histoire de l’éva-




( a56 )

sion du roi obligea tout de suite ces mes- sieurs de retourner à leur département ; depuis ce jour, mon mari ne me parle pas, et tout ce que j’ai pu laire n’a pu rompre la glace*

C’est toujours lorsque l’on est malheu- reux que l’on a besoin que l’amour vienne nous consoler ; aussi cela me fit faire une nouvelle extravagance. Mon amant, de désespoir de retourner â L… sans avoir été heureux, me proposa de se rendre incog- nito à S… et-d’aller coucher chez lui (tu sais que son chez lui est chez son grand père) ; encore une fois, je redevins Jules, Je fus à* sa renconlre à un petit bois. Il renvoya sa voiture, et nous prîmes le frais dans ce joli bois : je fus ensuiie coucher chez lui ; j’ai eu la témérité de traverser l’anti-chambre du grand-père, de passer la porte de sa mère ( qui, à la vérité, était à la campagne ; mais cette campagne était si voisine, qu’un incident imprévu pouvait les amener tout-à-coup à la ville. ) Mon amant avait élé se faire donner les clefs qui étaient chez une voisine qui s’était

chargée

a




( 2 >7 )

chargée il’avoir soin des pigeons) parvenue chez lui, nous passâmes une unit délicieu- se ; le lendemain, dès le matin, crainte de mésaventure, je m’habillai, et fus prendre le frais au cours ("promenade) et ne rentrai chez moi qu’à dix heures du matin ; mon amant prit sa route à huit, pour être rendu chez lui à midi.

Mon mari boude toujours : cependant ce ne peut être la jalousie qui l’occupe si long- tems, je crhins bien plutôt que ce ne soient des raisons plus sérieuses ; je frissonne con- tinuellement, j’ignore absolument la véri- table position de ses affaires ; seulement je saisqu’elles sont mauvaises : le plus sinistre pressentiment m’assiège, je ne puis plus re- tourner à mon père.

Adieu, Lise, je suis trop courbée sous le poid de mon infortune pour m’entretenir plus long-tems avec toi ; quant à toi, lors- que ton bonheur te laissera le loisir de m’en parler je t’attends, Adieu.

Toute à toi, Julie.


Tome II.


33


( 358 )


LETTRE LXV.

À Julie.

C’est au Lois qu’il faut que je te voye, Lili, je ne puis te peindre tout le plaisir que j’ai ressenti lorsque j’apperçus Mina : je saute enbas de ma voiture et la renvoyé ; je vais à Nina, elle accourt à moi si-tôt’qu’elle me reconnait, je fis tout au monde pour l’empécher d’aboyer ; je voulais me donner le plaisir de te surprendre : tu t’en retournes au bruit, je me cache derrière un arbre, je le vois regarder ta montre, et la route de H…, et encore ma lettre. Lili, tu pousses un soupir, je suis dans tes bras,tu eus peur ; le promier moment de la surprise passé, que d’aimables caresses tu me fis ! je te conduisis dans un endroit plus isolé du bois, tes pieds chancellent, tu es efTraj’ée, tu me résistes tu m’objectes l’heure, l’obscurité du lieu, en un mot, tuas peur, je terassure, jete rappro- / che d’un endroit où la lune pénétrait un

peu ; tu te tranquillises, tu me presses ten-



( 2$9 )

drement dans tes bras :ton ameest tellement émue, que tu me dis quetes sens n’ont nullô part à ta sensation. O Lili ! si lu sais te dé- fendre, tu sais céder aussi… quel délicieux moment à jamais ineffaçable de ma mémoire ! ô ! ma charmante maîtresse ! tu as trouvé le moyen de me fixer ; tu sais toujours te ren- dre nouvelle ; si tu t’opposes un instant à mon bonheur, c’est pour te rendre plus pi- quante ; car toi, tendre Lili, tu possèdes le bonheur du désir et de la jouissance r je veux que nous nommions ce bois Claj-ence. Quand nous y trouverons nous ensemble, ô

  • Lili ! c’est dans ce bois qu’à jamais je veux

être heureux ; l’ottomane n’est plus rien ’ ; c’est un gazon verd, c’est l’ombrage des ar- bres qui fait tout. Adieu Lili, j’irai fédérer avec toi dans quatre jours, le 14 juillet. Adieu.

• Ton ami, N. Q î*




LETTRE L X V I.


Lise à Julie .

Comment te parler rie bonheur ? mon infortuné iimie ; si je t’entretiens de ina splendeur, c’est eu te disant, Lili, tu me trouveras toujours : je serai, quoique ma- dame de la W.. éternellement Lise pour toi. Si un évènement mal’heureux arrivait, viens chez moi,… ! mon mari est un excellent en- fant, et il m’aime assez pour que je puisse toujours faire de lui ce que je voudrai ; d’ail- leurs, il a déjà pris de l’affection pour loi sur ce que je lui en ai dit : ton portrait et * ton frère qu’il a vu, lui donnent de toi une heureuse opinion.

Oui-, ma bonne amie, je suis parfaite- ment heureuse ; mon mari est fort riche, et mon oncle s’est comporté 1res- noblement vis a vis de moi ; ma maison esl très-opu- lente, il y règne même trop de faste : Lili,




( 2f " 1 *

qu’elle soit un asyle pour toi en cas de mal- heur ! que lecœur de Lise soit ton abri !

Nous avons été mariés le jeudi suivant de Quasi modo à Saint-Germain,sans fracas : nous avons passé quelques jours à la cam- pagne. Mon époux m’a’ fait cadeau de sa pe- tite maison, où le lendemain de nos noces il crut me mener pour la première fois ; et en reculant l’époque, il me conta l’anec- dote que je savais aussi bien que lui ; il ajouta, qu’il était singulier que cette fem- me me ressemblasse si bien, sur-tout par la taille ; car elle ne voulut jamais laisser voir sa figure ; mais c’est lout-à-fait, du reste, continué- 1-il, ta ressemblance ; à cette différence seulement, qu’elle avait un énorme signe au dessous du sein et un à la cuisse, et toi, tu en as un sur le mi- lieu de la poitrine et surle bras ( il est bon que tu saches qu’en me faisant les deux signes qu’il ne me retrouverait plus, pour encore mieux le dépayser, j’effaçai, ou pour mieux dire,* je masquai ceux que j’a- vais réellement ) ; c’était encore le même • son de voix, la même tournure ; enfin, on

« 




  1. ( 262 )

ne peut une conformité plus exacte. Je me gardai bien de me déconforter. J’avais, moyennant quatre louis, trouvé chez une femme utile à la société, le secret de me rendre…. au point que mon époux est bien persuadé d’avoir eu mes prémices. Comme je ne me suis jamais compromise qu’en tête à tête, et que j’ai toujours bien choisi les objets de ma passion, nul ne se vanterait de mes faiblesses en sa faveur ; je suis donc tranquille sur cet article ; et puis, quel est l’individu qui oserait dire à un homme de la représentation du mien qu’il a eu les fa- veurs de sa fennne avant lui ? Outre que celui ci ne le croirait pas, c’est que l’indis- cret risquerait de se faire une mauvaise af- ’ faire.

Permets, bonne amie, que je te fasse une observation. Tu te compromets trop publi- quement ; tu le sais, les femmes ne se per- dent jamais que par les inconséquences et les confidentes. 11 me paraît que tous les jours vous vous en failes de nouvelles. Jouis, Lili, sois bien heureuse ; mais pense que tu es mère, d’une fille : ce que je te dis


( a63 )

n’est pas pour te moraliser ; mais j’aimerais mieux le savoir dix amans qu’une confi- dente nouvelle.

Par exemple, je veux absolument que tu rendes heureux le délicieux Séchelles ; je lui ai consacré la nuit d’avant mes noces ; j’en ai été plus satisfaite. Mon dieu ! com- bien les hommes ont de variétés ! ô Lili ! • promets-moi qu’aux dépens de ton Q….. te, tu te plongeras dans les bras de cet être* divin : il conserve toujours un penchant tendre pour toi ; il s’est lié avec mon mari : ainsi tu le trouveras chez moi lorsque tu y " viendras. Adieu.

À propos, comme je tenais le peintre pour faire mon portrait pour mon mari, j’en ai fait faire un tout de suite en bague pour toi ; et j’ai cru ne pouvoir mieux pla- cer la bague de prix qn’il m’a donné, et que je ne puis porter, qu’en te l’envoyant ; mon portrait doit te faire accepter ce ca- deau avec plaisir ; avec la précaution de ne jamais le porter chez moi ; quoiqu’encore si lp hasard te faisait rencontrer mon mari ;




( 264 )

comme il ne connaît pas la figure de celle à qui il a fait cette galanterie, et que nous sommes de la même taille, et que tu es au fait de cette anecdote, tu passerais pour la véritable héroïne : il y a" déjà trois mois de cela, on engraisse, on maigris en moins de teins ; il paraîtrait encore tout naturel que tu aves substitué mon portrait à celui con- tenu avant dans la bague, puisque le ha- sard l’a lait trouver liée avec la femme que ^ ce galant a épousée ; d’ailleurs, tu as plus d’esprit qu’il n’en faut pour concilier tout celft. Ainsi, belle Lili, sans scrupule, reçois •de ton amie ce présent, qui doit te donner une idée de l’opulence, de la générosité, et aussi des seniimens que j’avais inspirés à mon amant dès ce jour.

Adieu pour cette fois ; vous êtes bien pa- resseuse, mademoiselle : vous m’écrivez bien rarement. Je .vous embrasse : rendez ce baiser à la pelite Lise que vous porterez à votre main gauche.

TaLisE.

f

LETTRE




^ io5 )


LETTRE LXVIL

Julie à Lise.

M ON amie, que vas tu dire ? ô ! quelle es- clandre ! que j’ai bien profité de ta dernière lettre ! me voici réléguée dans un village aride, presque au bout du monde, et lors- que je réfléchis aux trois derniers jours qui viennent de passer, tout me parait encore un songe ; mais pour cesser d’être énignta- • tique pour toi, il faut- commencer par la première scène : attends, il faut que j’y pense pour me la rappeller, tant tout ceci fut prompt, et tant je fus étourdie.

  • ‘ v ’ * * *

Tu sais qu’il y a trois jours c’était le 14 juillét, fête de la fédération : on la célébra avec enthousiasme à S… : tout fut illuminé et danse par tout, sur-tout l’égalité régnait ; les maîtres, les valet s, tous étaient pêle-mêle. Q te vient avecM. P… un de ses amis, fé-

dérer avec nous ; il y avait eu au district un repas nombreux, tant en mets qu’en con- Tome II. 34




( 99 z )

vives mon mari, dont depuis quelque tems la sobriété n’est pas la vertu, avait sûre- ment encore fait un essai plus considérable qu’à V … Nous dansions, mon amant, moi et l’ami de mon amant, ina belle sœur, la cuisinière de madame C… le laquais de ma- dame T.. : mon mari immédiatement près de nous dansait avec la célèbre Fanny. Mon amant, inconsidérément, me fit quitter la contre-danse avant quelle fût finie, ( car tu sais que ces rangs avaient été obligés de se montrer ainsi con fondus ) ;mon amant,dis*j e, m’emmena après un court acte d’apparition, et son ami, J. H… ; il faisait beau, nous nous promenâmes pour voir toutes les illu- minations, à minuit, (ce ne peut être heure indue pour un tel jour) ces messieurs nous déposèrent à ma porte. Je frappe en maître, personne ne répond ; je présume mon mari en orgie avec des filles, et qu’il n’ouvrirait pas, nos conducteurs ne s’étaient pas éloi- gnés : ils se rapprochèrent ; madame B… notrevoisine, rentrant chez elle,s’apperçut de notre embarras, vint à nous, et nous invita à entrer chez elle ; son mari et d’au- tres vivans de la joie arrivant, on sert une




N ( a6 7 )

collation où le vin de champagne moussenx et les liqueurs ne sont point épargnés ; et pour nous achever de peindre, on fit du punch ; nous étions tous bien gais : cepen- dant pas déraisonnables, mais d’une aima- ble folie. Claire nous dit, voilà deux paires de draps, nous conduisit à une très-petite chambre où il n’y avait qu’un lit. Arran- gez-vous, mes enfans ; elle se retire, et emporte la clef. Mon amant qui, sur moi, avait ses droits acquis, ne fait pas de façon, tire un matelat du lit, l’étend par terre, les draps dessus, me prend dans ses bras, et dit aux autres : je vous laisse le lit d’honneur. La situation de ma sœur était embarrassante, son champion n’entendait pas beaucoup raison.

Les mêmes désirs nous animant tous, et le premier somme, qui rafraîchit un peu les sens, étant fait, nous étions heureux. Lorsque le soleil vint éclairer notre doublé alliance

%

Q re portant la parole, dit qu’il fallait

nous habiller bien vite ; et pour éviter les mauvaises plaisanteries, qu’il fallait monter dans une voiture de poste et nous éloigner




f


( 269 )

il Fut arrêté que nous irions chez la chanoi- nesse : nous y arrivâmes à neuf heures du matin, pâles, faits comme des lendemains de noces : elle fut fort étonnée de cette des- cente inattendue faite si matin chez elle ; mais en femme d’esprit, elle ne nous fit point de questions, et nous ne dîmes rien : nos visages, le désordre de nos vêtemens, parlaient assez pour nous ; elle nous fit ser~ vir un dîner frugal sous un berceau de son jardin, vis-à-vis son petit salon : son mànoir était petit, mais joli ; dans sa retraite, il régnait du goût et de la simplicité ; elle était très-aimable, encore jolie ; mais elle avait été charmante : elle avait connu les peines de l’amour, et son extrême solitude en était une suite. Elle élevait là une inté- ressante petite personne qui pouvait avoir treize à quatorze ans ; c’était le fruit d’un amour malheureux, l’unique consolation et compagne de sa mère ; elle promettait aussi être extrêmement sensible.

Comme nous n’étions plus qu’à deux lieues de L…, ces messieurs, après le dî- ner, furent à leurs affaires, et le lendemain




( 2 7 ° )

soir, ils revinrent. Les femmes sont pins li- bres entr’elles. Lorsqu’ils furent partis, nous dîmes à l’aimable clianoinesse à-peu- près ce qu’il en était : mes amours avec

Q,e étaient trop divulguées pour ne

point avoir pénétré jusqu’à elle ; puis, elle venait quelquefois à S…. pour ses affaires : mon mari était son conseil, son ami, et même avait été, dans des teins plus reculés, son amant : toutes les fois qu’elle allait à S…. p elle venait dîner ou coucher chez moi ; mon mari, dis- je, était entré avec elle dans quelque confidence relativement

à mes extravagances avec Q tf,son ami et

ma sœur ; cela s’expliquait tout seul ; nous n’eûmes donc à lui apprendre seulement, qu’ayant trouvé les portes fermées en re- venant du bal, nous avions pris le parti de venir la voir subitement, et que le soir, nous déciderions avec ces messieurs ce

l

qu’il faudrait faire : le conseil de la touie bonne chanoinesse fut de retourner à S…. Nous convînmes qu’elle avait raison, mais qu’il fallait aussi attendre la décision de nos amis.




( 2>I )

Nous fumes au-devant d’eux sur la rouie de L.,. jusqu’à un petit bois, où ils arri- vèrent sur les six à sept heures : nous pro- posâmes de retourner à S…., mais ils ne voulurent pas. — J’ai, nia chère Lili, de tou- tes les folies, la plus aimable, la plus ro- manesque à t’offrir ; ton aine en sera ra- vie ; mais je me rappelle le secret que tu m’as tant fait desiror ; voici, Lili, l’occa- sion de prendre ma revanche ; tu ne sauras rien avant après demain, reste sans inquié- tude chez ta charmante hôtesse : en lui baisant la main. Soyez tranquille, ma- dame ; j’aime trop Lili, pour la compro- mettre en rien. La chanoinesse, avec un fin sourire : — Je crois, monsieur, que cela

est fait bien au-delà. — M. Q et est bien

plus coupable que moi, madame ; et si Lili eût été plus prudente, et son mari moins inconséquent, nous ne serions point la fable du public. — Vous aurez toujours raison, dit la chanoinesse ; nous autres, malheureuses femmes, trop sensibles, les torts sont toujours pour nous. Alors sa fi- gure s’ombragea de quelques souvenirs amers que sans doute la conformité de ma




I Î7 2 )

position et fie mon cœur au sien lui rap- pellaient. Nous étions assis sur le gazon, nous nous levâmes et reprîmes notre che- min à l’habitation de la sensible chanoi- nesse. Après avoir fait un petit souper également aimable et frugal, nous fûmes nous coucher.

Dans le même corridor étaient plusieurs peiites chambres qui ressemblaient à des pelites celules ; celle de la chanoinesse était au bout ; celle de sa fdle auprès d’elle ; en- suite celle d’une ancienne femme de cham- bre qui lui était toujours fidèlement atta- chée ; puis, une où devait coucher ma sœur

et moi ensemble, et une pour M. Q te et

son ami. Lorsqu’elle nous eut donné le bon soir, elle eut soin de faire rentrer sa fille chez elle, et lui dit de ne pas venir trop matin nous éveiller, craignant que cet en- fant, l’innocence même, ne vînt trop ma- tin nous voir pour jouer, et ne trouvât ces messieurs chez nous. Tu t’imagines bien, sans doute, que nous 11e tardîmes pas à faire trocpie pour Iroqtie. Je passai che* mon amant, et son ami chez ma sœur.

Il




( *7* )

Il faisait encore clair de lune ; élle pas- sait à travers le berceau pour pénétrer chez nous ; ce qui rendait la clarté que nous en recevions tendre et* déliciétise. Lise ! que cette nuit noas procura de plàî-

sirs * » * :

• ♦

• : % t

Le soleil dorait déjà les coteaux qui nous environnaient, l’aurore invitait de nou- veau à la tendresse !…. — Ma chère Lili, est-ce qu’un petit héritage semblable ne suffirait pas à ton ambition ? Sûre du cœur de ton amant, est-ce que tu ne vivrais pas bien pour lui loin du monde ? S’il venait seulement trois fois la semaine passer la nuit avec toi ; des livres, du papier, de l’en- cre, un jardin, des fleurs, des arbres, des berceaux,*ta Nina, une chèvre, une petite basse-cour ; dis, Lili ? Pour ton amant, n’ou- blierais-tu pas le fracas de la ville, les bals, les fêtes, les splendides dîners, la toilette, la représentation, en un mot ? — Mon ami, quelle peinture de bonheur tu me fais ! Si j’oublierais ? oui, oui, l’univers ! ciel ! tout y tout, pour ne vivre que pour toi ! — Que je suis heureux, Lili ! j’ai le" bonheur su- Tome II. 3 5 *


V




( M )

prême ! Nousnous embrassâmes ; nos larmes coulèrent.

t ’ • t w * ’/ . s • j ;* . • • .

Mais, adieu. Lise : de te retracer ce ta- bleau, mon ame de nouveau est épuisée. Adieu. Mes larmes coulent encore.

Ta Lili.


( * 7 * )


LETTRE L .X V I I V i

4 • . * i-i* .

À Julie . .


- i


Chère Lili, voici le moment arrivé d®, tenir la promesse que tu m’as faite de ne vivre que pour moi. Eh bien ! un petit her- mitage entouré de bois et de montagnes,, qui cependant, quoiqu’il ait l’air inacces- * sible à toute la terre, n’est qu’à trois quarts de lieue de la ville qu’habite ton amant ; il peut même s’y rendre par des chemins mystérieux, se rapprocher tous les jours de sa maîtresse qui, ignorée des jaloux,, dans cette solitude, n’existera que pour lui. O Lili ! quel mortel sera plus heureux que ton amant ? ;


Tout est prêt, toute adorable Julie, ar- rive demain vers la brume avec ta sœur ; mon ami et moi serons à l’hermilage à vous attendre, peut-être même irons- nous au- devant de vous jusqu’au petit bois ; mais.




( *7 6 X

pour le mieux, nous vous attendrons chez vous ; cette modbste retraite n’a rien d’ap- parent^ une table, quelques tabourets, un lit ; mais l’appétit nous mettra à table, et l’amour nous conduira au lit ; je sais bien que Lili m’aimera assez pour se contenter de cette existence obscure ; et pour y jouir d’une sécurité parfaite, il .faut mettre une lettre à la poste à Calais pour ton mari, et lui dire que tu es passée en Angleterre ; que tu crois Pkvoir obligé que de lui avoir laissé le champ libre ; que tu ignores juste- ment l’époque de ton retour : nous ferons cette lettre ensemble, et je l’enverrai à un de mes amis à Calais pour la mettre à la poste de ce lieu ; ainsi, Lili, tu vois par là tous les obstacles, levés : si tu t’ennuies de la solitude, nous trouverons toujours bien les moyens de la rompre. J. H.*.. goû- tera-t-elle bien ce genre de vie ? Elle qui sort d’un couvent, doit y être accoutumée ; et de plus, elle trouvera là les plaisirs de

l’araour ;.de P… l’aime bien sincèrement.

• ».

> + • ; *

Tâche d’amener l’aimable chanoinesse, ou au moins, qu’elle nous promette d’y


>




( 3 77 )

Tenir lorsque nous serons bien installés ; assures-là de mon respect et de mon hom- mage : je lui baise le* mains.

• •

Lorsque vous aurez quitté le petit bois près le petit village de L…., tu demanderas, si tu ne nous trouves pas sur tes pas, la petite maison de M. C…. (dans cette saison il y a toujours des paysans dans la campa- gne) ; ainsi faites-vous conduire par quel- qu’un qui connaisse les chemins ; au sortir du petit bois, vous verez une petite mai- sonnette couverte en chaume ; un escalier de pierre, une perche qui y sert de rampe ; vous y entrerez et vous demanderez si ce n’est pas là que sont attendues mesdames de Volmard et d ’ Orlie ( ce sont les noms que vous porterez dans ce chalet ) : alors, laissez-vous conduire par une vieille bonne femme qui sera là pour vous recevoir.

Si tout ceci, belle Lili, te paraît énig- matique, c’est que je me venge du secret que tu m’as tarifait valoir, et que je veux aussi que ce soient tes yeux qui portent le plaisir à ton cœur.


r


c a 7 8 y

Adien, chère et bien chère amie ; je ? baise encore ton portrait jusqu’à demain soir ; réponds deux mpts : à demain, Lili, tout à toi,

  • N. Q te






( *79 )


LETTRE LX IX.’

Julie à son ami.

J E pars, je pars sur les aîles de l’amour ; je brûle d’étre à demaih : demain, quel jour fortuné ! puisque loin de tous les pro- fanes, je serai en tout et pour tout à toi, dieu de mon cœur !….

- * • •-i •

J. H..», sans mordre à l’amecon comme Lili, parait cependant assez satisfaite ; la retraite n’a rien d’effrayant pour elle ; puis, elle aime de P…., et sans jouir dç ce sen- timent, qui ne peut être qu’à nous ; elle

-a

éprouve «ne sensation douce ; mais, mon ami, tous les êtres n’ont pas les mêmes fa- cultés, lte même attrait au plaisir ; il n’est pas donné à tout 4e monde d’en faire sa •divinité.

La chanoinesse # plus sensible, mais que l’expérience a aussi rendue plus sage, n’ap- plaudit pas tout-à-fait f^ce qui, à tous



. (-28o )

N

deux, nous" parait si charmant ; elle ne viendra pas demain avec nous ; mais elle viendra dans huit jours nous voir ; made- moiselle Adélaïde veut nous conduire et demeurer avec nous en qualité de femme de chambre, dame de compagnie, et telle représentation que j’aye pu lui faire, elle l’a toujours voulu ; elle dit qu’elle n’est point heureuse avec ses père et mère ; qu’elle a pris de l’affection pour moi, et qu’elle ne veux pas me quitter. Cependant, se charger d’une demoiselle de 18 ans, dans une posi-, tion aussi clandestine, ce n’est pas sans in- convénient ! elle nous conduira toujours demain soir, puisqu’elle connaît les, che- mins d’ici à L tâche de te trouyer au petit tjois, une chaumière, une table, un lit, sont lavée l’arhour le parfait bonheur ^uis, sans doute il y a des arbres, des gazons qui entourent ce chalet. t Dis, ne sait tu pas qu’un gazon vaut mieu^ qu’une ottomane f des arbres qu’un lambris doré» ! ces riches décorations rendent toujours l’amour sé- rieux ; cet enfant se plaît bien mieux aux champs ; la simplicité est plus d’accordaveb son innocence, gfr.

Mais x




( *8r )

Mais, adieu, tu me demandais deux mots, voici une lettre, les trois amies t’embras- sent ; de ces baisers, tu sauras bien distin- guer celui de Lili…

•-- TaJüLiB.


Tome II.


36


( 2 & )


LETTRE t XX.

• • À Juiie.

J’arrivai à mirli, bien tendrement aimée ♦ ( Lili ; je me suis hâté de faire tes petites

provisions, et comme ta jardinière vient tous les jours à L… j que tu as pris l’engage- ment de m’écrire tous les jours, lorsqu’il te manquera quelque chose dans notre nou- veau ménage, tu me le marqueras.

Ce fut encore par un jeudi, Lili, que tufis ton installation à l’hermitagejque j’avais de plaisir avec mon ami, lorsque par une lu- carne du pavillon, je te voyais monter lé- , gùrement à la petile chaumière de la jardi- nière, et que tu voulais que ce fût là l’hi- d eux asyle que ton amant t’avait offert : oh, Lili ! voici le triomphe d’un amant, et c’était pour me donner cette jouissance, que je n’ai pas été au devant de toi au petit bois. Mais ce soir trou ves-toi au bord du petit bois sous le gros chêne, vers la nuit, je me ren- drai dans tes bras. Adieu, Lili ?…

N. Q… ;..





( 283 )

‘ . i

LETTRE L X X I.

• * …»

Julie à son ami .

’ «i

J E ne puis dormir, mon œil ne peut se fer- mer, et mon oreille est toujours aux écout tes si tu arrives. Hier tout semblait ici dans un silence profond ; tout aujourd’hui me parait agité ; lo moindre feuillage semble, en badinant au gré du zéphir, m’annoncer la présence de jnon amant : rien ici ne peut distraire ma pensée de l’amour ; au cunf traire, tout est d’accord avec lui.

• ’ ’ r

Mais, mon ami, il faut que je-vous grau* de ; est-ce que vous êtes fou ? Pouvez-vous nommer chaumière ma charmante retraite ? Et puis, vous avez fait mettre des papiers frais par-tout, des parterres de fleurs, des jardins, un verger ; l’entrée d’une parte- cochère superbe, un joli pavillon en ar- doise, utie basse-cour, un colombier, pou- vez-vous nommer cela un hermitage ? Tout celuxeportelenomde l’habitation d’uns»-




. ( 284 )

litaire qui a fait vœu de pauvreté et de chas- teté ! O ! rien ici n’annonce plusl’un que l’au- tre. Bon soir ; il est une heure, la nuit est obs- cure : tu ne peux plus venir. Ciel .’situ t’étais égaré ! Mais non ; l’enfant qui t’amène à l’hermitage, quoiqu’il ait un bandeau sur lès yeux, y voit mieux que nous ; et un tel guide n’a pu t’égarer. Encore un baiser à ton portrait ; car je m’endors….

1 . Ta Lili.

Samedi.

L’aurôre est loin des portes du jour, et déjà le sommeil fuit loin de ma paupière. Bon jour, mon ami ; j’ai encore le tems de causer avçc toi jusqu’à ce que la jardinière vienne chercher ma lettre. J’entends Adé- laïde qui ronfle ; b’est le sommeil de l’in- nocence ; J. H…. dors aussi de bon appétit. Que j’envie leur sort ! ( tu sais que je suis peureuse, lorsque tu n’est pas ici ; je prie mes deux compagnes de laisser leur porte ouverte, c’est ce qui fait que j’entends si bien leur sommeil ) mais si ce matin elles sont plus heureuses que moi, ce soir, à mon tour, non seulement je serai plus heureuse qu’elles, mais que tous les mor-




( 285 )

. a

tels ensemble. Viens ce soir sans faute, et amènes de P….

Ciel ! quelle provision tu nous as envoyé ; tu nous crois donc des ogres ? Nous dîne- rons frugalement, et les faisans que tu as envoyé hier seront pour souper aujout^ d’hui ; une sallade, des artichaux ; voilà, j’espère, de quoi recevoir ses amis à la campagne. Je veux que tu n’envoyes de vin que lorsque tu seras ici ; pour nous, nous aimons mieux le cidre, et on en a d’assez bon au petit village. Adieu. J’entends la jardinière qui bride son âne. Je te quitte et vais me promener dans le verger ; ce soir, les deux solitaires seront au petit bois, au pied du chêne.


Ta Julie.


LETTRE LXXII.


À Julie.

J’Ai partagé hier toute ton inquiétude, amie bien bonne ; mais nous sommes restés au département jusqu’à minuit ; la convo- 1 cation des assemblées électorales nous sur- chargent de besogne horriblement. S’il eût lait clair de lune, j’aurais bien encore été coucher avec ma maîtresse ; mais outre que la nuit était très-noire, j’ai mieux aimé prendre quelques heures de repos, et ce matin me remettre à l’ouvrage pour l’avan- cer, et pouvoir en allant ce soir coucher chez toi, y rester le dimanche franc, et ne revenir que le lundi malin.

Lili, tu grondes toujours ; je te remercie cependant de ton économie ; je sais bien que mes intérêts sont mieux dans tes mains que dans les miennes ; mais tu vas encore gronder, car je t’envoye bien da- vantage qu’hier ; je sais bien que tu as été


»


«f



( )

assez bonne pour conserver le souper pour aujourd’hui ; mais demain je traite mes amis à l’hermitage, c’est-à-dire, de R. J…. de B… y l’abbé M… qui se trouve dans cette ville aussi ; ils arriveront demain dans la matinée ; et P… et moi nous arriverons ce soir sans faute : venez au-devant de nous au petit bois à la brume*

J’enVoye un pâté et un fort pot-aU-fèu ; la jardirtière te Fournira de la basse-cour tout ce dont tu auras besoin, ainsi que les légumes et fruits du jardin ; je m’en arran- gerai avec M. G.»., de qui j’ai loué cette maison pour trois mois. Adieu, la meil- êü leure de mes amieS comme la plus tendre des amantes ; je te baise. a ce soir, tout à toi,

• Ton ami, N. Q « 






lettre lxxiii.

Julie à son ami ;

Après vous avoir reconduit au bois .des adieux, et avoir suivi vos pas de 1 œil si loin qu’il fût possible, nous rentrâmes as- sez silencieusement. J. H..*, lut rêver sous le berceau, moi sous le pommier fortuné et discret, nous rentrâmes fort tard ; Adé- laïde avait disposé quelques fruits pour souper, et nous fûmes chacune chez nous. Adélaïde se fait une fête d’aller chercher sa marraine ( la chanoinesse ) samedi ; je lui ai promis, espérant que tu pourrais nous donner tous les dimanches francs.

Mais Adélaïde a soupiré ; elle avait quel- que chose sur le cœur qu’elle eût été bien aise de me confier ; mais c’est si délicat, la confidence d’une demôiselle ! je n’ai osé la mettre à même de s’expliquer ; je l’observe seulement ; mon ami, à dix-huit ans, le cœur est éloquent chez les laides comme

chez



(*%)

1^ jolies, lorsque nous allons, ma sœur et moi, rêver au bois des adieux, elle prend toujours une autre route ; quoiqu’elle dise que c’est pour nous laisser plus de liberté, un autre intérêt plus positif la guide

Mon amie, je te demande un conseil, dois- je toujours éluder la confiance de cette innocente enfant 2 qu’il me serait doux de lui être utile. Adieu, te verra-t-on ce soir, Mimi bien cher ?

Ta Lili.


Tome IL


37 .


( 390 )


I LETTRE LX-XIV.

’ * l

À Julie.

. . . t »

Toujours la meilleure, la plus bienfai- sante des femmes, ton cœur se reconnaît par-tout, Lili : tu me demandes si tu dois recevoir la confiance d’Adélaïde, que puis- jete répondre ? je suis tout aussi embarrassé que toi ; mais voici encore un de ces pre- miers pas fait, qui peut mener loin ; il ne fallait pas garder mademoiselle deL.. (Adé- laïde éiait une fille de qualité, mais ses pa- rens extrêmement pauvres, et ayant beau- coup d’enfaBs, labouraient leur champ eux- mêmes ; ils mettaient une épée sur le soc de leur charrue) le mal est fait, ilne peut y en avoir davantage à recevoir la confiance d’un amour sans doute malheureux, qu’elle desire déposer dans ton sein ; du reste, Lili, ton cœur est le seul à qui tu puisse de- mander des conseils. Je ne pourrai encore ce soir nie rendre près de toi ; mais demain.




( 2 9 T )

sans faute, je porterai mes désirs brûlans à J ulie.

  • " * •*#*•*• » • ’

Lili, combien tu étais intéressante hieÿ ! que le dîner apprêté par la inain de l’amour était exquis ! je ne te connaissait pas, Lili, le talent de savoir faire la cuisine ; combieti cette fricassée était délicieuse ! et la grâce, et l’enjouement du charmant maître d’hô- tel… Lili, que tu es faite pour être heu- reuse ! je ne m’étonne plus que ton mari revient toujours à toi avec plaisir ; car la vie privée passée avec loi est un charme continuel : mes amis rafFolent de toi, et ils disent que tu me gâte trop : et quoique ton habillement ne fût pas élégant, mais analo- gue à la campagne, ta coëffure en cheveux était si jolie ; cette rose à la Nina, que tu avais mise sur ta tête, semblait tout réparer ; c’est à ta complaisante sœur que tu devais cette coëffure ; car Lili ne sait pas friser ses cheveux ; mais, Lili, la nature les a fait si beaux, qu’ils peuvent se passer de l’art.

La jardinière te remettra un petit pa- quet que tu essayeras, ainsi que ta sœur ^


C 2 92 )

…. .

vous le partagerez ; s’il y manque quelque chose, tu me le manderas ; car jeudi je mè- nerai encore un nouvel ami à l’hermitage dîner, et je serai bien aise que tu fasses un petit bout de toilette ; ce que je t’envoye est convenable pour la campagne : M. P…. vient de repartir pour chez lui ; ainsi j’irai

t ’

seul demain à l’hermitage. Adieu, excel- lente Lili, ton ami.

N. Q

Mille choses jolies à J. H… et à Adélaïde.




( 2C)3 )


JU


LETTRE L X X V.

I

Julie à Lise.

î . .-: …

c. * * • * .,,, . . ( t < « *

Q U E les jours filés par l’amour s’écoulent

vite, cher amie ; ma vie sera passée, et ne sera qu’un songe : j’aftraperai l’âge de la vieillesse sans m’en douter. Il y a un mois que je suis ici bien loin de toi, dans tin petit coin du monde. Eh bien ! ce mois est passé comme un ombre.

. »

Dans ma dernière lettre, je t’écrivais de chez notre amie la chanoinesse, dans l’in- décision de repartir pour S… ; tu sais que nous attendions l’arrivée de nos amis pour décider ou diriger notre marche. Eh bien ! mon amant n’a pas voulu si-tôt lâcher sa proie, il a loué une campagne délicieuse à trois quarts de lieue de L… ; c’est l’asyle de, l’amitié et le réfuge de l’ainour, c’est un bi- jou : figures-toi au bord d’un petit bois, un charmant pavillon couvert en ardoise, entre



( 294 )

cour et jardin, exaucé d’un péron de douze degrés, une première pièce qui donne sur la cour et le jardin, qui sert de salle à man- ger ; à droite un sallon, une petite chambre attenante consacrée à ma sœur ; un cabinet de toilette, une autre chambre où couche unedemoiselle qui m’a pris en affection, et qui a voulu rester avec nous comme dame de compagnie, et même nous sert de femme de chambre ; Adélaïde est son nom ; elle a aussi une chambre qui a une entrée par le jardin ; nous avons encore une fort jolie chambre d’ami, des jardins délicieux, un verger immense, et tout cela est bordé par une chaîne de montagnes d’un côté, deTau- tre, un rideau de bois. Mais de toutes ces

• • . i J

beautés, la plus célèbre est un pommier qui est à l’entrée du verger, extrêmement touffu, et tellement penché, qu’il a l’air de former un berceau ; le gazon qui est dessous en quantité, et du plus beau verd, semble inviter à se reposer ; ou est garanti du soleil sous l’épaisseur dè son feuillage ; et c’ est-là le trône de l’amour, c’ est-là le siège de nos plaisirs !.,.. Et mon amant, le croirais-tu ? porte l’extravagance la nuit, lorsque nous


/


n»,


1


C z 9l )

sommes couchés, jusqu’à nous lever pouf aller saluer l’aube du jour sous le pommier. Tu penses bien que nous avons le lit d’hon- neur dans le salon : eh bien ! il ouvre toutes les portes du salon et de la salle à manger pour aller rendre hommage à la nature sous le pommier.

Ily a aussi une basse cour : quant aux légu- mes et fruits du jardin, mon ami s’est arran- gé pour que l’on nous fournisse tout ce que je demanderais : tu penses bien de toute ma discrétion en pareil cas : il mène presque tous les dimanches et jeudis du monde à dîner à l’hermitage de l’amitié (c’est ainsi qu’est nommée ma retraite) ; j’économise tous ces repas dispendieux autant qu’il m’est possible. Enfin l’amour a rassemblé dans mon cœur tous les sentimens, je suis heureuse ; les jours passent avec une vi- tesse étonnante.

J’ai ici des’soins de ménage ; puis, ma sœur ma. apprise à broder au tambour, et je brode tout letems que mon amant n’est point ici ; je lui ai bientôt achevé une cra-




( ^ )

vatte : ma sœur dessine, j’en ai donné le goût ; c’est allégorique, comme tu penses bien ; c’est une guirlande de lierre ; dans le milieu un médaillon fermé par un double nœud d’amour ; dans ce médaillon se trou- ve fixé un papillon ; aux deux coins, ce sont deux colombes, et une devise de mes

î.

cheveyx ; comme elle, je serai fidelle, si comme lui lu es fixé : et un autre dont la guirlande est de myrthe ; de même un médaillon, avec une pensée et un cœur enflammé ; aux deux coins, le pommier très- bien imité- ; Pour ta fête, reçois ce bou- quet ; c’est la devise de celle-ci. Comme sq fêle approche, c’est pour ce jour qu’il faut que ce soit fait, et qu’il ne s’en doute pas : tu vois que non seulement je n’ai pas le teins de m’ennuyer, mais à peine même celui de me promener dans les environs, qui sont charmans : n’en voila-t-il pas bien plus qu’il n’en faut pour le bonheur ?

Eh bien, Lise ! toujours quelque chose s’oppose à ce qu’il soit parfait : sitôt que mon amant est parti, je tombe dans la rêverie ; l’image de mon mari, de sa fille,

viennent




( 297 )

viennent me reprocher l’abandon où je les laisse ; je me dis, peut-être mon mari ji’est- il pas coupable ! Peut-être m’aime-t-il en- core ! la conscience, mon amie, est un témoin que l’on ne peut fuir. Le croirais-tu ? lors- que mon amant me quitte, je porte le por-» trait de mon époux sur mon cœur ; car je me trouvai 1 avoir sur moi ce jour si mémorable, et pour la France, et pour mon cœur.

Lise, je te remercie mille et mille fois de tes offres obligeantes ; ta jolie bague m’est chère poil r la miniature qu’elle contient ; je la porte toujours au pel it doigt de la main gauche. I ise ! que je voudrais bien faire plus • que de baiser ton ‘portrait ! adieu, bonne, toute bonne amie, reçois les tendres baisers de la solitaire Lili. . •

Lili.

  • v* ’ i :

.. • . . • % • ’


Tome IL * 38



( 29 8 )


LETTRE LXXVI.

À Julie . 4

Bonjour, Lili, comment vas-tu aujour- d’hui ? pourquoi avais-tu l’air sérieux hier ; est-ce que tu t’ennuyais ? ou est-ce parce que J. H… avait de l’humeur ? son ami, je crois, ne reviendra pas de si-tôt ; mais ce n’est pas tout-à-fait cela, elle ne lui était pas autrement attachée ; c’était la circons- tance qui a fait celte liaisoh, et c’est encore . elle qui doit la dissoudre ; mais laispe-la bou- der, mon amie ; que ton .enjouement n’en soit pas altéré. Pourquoi, Julie, ternir la source de mon bonheur ?.

Envoye-moi, Lili, mon petit sifflet et mon coucou que j’ai laissé sur la cheminée ; prends garde de gâter mes autres instru- mens ; du reste, fait joujou avec ce qu’il te plaira, pourvu que tu m’aimes, je suis con- tent.

Adieu : que je suis aise que ce joli pierrot




( 2 99 )

te va si bien ; mais Lili,il n’est joli que lors- qu’il est sur toi ; celui de ta sœur lui va aussi à merveille ; je vous envoyé chacune un baiser ; tu distingueras bien le tien. À demain soir.

N. Q ».


( 5oo )


i ’■ ■■■ ■■

t ■ •

LETTRE LXX.VII.

\

Julie à son ami.

Souvent, mon ami, on a des nuages de tristesse, sans en pouvoir définir, ou mieux, nommer la cause ; quelquefois je suis as- saillie de noirs pressentimens ; mais tu sais • que c’est un peu ma maladie ; d’ailleurs, je suis épouse et mère, combien de sujets de réllexion n’ai- je pas 1

Changeons de thèse ; je te verrai ce soir, et je reprendrai tout mon enjouement : je suis fâchée que P… ne revienne plus près de J. H.. : en quelqtie sort e,je serais respon- sable vis-à-vis* d’elle s’il se conduisait mal, et déjà elle me l’a fait vivement sentir. Adé- laïde aqssi me donne du chagrin… Elle va toujours chercher la bonne chanoinesse.Tu dîneras avec nous aprèsdemain, pas vrai ?… Adieu, bel ange ; je n’ai jamais le teins de t’écrire de longues lettres, je suis pressée ; adièj^ je baise la place occupée par mon bienheureux portrait.

Ta Julie.



( 3oi )


LETTRE LXXVIII.

À Julie.

Co MMEnt ! Lili, solitaire à la campagne, finit une lettre à son amant par je suis pres- sée J que fais tuf Lili ? tu ne diras pas, cette fois, que ce ne sont pas des cas réservés ! tu ne vis, à ce que me dit une lettre récente qui est sous mes yeux, tu ne respires que pour moi : eh bien ! arranges cela : tu n’as pas le teins à peine de m’écrire ; et puis, mademoiselle, je vous ai surpris plusieurs fois cachant bien subtilement quelque chose dans votre poche, à mon arrivée au bois du rendez-vous ! ô ! pour le coup, comment faut-il s’assurer de sa maîtresse, si je n’en ai pas trouvé le moyen ?… Mais, adieu : peut-être, toute bonne Lili, ce soir saurai-je ton secret ; cependant jusqu’alors, je ne t’enverrai plus de baisers.

Ton ami, N. Q te




( 302 )


|, ■ JS

LETTRE LXXIX.

Julie à son ami .

Tu es parti sans avoir mon secret, et de trois jours tu ne le pénétreras pas ; c’est sous le fortuné pommier que je dois t’ap- prendre que tu es un injuste calomniateur, un amant indigne de ton bonheur.. Mais en voilà de trop, de réfléchir trois jours sur cette sortie pour une tête comme la tienne, il y a de quoi l’aliéner.

La chanoinesse vient d’arriver, ne man- ques pas de venir dîner demain avec nous, ou bien fais-nous le savoir à teins, nous irons dîner à une lieue d’ici à Z… chez ma- dame de P… amie de lachanoinesse, et alors si tu viens souper, arrives de bonne heure, et viens au- devant de nous à l’autre petit bois, du côté opposé à celui où nous allons t’attendre. Adélaïde est ravie si nous allons dîner chez madameP… Adélaïde, sûrement j e connaîtrai…. le mystère de la toute bonne



j



( 3o3 ) .

Adélaïde, tout va s’expliquer. Que ne puis-je dans ce voyage, découvrir le moyen de lui prouver mon tendre intérêt.

t

Adieu.mimi ; c’est à l’ombre deton ami (le pommier ) que j’écris cette lettre ; mes deux amies âmes côtés, nous te baisons toutes : c’est à toi à recueillir le baiser de Lili, pour» le déposer à la place qu’il aime, et qui te plait.

Ta Julie.





( 3o4 )


LETTRE L X X X.

À Julie •

J E n’irai pas dîner avec toi, mais bien sou*- per, et j’arriverai d’assez bonne heure pour me rendre au petit bois opposé à celui du . rendez-vous accoutumé. La jardiuière sera encore assez à teins pour vous porter ma lettre, et que vous puissiez aller chez ma- dame de P… : je suis moi-même curieux de ce que tu dois y apprendre de la position du cœur d’Adélaïde : cette enfant, quoique laide, est bien intéressante.

Les électeurs arrivent à force ; j’en ai dé- jà vu trois de ta connaissance ; entr’autre un qui a beaucoup à se plaindre de toi ; et je te gronderais bien fort, si je ne me croyais pas la cause innocente des justes réclama- tions qu’il a à faire sur toi. Je t’ai donné tous les torts que tu mérites, et jelui ai dit, que j’avais aussi à me plaindre de loi, et que pour nous consoler, l’un de ton ou- bli,




( 3o-5 )

bli, et l’autre de ta perfidie, je voulais le mener souper avec des femmes charmantes à p eu de ist an ce de la ville, il a accepté de grand cqeur ; et croyant que je le menais en bonne fortune, il s’est frotté les mains de joie- ainsi, compte sur deux convives de bon appétit.


J’ai dit à la jardinière de te prêter une paire de draps ; car mon compagnon de ce soir est sans façon-t quand ils seraient gros, pourvu qu’ils soient blancs, cela suffit Com- me la chanoinesse occupe l’appartement d’ami, tu feras ooucher Adélaïde avec J. H.», et le nouvel arrivé couchera dans le lit do mademoiselle de L… Adieu ; je n’ai plus que deux jours pour apprendre le secret de Lili : je ne puis le deviner ; mais je parierais que c’est encore quelque tendpe supercherie. Adieu ; je vous envoyé un essaim de baisers, prenez-en chacune ce que bon vous semble- ra ; mes tendres respects à l’aimable chanoi- nesse : à ee soir.

N. Q re


I


( 3 06 )


LETTRE LXXXI.


Julie à son ami.

  • ~ ■’

Di e U ! quelle fut ma surprise ! que tu m’as rendue coupablg ! c’est pourtant toi qui est cause que je n’ai pas écrit’ à ce frère chéri ; .y j’attendais avec impatience que la journée \ d’après demain fût passée pour lui écrire line lettre très-circonstanciée : mais il est si bon, qu’il m’a pardonné ; puis, je lui ai montré mon excuse ; et quand tu cesseras, tu seras étonné toi-même que j’aie pu, et si-souvent, faire les honneurs d’une maison, et celle de ton cœur, et qu’il me soit encore resté un tems pour….

La chanoinesse vient de repartir, Adé- laïde est allée la reconduire : j’ai beaucoup de choses à t’apprendre à son sujet ; mais ce

sera encore pour après demain ; car cet ^ •

après demain est bien proche. Je n ai point de tems, je ne dirai pas à perdre, puisque



( 3°7 )

je causerais avec toi, mais je crains de me distraire.

Adieu moA petit loup ; je te’baise comme je t’aime. Viendras-tu ce soir 1

Ta Lilz.



• i




/*♦ ) ff ï


\


S




£ E’T THE L X X* X I I.

’ ^ \ i • . • *

  • ? j.iJ ;.i À Julie .

IV ON, Lili, je n’irai pas ce soir à l’hermi- tage, ni demain ; mais après demain au dé- clin du jour, je me trouverai avec ton frère au bois du rendez-vous ; et puis, la lune est dans son plein, nous nous rendrons sous le p e ommier où j’écoutèrai * où je recevrai la justification de Lili, de m’avoir alam- biqué’ l’imagination depuis tjuinze jours. Adieu, Lili ; nous n’avons pas un moment à nous ; les scrutins ont déjà nommé les scru- tateurs ; fon mari et moi le sommes : ainsi, en arrivant chez toi après demain, jeudi soir, je serai obligé d’en repartir le lendemain du matin ; car il est de la dernière impor- tance d’être à son poste dans ce moment * pour déjouer les cabales sans nombre.


Bon soir : Lili, tu as toute la soirée à toi, et demain je ne te tiens pas quitte d’une


i GoogFe


Digiliî


f


( 3o9 )

petite lettre. Ne devrais-tu pas avoir mille choses nouvelles à me dire chaque fois que tu m’écris ? ces lieux champêtres que tu ha- bites n’ont-ils pas assez de charmes pour exercer un génie aussi fertile que le tien ; et le pommier sacré (sous l’ombragé duquel nous avons tant de fois forcé la fortune amoureuse à nous sourire), ne lui devrais- tu pas de tems en terne adresser tes hom- mages, sur-tout lorsque tu sais que ton amant s’y jo^icfrait de cœur et d’ame ?

Adieu, bel ange, mille baisers tendres. Pour la vie ton ami,

N. Q te


« )



’ W




/

( 3*o )


LETTRE LXXXIII.

Julie à son ami .

> : •

’C’est avec un plaisir bien senti, mon

ami, que j’apprends que tu es nommé sera* . •

tuteur, et mon inan aussi : voup vous ren- contrez par-tout ; vous êtes toujours en concurrence : j’espère, mon âqji, que tu se- ras favorable à celui au sort duquel Lili est enchaîné ; et que lui ayant enlevé sa femme, sa tranquillité, peut-être son bonheur, tu contribueras à lui mettre le pied à l’éche- lon de la fortune : oublies qu’il est ton rival» ne pense qu’à Lili et à son innocente enfant. Je sdis que toi et tes amis peuvent tout : mon père et mon frère sont de bonnes gens, mais jls n’ont nulleintrigue, et je vois mon pauvre mari oublié, rejetté, si tu n’est pas assez généreux pour prendre sa cause à cœur : Lili t’en conjure par tout ce qu’il y a de plus sacré. Mon mari a des talens, de la représentation, de l’éloquence ; enfin, tout ce qu’il faut pour occuper un premier poste



\ ’■ ■ ■-

( 5ii )

aVec honneur. Mimi, je me repose sut ton. ^mour pour Lili : mon ange, tu ne peux te ’faire d’idée combien je suis inquiette et tourmentée.

Adieu : je n’existe pas.jusqu’à ce que je sache mon sort. À demain soir, nous serons vers cinq heures au bois du rendez-vous ;

  • Lili, dans tous les cas, est toute à toi.


V



>-•



LETTRE L XX XIV.


À Julie.

J’ai trouvé, chère Lili, toute l’assemblée électorale dans le feu de la cabale ; ton mari se comporte terriblement mal : il a voulu se déclarer pour F… à mes dépens et à ceux $ de mes amis. Lili, je ne puis plus répondre de rien, mes amis sont irrités… Ton mari godaille avec le tiers et le quart, et lorsqu’il n’a pins sasaine raison, il commet toutes les inconséquences possibles. Mais laissons- le pour un instant dans la l’ange où il se plon- ge de gaieté de cœur, et revenons à nous.

Lili, mille fois très-charmante Lili ! que tu es tendrel que ces cravatt es sont jolies ! ô oui, comme lui je suis fixé, si comme elles tu es fidelle. Non, Lili, je ne comprends pas com- ment tu as pu, en si peu de teins’, faire un ouvrage aussi conséquent . que ce pommier est joli ! qu’il imite bien celui du bonheur ! oui, Lili, c’est le pommier de l’hermitage

qui

’ ’ C



  • ( 5i3 )

qui fait toute la beauté de ce lieu. Lili, si tu eusses été madame Eve, et moi Adam, le genre humain eût été aussi bien damné ; car l’ombre d’un pommier a bien de l’attrait pour nous ; qu’il me tarde, Lili, de nous re- trouver sur le gazon du pommier !

Adieu, Lili ; ton père’me fait la moue, ton mari des yeux médians : tiens, Lili, de tout ce monde, il n’y a que ton frère de bon. Cependant, crois Lili, que je serai utile, s’il est encore possible, à ton époux ; mais j’en doute ; adieu, mon amour, ma tendre amante, je te baise de la tête au pieds. Lili, tu me dois des détails sur Adélaïde. Un bon soir à J.

N. Q «.


Tome II.




( 5 . 4 ) *


LETTRE LXXXV.


Julie à son ami.

,J E n’ai point fermé l’œil, tant que je suis obsédée d’inquiétude ; et ce matin, au très- petit jour, je sortis de mon lit, et ouvrant les portes sans bruit, pour ne pas éveiller- nos compagnes de sollitude, je fus m’as- seoir, ta dernière lettre à la main, sous le pommier. Un petit quart-d’heure après que j’y fus posée, passe Adélaïde, et le laquais de madame de P… (un très-joli jeune homme) : comme j’étais adosse contre le pommier, ils ne me virent pas, et Adélaïde dit à son amant : voilà l’arbre favori aux

plaisirs de M. Q te et sa maîtresse. Es-

seyons-en, dit le jeune homme, en donnant un baiser à la tendre Adélaïde ; nous avons encore le tems, tout le monde dort ; et fai- sant un mouvement pour s’asseoir, ils m’ap- perçurent ; Adélaïde fait un cri, je la ras- sure, son amant courre encore ; il franchit

la haie, et nous ne le vîmes plus ; c’était

1 ■»

l

• N

j r




r


— ^


( 3*5 )

bien le cas de m’ouvrir son cœur, aussi le fit-elle avec une naïvete qui m’a pénétrée.

Il y a un an qu’elle vit avec cet homme quand : ils peuvent se rencontrer ; son père et sa mère, quoiqu’ils nesoient riches qu’en titres de parchemin, ne peuvent se décider à ce que leur fille, mademoiselle de L… épouse un laquais ; et c’est pour cela qu’elle est malheureuse dans la maison pater- nelle ; elle est venue chez moi, ajouta-t-elle, parce qu’elle m’aimait ; qu’elle trouvait que j’étais sensible et bonne, et parce que cela la raprochait de trois lieues de son^amant ; qu’il venait tous les deux jours la voir. Et la confidence qu’elle avait à me faire, est qu’elle se croit en train dedevenir mère ; puis, qu’elle craint la réquisition pour son amant. Sur le premier objet, je l’ai ras- surée, et lui ai promis, dans tous les cas, d’être toute à elle, de lui faciliter les moyens de sauver toute apparence, et même, en cas de besoin, d’avoir soin d’elle. Elle m’accabla de remerciemens, me baisa les mains : ses larmes la suffo- quèrent et les miennes se mêlèrent aux




C 3i*> )

siennes. Quant à exempter son amant de la. réquisition, tout ce que j’ai pu dire, fut que je t’en parlerais’ ; mais que je croyais que ce serait difficile ; qu’il fallait encore que son amant fît des démarches près de son père pour tâcher d’avoir son consente- ment à leur mariage ; mais elle m’ajouta : (càrelle n’a pas d’esprit, elle a du bon sens.)

« Madame, que ferions-nous, il n’a pas d’état, moi de fortuné, sa place n’a rien de stable, il gagne si peu, encore n’est-il que mal pa^ r é ? Si je deviens mère, :j’aime mieux garder mon cher enfant et me meltre fille de boutique ; enfin, femme dé chambré, que de retourner chez mes père et mère,. où c’est la misère toute pure, une nichée d’enfans…», ♦ •

fi..’, «* . . .,

Mais, adieu : voici la jardinière qui attend après moi. Quand te verrai-je donc ? mau- dites soient les assemblées électorales. Adieu ; je te recommande toujours mon ma- ri ;oublies-le, ne vois que moi en le servant.

. ■ i Ta Julie.




,( 3i7 )


LETTRE LXXXVI.

À Julie*

IjE premier tour de scrutin vient d’être levé pour le député à nommer pour la ville de S… : ton mari a réussi, sa cabale a en, cette ^ois, prépondérance, c’est F… qui est sorti ; mais il ne fut pas plutôt nommé, qu’il tour- na le dos à ceux qui l’avaient servi si chau. dement, et notamment, il laissa tomber, ton mari à plat : cependant, pour le second à sortir, c’est moi et ton mari qui ont divisé les voix, notre sort ne sera encore déter- miné que demain.

: Charmante Lili, que veux-tu que je 

fasse ? puis-je réparer les sottises que l’ani- mosité, sans doute contre moi, fait faire à ton mari ? s’il se fût mis de mon bord, et avec mes amis, nous étions tous les deux nommés, il n’y a pas de doute ; mais il a voulu porter son F…. et le voici mainte- nant en concurrence directe avec moi : je




"( Si» )

ne cloute pas (le la supériorité de mon par- ti. O Lili ! il est bien différent d’être rival d’amour ou d’ambition. J e vois avec dou- leur, ma sensible amie, relativement à toi, que ton mari ne fera jamais rien : avec de l’esprit, destalens, il ne fait que des mala- dresses ; cet homme a la judiciaire bien mauvaise…

Mais, chère Lili, ne t’alfefctes pas trop : ne suis- je pas ton ami 1 ? tu me trouveras tou- jours, Lili, ne t’alaftiiies pas ; que ce baiser soit pour toi le gage-’de mon auioUr : non, ja- mais je ne t’abandonnerai dans le malheur- ; telle chose qui puisse arriver, mon cœur est ton réfugte ! adieu, Lili, je tremble de retourner àl’hermitage ; je èràinSalete voir p&le, triste, éplorée, Lili ; que l’amour te console d’un ’être’ qui ne mérite pas ton affection. eu

; ’ ! . ii >i ii ‘nt’ia’i : i ’ ;-r f ■’ 

■ } Adieu, adieuî, Julie :, comme toi ; je trouve quél’incertitude és’t’lepire desmaux.Ecris- inoi, Lili, compte toujours à jamais sur ton

ami. f .. ’)

: ! • ! . • N.-Q « : 

\

C




( 3i 9 )


LETTRE L X X XVII.

• Julie à son ami .

Mon ami, mes pressentimens sont donc bien réalisés ; je vois mon mari à jamais an- néanti : ce maudit F…, je lui ai toujours dit de ne pas s’y fier ; je n’ai jamais aimé cet homme-là : cependant, je l’ai souvent ac- cueilli avec plai. ir, parce qu’il a beaucoup d’esprit, mais crapuleux : ô ! que de dou- leurs j’éprouvais de voir mon mari, dans cette révolution, s’assimiler à toute la ca- naille…. Mon ami, mon ame est dans des angoisses continuelles ; tes promesses peu- vent-elles me rassurer ? À L… tu ne vois que Lili : une femme jeune et aimable qui se séquestre du monde pour ne vivre qufr pour toi, est bien précieuse à ton errur ! et l’hermitage concentre tous tes plaisirs… Mais à Paris, les sens sont continuellement agacés par des objets cliarmans ; que ton rang, ta jeunesse, ta personne en un mot, amèneront ces houris du paradis dans tes


\




( 320 )

bras ! par quel moyen Lili posséderait- elle toujours la première place danston cœurrEt une inférieure pourait-elle suffire au sien ? Mon ami, que de maux j’envisage !… Le moment que nous quitterons l’hermitage, nous pourrons dire adieu au bonheur du cœur : on ne peut aimer qu’aux champs, et sitôt que l’ambition est introduite dans uneame, elle en chasse le tendre amour, elle ne permet plus qu’une fantaisie, un caprice, une affaire des sens en un mot. Les Céladons ne sont plus à la mode, et à la ca- pitale tu serais bientôt tourné en ridicule de n’aimer, ou même d’aimer toujours Lili.


Adieu, je ne puis t’en dire davantage, la plume me tombe des mains, mes larmes uie suffoquent, je baise ton portrait ! ô ! pour celui-là, fusse pour me donner le dernier ridicule, je le porterai toute ma., vie, même lorsque tu seras devenu perfide, ingrat, lors, en un mot, que tu n’aimeras plus Ldi.


Ta Julie.

/


LETTRE


I


( 321 )

g *— **— * ■* *■ ! ! ! L « ”lgËBa»g g«Mi

« 

, LETTRE L X X X V I I I.

Julie à son frère.

M ON ami, mon frère, tout est donc per- du ? mon époux n’aura donc rien ? il est à jamais ruiné : pourquoi s’est-il mis de cette infernale cabale F… ? qu’avait il besoin de porter celui-ci qui l’a lâché sitôt qu’il n’en a plus eu besoin ? mon ami, je suis désespé- rée, j’extravague, je cours les champs, et c’est dubois jlu rendez-vous que je t’écris, sous le gros chêne ; j’arrête tous les passans pour leur demander ce qui se pas^e à l’as- semblée électorale. Q te m’a écrit que la

balle était lhaiutenant entre mon mari et toi ; je ne puis faire des vœux contre mon, • amant ; mais que ne dois-je pas faire pour un mari, le père de ma charmante Clarisse !. ;. 6 ! le père d’un enfant a toujours le premier droitau cœur d’une mère. Est- il une femme a<u monde qui soit dans une situation plus douloureuse ! l’amant^a plus passionnée, l’épouse la plus sensible, k^jnère la plus Tome II tl 41


4




( 322 )

tendre, voit le bonheur suspendu entre son époux et son amant : l’un des deux doit l’attendre, est-il une incertitude plus cruelle ?…


Réponds-moi deux mots ; c’est la toute bonne Adélaïde qui te porte cettelettre, et J. H… et moi nous la conduisons jusqu’au pied de la montagne où est le petit bois des adieux, celui jusqu’où nous fûmes te re- conduire avant-hier matin : c’est-là, sous les deux jumeaux, (deux gros ormes) cou- verts de leur ombre, que nous attendons Adélaïde : nonobstant ce qu’il en peut être, dis-moi la vérité. Adieu, ta bonne amie et sœur.


Julie.


( 323 )


LETTRE LXXXIX.


À Julie.

M À bonne amie, il n’est que trop vrai que ton mari n’a cessé de faire des sottises depuis , qu’il est ici ; il a prétendu que Q….. te et ses amis l’avaient reçu froidement, et il s’est, dit-il, jetté à corps perdu dans la ca- bale de F… : celui-ci a voulu passer le pré- mier, et après il lui a promis le succès pour lui ; mais bientôt, enivré de son triomphe

il oublia son plus zélé partisant. Q e était

resté étayé, et il y a mille.à parier que ce sera lui à qui restera la pomme ; si ton mari se fîtf entendu avec ton ami, ils pas- i saient tous les deux ensemble. Mais je vais porter mon scrutin ; et je retiens Adélaïde jusqu’à ce qu’ils soient levés, pour t’appren- dre quelque chose de nouveau.

Les scrutins viennent d’être tirés. M. J. de





C 3z 4 )

B… est sortipourlavillede V… et pour celle de S…. ; la majorité des suffrages fut parta- gée entre ton ami et ion mari ; M. B… a eu aussi beaucoup de voix : on ne procédera àlalevéedes derniersscrutinsquebien avant dans la nuit : ainsi, nia bonne amie, vas te coucher, tranquillises-toi,-tu nepeux encore rien savoir avant demain malin ; mais tu peux cependant compter sur ton amant ou ton mari ; tu sais qu’ils sont tous deux scru- tateurs ; la conformité de leurs nom», de leur taille, de leur place, et encore de l’u- niformc du département qu’ils ont, fait que bien des Jeannots d’électeurs qui ne connaissent personne directement, voyant ces deux- là autour de la boîte, les nomment souvent indistinctement l’un pour l’autre, et M*. Q…,. et a eu des voix dont l’intention de ceux qui les donnaient était pourQ….*®, et celui-ci en a eu de même qui étaient

destinées pour M. Q e *.

… * * ’

Mais de nouveau, mon amie, que ton ame reprenne le calme : ton ami a eu avec moi ce matin, après qu’il eut reçu ta let-




tre, une longue conférence ; il ne t’aban- donneras pas, tu peux êtresûre de son cœur ; il m’a parlé en galant homme relativement à toi. * .

Nos chevaux sont tous scellés à la porte de l’assemblée pour repartir tout de suite à S…. Sitôt que le sort de ton mari sera décidé, il ne faut pas perdre de tems à le replacer tout de suite au district de S…., pour au moins qu’il ne soit pas sans em- ploi quelconque. Ta présence à S… se- rait nécessaire ; tu sais que tu y est géné- ralement aimée ; et une femme, par sa pré- sence, influence toujours.

Q te m’a dit que sitôt la nomination

certaine, il enverrait chez toi, telle heure de la nuit qu’il fût : je te conseille alors d’écrire à ton mari ; il n’est pas assea bête pour avoir cru à ton voyage en Angle- terre ; mais il l’a répandu dans le public pour masquer son déshonneur : il présume bien que tu es dans les environs ; lissera bien aise de te revoir, sur-tout s’il est mal-


( 3a6 )

♦ ’

heureux. Lili, tu es si bonne, viens le con- soler ; il n’est pas mon ami, cependant sa situation m’affecte beaucoup. Adieu, Lili, je t’embrasse et mademoiselle J. H…. : la nuit approche, vous n’avez que le tems de vous rendre à l’hermitage.

Ton ami et frère C. G….




( 32 7 )


LETTRE XC.

• . . * * < /-

Julie à Lise.

C’EST dans un bois, échevelée, désespé- rée, éperdqe, que je t’écris, ma chère, au . pied de la montagne de L… où se tient l’as- semblée électorale ; déjà un député est nom- mé pour notre tille, et mainten^t la balle est entre mon amant et mon époux ; ce der- nier est sorti par le sort de sa place de P.-S. ainsi, il est sans emploi, c’est-à-dire, comme tu sais, sans fortune : il eut la mal- adresse de s’associer avec des gens qui se sont servi de lui comme de la patte du chat pour ôter les marons du feu, sitôt qu’il eut usé tout son crédit à faire passer un Ostro- got, ils l’ont laissé tomber à plat ; il s’est mis

à dos Q te et tous ses amis : ceux-ci avaient

véritablement de l’influence, et de bonnes , intentions pour lui ; mais irrités de ce qu’il s’était jetté d’un autre côté, ils ne veulent



4


( 328 )

plus se mêler en rien de ce qui le concerne ; c’est cette nuit que mon sort doit être dé* cidé ; il y a tout à conjecturer que ce sera Q….. te qui l’emportera. Mais voici la nuit profonde, je vais regagner l’hermitage et me mettre au lit.

Ta Lin.


o

O


LETTRE


• I


i




( 32 9 )


LETTRE X Ct

J*.

Julie à la même .

C’est en vain qu’au lit j’implore le som- meil bienfaisant, consolateur des malheu- reux ! il est sourd à ma prière.

i

Ma bonne amie, je ne puis te peindre tous mes regrets de ce que mon mari n’est pas nommé pour aller à la capitale ; c’est pourtant pour avoir voulu desservir son ri- val qu’il va se trouver le plus infortuné des mortels ; puis encore, sûrement je ne tar- derai pas à perdre mon amant : à la capi- tale, les occasions sont si fréquentes, les objets si séduisans ! à L..» il ne vivait que pour moi ; je pouvais encore concilier mon amitié pour mon époux avec mon amour pour mon amant ; mais une fois à la capi- tale, si je l’y suis, je suis obligée de rom- pre avec mon mari : si je l’y laisse, bientôt il m’aura oubliée. O ! je ne sens déjà que Tome II. 42


/




\

( 33o )

trop que le difficile n’est pas de faire une conquête, mais bien de la conserver.

Voici Morphée qui me gagne, adieu ; ✓ mais je prête l’oreille ; qu’entends-je ? un cheval au galop : ou en maître, on frappe ou en porteur d’une missive agréable et pressée.

Quatre heures du mJ*’’ .

Mon amie, mon amie, tout est perdu pour mon malheureux époux… : mon amant triomphe ; il a tous les honneurs de la vic- toire !

Mon amant m’avait dépêché un de ses amis qui, sitôt le relevé de$ scrutins fait, accourut à toute bride :cet ami l’était aussi de mon mari, et me dit, tout haletant de chaleur ; — Madame, je viens vous appren- dre que M Q,e, que vôtre ami est dé-

puté. J’étais tellement cmue, tellement troublée, que la finale d’ami et celle mari,

de Q,e et de Q et étant de même, je

le fis répéter ; enfin, n’y ayant plus de doute que c’était mon amant, acquitté de sa commission, le messager repartit.




( 33i )

Que te dirai-je ? cet évènement me fait peine et plaisir, voici encore tnon sort qui, une fois, va changer de face. Si jamais je suis mon amant à la capitale, dans quel . océan d’écueils ne me trouverai- je pas ! Je ne puis fermer l’œil. Adieu, je vais faire mes adieux au pommier ; ce ne sera pas sans d’ainers regrets que je quitterai cette déli- oifnïfcp solitude. Adieu, Lise ; je suis sans foix ; et sans vie.

‘ Ta Julie. ’



\




/


  • .


( 33a )


.LETTRE CXII.

1 Julie à son ami .

Les extrêmes se touchent et produisent le même effet : je n’ai pu dormir de peine, d’inquiétude, jusqu’à deux heures du ma- tin que M. R… vint m’apporter la nouvelle de ton élection à la législature ; et depuis ce moment, je ne dors pas de plaisir. Ce- pendant, ma joie aurait pu être plus par- faite, tu m’entends !… Que je suis désolée que ce soit ce F…. ; mais chut, chut ; ne parlons plus de cela.

a

Reçois, tendre ami, mes félicitations bien sincères ; cependant encore, j’éprou- verai bien de la peine à m’arracher de cette aimable solitude. Bientôt à la capil ale, tu auras oublié Lili ; et quand bien même je t’y suivrais, nous laisserons toujours der- rière nous le pommier : nos bois, nos ro- chers, lotit cela n’approche pas le tumulte d’une ville immense, où le sentiment est




♦ I

( 333 )

trop évaporé, les objets trop variés, pour permettre au coeur de se fixer. Mon ami, je ne pqis bien te définir ce qui se passe en moi ; mais de sinistres augures ( mon mari à part ) ferment mon coeur à la joie.

J’ai cru retrouver le calme au pied du pom- mier ; mais c’est en vain, la sécurité est loin de mon ame.

t

a’iieu. Ecris-moi, rassure-moi, dis-moi que tu m’aimes ! que je serai toujours ta Lili, en tous lieux, toute à toi,

Julie.




-f


( 334 )

l ^ ’■ ■■■■■■■■ »

LETTRE XCIII.

À Julie.

Oui, en tout lieu tu seras ma Lili, en tout et par-tout, fusse aux Antipodes. Oui, en tous lieux tu seras à jamais ma Julie ! ! ! Eh bien ! moi-même, je ne ressent pas une fé- licité parfaite, il s’en faut de beaucoup : au milieu des félicitations de mes amis, j’étais froid, mon cœur était fermé ; et sitôt que je fus au lit, il se reporta sous le pommier ; la pensée de quitter l’Jhermitage m’afflige sensiblement ; j’irai ce soir y coucher pour la dernière nuit ; car la nuit prochaine, je me rends à Paris.

i

Lili, chère Lili, que je redoute la jour- née de demain ! j’ai besoin de consolation, et tu veux que je t’en porte ! demain de six à sept heures du matin, si ce soir jene puis me rendre près de toi ; alors je ne partirais qu’après demain : trouves-toi au bois du rendez vous, je veux passer celte journée



ï


( n o r \

003 )

avec toi ; je veux que nous fassions nos adieux à tous les lieux qui ont été témoins de nos plaisirs, à tous les arbres qui leur ont prêté leur ombrage. Aujourd’hui j’ar- range toutes mes affaires à L… pour qu’a- près demain je n’aye qu’à m’emballer dans ma voiture.

Adieu, Lili, crois-moi toujours ton ami, ton amant, et tout à toi par toute terre, pour la vie,

N. Q ».





( 356 )


LETTRE XCIV.

t

Julie à son mari.

La fable que je tous ai faite, mon ami ; de mon voyage en Angleterre n’était pâs tant pour vous, que pour que vous accré- ditiez ce bruit dans le public, et cacher davantage le lieu de ma retraite ; je crois bien qu’il n’a point pénétré jusqu’à S….

Je suis désolée, mon ami, que les cho- • ses aient si mal tournées pour vous ; mais c’est un peu votre faute ; F…. vous a joué sous jambe ; avez-vous pu croire que son parti l’emporterait sur celui du départe- ment ? Mais ne parlons plus de cela ; vous êtes malheureux, et par conséquent ce titre vous rend lous ceux que vous avez à mon cœur. S’il vous est encore doux de me voir, agréable de me recevoir, je me rendrai sans délai chez vous, sinon, adieu pour long teins ; niais si vous m’aimez en- core, écrivez-moi deux mots par la per- sonne



< 33 7 )

sonne qui vous remettra cette lettre ; il se chargera aussi de votre réponse, et elle me sera remise en toute sûreté :^insi, écri- vez-moi à cœur ouvert, et croyez que vous avez toujours habité le mien nonobstant…. Adieu, mon ami j la personne qui vous portera ma lettre ignore que je suis votre femme ; c’est un bonhomme de laboureur de ce village qui, par hasard, m’a dit-îpi’il allait demain à S…. Il attend après moi ; c’est pour cela que je vous quitte brusque- ment.

Demain soir, j’aurai votre réponse : nous vous embrassons J. H…. et moi, votre amie et épouse,

G. Q.«..“


Tome II


43




( 338 )


LETTRE XCV.

t . • «…

À madame Q ",

Votre lettre, mon amie, vient m’ap- prendre une nouvelle qui me sera toujours agréable ; c’est que vous m’aimez encore : si ce sont mes malheurs qui me ramènent votre cœur, je n’ai pas tout perdu.

Oui, mon amie, j’ai été horriblement joué ; mais je ne crois pas que vos amis m’eussent mieux servi ; ils eussent mis à la place de M. F…,M. B…. ; mais que voulez- vous : les talens ne mènent point toujours à la fortune ; et celui qui a une femme ai- mable en est rarement le seul possesseur. Il faut bien subir son sort ; peut-être un jour rendra-t-on justice à rua capacité, et ma femme à mon cœur.

Votre évasion passe toujours ici pour être un petit voyage en Angleterre ; vous avez assez d’esprit pour répondre lorsqu’on


\



( 339 )

vous fera des questions à ce sujet. Milord B. …. . vous a aussi, je me rappelle, ap- pris quelques mpts d’anglais. Je vous rece- vrai toujours avec plaisir : le plutôt que vous viendrez rompre mon veuvage sera le mieux ; si vous vous hâtez, vous pouvez encore quelque chose pour moi ; il y a e®- core des places à donner ici. Adieu, mon amie ; sou venez- vous que vous êtes la mère de ma hile. Je vous embrasse et ma sœur.

• • 1 . . i . j J* .-

/ .

• • • 1 1 . * j . i

. ’ 1 ■* !■.. . : « ! :■> /

/ ?. t


r/’j-r ; i ..

. ’ ’ ! i ; . i j ;1 ..>




\


( 3 4 o )

•• *1 *


LETTRE kCVI.

. I » v# # »

Julie à Lise.

’ : i‘i j i’H’.j f, . ’ ; :

ÏIn fÎiIï, ioici encore une longue extrava- gance à son terme ; nie voici chez moi àS..i. J’ài : accouru bién vite pour consoler mon inFafturié epoux,’ et j’ài’ pu lui faire avoir une placé d’administrateur au district. Il m’a bien reçu, comme si j’avais couché la veille chez moi ; il ne fut pas du tout ques- tion de mon absence ; je vis assez tranquil- lement avec lui ; mais je ne me consolerai jamais de ce qu’il a manqué un poste émi- nent, et qui m’eût rapprochée de t»oi, de mon amant, de Séchelles : quel plaisir si mon époux eût été son collègue !…

Mais revenons à mon amant ; la journée et la nuit d’avant son départ, il me consa- cra tous ses momens ; nous fûmes faire nos adieux au pommier, à tous les arbres qui nous avaient couvert de leur oiubre ; à la petite fontaine, au berceau de vignes, au


\



( 3 4 i )

bois des adieux, à celui des rendez-vous, aux rochers dont la cime orgueilleuse avait aussi, au déclin d’un beau jour, servi de couvert à l’amour ! Il soupira profondément en sortant pour la dernière fois de l’her- initage. Je le conduisis jusqu’au bois des adieux, et c’est sous les ormes jumeaux que nous nous donnâmes le baiser d’adieu. Qu’il fut triste, ô moin amie ! et si la toute excellente Adélaïde ne nous avait pas sui- vis de loin Lorsque je l’eus perdu de

vue, je m’assis sous l’orme-jumeau, et la nuit m’y avait déjà atteinte, que je ne m’en appercevais même pas ; elle me tira de la rêverie où me plongeait les plus noirs pressentimens ; elle me donna le bras, et ’

me ramena à l’hermitage ; ma sœur avait

déjà tout emballé : tout notre petit ménage qui devait partir pour Paris le lendejnain, à l’adresse de mon amant, c’est-à-dire, chez une parente où il descendait en atten- dant qu’il fût chez lui.

■ i ;, ’•’■•■■u > o*r ■

: Combien un déménagement est hideux ! 

Aia jolie petite chaumière n’était plus qu’un taudis ; je me promenai au verger ; il avait


( 342 )

l’air lugubre ; car tout prend l’empreinte de l’idée dont on est affecié. Il faisait des éclairs, tout le présage d’un orage ; ’les vents agitoient fortement tous les arbres, on eût dit que l’amour gémissait de quitter ces lieux ; le pommier favori, sur-tout, qui ployait sous le poids de ses fruits, avoit l’air le plus affligé. Un violent coup de tonnère amena une abondante pluie, mais qui dura peu. Nous ressortîmes, Adélaïde et moi, après le souper : toute la nature avait l’air en pleurs ; le crépuscule de la nuit,qui était irès-noire.à raison de la pluie qui venait de tomber, semblait un deuil universel.

Le lendemain nous partîmes de bonne heure ; Adélaïde nous quitta en pleurant pour retourner cher son père, en attendant que nous lui ayons trouvé une place de fille de boutique à S… ou bien Q te une à Pa-

ris- Par hasard tu ne connaîtrait pas quelque poste de femme de chambre, c’est une ex- cellente enfant ; c’est une demoiselle de qualité, mais dont les père et mère n’ont d’autre fortune que des titres de parchemin, et une douzaine d’enfans : ils cultivent eux-




( 343 )

mêmes un petit champ qui les fait exister misérablement.

Adieu, bonne amie, donnes-moi de tes nouvelles. Qu’il me tarde de recevoir une

lettre de Q te ;il y a déjà trois jours qu’il

est à Paris.

Adieu, chère amie, je t’embrasse ten- drement.

Julie.


i




( 344 )


, — — ■ . — — —

LETTRE XCVII.

Julie à son frère.

Je suis à S… mon amie : mon mari est ad- ministrateur du district ; mais quelle foible indémnité ! non, je ne puis ine consoler de ce qu’il a manqué…. Et peut-être à combien d’inconvéniens cela entraînera- t-il ! car si je vais à Paris joindre mon ami, ce sera toujours renouveller sa plaie, aulieu qu’au- trement j’étais toute portée, tout se conci- liait…. Mon bon mari ! j’aurais été trop heureuse que cela fût.

Nous sommes fort bien ensemble : il ne doute pas que je n’aye beaucoup contribué à sa nomination ; et je regarde son silence sur ma fuite, comme une tacite reconnais- sance. Si je pouvais l’empêcher de voir mauvaise compagnie ! J’ai déjà expulsé hon- nêtement deux de ces libertins du mau- vais genre, qui sont dangereux sous tous les rapports ; aussi menomme-t-on le grand maître ; qu’on ne pourra, dit-on, rien faire tant que je serai ici.

Adieu, mon ami, Tasœur Julie.

. LETTRE


5


( 345 )



  • • * l

LETTRE XCVIII.

i ;• :j ; t

1 Julie. • ’-

ilNFiN, j’ai couché chez moi aujourd’hui pour la première fois ; j’y suis encore sans dessus dessous ; mais je serai passablement bien, une fois approprié. ; ;

Si je possédais Lili dans mon apparte- ment, il serait le plus beau du monde. J’ai tin papier bleu ; car tu l’aimes : mon lit est blanc ; le tout ensemble est assez gentil»* < c’est beaucoup plus solitaire que l’hermi- tage, quoique dans un quartier bruyant puisque c’est rue St.-Honoré, près le palais royal ; mais c’est au second sur le derrière : c’est en attendant mieux. Lorsque Lili viendra à Paris, c’est elle qui choisira mon logement, qui sera le sien.

Lili, contes-moi ton départ de l’hermita- ge : es-tu arrivée avant l’orage ? pour moi, je me traînai lentement jusqu’à ma voiture, que je fermai bien hermétiquement, et Tome II. 44




: ( 346 ) 

m’enfonçai dedans ; j’étais avecM. J, de B… -et de N… et a.. : ils n’ont pu tirer une parole de moi pendant toute la route. J. de B… qui s’éloignait aussi de sa maîtresse, était assez pensif, les deux autres firent tous les frais delà conversation : et puis, je descendis

?chea ma tante. Le lendemain, notre récep- 

tion se fit assez pompeusement à l’assemblée nationale. Mais me voici chez moi, je res- pire un peu : tout ce que tu m’as envoyé est arrivé à bon port : je jouis, en déjeûnant dans le déjeûné de l’hermitage’ je me fais tôujours servir la tasse de Lili : que je te sais bon gré de me l’avoir envoyé, et d’avoir gardé la mienne ! voilà de ces petits riens jqui, cependant, sont bien sentis par de vrais amans ;- Lili, je suis toujours le tien, je ne t’ai pas fait d’infidélités,’ pas même en pensée 1 ; mais Lili, tu viendras me voir» Adiew, Lili-Farifàn ; reçois tous les baisers du tendre amour. Comment es-tu avec ton mari ? qu’en as-tu fait ?…

! : •< ■ :s : :t »/•}. ;•. • 

Adieu, je t’attends, je t’embrasse de tout* mon ame.-•

N. Q ;■




( 347 )


; — 

LETTRE X C l, X. f f ’ ■ Lise à Julie. 1-

J’ai été voir la réception des nouveaux députés ; que ton amant m’a paru être di- gne ! quelle gravité il a pour son âge ! j’étais, avec St.-Amaranthe. — Voyez, me dit-elle, ce jeune Caton . comme il est taillé en Her- cule ! ô, ma bonne amie ! il n’a pas une tour- nure de province : c’est l’ami, lui ai-je dit» de cette petite femme en homme qui a dîné

  • • I

avec nous chez mon oncle, et dont Sé- chelles parles souvent.-r- Elle ne les choisis

• » t

pas mal : dans cette province, à ce qu’il me paraît, on a dü goût ; elle a aussi l’air bien éveillée, votre petite provinciale !.. C’était Séchelles qui nous avait conduit à l’assem- blée, il vint nous reprendre, et nous nous promenâmes aux Tuileries : après nous fûmes dîner au Gros-Caillou, où mon mari devait nous rejoindre avec une société.

Lili, combien tu es étourdie ! dans tes deux dernières lettres tu ne me dis pas où t’adresser mes réponses, et nous sommes sur le point, mon mari et moi, d’aller à M..* tant pouraranger des affaires de famille y


\


i



( 348 )

que pour nous éloigner de Paris dans ce moment ?/ ; jîour des raisons particulières, et qui pourront bien devenirgénérales pour les gens honnêtes, s’entend. Mon embarras était, comment t’apprendre mon départ, ne sachant pas où tu étais très-localement ; pouvais-je adresser une lettre à Lili à l’her-

« r . *

mitage ?….

Je suis lâchée de quitter Paris au moment où Xiili vas. arriver ; car je ne doute point que tu ne sois ici sous trois semaines ; je te connais, Lili, tu aimes ton mari, ton en- fant ; tu combattras pour les quitter ; mais ton amant te donnera de si excellentes rai- sons, ton mari lui-même, inconséquem- ment, fera naître le moment qu’il craint : car, crois, Lili, qu’il ne se séparejamais de toi sans douleurs. O ! vous ctes les deux ê.tres les plus bisards- que je connaisse, et sans doute qui existent dans la nature !. Vous ne pouvez vivre ensemble long-tems» et moins encore sans vous rapprocher.

Adieu, Lili, adieu, aimable folle : si d’ici à huit jours tu n’as pas de mes nouvelles, tu m’écriras alors dans quinze à M… Adieu, je

t’embrasse bien tendrement.

Ta L i s E.




( 349 )


LETTRE C.


Julie à son ami.

Tu es donc déjà installé, cher amour, dans le petit ménage de l’hermitage ? Que je serais aise de voir tout cela ! Mais c’est im- possible ; si jamais j’y fais uu voyage, il faudra qu’il soit rapide…. Cependant tous tes plaisirs ne peuvent long-tems demeu- rer en peinture ; et si je veux que tn restes fidèle à l’original, je sens bien qu’il faut que je me rende dans tes bras. Mon dieu ! qu’il est difficile de concilier les devoirs et les plaisirs.


Je suis assez tranquillement avec mon mari ; il est replacé au district. Faible in- demnité ! Je ne puis me consoler qu’il n’a pas été ton collègue ; mais j’aurais été trop heureuse ! Il ne m’a jamais parlé de mon absence, ni moi non plus : il n’était pas


chez lui lorsque nous sommes arrivée^ :


nous nous réinstallâmes : on annonce qqe’



( 35o )

le dîner était servi ; il voit nos couverts ; il demande si nous étions arrivées, nous parûmes, nous dînâmes ; il ne fut question de rien, comme si nous avions couché la veille chez nous. Je t’avoue que je suis très sensible à cette délicatesse.

Nous nous occupâmes, avec chaleur, à le faire replacer, nous réussîmes ; et sa con- duite égale du silence sur notre escapade, est une tacite reconnaissauce des soins que nous avons pris de lui être utile ; ce procédé me pénètre véritablement.

Je suis arrivée à l’hermitage avant l’ora- ge ; mais il m’aurait bien innondée sans que je m’en apperçusse, si la toute bonne Adé~ laide ne nous avait pas suivis de loin, ou ne fût venue me tirer de la rêverie où je m’é- tait replongée au pied des jumeaux : lorsque mon œil ne put plus t’appercevoir ; elle me donnji son bras, et avec un silence morne nous nous rendîmes pour la dernière fois à cette aimable solitude ; la nuit était fermée* nous étions seulement éclairée par le feudu ®iel. Au moment où nous entrâmes dans le




( 35 . )

Verger, ùn ouragan S’éleva, il agitait tfelle- inent les arbres, que leur craquement, et le froissement des feuilles et des fruits, pro- duisait un sifflement, un gémissement uni- versel : l’effroi nous prit, nous atteignîmes en tremblant et trébuchant, l’her mitage, car l’obscurité des nuages ajoutait à la nuit ; le brillant des éclairs était un contraste frappant, qui, à peine, nous laissait voir où nous portions nos pas : un éclair brillant nous fit distinguer le pommier, il s’agittait horriblement, ses branches se rompaient, ses fruits tombaient, toute la nature avait l’air abandonnée à la douleur. Nous ren- trâmes effrayées par un violent coup de tonnère : nous trouvâmes J. H… paisible- ment occupée à faire les malles que tu as reçues : Adélaïde disposa le souper ; des artichaux qu’elle sait que j’aime beaucoup ( puis, dans ce sol, ils sont si exquis ), elle m’obligea d’en manger un ; la pluie cessa, les nuages se dissipèrent, l’arc-en-ciel re- parut au bout du verger, et nous y re- tournâmes toutes les trois. Le pommier avait l’air échevelé ; les goûtes d’eau sus- pendues à ses feuilles semblaient les lar-


t*




! ( 35a ) 

mes de l’amour ! Pour le parterre, les fleurs expirantes et penchées paraissaient dire ; nous ne pouvons plus exister après le départ de la main qui nous cultivait ; je rentrai peinée douloureusement. De grand matin je quittai ces lieux qui n’a- vaient plus que des regrets à m’offrir ; la vieille jardinière et son jeune mari paru- rent sensibles jusqu’aux larmes à notre départ.

Adélaïde voulut encore nous conduire une lieue. Cette séparation fut encore une scène bien triste ; elle s’en retourna douloureusement chez ses parens, en me priant de te dire de ne pas l’oublier, à tâcher de la placer en qualité de fille de boutique quelque part ; c’est véritable- ment une si bonne enfant ! tâche de t’en occuper ; la reconnaissance nous y enga- gent tous les deux.

Adieu ; mille baisers : adieu, mon ange.

Toute à toi, Lili.


LETTRE



( 355 )


LETTRE CI.’

i

À Julie » •

»

J E suis bien aise, ma bonite amie, de te sa- voir chêz toi ; ta présence en vaut béaucoup mieux pour ta maison tâches de contenir ton mari ; il a tant de bonnes qualités parmi ses nombreux défauts ! qned dommage ! s ur-t tout,’ ma bonne amie,’ oppose toute- toi* énergie à ce qu’il ne voye pas mauvaise compagnie : rien n’est si : dàngéréux • ton mari est faible, facile ; c’est encore un jeune homme pour la raisoinl- i i •. i

/ r. rr . • :< >.>• ? . > . ..t

Adieu, chère sreur ;- je suis malade ! à peine puis-je écrire : tu sais que c’est- ainsi’ que se manifestent toujours chez mqû.les’ renouvellemens des saisons, ma poitrinet devient tous les jours de plus en plus affect tée. Adieu, sensible amie : tan portrait et ta fille font tout© ma consolation. Adieu.»

Ton ami et frère C. G…. :

Tome IL 45




( 354 )


IETTRE.CII.

. • • . r

• À Julie .

I > IL I, je ne peux plus vivre sans toi : viens… ’ viens… Lili, animer tout ce qui m’entoure, etqui, en me rappellant ton souvenir, ne fait qu’aigrir ma douleur de ne pouvoir me rapprocher de toi. Les extrêmes se touchent, Lili, tu me le disait dans une de tes lettres ; ils produisent le même effet ; tous les objets sont ici tellement variés en un si grand nombre, que l’impression que fait l’un, est bientôt détruit par l’autre ; et mon imagi- nation sans oesse promenée, ne peut véri- tablement se reposer que sur la maîtresse de mon cœur : mais, Lili, viens… viens, ou bien : je ne puis plus répondre de moi : viens., ne fut-ce que pour deux jours : le lit où ma maîtresse se sera reposée, en sera plus doux ; mon ottomane, je m’y abandonnerai déli- cieusement à la rêverie, lorsque Lili m’y aura rendu heureux. Amie, amie’ chère, viens consoler-ton isolé amant ! loin de toi



t




( 555 )

l’univers est fi de pour lui ! ô ! qu’il était bien plus heureux, solitaire, ignoré, qu’au premier poste de la France ! que mes pres- sentiinens ne m’ont. point trompé ! l’her- mitage, précieuse retraite, que je te regrette !

1 ■ ■ ’ . : ; ! ’, ’•’J or ; d

Je t’attends, Lili, jeudi prochain, mandes- moi si je dois envoyer au devant de toi à la diligence ; jeudi je serai heureux. D’ici à jeudi il y a encore deux jours ; c’est bien long pour ton impatient amant. Adieu, maî- tresse de mon cœur ; écris-moi tout de suite, toujours ton fidèle amant.,

N. Q*., te . ï.

r

• ■ v •,r.a


• ;•( s : • o ’j

. v


/



; ( 556 ) 


•1 1 !"


ni*


■rrrrr •


• I !

> I


LETTRE C I I I.

• j ’ fl. P . ! f s,

. • *

’’ ’ Julie à son ami.


Ms !


J E ne puis t’aller joindre à Paris, ami ido- ■lèiréÿ «ne m’accusés pas d’ inconstance ! mon icœur r J)ot.Titoi,’ ne le sera jamais 5 inais>ré- ifléchis à la délicatesse qu’a mis mon mari iilatis’ss oonduftb^is-à-vis de moi cette fois. -ïh»s.,’pms’-jô étethéUertient oublier que je isuis^pbuse et mère ? mon ami, crois à la vérité de nos senti,tnens ; mais, sitôt,-quit- te)* de ’ nouveau ma maison, mon mari va encore s’abandonner à la débauche, et je serais la causé innocente de sa perte. Si tu savais ce qu’il m’en coûte de ne pas voler dans tes bras, te prouver toute ma ten- dresse, et recevoir de nouvelles assurances de ton amour.

J. H…. part demain pour la Hollande ; elle va rejoindre son autre frère qui est établi à Amsterdam ; il lui a écrit qu’elle pouvait là faire l’éducation d’une jeune demoiselle qui vient de perdre sa mère, à




( 35 7 )

qui il ne re3te qu’un père septuagénaire.

jr •* m

j. H…. est instruite, comme tu sais ; elle possède la musique, le dessin ; elle est douce, aimable, quoique sérieuse ; mais les malheurs changent bien l’enjouement ; elle plaira sûrement beaucoup aux tacitur- nes Hollandais ; et peut-être dans celte

; terre. étrangère trOuvèra-t-elle le chemin 

• à la fortune ! Je la regretterai, car je l’aime véritablement. •,


Adieu-, mi mi bien tendrement aimé ; . je te baise du plus profond dé mon cœur,

; et fs^ois-moi toujours toute.à toi lorsque je 

pourrai concilier l’cfiéction de mon cœur avec nies devoirs.