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JOrnXAI. INTIME

«le l’Age, si auparavant Dieu ne prend pitié de votre faiblesse ? S’il ne vous envoie pas la sagesse et la volonté stoïque pour vous affranchir de vos vaines nttacites, quelle sera votre vie A l’heure où les ardeurs du sang s’éteindront aussi bien que celles de la pensée ? A cette heure froide et inexorable qui sonnera les funérailles de vos sens, quel refuge trouverez-vous dans les profondeurs dévastées de votre Ame ?

Ilélas ! vous sera-t-il utile d’avoir tant souffert ? tant de peines ne seront-elles pas perdues ?

3 avril 1833.

O mon Dieu, je te remercie ! J’ai vaincu ! J’ai bien souffert, A Christ ! homme sublime, vers qui montera éternellement la plainte des hommes infortunésI O toi. qui es inon frère, quoique tu sois grand et que je sois petit, Jésus ! j’ai compris ton Ame et j’ai été sauvé par toi. au milieu de ce siècle, le plus athée «pii fui jamais. Oui, oui. il m’a été utile d’avoir tant souffert ! non. tant île peines que j’ai subies, ne sont pas perdues.


V mai 1837.


J OIT RN Al INTIME


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a L…

1832.

Vou* savez bien «pic vous ne «levez pas vous Hat ter : vous savez bien que l’avenir ne vous garde rien de meilleur que le passé : vous savez bien, malheureux homme, qu’il y a un orage sur votre tête et qu’il éclatera inévitablement.

Oü avez-vous pris que l’on échappait à sa des¬ tinée ? Comment espérez-vous prévenir les consé¬ quences morales, physiques et sociales «le ce que vous avez fait ? Nul ne le sait, dites-vous ? Nul ne pourra le dire aux hommes ? Eh bien, vous le «lirez vous-méme. Un jour «le désespoir ou de pusilla¬ nimité viendra oh vous ferez lâchement l’aveu de votre infortune. Et «lés ce jour, vous serez tout à fait perdu, si vous n’étes pas devenu religieux, si vous n’avez pas fait «le Dieu votre seul espoir, votre seul bien, car les hommes vous feront un crime d’une action innocente aux yeux de Dieu et votre vie extérieure sera gâtée au point que vous serez réduit au suicide, si vous n’avez confiance en une autre vie.

Prenez-y gar*»e, ne mettez pas votre espoir dans les chose s présentes. Vous avez cueilli un beau fruit, mois souvenez-vous que pour le «In rc ici


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•TOURNA !. INTIMF


vous êtes descendu dans un abîme oh nul n’n pu pénétrer sans y laisser l’empreinte ineffaçable de ses pas. Souvent*-vous aussi que vous Pavez trouvé parmi les ronces et tes épines cl sur un sol qui ne produit que des fruits amers. Oh, prenez «nrdel ne vous attachez pas trop fortement à cette conquête. Il faudra peut-être la rendre au fîênic du mal qui vous inspira de la poursuivre.

Vous dites que pour écouter ce conseil austère il faudrait être plus qu’un homme, que les sen¬ timents les plus puissants, les plus sacrés vous entraînent, que la douleur du passé, la crainte de l’avenir vous rendent plus cher ce trésor péni¬ blement arraché aux orages du désespoir.

Je comprends bien que vous êtes h plaindre ! que vous devez souffrir, û vous que l’on croit heureux !

Mais pourquoi vivez-vous de la sorte, sans règle, sans bul, sans précaution ? Kétississcz-vous à vous étourdir pur et» occupations vulgaires, par ces distractions puériles ? Ne pensez-vous pas qu’une vie austère, que la solitude et le recueil¬ lement vous prépareraient mieux U supporter ce qui doit arriver ?

Si vous aviez assassiné un homme dans une (le déserte au delà des tropiques, si vous lui aviez donné pour sépulture la mer oft les dépouillés ne laissent pas de vestiges, où le sang ne fait pas de taches, oh les pieds n’impriment pas de traces, vous seriez encore en dunger duos la société ;


JOUnMAl INTIME 125

or c’est au milieu de la société que vous avez creusé pour enterrer, non pas le cadavre d’un homme, mais le repos de votre vie entière !

Je ne vous parte pas de remords, vous n’en avez pas ; vous ne devez pas en avoir et puis aucun de nous n’est exempt d’uu crime de fait ou d’inten- lion. Nous avons tons été homicides. Sciemment, ou légèrement nous avons tous forfait à l’honneur. Vous n’avez été ni vicieux, ni coupable, mais vous avez été imprudent et malheureux, ce qui est bien pire pour les résultats.

Mais tâchez d’etouffer cette folle pensée de ven¬ geance qui vous berce et vous torture en même temps. Que réparerez-vous en perdant votre ennemi ? Voulez-vous te tuer ? Avez-vous musez de sang-froid et de force d’âme pour ne pas le manquer ? Et puis d’ailleurs ne doublerez-vous pas vos embarras en lui donnant la mort ? N’écoutez pas les conseils de ce ressentiment, La haine est aujourd’hui une chose de pure affectation et vous n’auricz pas plutôt assouvi la vôtre, que vous vous étonneriez d’y avoir cru tout un jour.

Oubliez l’injusticx* des hommes, souvenez-vous du jugement de Dieu (et que Dieu ait pitié de vous dans celte vie),

1832.


Si je laisse cette page c’est que jamais personne ne devinera à qui elle était adressée (184o).


via


JOUItN’AI. IM IM».


La Folie. L’Êgofsinc. L’Infamie. La Médiocrité, Quoi ?


Un jour. Un an. Une heure. Un siècle. Combien ?


Peu.

Beaucoup.

Point.

Trop.

Assez ?


FRAGMENTS DE LETTRES


1 l SEPTEMBRE 1832

Ce n’est pus lu foi, c*dl l’amour qui transporte les montagnes,

J’aî été hier à lu vigne pur le chemin que je prenais autrefois. Tout cela est devenu bien laid. Où. sont les jours de jeunesse, de verdure et de poésie qui animaient cette rivière, ce ravin et ces jolis prés ? L’horrible sécheresse de celle année a tout dévoré. Plus d’herbe ni de serpolet sur la colline, plus de menthe au bord des eaux, lai rivière barrée par les écluses pour conserver aux meuniers l’eau devenue si rare est verte, stagnante, hui¬ leuse. Elle dort, sale et puante sous ses nénuphars jaunes et pourris. J’ai suivi les sentiers d’en bus et j’ai bu it la petite source qui est à mi-


cétc’. Ou a labouré toute la pelouse verticale au milieu de laquelle elle se trouvait. Pour y parvenir 1 maintenant, il faut enfoncer scs pieds dans la terre \ stérile et poudreuse. Cependant autour île la fon¬ taine des tou (Tes de joncs Pont préservée de la sécheresse. Hile coule toujours claire avec son petit bruit mélancolique. Elle a toujours son déli- ! deux goût de menthe et d’herbes aromatiques. Elle est là comme une Ame restée pure au milieu du désastre des orages et de la dépravation des temps.

Vous savez bien qu’en face de cette fontaine il y avait un petit pont jeté sur la chaussée, puis au bout de cette même chaussée, un autre pont fait avec une échelle et une planche couchée dessus. C’était le chemin que je prenais pour aller û Mont* givray. Vous souvenez-vous comme il tremblait sous les pieds, ce pont fragile ? comme l’eau était joyeuse et limpide, comme elle courait sur les cailloux, comme tout cela était frais et sombre ? Vous avez bien fait, vous autres, de transporter ni lie u ni votre nid et vos amours. 1-u nature indé- mente vous eût chassés d’ici. Il n*v a plus ni plancher ni pont. A peine y a-t-il une rivière. Le


I. Toute petite wmree aujourd’hui départir, qu’on nom- malt ; la font Margot, (.i-orgc Samt, en rcntmnt d« m** balnt dam I* Indre b nettoyait d« «c* maltu, y puiull dr l tau «lum le creux de wi p.iuinr et lui trouvait une »avcur dell tkuw,


JOURNAL INTIME


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mouliu ne va plus. L’herbe et la mousse croissent sur les roues. Les arbres n’ont plus de feuilles.

Vous savez qu’au bout du fossé, un beau massif d’arbres masquait le chemin et protégeait vos rendez-vous contre les regards des passants. On :i impitoyablement ébranchc ces arbres. J’ai cherché celui où vous aviez écrit mon chiffre. Il a disparu.

Je suis revenue par le chemin découvert où

  • e trouve le grand orme. L’ai-je fait souvent,

ce chcmin-lü ! avec les pieds poudreux, des souliers percés par les cailloux, le soleil d’aplomb sur la tête, le cœur joyeux et la démarche légère pour¬ tant ! Que j’étais heureuse, que nous étions jeunes ulors ! et que ce pays est maintenant vide, morne et désenchanté ! Tout passe, et c’est folie que de s’attacher aux lieux où l’on a été heureux. Le bonheur s’en va, les lieux changent et le cœur vieillit 1


Aux autres l’habitude paresseuse et le tiedo pardon, mais, eutre nous, s’il y avait une blessure sérieuse, U n’y aurait point de retour possible. Autant l’on a aimé l’élrc auquel on s’est donné sans réserve, autant il faut le haïr quand le poison de l’ingratitude est entré dans son cosur.


(Un fragment d’une dixidtir de ligne* n rfté rnkvé ; la com¬ mencement de» Ugnc» c»t indique pur •tr* port loin de mol».)

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Le grand salon est fermé à cause du froid qu’il y fuit et c’est dans la rlmmbre jaune qu’on se tient 1 . Mol j’y vais passer une heure après le dincr. Je joue avec mes enfants, puis je reviens & mon cabinet et les enfants me suivent car, h la grande jalousie de Boucoiran, ils me préfèrent à lui. Maurice compose des histoires, des dialogues, des proverbes, des saynètes, des iambes. 11 a fait au moins cinquante cahiers de scs œuvres avec pages numérotées, tables, renvois, notes, estampes et vignettes é la plume. 11 me ruine en papier, encre, poudre, etc., sa sœur saute sur mon lit et s’y roule comme un poulain. Pendant ce temps je travaille.

J’ai passé toute la matinée dans le petit bois. Il faisait un jour de printemps sauf les feuilles et les rossignols. Mais l’hiver a aussi scs grôces, ses tièdes parfums de violettes et ses milliers de mousses vertes et fraîches qui tapissent les tiges des arbres comme un vêtement pour les préserver du froid. Le vieux banc, maintenant tout crevassé par la pluie, nourrit dans scs fentes une riche végé¬ tât ion en miniature. Je vous envoie une de ses plus vigoureuses productions. Lllc est bien verte à préscut, mais vous la recevrez flétrie’.


1. U chamUcc du nx-dc-ehau»**.,,

U. (Mon brio» du woouo malntt nu» par d* la cua vertu »ur le rcfitittc.



JOURNAL INTIME


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.îe l’ai exploré aujourd’hui dans tous les sens en commençant par mes premiers souvenirs. Vous ai-je fait voir un coin 0(1 ma mère s’était fait un jardin ? Elle y avait planté des rosiers et rassemblé des pierres moussues, des coquil¬ lages et des cailloux de rivière avec lesquels clic avait construit fort adroitement une grotte oii \r pouvais m’asseoir ii lombre. J’avais là aussi un banc de gazon, une source d eau vive, repré¬ sentée par une terrine pleine d’eau enfoncée dans la terre jusqu’aux bords et entourée de coquilles et de violettes. Je trouvais tout cela prodigieusement beau, j’y passais ma vie. J’y allais déjeuner avec ma jatte de crème, j’y lisais Peau (l .-tne et rOiscnti Bleu. J’étais brune comme Maurice et fraîche comme Solange. Ma mère dans ce tctnps-là était une bonne mère, je n’étais qu’une enfant. Tout allait bien pour moi dans lu vie, j’avais cinq ans.

El puis dans un autre coin, à douze ans, j’avais ouvert avec mon couteau un sentier dans le taillis, j’avais coupé des milliers de tiges enlacées de troènes et de chèvrefeuilles. J’avais choisi un vieil arbre bien retiré, bien caché. J’y avais fait un siège de mousse et susjkmdu des colliers de coli¬ maçons de diverses couleurs. C’est là que je me réfugiais a mes heures de récréation pour lire en paix de» livres déjà sérieux. C’est là aussi que j’ai lu mes premiers poètes et que j’ai passé des heures


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JOÜRNAL INTIME


(le délices avec l’Itiadr et Jérusalem délivré*. U plus souvent j’y révais les bras croisés, ne sachant h quoi, végétant, me sentant pousser avec les herbes que je foulais 1 . Maurice a toutes mes habi¬ tudes, tout le caractère que j’avais alors. Kn voyant sa vie commencer, je crois relire la mienne.


10 mars 1833


Madame *,


Je ne veux pas tarder ?i vous dire combien la soirée d’hier et ce que j’y ai entendu m’a déjà fait penser depuis et combien Lélia m’a continué et poussé plus loin encore dans mon admiration sérieuse et mon amitié sentie pour vous. Comme livre, comme oeuvre, je ne vous en parlerai que quand vous m’aurez, bien voulu lire le commence¬ ment. Mais il est aisé de voir ce que ce sera ; le gros public, qui demande nu cabinet de lecture un roman quelconque rebutera sur celui-là ; mais il VOUS classera haut pour tons ceux qui ne voient dans le roman qu’une forme plus vive des éter¬ nelles cl humaines pensées. Ce seru votre livre


dr lmb. *0W. fou. v«me *»<• j rnmir hédaucr.

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a. Lettre 4 «t UiuiKrtt» |mt

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JOURNAL INTIME


m


de philosophie, votre vue générale sur le monde et la vie ; tous vos romans suivants en seront éclairés d’en haut et y gagneront une autorité grave qui ne leur serait venue que plus lentement 1 Mais sans songer ici à Lélia comme composition et production littéraire cl à ne la juger qu’en ellc- méme dans l’idée qu’elle donne de qui l’a pu concevoir et ainsi exprimer, je ne vous dirai jamais assez combien j’ai été saisi de tant de fer¬ meté, de suite et d’abondance à travers des régions si générales, si profondes, si habitées à chaque pas, par l’effroi et le vertige. Être femme, avoir moins de trente ans et qu’il n’y paraisse en rien au dehors quand on a sondé ces abîmes ; porter cette science qui ii nous, nous dévasterait les tempes et nous blanchirait les cheveux — la porter avec légèreté, aisance, sobriété de discours—voilà ce que j admire avant tout. C’est Lélia en vous-méinc. dans la substance de votre àme, dans ce que vous avez longuement senti et raisonné, dans ce que vous en exprimez si puissamment quand vous voulez la peindre cl aussi dans cc que vous savez en dérober aux yeux sous le simple extérieur et l’habitude ordinaire. Allez, Madame, vous êtes une nuture bien rare et forte. Quelque corrosive qu’ait été la liqueur dans le calice, le métal du calice est vierge et n’a pas été altéré. Que Lélia continue ou non de désespérer, pour vous la vie est conso¬ lante encore et votre force devenue régulière a de


belles années, devnnt elle, de triomphe et de satisfaction sérieuse. — Vous voyez, Madame, qu’en commentant Lélin de la sorte, j’use bien entièrement de cette qualité d’ami que vous m’avez permis de prendre ; je dois vous dire qu’hier, tout en vous entendant, je me sentais un peu fj cr de ce titre auprès de vous ; j’étais aussi légèrement inquiet de tant de défectuosités h nu sous un coup d œil uussi pénétrant que le vdtre et aussi ferme ; mais ce qui me rassurait, c’est que ce coup d’œil n’apercevrait jamais en moi que vive reconnais¬ sance cl zèle d’un respect digne de vous.

Ce diumnclie matin.

SAINTE-BEUVE.


Laisscz-moi l’aimer* Je sais qui elle est et ce qu’elle vaut. Scs défauts, je les connais, scs vices… Ah ! voilà votre grand mot a vousl Vous avez peur du vice. Mais vous en été» pétri et vous ne le savez pas ou vous n’en convenez pas. Le vice ! vous faites attention à cela, vous autres ? Vous ne savez donc pas qu’il est partout, à chaque pas de votre vio, autour de vous, au dedans de vous ? Votre père est avare, votre mère est menteuse, vos frères sont de mauvaise foi. Votre confesseur n volé nu jeu, votre sœur sYst vendue, votre meilleur ami vous n renié dix fois, vous ne saviez


JOrriNAL 1NT1MP.


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pas cchi ? Comment donc vivez-vous, tous tout que vous êtes ? Que faites-vous de vos yeux, de vos oreilles et de votre mémoire ? Vous m’appelez cynique de cœur, parce que je vois et parce que je me souviens, parce que je rougirais de devoir h l’aveuglement ou h l’hypocrisie cette fausse bonté qui vous fait à la fois dupes et fripons.

Vous dites qu elle m’a trahi. Je le sais bien, mais vous, mes bons amis, quel est celui d’entre vous qui ne m’a pas trahi ? Elle ne m’a encore trahi qu’une fois et vous, vous m’avez trahi tous les jours de votre vie. Elle a répété un mot que je lui avais dit. Vous m’avez tous fait répéter des mots que je n’avais pas dits.

(1333.)

(Maladie de foie.) Mois FAkî elle rst toujours In même, et je l’aime toujours. C’est une âme admirablement belle, généreuse et tendre, une intelligence d’élite, avec une vie pleine d’égare¬ ments et de misères. %Te t’en aime et t on respecte d’autant plus, à Marte Dorval !

(1347 *.)


C avril 1833

Voici la vision que j ai eue pendant^la grande Symphonie de Beethoven#

1. kl, Georjic Sawl note une peinée que le ! suggère la lecture de ion Journal.


D’abord j’ai vu une plaine Immense, absolument vide et sans accident, c’était une bruyère, je crois, un sol aride sans troupeaux et sans hommes. J étais couché par terre et brisé de fatigue. J’essayai d abord, mais en vain, de me lever, mais peu à peu je me mis sur mes genoux, puis je me trouvai debout et la face levée vers le ciel.

Le ciel était sombre au-dessus de ma tête. Il y avait de la brume partout ; seulement j’aper¬ cevais au loin des lueurs jauues qui passaient de temps en temps et qui, chaque fois, devenaient plus vives et plus larges. Peu à peu elles envahirent tout le cercle de l’horizon et le ciel devint d’abord d’un jaune orangé, puis d’un rouge de cuivre ; à mesure qu’il passait à ce ton étincelant la plaine devenait plus noire et les lignes du sol à l’horizon plus tranchées sur le ciel ardent, ainsi qu’on voit au coucher du soleil, mais il n’y avait pas de soleil dans ce monde-là.

Alors il me sembla que le ciel descendait peu à peu et se rapprochait de la terre comme une voûte palpable. 11 me sembla que j’allais y toucher avec les mains et j’étendis les mains.

En même temps la terre sembla reculer. Je me trouvais perdue dans le vide et par je ne sais quel prodige, balancée entre la terre et les deux.

lui (erre noircissait toujours et le ciel s’illuminait toujours de lueurs chaudes et brilluulcs. Je m’en approchais sensiblement et j’allais frapper du front


JOtWNÀL INTIME


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& ce déme lumineux. J’eus peur. Il se fit une grande commotion dons l’air, comme si l’éclat des trompettes eût déchiré l’élément qui me por¬ tait. Je tombai, mais je ne sais où. Je ne me vis plus. Je ne me sentis plus.

Quand je repris mon vol, le ciel était loin, la terre était entièrement plongée dans les ombres du soir. L’haleinc d’un vent doux et tiède s’éleva et je m’élevai ainsi longtemps ; je rasai les plaines essayant do retrouver la route du ciel, mais û chaque instant le vent tombait et ine laissait retomber. Enfin il prit plus de force et à travers les espaces de l’horizon j’aperçus de longues lignes d’or qui perçaient les nuées sombres. Je pris mon vol de ce côté.

Mais, à mesure que je fuyais plus rapide vers lus lueurs trompeuses, les horizons reculaient leur vaste enceinte. I^es lueurs s’éteignaient quand je croyais les atteindre et reparaissaient bien loin perdues dans un vague sans bornes ; la terre ne finissait pas, le ciel recommençait toujours et la force m’abandonnait. Ce voyage m’a semblé durci* un siècle.

Enfin le vent harmonieux qui remplissait les airs grandit tout à coup et comme un aigle qui déploie scs ailes je montai rapidement dans le vide. Alors les couleurs s’effacèrent. Il u’y eut plus rien au-dessus ni au-dessous de moi que l’éther.

Seulement j’apercevais les feux effacés des


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JOUHNAl* INTIME


mondes lointains et les pâles reflets de In terre montaient au son d’une mélodie vogue et faible que le vent coupait à chaque phrase et dispersait duns l’immensité. Puis tout retomba dans le silence. J’étais seule, j’étais portée sans mouve¬ ment sur lo calme des nuées.

Mais il sortit des profondeurs de l’air je ne sais quel bruit d’uilcs agitées qui s’approchent rapi¬ dement. Je vis venir des divers points de l’espace des phalanges d’ombres ailées qui d’abord ne semblaient pas autre chose que des volées d’oiseaux voyageurs. Ensuite elles changèrent d’aspect et je les vis distinctement. Mais je ne saurais les décrire car aussitôt que je ne les vis plus, je perdis le sou¬ venir de leur forme.

Je sais seulement quelles arrivaient par grandes troupes comme les caravaniers du désert et qu’il y avait de ces troupes toutes blanches et d’autres toutes noires. Il en vint en si grand nombre et à chaque instant il en surgissait tant d’autres, que l’air en fut obscurci ci qu’il me fut impossible d’y maintenir mon essor. 11 me fallut voltiger au hasard et dans une grande confusion au milieu d’elles toutes qui, perdues et troublées comme moi, remplissaient la nuée de mille voix plaintives ou sauvages.

Ce fut une longue anxiété. Un pêle-mêle d’inquié- tudes et de craintes. On eût dit une troupe de goéland» dispersés pur la I cm pèle. Chacune de ces


JOURNAL INTIME


13 !>

«mes cherchait la route* du ciel, niais aucune ne la demandait. On se heurtait dans k vide, on perdait scs compagnes, celles qui étaient blanches comme des colombes volaient côte â côte avec celles qui étaient noires comme des corbeaux.

Le vent devenait furieux et fi chaque instant des phalanges entières disparaissaient emportées comme des feuilles de peupliers au souffle d’une matinée d’automne. Ces finies errantes et moi nous ne pouvions plus nous élever et chaque instant nous repoussait vers la région des mondes visibles. Nous luttions en vain contre la fureur céleste, nous demandions en vain que la lumière nous fût rendue et que l’espoir nous attirât en haut. L’espoir s’affaiblissait avec nos forces, ci celles de nous qu’une rafale semblait transporter jusqu’au trône de Dieu étaient bientôt rejetées plus bas que les autres.

Une grande voix s’éleva dans l’orage et je l’entendis par-dessus toutes les autres. • Allons, mes finies, disait cette voix terrible, combattes courageusement. Ma tempête est rude, mais vous êtes d’une trempe solide. C’est ma main qui vous tira du creuset. Combatte/, soutenez l’ouragan, la paix de mon repos et les gloires de mon ciel seront pour les forts. Les mondes qui roulent Ifi-bas au-dessous de moi seront l’asile des faibles. ■

A peine eut-il dit que In tempête redoubla


de. furie et en même temps les Ames redoublèrent de courage et d’effort. Il passait de ces coups de vent si terribles qu’en un instant je me trouvai seule dans l’immensité. Les compagnes de mon épreuve disparaissaient dans des région* indis¬ cernables, revenaient tout à coup et en foule remplir celle où j’errais, poussée par un vent con¬ traire. Tour à tour j’étais effrayée de mon isolement et du nombre inappréciable de ces volontés flot¬ tantes qui encombraient avec moi les voies de l’éternité.


Je remarquai enfin que les Ames dont lu robe et les ailes étaient blanches s’élevaient plus haut que les autres et je me souvins que les anges étaient blancs. Il me vint alors lu pensée de me regarder et mon effroi fut grand quand je m’aperçus que j’étais noire comme si la fumée de l’enfer m’eût bronzée. Je fus saisi d’une amère tristesse en voyant les autres atteindre au séjour des joies éternelles. Le découragement me prit. Je pliai mes ailes et me laissai rouler d’espace en espace sans me demander où j’alluis et si la pitié de Dieu duigne- rnit me tirer du néant où je me plongeai.

Une seconde fois je tombai anéantie dans le fond de je ne sais quels abîmes sans nom où les ténèbres me reçurent et m’enveloppèrent comme un linceul.

Un faible rayon vint trembler sur les profon¬ deurs bleues do l’abîme, je m’éveillai comme



JOURNAL INTIME


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d’un songe, je regardai autour de moi, je vis les précipices affreux qui s’ouvraient sous mes pieds. Le roc étroit où j’étais assise se projetait sur le gouffre au fond duquel mugissaient des flots rouges, fumants, qui semblaient être du sang enflammé* Au-dessus de moi. Je ciel éteint dans les voiles de la nuit m’apparaissait à peine au tra¬ vers des saillies angulaires des rochers.

Cependant à force de lever les yeux vers le pâle firmament, j’y vis trembler une étoile bleuàt r e, si faible d’abord que je la perdais à chaque instant de vue et croyais l’avoir rêvée. Mais peu à peu elle devint large, blauche et radieuse. Son auréole lumineuse s’agrandissait et semblait verser sur moi un flot de clarté céleste. Le courage me revint et je repris mon vol, mais de la gueule béante de l’abîme soufflait le même vent impétueux qui me refoulait sans cesse vers les entrailles de la terre. À chaque nouvel effort je retombais épuisée sur les rochers aigus ; mes ailes noires et poudreuses s’accrochaient comme des ailes de chauves- souris aux parois hérissées de l’abime. La voix lugubre de ect ouragan souterrain inc glaçait d épouvanté et de tristesse. Elle s’engouffrait en mugissant et, comprimée dans cette prison sonore, elle éclatait en cris infernaux qui semblaient ébranler les montagnes entassées.

Cette voix terrible prit cependant un caractère solennel et grave qui me rassura. Je m’imaginai


H3 JOUHKAL INT ! mi :

que c’était une voix descendue des Cieux vers moi et qu’elle me promettait le saiuL Je recom¬ mençai la lutte. Des flammes montaient a moi du fond des ténèbres, la fumée rouge des volcans me suffoquait et les lianes du rocher ruisselaient de lave ardente.

Tout à coup une trompette sonna. Celait la trompette de l’archange, signal du Jugement dernier. Ma prison éclata comme un cristal fragile et tomba en lambeaux autour de moi. Je me retrouvai encore une fois seule et libre dans la plaine des deux. Mais cette fois je montai rapi¬ dement et sans efforts vers le Seigneur. Des nuées moelleuses, blanches comme le duvet des cygnes et dorées comme la mer au soleil levant s’éten¬ daient sous moi et je m’élevai vers un air plus subtil et plus pur. Une molle langueur s’était emparée de mes sous. Je flottais comme une hirondelle que le vent soutient, comme une plume que le vent balance ; des larmes délicieuses coulaient sur moi et emportaient lu teinte noire dont j’étais enveloppée. Peu il peu je devins blnnche comme la fleur d’un Ivs. .Te vis autour de moi des âmes heureuses qui joignaient les mains cl bénissaient Dieu. Le ciel s’entr ouvrit et j’entendis la voix d’Kn Haut qui disait : • Venez, nies forts, entrez dans le repos *, mais Jo ne vis rien, cor la symphonie finissait.


JOURNAL INTIME


113


AVRIL 1S33


L&LtA. — Argument Idtal,

I. — J.élla : Le doute.

11. — Trcnmor : L’expiation. Stoïcisme.

HI. — Sténio : La puéde. Crédulité.

IV. — Mugmi* : Lu sup*r>UtJon, le désir comprimé, V. — Pulchéric : Le» sens, oppose * à Psyçte.

Argument /pique»

I* — Antagonisme de la poé»lc et du doute : Stétwj et LéUa.

IL — Expiation. Médiateur : Trcomor, Sténio.

III. — Déception des sens. Enseignement projeté :

Ihiteliéric, Sténio.

IV. — Révélation de I.élLi. Amour iimppUcaMc.

Misanthropie.

V. - U poésie, dan» le doute : Sténio, Lélla, Dieu.

I. — Sténio et Lélla : I je duel.

II. - Trcnmor et Sténio : La médiation,

III. — IhiJchéric et Sténio : L’crixcigitcmcnl.

IV. — LéiU : La révélutlon.

V — Sténio, I^Ua : La victoire.


FÉVRIER-AVRIL 1833 *

I

Je distinguo dans Lélia quatre questions, séparées eu deux groupes, à savoir, d’une part,

1. Datée par Maurice SantL


itf


J OtJ II N AI. 1NTIVIC



I» question psychologique ou la donnée morale, plus la question sociale, ou les circonstances biographiques qui expliquent la donnée morale et. d’autre part, lu question poétique, ou la création des personnages, plus la question littéraire, ou le style, qui révèle, traduit et achève la poésie.


II

Le sujet de Lélia n’est autre que la passion tout entière avec la passion naissante, le duel du scepticisme avec la crédulité, de l’Ame vieillie avec l’âme jeune. — Lélia signifie la déception, la souffrance, le cœur défiant et desséché, le désespoir. — Sténio signifie l’espérance, la con¬ fiance dans l’avenir, l’amour.


III

Pour donner h ces deux idées personnifiées, la vraisemblance nécessaire, il faut dire comment Lélia a vécu, pourquoi, au Heu de se briser, elle est demeurée debout, pourquoi, au lieu d’absorber sa destinée dans celle de l’homme qui l’a trompée, elle s’est mise à vivre d’une destinée personnelle, indépendante,isolée ; une fois qu’on saura comment clic est venue nu rôle que la société ne lui destine pus, on pourra lu plaindre encore, mais on n’en sera


JOVHNAL INTIME


t$5

plus effrayé, «— Sténio, pour être clair, a besoin aussi d’une contre-biographie : pourquoi est-il attiré vers Lélia, fière et sceptique, au lieu d’aimer une femme plus jeune, plus confiante, plus naïve, qui obéisse au lieu de commander ?


IV

Trcnmor, ccst-à-dire le vice réhabilité par le châtiment et la résignation, le stoïcisme lié <k la souffrance peut servir d enseignement à Lélin et à Sténio et hâter la mutuelle intelligence du coeur défiant et. du cœur naïf. — Magnus, quel que soit d’ailleurs son rdle épique, doit signifier l’athéisme, né du mépris que Lélin lui a témoigne ; en perdant l’amour qu’il avait espéré, il a cessé de croire en Dieu. — Le prince italien doit, comme Mngnus, montrer une face nouvelle du caractère de Létia ; peut-être combien le bonheur est impossible sans amour et sans espérance. — Le médecin sceptique n’est qu’une répercussion, un retentissement de l’incrédulité de Lélia avec les éléments dont le développement peut varier au gré de la fantaisie. Il y a deux combinaisons possibles :

Ou bien l’idée I*étia descendra vers l’idée Sténio, et redeviendra crédule par le bonheur.

Ou bien l’idée Sténio perdra confiance, se con¬ vertira au scepticisme, et la pitié, eu présence de

10


110 JOUHNA1. IN Tl MK

la douleur qu’il voit, la soumission lilitalc au génie supérieur dont il ne peut méconnaître l’autorité, absorbera sa destinée dans celle de Lélia.

Pour réaliser Tune de ces deux combinaisons, et j’aimerais mieux la seconde, il serait utile de mêler, à doses convenables, l’analyse et le récit, niais, dans tous les ras, le récit devra seulement encadrer l’analyse.

11 serait bon que les acteurs, au lieu de paraître successivement à leur tour, fussent quelquefois en présence et aux prises. Quelques détails sur les lieux ne feraient pas de mal.


V

Le style de Lélin est clair et beau dans l’expres¬ sion des sentiments, c’est-à-dire quand il traduit des impressions, des souvenirs, quand ü va du cœur aux lèvres ; il est parfais obscur et confus quand il veut descendre dans la profondeur de la pensée, décomposer les idées, en prévoir les consé¬ quences ; il n’a pas l’air habitué aux secrets du cerveau. — Il lui arrive de donner à la vérité la plus vraie l’apparence d’un paradoxe. — Pour remédier à cet inconvénient, il sulïïrtlt, dans les pages écrites, de déplacer quelques phrase* de changer une douzaine de mots et de séparer dis¬ tinctement, pur «les signes visibles, tels que des


TOURNAI. INTIME


117


chiffres romains, les voyages de la pensée. — Pour l’avenir, il conviendrait de traduire plutôt des souvenir» qne des impressions ou des idées actuelles ; lorsqu’il s’agirait d’exprimer des pen¬ sées abstraites, de convertir en dialogues, en rai¬ sonnements, lu douleur et le désespoir, il serait bon de prévoir et d’ordonner, presque géographi¬ quement, la succession, l’enchaînement et l’engen¬ drement de ces pensées. — Mais il ne vaut rien de penser en écrivant ; la pensée et la parole s en trouvent mil II faut faire séparément le travail du cerveau et celui de l’exécution littéraire.

Et puis le style gagnerait encore en précision si, au lieu de retracer tous les détails de la souf¬ france, il omettait volontairement les moins importants, ou ceux qui se nuisent, se combattent.


VI

Ainsi, la donnée morale une fois admise, comme fatule, il est possible d’intervenir, par la volonté dans l’explication, ou la question sociale dans l’invention, c’est-à-dire dans l’exagération ou l’amoindrissement des faits qui ont concouru à produire la donnée, et enfin dans le style en réservant la parole pour le dernier travail, quand ou n’a plus rien à savoir, rien à expliquer, rien à créer.


TOURNAI tNTfMft


14 *


VU


Quoiqu’il vaille mieux, poétiquement, absorber S té ni o dans Lélia que Lélia dans Sténio, je pense que. réellement, le parti contraire est préférable. Il est plus sage de redevenir crédule par le bonheur que de persister dans le scepticisme en évitant les joies qui le détruisent ; au delà de ce parti, Irés peu poétique, mais très sérieusement utile, il n’y a que deux dénouements, également tristes î le suicide, si b raison ne triomphe pas en suppri¬ mant les passions, en balayant jusqu’aux cendres des anciens souvenirs ; ou bien, si elle triomphe, une vie dévouée tout entière à b réflexion désintéressée et peut-être h la volonté persévé¬ rante, ambitieuse, égoïste, cruelle.

Le cœur s’use à demeurer désert aussi bien qu’à changer.

1833, avril. 9.


C. 1S33 lévrier 23, forme rit].


JOURNAL INTIME


149


11 n’csl pas dit qu’on pourra jouir impunément des fruits amers de l’expérience. Il faut s*en nourrir en secret et ne pas dire aux hommes tout ce qu’on sait d’eux, car Us vous lapideraient pour se venger de ne pouvoir plus vous tromper.

lit pourtant ceux-là qui vous accuseraient de méconnaître la confiance et de résister a ! amitié, i cux-là qui feignent de croire en vous afin de vous ôter le droit de douter d’eux, ceux-là, dis-je, sont souvent plus méprisants et plus sceptiques que vous. Ils parlent d’afleetion et de persévé¬ rance, eux, qui ne sont plus capables que d’égoïsme, les hypocrites l

Soyez prudent cependant, acceptez leurs pro¬ testations, feignez d’y prendre confiance, ou bien ils vous flétrissent de leurs calomnies en vous montrant au doigt comme un lépreux. Les hommes ne veulent pas qu’on les dévoile et qu on les fosse rire du masque qu’ils portent.

Si vous n’étes plus capable d’aimer, men¬ tez, ou serrez si bien uutour de vous les plis du voile, qu’aucun regard ne puisse lire au travers.

Faites pour votre cœur comme les vieillards


i.v>


«J O U UN Al. INTIMK


libertins font pour leur corps. Cachez sous le fard ou le mensonge, dissimulez à force de vanterie et de fanfaronnade, la décrépitude qui vous rend incrédule et !n satiété qui vous rend impuissant : n’avouez jamais surtout la vieillesse de votre intelligence ; ne dites A personne l’Age de vos pen¬ sées.





(Maladie de foie) 1 .

Effeuillez une marguerite. C’est le plus infail¬ lible procédé que je connaisse.

O. 22-20-20. Besoin, Espoir.

B. 25-21-25. Puissance, Douleur.

H. 27-25-35. Désir, Doute.

P. 20-27-20-40. Aliénation, énergie.

30-50. Volonté.


1833.


Impossible aujourd’hui de me rappeler ce que signifiaient ces rébus*.


1846.


1. Cette remarque de la main de George Sand ver» IMS. U. Annotation de George Saint


OBERMANN


Division gfncrale,

LE SUJET, LE POÈME, LE STYLE

I

1<> Des deux faces de la souffrance inorale, de la passion contrariée et des facultés incomplètes.

2° Différence de René et d’Ôbcnnann, facultés éminentes sans volonté ; incapacité avouée pour un rôle quelconque.

3° De la rêverie et de la perpétuité du désir. Que les volontés fortes restreignent le cercle des désirs, que le nombre et la mobilité des désirs excluent la puissance et par conséquent le bonheur.

4 g Que ces deux ordres de souffrance sont des


15*J JOURNAL INTIMR

l yP e# généraux et représentent les premier» développements de la douleur morale à sa nais¬ sance, cest-A-dire les premières luttes de lu tue humaine contre les hommes et les choses ; qu’il existe uu troisième genre de souffrance sans analogie prochaine avec les deux premières, l’épuisement et la contrition de la passion désap¬ pointée, la honte et la mge d’une volonté brisée par le destin» L’espérance et le souvenir, la jeu¬ nesse et l’Age mûr,

5° Que la passion contrariée a pu être étudiée dans les premiers siècles de l’histoire humaine et pourquoi. Passion ou exaltation des facultés émi¬ nentes, Que lu tristesse des facultés qui s’avouent incomplètes a dû être étudiée plus tard.


Il

6° De la circonscription poétique de la donnée psychologique. —Négliger les éléments accessoires qui altèrent l’unité et lu simplicité de l’idée pre¬ mière, c’est-a-dirc de lu soulïrance murale résul¬ tant de l’impuissance avouée par la conscience. Tous les rôles sont trop forts, pas de rôle à prendre, pas de rôle ù jouer ; oisiveté, nullité, confusion, aigreur, colère, doute, énervement, fatigue, bien¬ veillance sénile, rassérènement, travail puéril et matériel, repos, oubli, ni trace, ni souvenir.


JOURNAL INTIME


153


P. S. Sympathie maladive excitée chez des âmes pareilles.

7° Que la raillerie voltairicnnc et l’crgoterie sco¬ lastique sont de trop et jurent avec la poésie des¬ criptive en présence de la nature extérieure, avec la poésie lyrique en présence des troubles de la con¬ science ; que la peinture de i’ume humaine et de ses émotions porte avec soi un caractère religieux et par conséquent exclut les subtilités dialectiques, h plus forte raison les plaisanteries des petits soupers.

8° Justesse des observations relatives à la vie domestique. Analogie avec les dernières pages de lu S outille Héloïse.

tl° Réalité saisissante mais souvent étroite ; étude curieuse et patiente, mais peu digérée et peu généralisée.

10° Qu’Obcrmnun n’est pas un livre, mais un recueil de pensées sans coordinal ion progressive* sans lignes extérieurement symétriques. Unité fatale et intime dUbermann. déroulement com¬ plet d’une destinée ; phases successives d’une douleur croissante et décroissante.


111

11® Conclusion. — Que le style d’Ubernianii réfléchit les qualités du poème ; que les beautés descriptives et lyriques, la tranquille majesté


JOURS* A I. INTlMi :


SM


de l’Flégic sont parfois troublées par l ’interven¬ tion de la discussion philosophique ou de l’ironie mondaine ; qu’il en résulte une guerre intestine entre les images sensibles, symboles vivante de In pensée, et les idées abstraites, résumés ina¬ nimés de l’étude solitaire.



G juin

1. Pourquoi 1804 a compris Obermann plus mal et plus obscurément que 1833.

2. Rareté mais profondeur des sympathies excitées par Obermann il y a vingt-neuf ans et jusqu’à nos jours.

3. Caractère noopathologiquc de notre époque.

4. Que le champ des douleurs observées et poétisées s’agrandit chaque jour. De la volonté sans puissance du mal LHia, de la médiocrité qui sc nie, etc.

5. De la littérature réelle qui s’en va et de la littérature idéale qui se prépare.


a F. R… 1

C’est vous dont r&me est forte et patiente, vous dont Ja tête est froide, vous dont la mémoire est pleine de la science du mal et du bicu, vous.


1. A FruncoU Itoillnat.


JOURNAL INTIME


155

homme obscur, laborieux, résigné, c’est vous qui êtes vertueux et qui brillez dans mes songes comme une étoile fixe parmi les vains météores de la nuit. C’est vous, homme purifié, homme letrcmpé, homme nouveau, dont je révais lorsque j’écrivis TrtnmorK

Par quelle liaison d’idées j’ai été de lui à vous, pourquoi j’ai comblé la distance qui vous séparait, homme réel, de ce personnage imaginaire par des lignes fantasques et des ornements capricieux. Pourquoi enfin j’ai altéré la pureté de mon modèle en le revêtant d’un éclat puéril et d’une vainc beauté du corps, c’est ce que vous devinerez peut-être, car pour moi je ne le sais plus.

Peut-être, en lisant avec un esprit tranquille ce que j’écrivis avec une âme préoccupée de sa propre douleur, retrouverez-vous, dans ce dédale de l’imagination, le fil mystérieux qui se rattache à votre destinée.

Moi qui ai vécu tant de vies, je ne sais plus à quel type de candeur ou de perversité appartient ma ressemblance. Quelques-uns diront que je suis I^lia, mais d’autres pourront se souvenir que je fus jadis Sténio. J’ai eu aussi des jours de dévotion peureuse, de désir passionné, de combat violent, d’austérité timorée oü j’ai été Magnus*.


1. L’un rie* pcrinn natte* de Lvlia<

2. Autre penoniutgc do Lclla.


Je puis être Tronnmr aussi. Ma g nus, c’est mon enfance ; Stenio, ma jeunesse ; Lélin, mon âge mûr ; Trenmor sera ma vieillesse peut-être.

Tous ces types ont été en moi. Toutes ces formes île l’esprit et du cœur, je les ai possédées & datè¬ rent* degrés, suivant le cours des uns et les vicis¬ situdes de In vie. Stcuio est ma crédulité, mon inexpérience, mon pieux rigorisme, mou attente craintive et ardente de l’avenir, nm faiblesse déplorable dans la lutte terrible qui sépare les deux jeunesses de l’homme. Eh bien, ce calque n’est pas encore épuise entièrement. Encore maintenant je retrouve de ces puériles grandeurs et de cette candeur funeste, quelques heurts de plus en plus rares et passagères.

Mugnua, avec ses irréalisables besoins, avec sa destinée de fer et son éternel appétit de l’impos¬ sible, représente encore une douleur énergique, combattue, réprimée, que j’ai subie longtemps dans sa force et dont je ressens encore parfois les lointaines atteintes.

Trenmor, c’est ce beau rêve de sérénité philo¬ sophique, d’impassible résignation dont je me suis souvent bercée quand mn rude destinée me laissait un instant de relâche pour respirer et songer ù de» temps calmes, à des jours meilleurs.

A vos côtés, mon ami, j’étais Trenmor, j’étais vous. En contemplant le mugnilique spectacle d’une grande ûmc victorieuse de l’adversité, je


jornswi. ixTrvir :


1n7

m’identifiais à ce sublime repos de l’intelligence, j’aspirais aux mémos triomphes, aux mêmes satisfactions pures et sérieuses. Et vous, en ccou- tnnt le récit de sites travaux incessants, en voyant cette lutte journalière entre ma raison et mes vains désirs, vous deveniez, pour me comprendre, pour me plaindre, pour partager ma souffrance, un homme semblable à moi. Et vous aussi, Tren- inor, vous deveniez Lélia.

Car avant de vaincre vous avez combattu, vous avez traversé les orages de la vie. Vous avez subi les maux dont aujourd’hui voire amitié sainte cherche à nie guérir. Vous avez longtemps flotté entre un sublime rêve de votre sérénité présente et d’impuissantes aspirations vers les orages du passé. Vous avez été mal connu comme je Je suis aujourd’hui, inquiet, délivré, sanglant, en suspens entre les horreurs du suicide et l’éter¬ nelle paix du cloître.

Ainsi, nous avons tous deux reflété sans doute ces quatre diverses faces de la vie. Mais moi, pourtant, dirai-jc que j’ai été, que je suis, que je puis être Trenmor ? Hélas ! qu’elles ont été courtes mes heures de raison et de force ! Combien Dieu a été avare envers moi des consolations qu’il répand sur vous ! Combien je me suis laissé dévorer par cette soif de 1 *irréalisable que n’ont pas encore daigné éteindre les saintes rosées du Ciel !


.1 OU R N Al. INTIMF.



i :.« 


juin 1S&3.

Si vous ne m’avez pus aimé, c’est que je n’étais pus digne de vous ; aussi, bien loin d’cn avoir gnrdé du ressentiment, mon amour pour vou» sVn augmente. Vous n’étes pas descendue jus- <|irà moi ; votre supériorité sur moi vous est restée. C’est moi qui suis vaincu et humilié. Eh bien, j’accepte la honte de ce rôle et du fond de l’abjec¬ tion où je suis tombé, j’élève toujours vers vous la voix intérieure et secrète de mes plus purs désirs.

STÉNIO.


Lélia, votre finie est froide comme la pierre d’un tombeau. Si vous n’avez pas compris de quels dévouements j’étais capable, c’est que vous n’en fûtes jamais capable vous-méme. C’est que votre cœur fut aussi sec, aussi nul. dès vos jeunes années,. qu’il l’est aujourd’hui. Si vous craignez d’accepter mes sacrifices, c’est que la reconnaissance est un fardeau pour vous, ftgoîstct l’goïstcî

STÉNIO.


1H IC. Je ne sulk rten de tout cela. Je tuli le cypcét qui couvre kur* tomtw*. Toi, uwm nuit lldèle, rktt u’a Jauni U été plu* grand ni meilleur que toi, PrunfoU i loin mit.


JOURNAL INTIME


159


TRADUCTION

Voici le jour qui se lève, venez, la rosée va tomber, vous auriez froid peut-être. Non ! vous ne i raignex pas le froid, ni le brouillard pénétrant, ’Mais venez, c’est votre heure, la fenêtre est ouverte, il y a des fleurs ici, je vous attends.

Si vous ne venez pas bientôt je m’endormini, c’est rheure où l’on s’endort. Vous voici doncl Béni sois-tu, fils du ciel, donne-moi ton front ù baiser, tes cheveux noirs sur ma poitrine, tes cheveux qui ont une coudée de long.

Qu’un ange est beau le matin avec ses cheveux flottants ! Pourquoi les hommes n’ont-ils pas de Jougs cheveux ?

Vous qui n’avez pas de nom, venez vous asseoir à mon chevet. Vous ne parlez aucune langue, vous ne vous révélez par aucun mat. Que je vous aime ainsi, et que je vous comprends bien !

Ange silencieux, mettez votre main fraîche sur mon épaule, elle est chaude d’amour, tuais aucun homme u’y a posé su bouche : votre haleine parfumée, vos cheveux humides peuvent seuls la rafraîchir.

Quelles fleurs avez-vous sur le front et dans les mains ? Des fleurs inconnues, des fleurs plus belles qu’aucune femme de la terre. Ces parfums sont


ton


JOnWNAt. ÎNTTMR


enivrant*, mon ange, rèpnndcx-kssur moi. effeuille* sur moi votre couronne humide.

Mon nngc, c’est assez. Je mourrais. Je veux vivre demain et vous revoir, adieu. Ic jour grandit, partez vite, mon trésor, que personne ne vous . voie, car on vous volerait a moi et je serais obligée de me donner aux hommes.

Adieu, laisse-moi baiser ton cou de neige et ton front oü brille une étoile, donne-moi une plume de ton aile pour que je garde une preuve de ton passage, un souvenir de mon ivresse.

Pourquoi les hommes n’ont-ils pas des ailes pour venir le soir, pour s’envoler le malin ?

J’aime mieux Je duvet du chardon qu’un homme : on souffle sur lui et il sc perd dans le vague de l’air, l’autre ne sc subtilise et ne s’évapore pur aucun procédé.

Ange du matin, partez donc. Je m’endors, baisez-moi au front et faites que mon âme soit belle comme vous.


FRAGMENTS

DE

SOUVENIRS PERSONNELS (1833)


Je inc souviens que souvent j’allais passer d’insipides soirées chez des gens plus insipides encore. J’avais quelques lieues h faire pour rentrer chez moi et, toutes les semaines, il m’arrivait do me trouver seul sur la route, de minuit à deux heures du matin. C’étaient h peu prés les seules heures de rêverie et de solitude absolue qui pou¬ vaient trouver place dans une vie aussi assujettie que la mienne. Je réfléchissais alors h ma situa¬ tion, j’examinais ma destinée, j’interrogeais mon caractère et je le comparais h ceux dont j’étais entourée. Il me semblait bien qu’une énorme distance les séparait de moi. mais je me deman¬ dais si la même distance ne les isolait pas les uns

tl


1(12 .TOURNAI. INTIMft

des autres. Était-ce une preuve de leur grandeur individuelle que cette physionomie particulière h chacun deux ? Non, certes, car ils »c ressem¬ blaient tous par un point, la médiocrité. Quelle que fût leur faculté spéciale, elle était pauvre et avortée. Cette pensée me jetait dans un profond dégoût de moi-même. Qui me prouvera que je suis nu-dessus de ces gens-là. me disais-je ? Qu’ai-je fait qu’ils ne puissent faire ou qu’ils ne fassent peut-être mieux que moi s’ils en avaient envie ? Ces émotions qui me pénètrent, ces palpitations qui me surprennent, ce vague sentiment des arts et de la poésie, ces effusions religieuses, ce besoin * d’enthousiasme, ces larmes dont mon cœur est plein et qui se répandent sur les moindres objets «pii me frappent, qu’est-co que tout cela, sinon comme le dit C… une conséquence naturelle du tempérament bilieux modifié par une disposition accidentellement névralgique. Il me semble bien que je ne vis pas comme les autres. J’ai plus de sensibilité que celui-ci, plus d’énergie que celui-là. J’ai plus étudié certaines choses qu’un tel, j’ai plus vécu en moins d’années que cet autre. Je crois que je suis pieuse et sccourable et je ne vois pas qu’ils le soient. Ils me raillent de faire le bien et je sens qu’ils ont tort. Ils me disent que je suis dupe et je sais que j’ai trouvé parfois d’inelTables jouissances dans les actes de ma piété. Et cepen¬ dant, à quoi licnt-il qu’ils ne inc surpassent pas


JOURXAI. INTIME

dans c« choses ? A un peu d’argeni que j’ai de i plus qu eux, & un certain besoin d’activité qui est en moi, ù l’inquiétude de mon esprit.

Ils sont pauvres, nonchalants, ou bien ils ont d autres devoirs, la nécessité de veiller & leurs affaires, les soins de leur famille, des infirmités, que sais-je ? Des empêchements fortuits et dont ils ne croient devoir aucun compte à leur conscience les retiennent en deçà de certaines limites de pru¬ dence et d’intérêts personnels que j’ai su franehir i arce que je l’ai pu. D’ailleurs, ce n’est pas à moi-même que je dois celte faculté de me eonsa- crer aux autre.*, c’est h J éducation que j’ai reçue,

« est aux principes quon m’a donnés. Élevé comme ces gen.vJâ j’eusse été semblable h eux. Kl. puis qui sait encore ? Ils font peut-être plus de bien que moi. Avec leur froide raison, leurs sèche* paroles et leurs ligures ingrates, ils ont peut-être trouvé le secret de remédier très cflka- ccmcnt h l’infortune d’autrui. Le moindre d’entre eux a peut-être plus de discernement que moi.

Il ne se laisse point tromper parce qu’il ne se ’jisse pas attendrir et moi qui me fatigue et me dépouille tout le jour, peut-être ceux que je suis forcée de refuser le soir sont-ils les seuls <juc j’aurais dû secourir. .Moi, je ne suis pas ffrand par mu vertu, mn bonté n’est que de la Uiblesse, mon dévouement, de la crédulité. Je •J ai ni force, ni pénétration. Comment serais-fn


16 ft


JOUNNAf. INTIME


doué d’une organisation supérieure ? en quoi donc ?

Je me sentais attristé et j’élevais mes regards vers le ciel. Je cherchai» Dieu dans le rayon d’une étoile et je me souviens que dans les sombres nuits d’automne je voyais des monceaux de nuages lourds courir sur ma tête et me voiler le firmament. Hélas, me disais-je, c’est ainsi que tu m’échappes toujours, ô toi que je poursuis. Dieu que je sert au hasard, mystère que j’ai embrassé comme une puissance réelle, rayon» insaisissables dont j’ai fait le flambeau de ma vie, où es-tu ? Mc vois-tu et m’entends-tu ? Je n’ai rien fait qui ait persuadé les hommes et je ne me suis pas persuadé moi- même de la bonté de ma vocation. Au moins, te suis-je agréable et dans ces ténèbres où je marche seul, ton œil veille-t-il sur moi ? Suis-je ton disciple et ton enfant, ou bien suis-je l’esclave de quelque penchant matériel, sans valeur et sans beauté ? Suts-je une Ame d’élite cliargéc par loi d’accomplir quelque sainte et douce mission sur la terre, ou bien, suis-je le jouet de quelque fantaisie romanesque éclose duns mon pauvre cerveau comme un germe que le vent promène dans l’espace et qu’il laisse tomber dans le premier endroit venu ?

Que m’importerait le regard du monde, si j’avais le tien ? Mai» rien, pas un mot, pu un encouragement 1 Pour qui s’use mu vie ? Pour-


.lOlTHNAi ; INTIME lf>6

quoi renoncer aux amusements et h l’oisiveté des riches pour souffrir le froid, la faiin et la fatigue ? Pourquoi errer la nuit le long des fou- drières sur un cheval fumant ? Pourquoi m’arra¬ cher à la bienfaisante chateur du sommeil pour me tremper dans le brouillard glacé du matin ? Pourquoi lutter contre le dégoût, l’ennui, les défaillances de l’estomac et l’assoupissement du cerveau, au chevet des inconnus ou des ingrats ? Pourquoi vivre dans le sang et dans l’ordure, les mains dans la sanie et les pieds dans la boue ? Ils disent que l’orgueil de mon âme me console. Quelles sont donc les jouissances de mon orgueil, û mon Dieu ? î.cs hommes ne me haïssent-ils pas de ce que j’agis autrement qu’eux ? Suis-je dupe des bénédictions de ces bandits malades qui m’assassineraient pour un louis d*or s’ils eu avaient la force ? Pourrais-je rencontrer sans danger, ici et à cette heure, le galérien â qui j’ai porté à manger ce matin sur la paille de sa prison ? Ne sais-je pas tout cela ? Ceux à qui je fais l’aumône le jour me volent pendant la nuit, ceux que je guéris et que je console me diffament et m’insul¬ tent. Ceux qui ne me connaissent pas écoutent le mal qu’on dit de moi et me jugent sans m’exa¬ miner. Je suis l’ennemi naturel de tous ceux qui ne me ressemblent pas. Et qu’ai-je donc pour ma consoler de mon isolement, pour me dédommager de mes souffrances ? Oû est l’ami qui



100 JOURNAL IMIiiu

ferait pour moi ce que je fat» pour le premier passant qui frappe à la porte ? Non, non. Ws hommes ne sont pas inet frères, je peux les secourir et les plaindre, je ne peux pas les aimer. Je pour- rais m’aimer moi-même, si tu me parlais, d mon r>ieu, si tu me disais que je suis bon et que j’accom¬ plis une tâche que tu m’as imposée. Hélas, si tu me disais seulement cela, tu pourrais me faire marcher toute ma vie dans un rude chemin sans m’accorder d’autre récompense. Je mourrai* content et je «aurais pas l’ambition folle de demander le ciel et 1 éternité si ta voix inc disait à ma dernière heure : va, mon fils, et dors en paix. Mais aussi, nous sommes trop abandonnés, ici-bas. Rien, rien, pas la face d’un ange, pas un rêve du ciel pendant mes tristes nuits, pas une voix, pas une ombre dans ces ténèbres où je m’égare.

Alors, accablé de désespoir, et me sentant presque fou, je lançais mon cheval nu hasard dans Ja nuit obscure. En sentant l’éperon s’enfoncer brusquement dan» son liane, il bondissait et se mettait 11 courir saisi de frayeur, les oreilles et les naseaux serrés. Alors, je traversais comme une flèche ces grandes rafales qui courent sur les plaines et qu’on eutend venir comme un torrent du bo tt de l’horizon. Quand elles passent sur un homme qui ne s’y ut tend pas, elles le renversent ou le forcent nu moins ix reculer. J’embrassais


JOURNAL INTIME


167


Je cou de mon cheval pour les affronter et lui, en les fendant de son poitrail, il frémivsait comme s’il eût été frappé par un fouet, nu milieu des tourbillons de feuilles sèches qui criaient en me tombant au visage.

Au milieu de ces bourrasques d’un vent lourd et tiède, il me semblait voir passer de grandes nuées blanches qui me voilaient un instant les \cux et me causaient des vertiges ; les jeunes )>cuplicrs qui bordaient le chemin se courbaient en sifflant jusque sur ma tête et, lorsque je tiu- versais un pont, le vent qui s’engouffrait sous les arches grondait sous mes pieds comme le tonnerre. J’aimais ces bruits de la tempête et cette course rapide et ce délire qui me transportaient en idée à la fut du monde. Alors, je criais comme un fou au milieu de l’orage : Me voici, me voici, c’est à mon tour d’être jugé.

Il y avait un endroit du chemin sinistre pour ma famille. C’était à un détour après le treizième peuplier ; mon père h peine plus Agé que je ne l’étais alors, revenant chez lui par une sombre nuit, y avait été renversé sur place. Quelquefois je m’y arrêtais pour évoquer sa mémoire et cher¬ cher au clair de la lune les traces imaginaires de son sang sur les cailloux. Le plus souvent, lorsque j’en approchais» je lançais mon cheval de toute sa vitesse et je lui lâchais les rênes en l’aiguil¬ lonnant à ce détour où le chemin se creusait et


IKK


JOUHNAL INTIME



rendait ma course dangereuse. Vous dirai-je ma folie ? J’espérai* forcer i’&me de mon père à sortir des voiles du monde invisible. J’affrontais un danger moins grand dans la réalité que dans 1 acception superstitieuse et je pensais qu’une mystérieuse sympathie devait au moins ramener autour «te moi, en ce lien, ce qui pouvait rester tic mon père s’il en restait quelque chose. Ilêlas, j appelais on vain les faibles émanations que l’air aurait pu conserver de cette âme aussi ardente, aussi orageuse, aussi souffrante que la mienne. Jamais l’air ne s’illumine d’un pâle reflet en cet endroit. C’est en vain que je retiens ma respiration et que. palpitant d’espoir et de terreur, j’attendais qu’il me criât : « Prends garde. « Ce mot était toujours dans mes oreilles quand je traversais 1 ombre grêle du peuplier. Il nie semblait que de son feuillage ou du sein de ses racines arrosées du même sang qui coulait dans mes veines allait sortir cette voix qu’on dit avoir été si semblable h la mienne. Je l’attendais, je l’appelais, mais je n’entendais jamais que le retentissement des pieds de mon cheval ou le bruit de la rivière qui faisait une petite chute non loin de hi.

Trop exalté pour me contenter de ce que m’offrait la vie réelle, trop hardi ou trop éclairé pour tomber sous le charme des croyances supersti¬ tieuses, je me débattais douloureusement. J’agis¬ sais conformément aux rêves de mon cerveau»


160


JOltilNAl. INTIME

aux élans de mon coeur. Je me retrouvais face à face avec la froide raison et mes réflexions étaient amères. Pour récompense de mon héroïsme domestique de tous les jours, je retombais sur moi-même le scalpel à la main et je fouillais mes entrailles pour y trouver le secret de ma destinée et celui de mon organisation. Quand je m étais fait bien souffrir, je m’arrêtais succombant sous la fatigue de l’esprit et reprenant le chemin des hôpitaux et des chaumières, je cherchais mon soulagement dans la fatigue du corps.

J’étais malheureux et j’étais vertueux aussi. Mais sans doute il y avait en moi une pensée qui me rongeait et dont j’aurais dû savoir m’affran¬ chir. Était-ce de l’ambition ? Non, ce ne l’était pas. Aujourd’hui que mon ambition devrait être satisfaite, je sais bien qu’il y a encore du vide dans mon ûme et que j’avais aspiré à quelque chose de mieux qu’aux applaudissements du monde. Ce qui me rongeait autrefois, ce qui me rongera toujours, c’est le besoin de sympathie.

Fatigué de m’agiter sans trouver d’accord possible entre les hommes et moi, désespéré de travailler sans établir de commerce entre mon ûmc et le ciel, j’élevais souvent le cri de ma détresse intérieure vers ce monde que je ne con¬ naissais pas et que je croyais renfermer tant de gloire» et de grandeurs. Je savais combien les hommes sont méchants, je no savais pas



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combien ils sont médiocres. J’avais vu dans les prisons et sous les guenilles de 1» misère pulluler nu soleil la lie de l’espèce humaine. Je savais combien les seigneurs de la terre sont égoïstes, avares et insensibles. Mais j ’espérait en une autre classe d’intelligences. Je croyais nu monde des arts, de la politesse et de l’éloquence. J’étais aussi naïf qu’un enfant sur cos choses-là. Les phrases du moindre cuistre m’arrachaient les larmes. Je rêvais un monde dans le moindre barbouillage de peinture et quand j’avais trouve dans mes douleurs une upostrophe scolastique à déclamer aux murs de ma chambre, je m’exal¬ tais dans le sentiment poétique de souffrances malheureusement trop réelles.

J étais convaincu qu’au delà des limites de ma vie de labeur et de renoncement, il existait une vie de choix, une société affable, élégante, éclairée, ou les êtres doués de quelque mérite pouvaient être accueillis et trouver à échanger leurs senti¬ ments et leurs idées. Je ne savais pas que le génie, soit qu’il vive enfermé dans une cellule ou qu’il se répande au dehors, marche toujours solitaire, comprimé, souffrant, méconnu. Je ne savais pas que rien de beau ni de noble ne se groupe autour des sommités intellectuelles et qu’il n’existe pas de hiérarchie morale acceptée par les hommes de talent.

Tous veulent être chefs. Que ceux qui se font esclaves sont des crétins et de» mendiant» dont


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les maîtres, tant qu’ils sont en présence les uns des autres, se saluent et s’observent et se haïssent.

Mon imagination se réfugiait pourtant dans ce inonde, le pire de tous, et si l’on m’eût dit quu je pourrais y avoir un jour une entrée, je me serais certainement mis, quoi qu’il pût m’en coûter, n apprendre l’orthographe. Mais je ne songeais qu’avec effroi à l’immense supériorité que le moindre rédacteur de feuilleton avait sur moi. Je prenais pour des poètes tous les gens qui fai¬ saient des vers et j’aurais fait dix lieues pour voir passer M. de Balzac.

Ces grandeurs m’effrayaient tellement que jamais l’idée ne me vint de faire un pas vers elles. Je me bornais a dire : * Heureux ceux qui ont le droit de faire autre chose que des actes de misé¬ ricorde, heureux ceux qui ont une plume à la main pour enseigner ou consoler. Ils font plus de bien dans une heure d’inspiration que moi dans ina vie de travail. Une idée énoncée, une page d’éloquence vont faire faire un pas à l’univers ; si j’ai sauvé la vie et l’honneur à une centaine d’individus je mourrai ayant fait tout ce que je pouvais faire. "

Eh bien, me disais-je, c’est toujours cela ; et je continuais.

Ce temps n’est certes pas le plus brillant de tu» vie. J’y ai souffert peut-être plus qu’aucun nuire. Je ne sais pourquoi c’est celui que je me rap(H :Lic avec le plus de complaisance. J’aime à y


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retrouver cette Jeunesse de l’esprit et du cœur que. l’injustice des hommes et du sort n’nvnit pus encore pu nétTÎr. Je me comparais dans la sincé¬ rité de mou cœur à des brutes que je voyais végéter autour de moi, et il m’arrivait dans k» doutes de mon ignorance et dans le vertige de mes rêveries de les croire supérieure* à moi par beaucoup d’endroits.Aujourd’hui, je sais que le monde est pavé de ces brutes et qu’on ne peut faire un pas sans en faire crier une. Je sais au juste ce qu’elles valent et je suis plus ù plaindre qu’au temps où je les examinais à la loupe, les prenant pour quelque chose, et où je les reposais à terre en disant : « Peut-être sont-ce là des hommes pour moi, je ne les vois pas et c’est ma faute, ■ A présent, je pense que ce n’était pas la peine d’ouvrir les yeux pour les voir.

la» grands hommes, oh, ceux qu’on appelle ainsi, me semblaient donc des géants. Pauvre infirmier . Je voyais tant de ruines humaines que le moindre bipède marchant sur ses pieds me sem¬ blait être un individu très heureux et très sain ; j’avais l’esprit tellement frappé de tout ce que je voyais d’abject et de déplorable que je serais devenu fou. Je me serais cru lépreux ou voleur moi- inéutc si le hasard ne m’eût tiré de cette situation.

Il est vrai que j’avais malgré tout des instants d’ivresse enthousiaste ; quelquefois je passais auprès d’un jardin de villageois et, de derrière


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)u haie vive qui le bordait, je contemplais la famille assise au soleil couchant ; je voyais de beaux enfants sauter sur les genoux du vieux laboureur encore vert La mère nourrissait un petit, le mari rentrait avec sa gerbe ou ses outils de travail sur l’épaule. Ces gens-là vivaient, mangeaient, riaient quelquefois et s’allaient cou¬ cher sous un toit que la pluie ne perçait plus. J’avais fait arranger cette maison, j’avais garanti ces enfants de la petite vérole ; j’avais prolongé la vie du grand-pére avec du vin vieux ; j’avais sauvé son fils qui, faute d’une saignée, allait mourir sur un sillon, à In moisson dernière. J’allais plus loin et je voyais un jeune homme allumer le feu et porter au lit sa mère paralytique. J’avais sauvé celui-ci de la conscription. Un autre ren¬ trait tout seul et se renfermait d’un air sombre dans sa cabane isolée. Celui-là n’avait assassiné personne sur le chemin et tant que je vivrais, il n’u&sassincratt pas ! Je haïssais les remercie¬ ments de ces gens-là, mais quand j’avais fait le tour d’un village sans être observé, je m’enfonçais dans le porche sombre cl désert d’une église rustique. Je voyais de loin quelques vieilles femmes agenouillées sur le seuil du cimetière réciter une prière pour les morts tout en filant leur quenouille, l^a lune se levait dans le ciel encore rouge derrière les arbustes des vergers et les toits moussus du village. Je pleurais alors parce que mon cœur


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journal intime


était plein. l : lf ait-ce de l’orgueil ? Peut-être* Mai» Dieu seul inc voyait et c’était bien le moins que pour tant de travaux accompli*. Je cher¬ chasse pour récompense un instant d’attendris¬ sement et de solitude.


24 juin IMS.

Sand. quand Lu récrivais, où donc Pavais-tu vue Cette scène terrible où Xoun à demi nue Sur le lit d’Indiana s’enivre avec Raimond ?

Qui donc te la dictait, cette page brûlante Où l’amour cherche en vain d’une main palpitante Le fantôme adoré de son illusion ?

En as-tu dans le cœur la triste expérience ?

Ce qu’éprouve Haimond te le rappelais- !u ?

Et tous ces sentiments d’une vague souffrance, Ccsplaisirs,cesbonhcurs,sipleinsd’unvideimmensr, As-lu révé cela. George, ou l’as-tu connu ?

N’cst-cc pas le Réel dans toute sa tristes**»’

Que cette pauvre Noun, les yeux baignés de pleurs. Versant h son ami le vin de sa maîtresse,

1. Ort ver» «ont rte 1» main »TÀlfl*d «le Maswt, écrit «  rtlrcctfmtnt »ur le graml album, page*


JOURNAL INTIME


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Croyant que le bonheur c’est une nuit d’ivresse, E ! que la volupté c’est le parfum des fleurs ?

Et cet être divin, cette femme angélique Que dans l’air embaumé Raimond voit voltiger, Cette pâle Indiann, dont la forme magique Erre sur les miroirs comme un spectre léger,

O George ! n’est-ce pas la pâle fiancée Dont l’ange du désir est l’immortel amant ? N’est-ce pas l’idéal, cette amour insensée Qui sur tous les amours plane éternellement ?

Ah ! malheur ù celui qui lui livre son âme !

Qui couvre de baisers sur le corps d’une femme Le fantôme d’une autre, et qui sur la beauté Veut boire l’idéal dans la réalité !

Malheur a l’imprudent qui, lorsqueXoun l’embrnssc. Peut penser autre chose en entrant dans son lit. Sinon que Noun est belle, et que le temps qui passe A compté sur ses doigts les heures de la nuit !

Demain viendra le jour, demain, désabusée,

Noun, la fidèle Noun. par sa douleur brisée. Rejoindra sous les eaux l’ombre d’Opliélia ;

Elle abandonnera celui qui la méprise ;

Et le coeur orgueilleux qui ne l’a pas comprise Aimera l’autre en vain» N’est-ce pas, Lélia ?


ALFRED DE UUSSET.


17$


JOURNAL 1NT1MK



PB MADAME ÜORTENSK ALLANT DE MÉMTCN» A GHORGC SAND

Xorbtay, 26 juillet JSSS.

A travers les idées vaines et légères qu’on sc forme des personnes qu’on connaît peu, je vous ni crue telle que vous dites, mais j’ai cru aussi que vous pouviez subir des influences passagères, qu’agrandissant les qualités. les esprits qui vous plaisent, vous vous rangiez quelque temps sous un charme de femme ou d’homme. Vous ne me semblcz pas avoir des idées arrêtées, mais plutôt des inspirations : ainsi, vous avez attaqué la société dans Jndiana, et dans Yalentinc vous cédez au public. M. Planche fait sur ce dernier roman uu article avec tous les préjugés de la morale ordinaire, et voilà votre hardiesse démentie. Je suis liée d’intimité avec plusieurs personnes sérieuses, et j’ai vu ce caractère chez plusieurs comme si la supériorité ne se souciait que de l’ins¬ piration, laissant la précision au vulgaire. Bien que vos ouvrages aient de la vigueur et par moment une éloquence et une force qu’aucun des hommes du moment n’égale, je vous croyais femme par le caractère, la douleur. Les anciens avaient dis écoles oh puiser le courage, l’union des ônics.


JOL’RNAt INTIME 177

l’estime de 5 hommes ; le christianisme détruit, nuus laisse faire le travail seuls ; les femmes fléchissent sous les ennuis profonds dont leur vie est entourée : celles qui sont ambitieuses se lassent à lire et à regarder ; celles qui ont de plus nobles passions ne trouvent pas où les placer. J avais compté sur vous pour améliorer un peu leur sort, car il dépend des femmes de le faire. .Te ne fais pas plus que vous cas de la vertu qu’on leur a prescrite, mais je ferais beaucoup de cas d’une vertu praticable et sans laquelle il n’est rien de beau sur Ja terre. La vertu pour les hommes et pour les femmes est à peu près, je crois, la même ; clic est enseignée par la nature, plus difficile et plus compliquée à mesure qu’on est plus élevé, mais seule heureuse et sûre. Ceci voudrait être développé, je ne le ferai pas, car vous diriez peut- être que je vous ennuie. 11 y a une partie de votre lettre que je n’ai pas bien comprise. Je ne revien¬ drais là-dessus que si vous trouviez que cela eu vaut la peine.

M. Béranger m’écrit qu’il attend Liiia avec impatience 1 C’est ce que fait le public et quoi que vous en disiez, je crois que le public s’y connaît bien. Recevez lu tendre expression de mes sen¬ timent s les plus distingués.

M,


lit


JO U ns AL INUMK


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DE GEOKOB SAND A HORTTiNSE ALLART DE MÊMiniNS

Juillet im.

Vous m’embarrassez, madame, avec vos ques¬ tions. Je tiens singulièrement à votre estime et pourtant je ne puis me décider h mentir pour la conserver. J’ai beaucoup d’ègoîsmc et de nonchalance et vous me forcer, h vous l’avouer. Je sais cc que les influences étrangères font à mon indifférence en matière de saint-simonisme, je crois qu elles n’y entrent pour rien. Je crois même n’avoir jamais songé à soulever une ques¬ tion pour ou contre la société dans Jndiana ou dans V aient inr. Pardonnez-moi ou anathè- matisez-moi, mais je suis forcée de le dire : la société est la moindre des choses que je liais ou que je méprise. L’homme livré h son instinct 11 e me paraît pas moins laid, ridicule cl sale que l’homme dressé à marcher sur les pieds de der¬ rière. Que puis-je ti cela ? Et puis, outre cette misanthropie qui va toujours croissant 6 mesure que je vieillis, je suis excessivement femme pour l’ignorance, l’inconséquence des idées, le défaut absolu de logique. Vous l’avez fort bien dit, je manque de précision et de suite. Cc n’est pas de In supériorité, croyez-ic bien, c’est l’infirmité


JOURNAL t NT I M K


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d’une nature passive et boiteuse. Je n’ai rien étudié, je ne sais rien, pas même ma langue. J’ai si peu d’exactitude dans le cerveau, que je n’ai jamais pu faire la moindre règle d’arithmétique. Voyez si avec cela je puis être utile à quelqu’un et trouver quelque idée salutaire et juste. Vous êtes très au-dessus de moi sous tous les rapports et notamment pour l’activité, la raison, l’intel¬ ligence et le savoir : je n’ai que des sensations, point de volonté. Pour quoi, pour qui en aurais-je ? Au delà de deux ou trois personnes, l’univers n existe pas pour moi. Vous voyez que je ne suis bonne à rien. Mais vous êtes bonne à tout et par votre talent et par votre caractère. Vous n’avez pas besoin de mou aide, gardez-moi seule¬ ment votre bienveillance, votre pitié pour ma nul¬ lité sociale et votre amitié pour m’en consoler. Ne poussez ainsi que les ômes grandes et fortes. La mienne ne l’est pas, mais j’admire ce qui est autrement que moi. Le fait des natures puissantes est de plaindre et de consoler ce qui est au-dessous. Faites du bien aux femmes en général par votre zèle et votre clmlcur de cœur, Xuites-cn à moi en particulier par votre douceur et votre tolérance.

Adieu, madame, reviendrez-vous bientôt ? Je suis toute à vous.

G. S.


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1*0

« Francueil, mon grand-père, disait un jour h Jean-Jacques : ■ — Allons aux Français, voulez/ vous ? — Allons, répondit Rousseau, cela nous fera toujours bâiller une heure ou deux. »* — C’est peut- être la seule réplique que Jean-Jacques ait eue dans sa sic, et encore n’est-elle pas énormément spirituelle. — C’est peut-être aussi ce soir-lâ, que Rousseau no/a trois livres dix sous à Francueil.

• Ne vous semble-t-il pas qu’il y eut de la part de Jean-Jacques une immense fatuité à sc confesser de cette prétendue escroquerie ? Francueil n’en a gardé aucun souvenir. Il pensait même que Rous¬ seau l’avait inventée pour proclamer les suscep¬ tibilités exquises de sa conscience, lion Jean- Jacques, il vous faudrait aujourd’hui faire claquer votre fouet un peu plus fort pour nous faire seu¬ lement dresser les oreilles. » (Tiré des notes de ma grand’mère *.)

Ma grand’mère. Aurore de Saxe, m’a souvent raconté sa première entrevue avec Rousseau. Dès lors il vivait sauvage et retiré, utlcint déjà do cette misanthropie maladive qui fut trop cruelle¬ ment raillée par ses amis paresseux et frivoles.

Mademoiselle de Saxe, veuve du comte de llorn, fils de Louis XV, venait d’épouser M. Dupin de Francueil, homme charmant do cette époque, qui n’a laissé d’autre trace dans les souvenirs

I. I)e la main du G. Sand.


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anecdotiques et littéraires du xviii® siècle que son intimité avec Jean-Jacques et son intrigue avec madame d’Épinay,

Depuis son mariage, madame de Francueil priait vivement son mari de lui faire connaître Jean-Jacques. Avant qu’elle eût réalisé ce désir, la Nouvelle Héloïse fut publiée et madame de Fran- cueil la dévora lout d’une haleine comme elle disait, oubliant, comme cette femme de la Cour dont parle Jean-Jacques, et Je bal pour lequel elle s’était parée et sa voiture qui l’attendait à la porte.

L’enthousiasme produit en elle par la lecture de Julie augmenta son désir de voir l’auteur, et Francueil courut chercher le philosophe, VOun sublime, comme on l’appelait dans la coterie. L’Ours sublime arrive, l’air demi-niais, demi- bourru. Il se laissa entraîner dans Je salon et s’assit dans un coin sans parler à personne, ne demandant pas oü était la maîtresse de la maison, en tout, cédant de fort mauvaise grâce û la curio¬ sité de cette femme dont il n’avait pas demandé ni l’àge, ni le caractère. De son cûté, elle ne se pressait pas de finir sa toilette, ignorant que Francueil avait réussi à enlever le solitaire, igno¬ rant qu’il était lû, quelle n’avait qu’un pas à faire pour le voir. Francueil ajoutant une délicatesse raffinée à son obligeance ne lu fit point avertir afin qu’elle eût tout le plaisir de la surprise. Enfin, la toilette est finie, la poudre blonde est


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•’OUItNAL INTIME


siméc sur les longs cheveux déroulé*, la robe de salin de Damas rayée de bleu et d’argent s’étale sur de très petits paniers. Ma grand’mcrc était belle comme un ange ü vingt-cinq ans, car elle 1 était encore à soixante-quinze ans morte, enve¬ loppée de son linceul et coiffée de son bonnet ù dentelles, blanche comme sa toilette funéraire, noble et sereine comme l’âme qui avait animé ce beau corps.

Elle entra dans le salon, elle vit un petit homme mal mis et renfrogné qui se levait lourdement, qui balbutiait des mots confus.

On lui avait tant de fois dépeint Jean-Jacques qu’elle le reconnut sur-le-champ. Elle voulut parler et fondit en larmes, Jean-Jacques, étourdi «le cet accueil, voulut la remercier et fondit en larmes. Francueil voulut leur remettre l’esprit par une plaisanterie et fondit en larmes. On essaya de dîner pour couper court à tous ces sanglots. Mais madame de Francueil ne put manger. Francueil n’eut point d’esprit et Jean- Jacques s’esquiva en sortant de table sans avoir dit un mot, mécontent peut-être d’avoir reçu un démenti â sa prétention d’être le plus persé¬ cuté, le plus haï et le plus calomnié des hommes*


JOVRNAL IXTIMF


m


1934.

Pourquoi cs-tu si belle, 6 Venise, et pour¬ quoi te fais-lu donc tant aimer de moi, quand je ne dois plus rien aimer sur la terre 4 ? O marbres sonores, échos de la joie, légers arceaux pleins de rires et de mélodies, ne sauriez-vous au travers de tous ces bruits, saisir et conserver quelque sanglot étouffé, quelque lugubre plainte qui me rappelât qu’il faut mourir ?

Venise, folle cité, toujours blanche, belle et rieuse au milieu des fers, n’es-tu qu’un insen¬ sible amas de murailles que frappent indifférem¬ ment les pleurs du désespoir et les cris de la débauche ? Sous ces dalles humides que bat le canal des prisons, la voix des agonisants est-elle éteinte pour toujours ? Et n’y a-t-il pas, sous les combles de plomb du palais ducal, une voix lamentable, un chœur de spectres errants qui de temps en temps s’élève au-dessus des fanfares du Bucentaure et des huées du Carnaval ? La voix des masques enrouée par l’ivresse ne sc glace- t-elle pas tout à coup, parfois, en passant sous le pont des Soupirs, à l’heure où l’ombre de Faliero descend lentement l’escalier des géants et s’assied, immobile, sur la dernière marche ?

Venise, Venise, ne sais-tu que rire et chanter ? N’as-tu d’écho que pour la folie, et les soupirs


181 JOirnNAL IN TIM ft

dci malheureux meurent-ils sur tes flancs de mnrhrc sans éveiller les fantdmcs de tant de douleurs, le souvenir de tant de cruelles tortures ensevelies dans ton sein mystérieux !

Oh ! taisez-vous, harmonies de la nuit ! Fer¬ mez-vous, briliantes croisées doti s’échappent les accords des instruments et les bruits du bal ! Frémissantes guitares l . ne courez pas ainsi le long des sombres murs ; chansons napolitaines, ne vous mêlez plus sur les flots du port aux bar- cnrollcs du rivage et aux ballades de la Tamise. Tais-tol aussi, hautbois mélancolique, qui semblés la voix d’un amant plus heureux et plus recueilli que les autres. Perds-toi là-bas sous ces pâles colonnades qu’enveloppe l’humide blancheur de la lune. Et toi aussi, suave cantique du pêcheur, cteins-toi avec la lampe qui tremble aux pieds de la Madone. Descends derrière les minarets d’ulbûtrc. lune voluptueuse qui semblés verser la langueur et l’amour avec les flols de ta molle lumière, cachc-tol dans de sombres nuées, quitte ces vapeurs d’argent où tu te voiles comme une courtisane sous sa mantille transparente. Tu es trop belle ainsi, û Venise, et c’est mourir deux fois que de mourir sous ton ciel.

Les autres villes sont, des tas de pierres séparées pur des ruisseaux de fange, habitées


1. Otuift le leste : Kultturei.


JOURNAL INTIME


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par des bruits rauques et des voix discordantes. Dans ces villes» la nuit est lugubre et les froides heures de l’aube en hiver invitent les malheureux â descendre dans la tombe. Quand le sommeil étend encore ses ailes pesantes sur les toits enfumés, quand tout est morne au dedans, une voix aigue perdue dans le lointain, un seul son aigre et plaintif, formé de tous les bruits du travail et de la misère qui s’éveillent dans la campagne, plane autour des pâles horizons et porte l’épou¬ vante dans le cœur de l’infortuné qui veille et qui doute.

Pour loi, Venise, la seule ville qui ne soit pas créée par la main, mais par l’esprit de l’homme, toi qui semblés faite pour servir de demeure tran¬ sitoire aux âmes des justes, et de degrés pour elles entre la terre et le ciel, murs qu’habitent les fées et qu’anime encore un souille magique, colon¬ nades aériennes qui tremblez dans la brume, aiguilles légères qui vous confondez avec les mâts flottants des navires, arcades qui semblés contenir mille voix pour répondre à chaque voix qui passe, myriades d’anges et de saints qui semblez bondir sur les coupoles et agiter vos ailes de marbre et de bronze quand la brise passe sur vos fronts humides, Venise qui ne gis pas comme un tombeau sur un sol morne et affaissé, mais qui semblés flotter comme une troupe de cygnes sur les ondes, cité vivante, parois mélodieuses qui écoutez et répondez.


186


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dalles palpitantes sous le pied rapide des amants, balcons retentissants de baisers, perspectives féeriques, ombres mouvantes, reflets trompeurs, ondes sillonnées de feux, nuits sans sommeil, hivers sans frimas, fêtes sans fatigues et sans lendemain, profondeur sans solitude, sans ténèbres et sans silence, être Immense, animé, sensible, Venise qui fus aimée et pleurée comme une femme, beauté qui embrasa des cerveaux et qui eut des amants, laisse-moi, ne me dis rien, ne m’appelle pas avec tes mille voix, ne m’enivre pas de tes mille séductions, fais-toi muette et sourde pour moi, ou bien ouvre ton passé aux mille cadavres qu’y a enfouis ta tyrannie et fais passer sous mes croisées une sanglante proces¬ sion de fantômes, une terrible psalmodie de san¬ glots afin que la mort me semble juste et accep¬ table, à moi qui suis jeune, qui aurais pu être heureux, qui méritais d’être aimé ; à moi qui suis seul, sans ami, sans espoir, sans amour, à moi qui suis ù Venise et qui vais mourir.


( 1831 .)


COMPLAINTE

HISTORIQUE ET VÉRITABLE

SUR LE F AREUX DUEL QUI A EU LIEU ENTRE PLUSIEURS HOMMES DF. PLUME

TRÈS INCONNUS DANS PARIS A L’OCCASION ü’UN LIVRE DONT IL A ÉTÉ BEAUCOUP PARLÉ DK DIFFÉRENTES MANIÈRES AINSI QU*IL EST RELATÉ DANS LA PRÉSENTE COMPLAINTE


A ir de ta Complainte du maréchal de Saxe .


I

Monsieur Capot de Feuillide Ayant insulté Lélia,

Monsieur Planche, ce jour-lù, S’éveilla fort intrépide.

Et fit preuve de valeur Entre midi et une heure.


\HH


JOURNAL INTIME


II

Il écrivit une lettre

Dana un fronçais très correct.

Se plaignant que sans respect On osa le méconnaître ;

Et plein d’indignation.

Il passa son pantalon.

III

Buloz, dedans sa chambreltc. Sommeillait, innocemment ;

Il s’éveille incontinent Et bâilla d’un air fort béto ; Lorsque Planche entra soudain. Un vieux journal à la main.

IV

Il avait trouvé en route. Monsieur Régnault tout crotté ; Après l’avoir consulté.

Comme il n’y comprenait goutte, II l’avait pris sous le bras Pour se sortir d’embarras.

V

Ayant écouté l’affaire,

Buloz dit : « Eu vérité,


JOURNAL INTIME


180


Ne soyez pas irrité.

Si je ne vous comprends guère,

C’est que j’ai l’esprit très lourd Et que je suis un peu sourd. »

VI

Alors Planche, tout en nage.

Leur dit : < C’est pourtant très clair : À l’Europe littéraire,

On doute de mon courage ;

Afin de le leur prouver.

Je suis venu vous trouver. «*

VII

Ils allèrent chez Lepage,

Pour chercher des pistolets.

Mais on leur dit qu’il fallait Mettre cent écus en gage ;

Alors Buloz, prudemment.

Dit : « Nous n’avons pas d’argent. •

VIII

Ils prirent les Daines blanches,

Pour s’en aller à Meudon,

Acheter des mirlitons.

Afin que Gustave Planche,

Pût faire baisser le ton A messieurs du feuilleton.


190


•)Oli UN AL INTIML



IX

L’ennemi se fit attendre Jusqu’à quatre heures un quart : Ce qui fut canulant. car Buloz brûlait de se rendre Chez madame Dudevant Qu’il aimait passionnément.

X

Enfin» dans un beau carrosse, Par deux beaux chevaux tiré, Feuillide parut, paré Comme pour un jour de noce ; De plus Lautour de Mczerai,

Et deux petits pistolets.


XJ

Alors les témoins tous quatre. Devant douner le signal. Retardent l’instant fatal,

Où l’on allait voir combattre Ces deux grands littérateurs. Qui faisaient frémir d’horreur.

XII

Régnault regardait ses bottes. Sans pouvoir trouver un mot.


JOURNAL INTIME


191


FeuUlide dit : « A propos.

Je vais ôter ma culotte.

Afin d’ètre plus dispos Et de n’ôtre pas capot. »

XIII

Buloz, s’asseyant par terre.

Saisi d’un effroi mortel.

S’écria : a Au nom du ciel,

Mes amis, qu’allcz-vous faire ? Que deviendra mon journal ?

Je m’en vais me trouver mal !

XIV

— Messieurs, écoutez de grâce, Dit Régnault aux assistants ;

Je ne suis pas éloquent.

Mais mettez-vous à ma place.

Je crois que certainement Nous sommes tous bons enfants I

XV

» Monsieur Planche a du courage. Et monsieur Feuillide aussi.

Pour nous, nous sommes ici . Pour empêcher le carnage ;

Votre journal est charmant.

Le nôtre pareillement 1


JOUKNAt. INTIMK


XVI

» Vous uvez raison côtière.

Et nous, nous n’avons pas tort. Vous ne craignez pas la mort,

Et nous ne la craignons guère.

Je crois sans vous offenser Qu’il est temps de s’embrasser.

XVII

—- Messieurs, c’est épouvantable ! Leur dit Buloz tout suant ;

George Sand assurément.

Est une femme agréable Et pleine d’honnêteté.

Car elle m’a résisté ! »

XVIII

— Messieurs, ce n’est pas pour elle. Dit Planche, que Je me bats.

J’ai ma raison pour cela ;

Je ne sais pas trop laquelle ;

Si je me bats c’est pour moi.

Je ne sais pas trop pourquoi. »


XIX

Buloz qui chargeait les armes. Avec du plomb à lapin,


JOURNAL INTIME


Le prit alors sur son sein,

Et le baigna de ses larmes.

En lui disant : « Mon enfant.

Vous ôtes trop véhément. »

XX

l’euillide le gigantesque.

Lui dit : « Monsieur, s’il vous plaît. Donnez-moi mon pistolet,

Tous ces discours*là me vesquent, Je ne viens pas de si loin Pour voir pleurer les témoins. »


XXI

Les combattants en présence. Firent feu des quatre pieds. Planche tira le premier,

A cent toises de distance ; Feuillide comme un éclair, Riposta cent pieds en l’air.

XXII

« Cessez cette boucherie. Crièrent les assistants.

C’est assez répandre un sang Précieux à la patrie !

Planche n lavé son affront Par sa détonation. ■


<3


194


.’ O U W N AI. INTIMK


XXI ! !

Dedans les bras de Fcuillide,

Planche s’élance h l’instant.

Et lui dit en sanglotant :

« Nous sommes deux intrépides.

Je suis satisfait vraiment,

Vous aussi probablement. »

XXIV

Alors ils se séparèrent.

Et depuis ce jour fameux.

Ils vécurent très heureux.

Et c’cst de cette manière,

Qu’on a enfin reconnu De George Sand la vertu.

Cette complainte m*a été adressée sous enve¬ loppe par la poste : écriture inconnue Elle m’a paru digne de figurer dans ce recueil d’autant plus que tout nie porte à croire qu’elle est de MM. Dcvigny et Urizcux 1 .

Celle méchanceté est restée ignorée. C’est ce qui doit la faire pardonner*.

( 18 - 17 .)

1. Annotation «le Cirorge Sand.

2. Autre annotation de (irorge Saml, cdlc-cl & 1 encra l»leue et poMèrieur* h l« première. Elle port* en tête de la rompt ni nie : Alfred de Maint.


AU HKINSBACH 7 AOUT 1831


Mon âme est devenue aussi pure que Ion onde, ô cascade de cristal qui descends de la mon¬ tagne verte. Ton chant perpétuel est une hymne uniforme et tranquille qui monte vers Dieu le jour et la nuit. Mon Ame élevé vers lui, désormais, une bénédiction sans transport que n’interrompent plus les cris de lu souffrance et les blasphèmes du désespoir. Tu tombes ici et tu t’arrêtes parmi ccs Ileurs, ù torrent fatigué. Je me suis reposé et le jour où j’ai senti que j’en avais fini avec les orages de la vie parmi les graviers du ravin et Jes flancs poudreux de la montagne, sur l’échine hérissée des rocs et dans les entrailles métalliques des cavernes, tu as amassé bien de la fange et bien des débris, mais tu as passé et tu as laissé tes souillures sur les rives, car ton onde est pure comme le cristal et mon Ame est pure à présent comme toi.

Genève. — Ce sont les bons et non les méchants qu’il faut craindre. La colère du juste est terrible, c’est la main de Dieu qui écrase ; la haine du pervers n’est que fastidieuse, c’est le blasphème inutile et sale du démon ; le juste est vaillant et implacable, riujuste est JAche et tortueux. Celui-ci travaille dix ans A commettre une iniquité qui avorte. Celui-là fait briller la vérité comme un


■clair et après dix ans de silence et de calme tue d*mi mot et d’un regard l’infâme qui a lassé sa patience.


1/ ? l* r octobre 1835. Commencement définit il d’une dépense modérée.

Établissement solide et constitutionnel de l’ordre public et particulier dans mes finances pour les mois d’octobre et de novembre.

DOIT AVOin

GÔÔO

Jean s’en alla comme il était venu.

Gcorgcus Sundiais inv. sc. dri 1 .


8 AVIUI. 1833 . NOUANT

Brise printanière que racontes-tu aux jasmins de ma croisée ? Que se passe-t-il au pays d’où tu viens ? Qu’as-tu appris dans les forêts, dans les vallées que tu traversais tout à l’heure ? As-tu entr’ouvert beaucoup de fleurs ? As-tu séché beaucoup de larmes ? Éveille si tu veux fhiron delle qui dort au coin de mu fenêtre, elle a des ailes et, comme toi, elle peut en un Instant aller

1. P*iuc Volante il ans lu Kliuul album.


.tournai. INTIME


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voir au delà des bleus horizons comment l’herbe pousse et comment ses sœurs se répondront. Mais ne viens pas ainsi briser mon front et mur¬ murer à mon oreille les paroles de je ne sais quel vague désir, car moi je suis captive et ne puis m’élancer avec toi dans les chomps de l’immensité. Jeune hirondelle, tu gazouilles au fond de ton nid, lu réponds à la brise qui t’appelle et t’invite. Que vas-tu faire ? Tes ailes sont à peine poussées. Eh quoi, tu te hasardes déjà ? Tu te laisses séduire ? Te voilà partie dès le matin, douce hôtesse qui sernblais devoir partager encore aujourd’hui ma retraite. Va donc, pauvrette ! Le ciel est si beau, l’air si suave ! Les oiseaux et les fleurs s’éveillent, comment ne serais-tu pas pressée de voir, de pos¬ séder et de vivre l

Te voilà balancée sur tes ailes débiles, impru¬ dente ! Te soutiendront-elles ? Oh ! oui, la brise te portera, la Providence l’a faite pour toi, comme elle a fait pour toi les insectes du marais et la glaise des rivages. Tu ne lui demandes que ce qu’elle te doit, aussi ne manque-t-elle jamais. Nature, belle Nature heureuse et féconde, si l’homme n’existait pas, ô Providence» mère uni¬ verselle, suis-jc donc le seul être que vous vouliez laisser périr ? Qu’ai-je fait pour languir et pour ne pas trouver le remède auprès de la blessure scion tes lois immuables ? Si mon cœur s’affecte pro¬ fondément |>our une cause légère, pourquoi ne


108


JOURNAL INTIME


trouverai-je pas la force de me consoler dans ce même cœur qui a la force de tant souffrir ! Il en doit être ainsi, mon Dieu : certainement si j écoutais bien ta voix qui parle (t toute la nature une langue universelle, si je ne fermais pas stupidement l’oreille fi cette grande parole de vie qui m’est criée par toute la création, mon finie s’élancerait dans l’espoir et dans l’avenir comme l’hirondelle dans l’espace et dans la brise. Parle- moi donc, ô Providence l Je t’écoute & genoux, parle-moi par tous tes organes, par tous tes signes, par toutes tes productions.

Brise* dis-inoi ce que tu as dit à l’hirondelle et qui lui u donne tant de confiance qu’elle a quitté son nid sans connaître encore l’usiige de ses ailes. I lirondellc, appelle-moi du haut des airs ! Murmures des bois cl des eaux, racontez-moi les secrets d’amour et de vie que vous cachez dans votre sein ! O Naturel O ma mère, ô ma sœur, aide-moi ù vivre !


LETTRE AU RÉDACTEUR DU t JOURNAL DE L’iNDRL •


Monsieur,


9 septembre 1836.


Un oracle don ! la signature ne Irnhit pas l’inco¬ gnito attaque brutalement dans le feuilleton


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199


de votre journal la moralité de mes livres. J’aban¬ donne à la critique tous mes défauts et toutes les obscurités de mon raisonnement. Mais, dans cette province qui est ma patrie d’adoption, je défends à tout adulateur des abus de la société de me choisir pour holocauste lorsqu’il lui plaît d’offrir un hommage aux puissances qu’il veut sc rendre favorables, soit pour se faire un nom à défaut de talent, soit pour obtenir des protec¬ tions dans ce monde qui se paye souvent de décla¬ mations à défaut de preuves.

Un de nos plus beaux talents écrivait il y a quelques semaines : Il est décourageant d’ écrire pour des gens qui ne savent pas tire. Je sais quelque chose de plus fâcheux, c’est d’écrire pour les gens qui ne veulent pas lire. La profession de tout jour¬ naliste aux gages de l’état social, l’investit du droit de connaître la pensée d’un auteur rien qu’en regardant la couleur de la couverture du livre. Le public le sait aussi, c’est au public que j’en appelle pour repousser les interprétations malpropres du chaste critique qui prétend avoir saisi le résultat et le but dêfinUil de tous mes ouvrages : je déclare ici que ce juge éclairé d ’lndiana % de Yalentine, de Ldia et de Jacques n’a ni compris, ni lu aucun de ces livres.

Si la franchise de ce démenti le blesse, mon sexe ne me |>ermcttant pas de lui donner ou de lui demander réparation, j’institue mon défenseur


JOURNAL INTIME



  • 2iwi


tout mien compatriote, homme de coeur et tir conscience qui &c trouvera devant lui.

J*ai l’honneur d’être, etc…

O KO MC, F- 5ANI>.


POUR LE BOLÉRO DK FAVALE

Nos compagnons s’en vont dans la clairière Danser gaiement sur la mousse des bois.

Unis, Diego, ta voix qui nous est chère Aux sons du luth qui frémit sons mes doigts

Seuls au milieu de la joyeuse bande.

Nous échangeons un regard douloureux.

Pressons encor la folle sarabande.

Pauvre Diego, nos amis sont heureux.

Hire et danser ne nous fait pas envie.

Pleurons ensemble et nos pleurs seront doux, Chantons pour eux et que pour eux la vie,

Mon cher Diego, soit meilleure qu’à nous.

Mauvais vers, mais bons sentiments, soyez pré¬ servés du feu *.


1 . AimoUtlmi <U* S4111I.


<UC7.)


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201


ALFRED DK MUSSET*

I

Heureuxl’hoinnieau cœur pur qui peut, lorsqu’il se couche, S’endormir sans Janin, sans Pyat et sans Gozlan,

Qui contemple du port les phrases de Lntouchc Et les bons mots de Roqueplan !

Qui lit Charles Nodier sans comprendre une ligne.

Qui respecte Ballanche et qui ne l’ouvre pas.

Et qui ne pêche pas une idée à la ligne

Dans ce fleuve d’oubli qu’on nomme IJts Débats !

Qui ne sc doute point du nom de Lacordaire !

Qui laisserait plutôt guillotiner Ampère Que d’aller voir Bocage exalté par Dumas Nasiller l’adultère en se tordant les brasl Qui ne sait pas les goûts de monsieur de Custine !

Qui laisse George Sand au fond de sa cuisine Ascétiser son siècle une broche à la main !

Qui ne s’étonne pas lorsque Gustave Planche Pour aller chez Gérard met sa chemise blanche Et qui voit sans pâlir Bccquet cuver son vin !

1. Ces ver* sont transcrit* *ur l’album de la main de George Sand, et le nom Inscrit (encre bleue) en tôle «b* la pièce de ver* est postérieur aux deux autre* liucriptlnri* boule* qui vont de même écrllure que la pièce de ver*

( 1834 - 1836 ).


202


JOURNAL INTIME


II

I Icurcux l’homme innocent qui ripaille et qui fume Lorsque Victor Hugo fait sonner dans la brume Les quatre pieds fourbus du cheval éreinté Qui le porte en famille a I*immortalité.

I Icurcux celui qui dort quand Prosjier Mérimée, Un genou dans ses mains, absorbant sa fumée. Mord d’un air byronicn son cigare en papier,

Et, du fond caverneux de son col de chemise. Décoche en souriant l’anecdote concise.

Dont le trait satanique égaye le foyer !

III

Heureux qui, dans le vague, où Sénancour barbote S’inquiète aussi peu du sens de ses écrits,

Que de cc qu’il pensait en étant sa culotte.

Sur l’herbe courte du Titlisî I Icurcux qui n’a pas vu le pensif Sainte-Beuve, Pour son cœur dévoyé cherchant une âme sœur. Durant les soirs d’été, répandre comme un fleuve. Scs mystiques sermons et sa molle sueur 1 Heureux qui n’a pas vu Balzac le drolatique.

Urc en bavant partout la Femme de ternie ans,

EL tout ébouriflé de sa verve lubrique.

De romans inconnus foirant une fabrique. Cracher au Irait linal scs trois dernières dents 1


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203


IV

Heureux qui n’a pas vu, le soir, dans la coulisse» Errer sur les débris d’un proverbe tombé,

Le pâle Devigny, vieux cygne en pain d’épice, Promenant son œil sombre et ses bons mots d’abbé, Heureux l’homme robuste, à la narine austère. Qui peut avec Buloz causer une heure entière. Sans faire un haut-lc-cœur et sc boucher le nez ! Celui-là peut sur lui voir tomber le tonnerre»

Et descendre sans peur dans les commodités !

Cette revue romantique est attribuée générale¬ ment à M. de Chateaubriand l .

Cela fut fait en riant, sans malice ni aversion contre personne, et cela resta ignoré*.


JULES JANIN A GEORGE SAND *

18 lévrier 1837 .

Madame George Sand à la Chaire (Indre). Poste restante, Jutes Janin.

Vous savez bien que vos moindres désirs sont des ordres pour moi. Vous ne les eussiez pas écrits

t. Même écriture, même date que Ia transcription *ur le cahkr.

2. Inscription postérieure.

5. La lettre est autographe et Intercalé* dan» l’album.


JOIWINAI INTIM K


2tn

que je me serais souvenu de votre bonne volonté pour Calamatta. Ce pur chef-dVuvrft ne serait pas un chef-d’œuvre pour tout le monde qu’il serait encore un chef-d’œuvre pour moi. Mais faites mieux ; puisque vous portez à l’homme et â son œuvre un si vif intérêt, vous avez. Dieu merci, une plume toute-puissante, écrivez vous- même le bel éloge que vous demandez et comme vous le ferez, l’éloge sera imprimé dans le Journal lies Débats qui vous aime comme un noble enfant égaré. Personne mieux que vous ne comprend cette grande pureté de l’art de Haphaël dont M. Ingres est le copiste original, si je puis parler ainsi. Pourquoi donc emprunter une plume étrangère ? Pourquoi faire célébrer votre idéal par un profane ? Vous avez la plume A la main !

Vous rappelez-vous le jour où vous étiez chez moi, dans un découragement encore plus grand qu’à l’ordinaire ? Je vous donnai ce jour-là un bon conseil dont vous n’avez pas profité. Je vous disais que votre grand esprit, pour arriver à tout son développement, avait besoin d une chose qui lui a manqué : l’autorité.

Tant qu’une règle quelconque ne vous sera pas imposée, vous ne saurez jamais toute votre valeur, le monde l’ignorera toujours et peut-être mourrez- vous nuis avoir su tout entier cet immense secret de talent et de gloire qui fermente dans votre sein. Kt en même temps je vous pro-


.Voir BN Al. INTIME


205

posai pour quille cl pour modérateur suprême l’esprit le plus noble, le plus intelligent cl le plus indulgent de ce temps-ci. M. Berlin l’Aîné : il est l’homme le plus excellent que je connaisse. Il a été le premier conseil de M. de Chateaubriand. Les Martyrs, Mal a, René, ont été corrigés de sa main. Il a gardé pour lui toutes les bonnes traditions du xvm" siècle, vous ne pouviez désirer un maître meilleur, vous qui avez tant besoin d’un maître.

Mais non, vous avez une … 1 inquiétude, de liberté qui ne vous permet pas d’écouter longtemps des conseils prudents et désintéressés. Votre bonheur, c’est d’aller toujours au hasard, sans but et sans plan, avec la première révolte venue qui sc rencontre en votre chemin pour vous prendre en croupe et se précipiter avec vous dans le même fossé. Vous voulez être votre maître absolu, pauvre grand esprit que vous êtes, et vous ne croyez pas que pour éviter un noble joug vous vous mettez souvent à obéir il des volontés indignes d’approcher de la vôtre.

Où ne seriez-vous pas aujourd’hui si vous aviez eu sans cesse à vos côtés une intelligence éclairée et. bienveillante et désintéressée pour vous guider, pour vous encourager, pour vous applaudir, un guide sûr et dévoué mais inflexible.

Tout au rebours, pendant que vous vous révol-


1. Mot UtUiblc.


JonnNAt. intime

liez contre une obéissance salutaire, vous cour¬ biez In tiMu sous le joug d’un homme qui vous exploitait comme fuit un manuiit d’une terre en friche. Cet éditeur que vous ave* là et dont vous avez raison de vous plaindre, il a abusé de vous de toutes les maniérés. Il vous n mêlé, vous si bon et si inofTcnsif, à toutes ses haines, à toutes ses maladresses, à toutes ses inepties. Cet homme n fait de vous un journal, un livre, une reliure, tout ce qu’il n pu en faire. Il vous a compromis autant qu’il a pu dans toutes ses vilenies poli¬ tiques et littéraires.

Vous dites que vos livres vont bien lentement, je le crois bien pardieu, sous lin pareil cxpk»i- tateur. Ne voyez-vous pas que cela est la justice littéraire, de toutes les justices la plus injuste, que vous-même cl vos œuvres vous êtes enveloppés sans pitié, dans l’anathème universel dont ce marchand de livres est l’objet. Cet homme, en effet, a l’habitude de maltraiter dans sa llcvue tous les livres dont il n’est pas le bon marchand. Il faudrait aux écrivains ainsi attaqués plus que de la vertu, il leur faudrait un talent supérieur au votre pour ne pas se ressentir de cette injure quand cet homme, redevenu marchand de livres, met en vente sa marchandise ; ce qu’on ne ferait pas contre vous, on le ferait volontiers contre lui. Si Jndlana n’était pas Indiana . si Valcnline n’était pas Valentine ; alors tout ce qu’on peut


JOURNAL INTIME


207


faire pour la marchandise de cc drôle quand cette marchandise est signée George Sand, c’est de garder le silence. Et voilà justement pourquoi l annonce d une édition de vos œuvres qui est un véritable événement littéraire a eu si peu de retentissement dans le monde ; moi-même qui vous ai en si grande passion, moi qui vous regarde comme un maître, j aurais déjà parlé île l’œuvre de George Sand si je n avais pas eu peur de rendre service à votre marchand. C’est malheureux à dire, mais voilà le fait.

I) où je conclus que celte fois vous avez raison et (|u il faut vous séparer de cet homme et que c est une honte de lui appartenir et une misère.

J ai été si louché des deux ou trois mots que vous dites que si j’avais eu mille francs je vous les aurais envoyés sur l’heure. Il ne faul pas que vous ayez besoin d’argent au milieu de tant de richesses. Il ne faut pas que d’autres inquiétudes soient ajoutées à toutes vos agitations. Puisque cet homme qui vous lient si bien consent à vous lâcher, nous allons nous occuper de vous arracher d’entre ses mains. J’ai des libraires qui feront peut-être votre aflatrc. J’en ai déjà parlé à Mau¬ rice Schlesinger qui est un homme habile et qui est maître en fait de succès. 11 a l’air fort disposé à devenir votre éditeur et en ce cas. je me char¬ gerais bien volontiers de corriger vos épreuves et vous pourrez être en repos. Ainsi donc, écrivez-


r 20H .IOUHSAl. INTIME

nous : 1° vos livre* parus, inédits — cc que vous devez à l’homme ce qu’il vous donnera en retour cl l’argent qu’il vous faut. Avez en moi toute confiance. Je ferai mieux que pour moi.

Pour en revenir au premier point de mon discours, je vous annoncerai que le Journal des Débats double son format. Vous auriez ht une belle position si vous vouliez. Des nouvelles de deorrje Sand ofi ses opinions ne seraient pas compromises mais oü son talent serait daus tout sou jour et dans son plus bel éclat seraient, je pense, acceptées avec empressement. Jugez de votre succès en pensant au succès que vous avez eu avec la petite publicité des Peux Mondes ! Que je voudrais vous voir des ndtres, conseillée par Bertin, adoptée de cet admirable public du Journal des Débats/ Vous ave* beau vous débattre : votre avenir est ht ; il n’y a que là que vous trouverez une position digne de vous, et avec cette position, le calme, la paix, le repos, tout cc qui vous manque. Que votre génie vous conseille !

J’ai lu avec bien de la peine votre premier article avec M. de la Mennais. M. de la Menais est un noble esprit, mais un esprit malade ; il a toutes sortes d’attitudes qui le feront vivre et le soutiendront, mais qui ont été funestes à ses voisins. Que de jeunes cl virils talents se sont écartés en chemin, rien qu’à vouloir le suivre ! OU vous mènera-t-il 4 ? A quel résultat ou plulM


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à quel abîme ? Pourquoi vouloir vous attacher à une publication dont il aura tout l’honneur et qui s’arrêtera infailliblement le jour où il s’arrêtera ? Pourquoi vous laisser livrer à cette remorque indomptée ? Vous voyez comme je vous aime ; je deviens grave pour vous, et voilà que je m’amuse à vous prêcher ! C’est que voire lettre est si bonne, si amicale et ressemble si peu à votre exaltation habituelle quand vous écrivez à vos amis qu’il n’y avait pas d’autre réponse à vous faire, que celle que je vous fais là !

Adieu, je me suis mis en quête d’un petit chien, le père et la mère sont fort beaux, Us m’ont promis de se mettre à l’œuvre au premier jour. Annïs va bien, les enfants aussi. Mille tendresses de nous deux.

J. J AN IN 1 .


LETTRE A JULES JANIN

Vous êtes bien aimable de m’avoir répondu si vite et si consciencieusement, mon cher cama¬ rade. Je vous remercie de votre excellente dis¬ position pour Calnmaila . Mais j’avais envoyé mon mauvais feuilleton nu Monde lorsque j’ai

1. !>cs ilitlkuitc* nyant surgi mire (ieorge Surnl et la Hrvut drx brtix Manda. Julo .Innin uvalt proposé & la romuiM’üTc d’entrer aux Pébnt*,

«4


2H» JOURNAL INTIME

reçu votre lettre et je ne puis ni le reprendre, ni en recommencer un, car je suis stupide b ce genre de travail.

Ensuite je suis totalement incapable de tra¬ vailler dans les Débals. Je ne vous parle pas des opinions qui sont des choses sacrées même chez une femme, mais seulement à envisager la ques¬ tion littéraire, songez que je uni pas l’ombre d’esprit, que je suis lourde, prolixe, déclamatoire et que je n’ai aucune des conditions du journa¬ lisme ; ce que je fais maintenant au Monde, n’irait point aux Débals et, quant aux idées, n’v serait peut-être point admis. Comment voulez-vous, mon ami, qu on arrive dans un journal où vous écrivez et qu’on se risque sur un terrain où vous régnez incontestablement ! Je n’irni jamais me j»oser en rival de qui que ce soit. J’ai trop d’indolence pour cela et me poser en concurrent d’un souverain me convient encore moins. Je ne inc sens pas de force b lutter contre une gloire établie, qui sait si cette gloire que je salue avec tant de plaisir cl d’affection ne me deviendrait pas amère du moment quelle m’écra¬ serait. Ma foi non, je suis bien plus heureuse comme cela. LaUsez-moi mon petit coin. D ail¬ leurs je vous déclare sur rhoimeur que je n ai nas le moindre souci d’ambition, soit d’argent, «oit de réputation. J’ai produit tout ce que je pou- vais produire et je n’aspire plus qu* nie reposer


JOURNAL INTIME


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et â suspendre ma plume à côté de mn pipe. Je ne travaille pas dans le Monde. Je ne suis l’associée de personne, associée de l’abbé de Lamen¬ nais est un titre et un honneur qui ne peuvent ni aller» Je suis son dévoué serviteur, il est si bon et je 1 aime lant que je lui donnerais mitant d’onces de mon sang et de mon encre qu’il m en deman¬ dera, mais il ne m’en demandera guère car il n’a pas besoin de moi, Dieu merci. Je n’ai pas l’outrecuidance de croire que je Je sers autrement que pour donner par mon babil frivole quelques abonnés de plus à son journal, lequel journal durera ce qu’il voudra et me payera ce qu’il pourra. Je ne m’en soucie pas beaucoup. I/nbbé de Lamennais sera toujours l’abbé de Lamennais et il n y a ni conseil, ni direction, ni association possible pour faire de George autre chose qu’un très pauvre garçon. Je ne doute ni de la bonté de M. Berlin ui de sa sagesse, niais il n’y a pas de raison pour que j’aille sans aucun droit réclamer son vif intérêt. Mon genre de travail ne lui con¬ viendrait pas et j’ai la tête un peu dure, à présent que j’ai les cheveux blancs, pour acquérir la grâce, la concision et tout ce qu’il faudrait pour plaire à son public. Croyez-inoi, restons chacun chez nous. C’est l’ambition qui perd Us hommes . \V forçons point notre talent . Il ne faut faire en grand public que ce qu’on lait fort bien, etc,, voyez Sanclio Pança et ses trente mille proverbes,


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.lot ? fl N Ai. t N Tl MB


Tout mon désir est donc pour le moment ficht en une seule chose, c’est de vendre mon travail passé afin de n’avoir plus de travail futur à affronter. Vous n’imaginez pas. mon ami. quel dégoût m’inspire fl présent la littérature 0» mienne s’entend). J’aime In campagne de passion. J’ai comme vous tous les goûts du ménage, de l’inté¬ rieur, des chiens, des chats, des enfants par-dessus tout. Je ne suis plus jeune, j’ai besoin de dormir la nuit et de flâner tout le jour. Aidez-inoi à me tirer des pattes de Buloz et je vous bénirai tous les jours de ma vie et je vous ferai des manuscrits pour allumer votre pipe, etc. Je vous élèverai des lévriers et des chats angoras, et si vous voulez me donner votre petite fille en sevrage, je vous la rendrai belle et bien portante et méchante comme le diable, car je la gâterai insupportablement. Vous devez bien comprendre tout cela, mon Dieu, vous qui êtes si simple, si bon, si peu grand homme dans vos manières, si peu bel esprit, si différent de tous les autres de la critique. Vous avez subi votre succès plus que vous ne l’avez cherché. 11 a été grand, mais il n’eût été que médiocre, vous vous en seriez contenté avec cette aimable insouciance dont je fais tant de cas. Savez-vous ce que je prise au-dessus do tout le génie de rnm- vers. C’est la bonté et la simplicité. Mon ambition désormais r’ost de devenir bon enfant. J’ni vu que cela n’était pas facile, car cela est bien rare.


JOURNAL INTIME


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Pour voua débarrasser de mon bavardage je passe à l’article affaires puisque vous consentez ft vous charger des miennes, etc. Merci de vos bons conseils et de 1’intérét que vous me témoi¬ gnez si chaleureusement. Je voudrais avoir assez de valeur pour mériter votre zèle, mais je suis certain d’avoir assez de cœur pour reconnaître votre amitié.

Bien à vous.


A L’ABBÉ DE LAMENNAIS

28 février 1837.

Monsieur et excellent ami.

Vous m’avez entraînée sans le savoir sur un terrain difficile à tenir.

En commençant la Lellre à Marrie je me pro¬ mettais de me renfermer dans un cadre moins sérieux que celui o(i je me trouve aujourd’hui, malgré moi, poussée par l’invincible vouloir de ma pauvre réflexion. J’en suis effrayée car dans le peu d’heures que j’ai eu le bonheur de passer à vous écouter avec le respect et la véné¬ ration dont mon cœur est rempli pour vous, je n’ai jamais songé à vous demander le résultat de votre examen sur les questions avec lesquelles je me trouve aux prises aujourd’hui. Je ne sais


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JOUtt* AL IXTIML



môme pas si le sort actuel «les femmes vous a occupé au milieu de tant de préoccupations religieuses et politiques donl votre vie intellec¬ tuelle a été remplie. Ce qu’il y a de plus curieux en ecci, c’est que moi-môme qui ai écrit durant toute une vie littéraire sur ce sujet, sais à peine à quoi m’en tenir et ne m’étant jamais résumée, n’avant jamais rien conclu que de très vague, il m’arrive aujourd’hui de conclure d’inspiration sans trop savoir d’oü cela me vient, sans savoir le moins du inonde si je me trompe ou non. sans pouvoir m’empôchcr de conclure comme je fais et trouvant en moi je ne sais quelle certitude qui est peut-être une voix de la vérité et peut-être une voix impertinente de l’orgueil.

Pourtant me voilà lancée et j’éprouve le désir d’étendre cc cadre de lettres à Marrie tant que je pourrai y faire entrer de questions relatives aux femmes. Je voudrais parler de. tous les devoirs du mariage, de la maternité, etc., mais en plu¬ sieurs endroits je crains d’être emportée par ma pétulance naturelle plus loin que vous ne me permettez d’aller ; si je pouvais vous consulter d’avance, mais ai-je le temps de vous demander à chaque page de me tracer le chemin ? et avez- vous le temps de suffire à mon ignorance ? Non. le journal s’imprime, je suis accablée de mille autres soins et quand j’ai une heure le soir pour penser à Murcie, il faut produire et non chercher.


JOURNM. INTIME


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Apres tout, je ne suis peut-être pas capable de réfléchir davantage quoique le soir et toutes les fois (je devrais plutôt dire le peu de fois) qu’une bonne idée in’est venue, elle m’est tombée tics nues au moment où je m’y attendais le moins. Que faire donc ? Me livrerai-je à mon impulsion ? Ou bien vous prierai-je de jeter les yeux sur les mauvaises pages que j’envoie au journal ? Ce dernier moyen a bien des inconvénients, jamais une œuvre corrigée n’a d’unité. Mlle perd son ensemble, sa logique générale. Souvent en répa¬ rant un coin de mur on fait tomber toute une maison qui serait sur pied si on n’y avait pas touché.

Je crois que pour obvier à tous ces inconvénients il faut convenir de deux choses : c’est que je vous confesserai ici les principales hardiesses qui me passent par l’esprit et puis que vous m’autoriserez à écrire dans ma liberté sans trop vous soucier que je fasse quelques sottises de détail. Je ne sais pas bien jusqu’à quel point les gens du monde vous en rendraient responsable et je crois d’ailleurs que vous vous souciez fort peu des gens du monde, mais j’ai pour vous tant d’affection profonde, je me sens recommandée par une telle confiance cjue lors même que je serais certaine à part moi de n’avoir pas tort, je crois que je me soumettrais encore pour mériter de vous une poignée de main.

Pour vous dire en un mot toutes mes hardiesses.



  • 216 JOUItNAI. INT1MP.

elles tiendraient à réclamer le divorce dans le mariage. J*ai beau chercher le remède aux injus¬ tices sanglantes, aux misères sans fin. aux pas¬ sions souvent basses, remède qui trouble l’union des sexes, je n’y vois que la liberté de rompre et de reformer l’union conjugale. .Te ne serais pas d’avis qu’on pût le faire n In légère et sans des raisons moindres que celles dont on appuie la séparation légale aujourd’hui eu vigueur, mais (bien que, pour ma part, j’aimerais mieux passer 1« reste de ma vie dans un cachot que de me remarier), je sais ailleurs des affections si durables, si impé¬ rieuses que je ne vois rien daus l’ancienne loi civile qui puisse y mettre un frein solide, sans compter que ces affections deviennent plus fortes et plus dignes d’intérêt à mesure que l’intelli¬ gence humaine s’élève et s’épure, il est certain que, dans le passé, elle n’eût pu être enchaînée et l’ordre social en a été troublé. Ce désordre nu rien prouvé contre la loi, tant qu’il a été provoqué par le vice et la corruption. Mais des Ames fortes, des grands caractères d’un cœur plein de foi et de bonté ont été dominés par des passions qui sem¬ blaient descendre du ciel même. Que répondre û cela* ? Et comment écrire sur les femmes, sans débattre une question qu’elles posent en première ligne et qui occupe dans leur vie In première place ?

Croyez-moi, je le sais mieux que vous, et qtt une


JOURNAL INTIME


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seule fois le disciple ose dire : Maître, il y a par là des senliers oii vous n’avez point passé, des abîmes où votre œil n’a pas plongé. Vous avez vécu avec les anges, moi avec les hommes et les femmes. Je sais combien on souffre, combien on pèche, combien on a besoin d’une règle qui rende la vertu possible, et liez-vous à moi. personne ne cherche¬ rait avec plus de désir de la trouver, avec p*us de respect pour la vertu, avec moins de personnalité, car je ne chercherai jamais à pallier mes fautes passées et mon âge me permet d’envisager avec calme les orages qui pâlissent et meurent à mon horizon.

Répondez-moi un mot si vous me défendez d’aller plds avant, je terminerai les Lettres ù Morde où elles sont et je ferai toute autre chose que vous me commanderez, car je puis me taire sur bien des points et ne me crois pas appelée à rénover le monde.

Adieu père et ami, personne ne vous aime et ne vous respecte plus que moi.

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7 mai 1847.

Dieu bon, vous avez permis que cette âme froissée retrouvât un peu de vraie force, et des jours de calme.


1. Inscription de George Sand.


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!♦*’ ’I 1 ** me rongeait les entrailles a disparu. 

Quand je pense qu’un médecin intelligent eut pu. avec un régime si simple, in’ôter dix ans plus tôt cet amas de bile qui me brûlait le foie ! Il est vrai que je n’aurnis peut-être pas eu la raison et la patience de me soumettre à ce régime. Il a fallu pour cela qu’un de mes meilleurs amis devint un docteur habile, et que l’amitié me fit croire à la science.

Me voilà donc arrivée à quarante-trois ans avec une santé de fer, traversée par des indisposi¬ tions douloureuses, mais qui ne me donnent que quelques heures de spleen dissipées le lendemain ! Je remercie la Providence de m’avoir laissée guérir de cette sombre misanthropie. Ea souffrance physique, je l’accepte de grand cœur. Elle n’est pas mauvaise quand elle ne nous rend pas mauvais.

Cependant je suis condamnée à périr par le foie. Celui qui est mort, et qui était savant aussi et qui me connaissait bien me l’a prédit. Que cela arrive demain ou dans vingt ans, pou importe. J’aimerais assez que cc fût dans un an. encore mieux que ce fût dans un mois, si, dans un mois, Solange 1 et Augustine * sont mariées, car je ne peux pas dire que j’aie jamais aimé la vie. Je erois que je suis née avec l’impatience d’arriver à la mort. J’étais con-


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ü. fur Jeune pareille éloigner trciurllllu par clic.


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tente quand je me sentais mourir, il y a dix ans, c’était la seule joie, la seule force qui me fussent restées. Mais mon Ame se mourait la première et j’ai consenti à sauver mon corps pour sauver mon Ame.

Mon Ame se porte bien aujourd’hui et mon corps aussi. Je suis prête A mourir si l’on veut, mais mon Dieu ! je te demande de ne pas mourir en colère, et d’avoir un autre inal que celui du foie.

C’est pour cela que l’idée et l’envie du suicide me reviennent si fort depuis quelque temps. Il serait si bon de mourir dans le calme ! Est-il cer¬ tain que nous n’ayons pas ce droit-là ? Je croyais l’avoir, ce droit inaliénable, au temps de mon scep¬ ticisme, et si je n’en ai point usé, c’est que l’amour maternel me prescrivait d’élever mes enfants.

Les voilà bientôt qui n’ont, plus besoin de moi. Qui sait même, si ma mort ne leur serait pas plus utile aujourd’hui que ma vie ?

Mais Dieu, auquel j’ai toujours cru, même dans le temps où je ne l’aimais plus, Dieu que j’aime, aujourd’hui qu’il m’apparait sous l’idée de bonté infinie. Dieu, dans le sein duquel je veux retourner pour qu’il me fasse renaître meilleure, ne me rejel- tera-t-il pas dans une sorte de néant provisoire* si je dispose moi-même des jours qu’il m’a comptés ?

Dieu récompense et punit. Il ne connaît pas notre code, il n’y a point A son tribunal de peine de mort, ni de travaux forcés A perpétuité ; mais


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pourtant il récompense et punit, j en ni In con¬ viction. Je n’aurai* pas peur d’un peu de néant, c’est si bon et si désirable, le repos ! Mais il ne s’agit pas de ce que je crains ou désire dans ce qu’on appelle l’autre vie. 11 s’agit de ne pas déplaire à ce Dieu qui est bon, et que j’aime… O éclaire-moi, Lumière infinie ! Pourquoi os-tu permis que, des 1 âge le plus tendre, la mort me soit toujours apparue si belle et si riante ?


7 mai 1847 .

Je suis, par le fait, tout aussi malheureuse que je l’ai toujours été, et je le sens tout aussi vivement. Mais j’ai cessé de me plaindre à Dieu et aux hommes de mes souffrances. Je ne me révolte plus, je ne crois plus ù l’insensibilité du ciel et à l’incurable perversité des hommes. Je ne suis plus mécontente de moi-même.

J’ai tout expié, tout réparé, autant qu’il était en moi de le faire. Je me sens doeik* et résignée, ce qui ne m’empêche pas d’être très malheureuse, mais ce qui empêche ma souffrance d’être amère et nuisible. Dieu a donc fait pour moi tout cc qu il lui était possible de faire pour une créature de mon espèce, car il est la lui vivunlt* et cette loi qu’il ne nous appartient pas d’expliquer et de justifier, nous condamne â souffrir.


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APRÈS

LE COMPAGNON DU TOUR DE FRANCE 1

C’est une écriture inconnue, madame, mais soyez bonne et continuez. Je ne suis qu’un obscur ouvrier et cependant je désire vous parler ! non que je ne sache toujours me défendre d’aspirer à augmenter le nombre des personnes heureuses qui vous approchent. De telles douceurs sont faites pour d’autres, et si j’élfcve mon regard jusqu’à vous, je ne voudrais pas que le vôtre s’abaissât jusqu’à moi.

Mais, madame, si je respecte la cloison qui nous sépare, est-il mal d’écrire ? Riche et belle, pleine de charmes et rayonnante de renommée, beaucoup d’ambitions et de vanités ont sans doute conspiré pour votre ennui ; et vous devez tenir en mépris les tentatives insolentes et les importuns hom¬ mages. Cependant je ne inc suis pas arrêté, hn réfléchissant j’ai compris que vous ne pourriez être surprise. Le fait de 1 intelligence est de dis¬ tinguer. Ne suis-je pas sûr, moi, madame, de ne pas m’être trompé et de savoir qui vous êtes ?

Permettez donc à un homme qui s’est toujours abstenu d’adorations indiscrètes et qui, en ce momentsurtout, se seul respcctueux.de vous dire, madame, que vous lui sembler, un ange !

î I e lUr* eM de lu main de George Sand. Lu su^xtptioii de Ut totUe porte : * Madame Umtovant en ville ..



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Dans nos voies déserte* vous ôtes descendue et vous mordiez avec tunl de grâce que nos ca*un vous suivent. Beaucoup d’entre nous se sont informés de b morne tradition de notre caste et pas un ne se rappelle depuis les temps unciens une plus noble, une plus sereine apparition nu milieu de nous.

Les enfants du peuple sont donc devenus les vôtres ! Vos maternelles entrailles les adoptent et cet amour précieux autant qu’inespéré leur apporte la voix la plus douce pour les consoler et le génie le plus ferme pour les défendre.

Qui vous envoie, et d’où venez-vous, vous qui nous connaissez à peine et nous comblez en arri¬ vant ? De quel côté nous tourner pour remercier Dieu ?

Des gens à pensées suspectes et dont b langue doit être redoutée disent que l’art vous suscite. Quelque part vous vous êtes nommée vous-même artiste. Ahl madame, ne vous profanez pas ! Assez d’autres s’en chargent. PermeUez-notis de croire autrement. Le sol fangeux de l’urt ne vous a jamais portée ; votre pied ne s’y est pas sali. Au moins je l’affirme â mes frères reconnaissants que j’entretiens de vous et j’oserais, madame, le prouver à vous-même. On me croit parce qu’on suit que, inc disputant à ma tâche Journalière, j’ai longtemps veillé et pâti pour savoir enfin s’il convenait que les 111* du peuple allassent m* for-


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tifier et s’accroître pour leur affranchissement à celle alimentation de l’art aujourd’hui tant pré* «misée par les faux prophètes» Malgré les fumées enivrantes dégagées dans cette dangereuse expé¬ rience, la conscience m’a préservé et j’en suis sorti assez libre pour conseiller autour de moi qu’on ne mordît pas davantage dans ce pain plein de gravier.

Si cependant, madame, vous croyez avoir tra¬ versé les champs de l’art pour nous rencontrer, soyez encore bénie, soyez toujours aimée. Soyez aimée plus fort s’il se peut, pour les instincts, la lumière et le dévouement conservés pour nous dans ce cloaque île vanité et d’égoïsme où toute bonté s’aigrit, où tout sens s’égare, où toute clarté s’éteint.

Adieu, madame, et n’oubliez jamais pour votre tranquillité que si la malveillance mondaine par¬ fois vous cherche, la reconnaissance populaire pour toujours vous a trouvée.

Seule entre les philosophes et les artistes, vous qui n êtes ni l’un ni l’autre, quoique la sagesse et l’inspiration vous aient rendue bien grande, vous trouverez des bras et des courages aux jours des dangers dont Dieu vous gardera. Aussi vrai qu’au jour de votre mort, que Dieu qui nous aime vous enverra tard, il y aura de chastes et mâles poitrines déchirées.

Adieu, madame, que vos enfants vous cou-


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ronnent de joie et de fierté, que votre veille soit féconde, votre sommeil reposé, votre vie heureuse cl votre gloire, éternelle.

(Iæ seule lettre de cette nature qui m’ait jamais fait plaisir. Cent autres lettres étaient semblables quant au fond. Aucune n’a eu cette forme qui m’a touchée profondément. Je n’ai jamais su qui me l’avait écrite. Ami inconnu, je te remercie 1 2 î)


TBIANON*

J’ai chez nous, dans l’enclos, un bosqurt de charmille, D’érables, de tilleuls, d’un arpent tout au moins.

La mousse et la pervenche, au printemps la morille. Cachés sous le troène, y prospèrent sans soins.

C’est un endroit gentil, modeste, solitaire.

Où des recoins perdus entretiennent le frais.

Il est peuplé, pour moi, de mes songes discrets.

De souvenirs confus, dont j’aime le mystère.

1. Aiuiot.it Ion Ut George S»nd.

2. Écrit ver* 1850. Le nom Ut • Trianon * « «fté donne pur George Sa nd à un endroit du bort «le wn Jardin.* Notant, h ii rllt avait planté du buU et lait apporter «te» petit* roclunu