Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/178

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toute routine, mais pourtant dans le genre de ces créations imprévues, lumineuses, utiles, qui caractérisent Votre Majesté, qu’elle seule peut faire écouter et savoir accomplir.

« Comment, disais-je allant sans doute au-delà des idées de l’interlocuteur anglais lui-même, Votre Majesté ne donnerait pas demain, si c’était en son pouvoir, tous les vaisseaux français pour racheter à la France la Belgique et la rive du Rhin ? Elle ne donnerait pas cent cinquante millions pour recevoir des dizaines de milliards ? Et quel marché du reste que celui qui procurerait aux deux peuples à la fois l’objet pour lequel l’un et l’autre se ruinent et s’entre-égorgent sans cesse depuis tant d’années ! marché qui réduirait ces deux peuples à avoir réellement besoin l’un de l’autre, au lieu d’être entretenus en une perpétuelle inimitié ? Ne serait-ce donc rien pour la France, reçue désormais dans toutes les colonies anglaises sur le pied des Anglais mêmes, que d’avoir ainsi sans coup férir la jouissance du commerce de toute la terre ? Ne serait-ce pas tout pour l’Angleterre que de s’assurer de son côté la souveraineté des mers, l’universalité du commerce, pour l’obtention et la conservation desquelles elle se met sans cesse en péril, en attachant désormais pour toujours à ce système la France, devenue le régulateur, l’arbitre même du continent ?

« À l’abri désormais de toute crainte, et forte de toutes les forces de sa compagne, l’Angleterre licencierait son armée pour prix du sacrifice que la France ferait de sa flotte ; elle pourrait même aussi réduire de beaucoup le nombre de ses vaisseaux ; alors elle paierait sa dette, allégerait ses peuples ; elle prospérerait ; et, loin de jalouser la France à l’avenir, on la verrait, une fois que le système serait compris et que les passions auraient fait place aux vrais intérêts, on la verrait travailler elle-même à son agrandissement continental, puisque la France ne serait plus alors que l’avant-garde dont elle, l’Angleterre, demeurerait les ressources et la réserve.

« L’unité de législation politique des deux peuples, leurs intérêts communs, des résultats si visiblement avantageux, achèveraient de suppléer dans ce plan à ce que les passions des gouvernants pourraient présenter d’obstacles ou de difficultés, etc., etc. »

L’Empereur m’écouta, mais ne répondit rien : rarement il se laisse pénétrer ou se prête à des conversations politiques. Il était fort tard, il se retira.


Contrariétés – Réflexions morales.


Mercredi 8, jeudi 9.

Je suis allé d’assez bonne heure chez M. Balcombe lui porter mes