Discussion Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/178

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L’Empereur a dicté, dans le jardin, successivement à MM. de Montholon et Gourgaud, et de là a gagné l’allée favorite.

Il se trouvait fatigué, malade ; on a voulu gauchement lui présenter des femmes qui étaient venues se placer dans son chemin avec intention, ce qui l’a contrarié : il les a évitées.

Je lui ai parlé d’aller à cheval pour essayer de se distraire un peu ; nous avions trois chevaux à notre disposition depuis quelques jours ; l’Empereur m’a répondu qu’il ne pouvait se faire à l’idée d’avoir constamment un officier anglais à ses côtés ; qu’il renonçait décidément au cheval à ce prix, ajoutant que tout devait être calcul dans la vie, et que si le mal d’apercevoir son geôlier était plus grand que le bien que procurerait l’exercice, c’était un gain tout clair que d’y renoncer.

L’Empereur a peu dîné. Il s’est amusé au dessert à passer en revue les peintures de quelques assiettes de très belle porcelaine de Sèvres : ce sont des chefs-d’œuvre en ce genre, elles sont de trente napoléons pièce, et toutes relatives à des vues ou à des objets d’Égypte.

L’Empereur a fini par se rendre à son allée d’affection. Il s’était fort ennuyé tout le jour, disait-il. Après plusieurs conversations brisées et sans suite, il a regardé sa montre, et s’est trouvé tout joyeux de voir qu’il avait atteint dix heures et demie.

La température était délicieuse ; insensiblement l’Empereur s’était remis tout à fait. Il se plaignait de sa constitution, qui, bien que forte, le soumettait parfois au plus léger dérangement physique. Il se félicitait du reste que ses opinions morales fussent de nature à ne pas l’arrêter, quand, à l’imitation des anciens, il voudrait se soustraire aux dégoûts et aux traverses de la vie. Il disait qu’il n’entrevoyait pas parfois sans horreur le grand nombre d’années qu’il pouvait encore avoir à courir, ainsi que l’inutilité d’une longue vieillesse ; que s’il pouvait se dire que la France était heureuse, tranquille et sans besoin de lui, il aurait assez vécu.

Nous remontâmes, il était plus de minuit ; c’était une véritable victoire que d’avoir atteint cette heure tardive.



L’Empereur fait renvoyer les chevaux