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Discussion utilisateur:Aaaflyt/test

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LETTRES
DE
MADAME DE SÉVIGNÉ,
DE SA FAMILLE ET DE SES AMIS.


I. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[1]

JE vous dis encore une fois que nous ne nous entendons point, et vous êtes bien heureux d’être éloquent, car sans cela tout ce que vous m’avez mandé ne vaudroit guère. Quoique cela soit merveilleusement bien arrangé, je n’en suis pourtant pas effrayée, et je sens ma conscience si nette de ce que vous me dites, que je ne perds pas espérance de vous faire connoître sa pureté. C’est pourtant une chose impossible, si vous ne m’accordez une visite d’une demi-heure ; et je ne comprends pas par quel motif vous me la refusez si opiniâtrement. Je vous conjure encore une fois de venir ici, et puisque vous ne voulez pas que ce soit aujourd’hui, je vous supplie que ce soit demain. Si vous n’y venez pas, peut-être ne me fermerez-vous pas votre porte, et je vous poursuivrai de si près que vous serez contraint d’avouer que vous avez un peu de tort. Vous me voulez cependant faire passer pour ridicule, en me disant que vous n’êtes brouillé avec moi qu’à cause que vous êtes fâché de mon départ. Si cela étoit ainsi, je mériterois les Petites-Maisons et non pas votre haine ; mais il y a toute différence, et j’ai seulement peine à comprendre que, quand on aime une personne et qu’on la regrette, il faille, à cause de cela, lui faire froid au dernier point, les dernières fois que l’on la voit. Cela est une façon d’agir tout extraordinaire[2], et comme je n’y étois pas accoutumée, vous devez excuser ma surprise. Cependant je vous conjure de croire qu’il n’y a pas un de ces anciens et nouveaux amis dont vous me parlez, que j’estime ni que j’aime tant que vous. C’est pourquoi, devant que de vous perdre, donnez-moi la consolation de vous mettre dans votre tort, et de dire que c’est vous qui ne m’aimez plus.

Chantal.

2. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

C’est vous qui m’avez appris à parler de votre amitié comme d’une pauvre défunte, car pour moi, je ne m’en serois jamais avisée, en vous aimant comme je fais. Prenez-vous-en donc à vous de cette vilaine parole qui vous a déplu, et croyez que je ne puis avoir plus de joie que de savoir que vous conservez pour moi l’amitié que vous m’avez promise, et qu’elle est ressuscitée glorieusement. Adieu.

Marie Chantal.
Jeudi.

3. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[3]

Il y a trois semaines que je vous écrivis et vous envoyai trois ou quatre lettres de recommandation pour l’affaire de M. Levasseur. J’adressai le paquet droit chez vous, et comme je n’en ai point eu de réponse, j’en suis en peine et meurs de peur qu’il n’ait été perdu. Vous pouvez m’ôter d’inquiétude avec deux mots de votre main. Vous n’en aurez pas davantage pour aujourd’hui ; croyez seulement que je suis toujours la plus fidèle de vos servantes,

M. de Rabutin Chantal.

La suscription de ce billet est : À Monsieur, Monsieur Ménage.


1646

4. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN ET DE LENET[4] À MONSIEUR ET MADAME DE SÉVIGNÉ[5]

Au mois de mars 1646, étant à Paris, et me trouvant sur le point d’en partir pour venir chez moi me préparer à la campagne prochaine, Lenet, procureur général au parlement de Bourgogne, et fort de mes amis alors, vint souper avec moi pour me dire adieu ; et ne sachant à quoi passer le reste de la soirée, nous écrivîmes cette lettre en vers au marquis de Sévigné et à sa femme, qui étoient en Bretagne dans leur maison des Rochers[6].

À Paris, mars 1646.

Salut à vous, gens de campagne,
À vous, immeubles de Bretagne,
Attachés à votre maison
Au delà de toute raison :
Salut à tous deux, quoique indignes
De nos saluts et de ces lignes ;
Mais un vieux reste d’amitié
Nous fait avoir de vous pitié,
Voyant le plus beau de votre âge
Se passer en votre village,
Et que vous perdez aux Rochers
Des moments à tous autres chers.
Peut-être que vos cœurs tranquilles,
Censurant l’embarras des villes,
Goûtent aux champs en liberté
Le repos et l’oisiveté.

Peut-être aussi que le ménage
Que vous faites dans le village[7]
Fait aller votre revenu
Où jamais il ne fût venu :
Ce sont raisons fort pertinentes,
D’être aux champs pour doubler ses rentes,
D’entendre là parler de soi,
Conjointement avec le Roi,
Soit aux jours, ou bien à l`église,
Où le prêtre dit à sa guise :
« Nous prierons tous notre grand Dieu
Pour le Roi, et Monsieur du lieu ;
Nous prierons aussi pour Madame,
Qu`elle accouche sans sage-femme ;
Prions pour les nobles enfants
Qu’ils auront d’ici à cent ans.
Si quelqu’un veut prendre la ferme,
Monseigneur dit qu’elle est à terme,
Et que l’on s`assemble à midi.
Or disons tous De profundi
Pour tous mes seigneurs ses ancêtres, »
Quoiqu’ils soient en enfer peut-être.
Certes ce sont là des honneurs
Que l’on ne reçoit point ailleurs :
Sans compter l’octroi de la fête,
De lever tant sur chaque bête,
De donner des permissions,
D’être chef aux processions,
De commander que l’on s’amasse
Ou pour la pêche, ou pour la chasse ;
Rouer de coups qui ne fait pas
Corvée de charrue ou de bras ;

Donner à filer la poupée[8],
Où Madame n’est point trompée ;
Car on rend ribaine-ribon,
Plus qu’elle ne donne, dit-on.
L’ordre vouloit ribon-ribaine[9],
Mais d’ordre se rit notre veine ;
Et pour rimer à ce dit-on,
Elle renverse le dicton[10]


*5 — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ[11].

À la fin de cette campagne, je l’écrivis à la marquise de Sévigné, moitié vers et moitié prose.
Du camp de Hondscotte, ce 21e octobre 1646.

À vous qui aimez les détails, Madame, je m’en vais 1646 vous en faire un de notre campagne, c’est proprement à dire un éloge de Monsieur le Duc[12].

    Il fit d’abord le siége de Courtrai ;
    Il y signala sa prudence ;
    Sans elle (pour dire le vrai)
    Nous fussions retournés en France.
    Quoique tout cède à son grand cœur,
    Que rien n’égale sa valeur,
Peut-être en a-t-on vu jadis d’aussi brillante ;
    Mais il est encore inouï
    Qu’à l’âge où la bile régente,
On ait été jamais aussi prudent que lui.

Il est certain, ma chère cousine, qu’on n’a jamais vu tant de conduite avec tant de jeunesse.

    Après cette expédition,
    Nous marchâmes à la Bruyère,
    Pour y faire la jonction
    De ces gros avaleurs de bière.
  Un prisonnier nous dit d’un cœur sincère
Que l’Archiduc la veille opinoit au combat
    (Car c’est en ces grands coups d’Etat

Que le conseil d Espagne hasarde) ;
Mais qu’ayant su de grand matin
Que le Duc avoit l’avant-garde,
Il avoit changé de dessein.

Nous avions donné rendez-vous aux Hollandois au canal de Bruges, pour leur prêter six mille hommes, afin qu’ils en fissent une diversion considérable. Les ennemis, qui en voyoient la conséquence, s’étoient postés à l’entrée de la plaine, pour s’opposer à notre jonction ; mais la nouvelle qu’ils eurent que Monsieur le Duc avoit l’avant-garde, les obligea de se retirer sous les murailles de Bruges.

De la plaine marchant[13] et les jours et les nuits,
    Et par une chaleur mortelle,
      Un de mes meilleurs amis[14]
      M’engagea dans sa querelle.
    Quoique rien ne fût plus léger
  Que le sujet qui nous put obliger
    De faire voir notre courage,
    Mon ami deux fois se battit.
    La première j’eus l’avantage ;
Mais comme seul à seul il revint au conflit,
  Il fut tué, dont ce fut grand dommage.

Pour vous expliquer ceci un peu plus clairement, Madame, je vous dirai que le chevalier d’Isigny et moi nous eûmes querelle contre des officiers d’infanterie pour un verre d’eau. On l’appela, je le servis, et je désarmai mon homme. Le sien n’étant pas content, le refit appeler le lendemain, seul à seul, et le tua. 1646

À Bergues-Saint-Vinox on fit ces deux combats ;
      On en fit mêmes encor d’autres,
      Que je ne vous conterai pas,
      Comme moins sanglants que les nôtres ;
Mais enfin Saint-Vinox privé de tout secours
      Ne dura pas plus de deux jours ;
Et de là, de Mardick nous fîmes l’entreprise.
    Si Je voulois vous faire le portrait
Des hasards que courut le rince avant la prise,
        Je n’aurois jamais fait.
      Ce fut là que pour mon bonheur
      L’ennemi rasant la tranchée,
      Devant ce prince j’eus l’honneur
      De tirer une fois l’épée.
      Ce fut en cette occasion
      Qu’il fit lui-même une action
      Digne d’éternelle mémoire,
      Et que m’ayant d’honneur comblé,
      Il se déchargea de la gloire
      Dont il se trouvoit accablé.

Je ne vous saurois dire ma chère cousine, combien Monsieur le Duc prôna le peu que je fis en cette sortie ; mais ce qui la rendit plus considérable, ce furent les choses qu’il y fit, et la mort ou les blessures des gens de qualité qui s’y trouvèrent[15], et tout cela me fit honneur parce que je commandois en cette occasion.

Mardick enfin s’étant rendu,
Gastons[16] se retira rempli de renommée,

Mais il n’emporta pas ni toute la vertu,
      Ni tout le bonheur de l’armée.
      Le prince, malgré ce départ,
    En eut encore une assez bonne part ;
      Car, sans laisser reprendre haleine
      Aux ennemis qu’il insulta,
      A la barbe de Caracène[17]
      Il prit Furne et l’accommoda.

Pendant qu’il fortifioit cette place, il prit ses mesures avec la cour et avec les Hollandois, pour faire le siège de Dunkerque.

      La Rochelle des Pays-Bas,
      Cette inexorable pucelle
      Eut pour mon prince des appas
      Qui le firent amoureux d’elle.
      Cet amant par mille travaux
      Ota l’accès à ses rivaux
      Tant sur la terre que sur l’onde,
      Et pressa la place si fort
      Qu’il fit douter à tout le monde
    S’il n’iroit point de Dunkerque à Nieuports[18].

Il est vrai que ce siège alla fort vite, et que sans le mauvais temps nous aurions pu entreprendre encore quelque chose de considérable.

      Sans les eaux, le froid et le vent,
      Seules ressources de l’Espagne,
      Mon prince eût poussé plus avant,
      Ces merveilles de sa campagne.
Et moi, je finirois mes récits de combats
      Et l’éloge de Son Altesse,
      En vous parlant de ma tendresse,
      Si je n’étois un peu trop las.


1646

*6. — DE L’ABBÉ DE MONTREUIL
À MADAME DE SÉVIGNÉ[19].

Comme votre mérite ne sauroit demeurer longtemps en un lieu sans éclat, il court un bruit que vous êtes à Paris. Je ne le saurois croire ; c’est une des choses du monde que je souhaite le plus, et ces choses-là n’arrivent point. J’envoie pourtant au hasard savoir s’il est vrai, afin qu’en ce cas je ne sois plus malade. Ce ne sera pas le premier miracle que vous aurez fait : dans votre illustre race, on les sait faire de mère en fils. Vous savez que Mme de Chantal y étoit fort sujette ; et tous les honnêtes gens qui vous voient et qui vous entendent demeurent d’accord que Monsieur son fils, qui étoit votre père, a fait un grand miracle. Je vous supplie donc, si vous êtes de retour, de ne vous point faire celer, afin que tantôt j’aie le plaisir de me porter bien et l’honneur de vous voir : c’est une grâce que je crois mériter autant qu’autrefois, puisque je suis aussi étourdi, aussi fou, et disant les choses tout aussi mal à propos que jamais. Je ne songe pas qu’encore que je ne sois point changé, vous pourriez bien être changée, et au lieu de la lettre monosyllabe que je reçus de vous l’an passé, dans laquelle il y avoit Oui, m’en envoyer une de même longueur, où il y auroit Non. Mais Dieu sur tout : c’est une sentence que je viens de trouver dans mon almanach, en regardant quel jour nous avons du mois ; c’est le dix-neuvième. Je suis, avec tout le sérieux et tout le respect dont je suis capable (le premier n’est pas grand, l’autre si),

Votre très-humble serviteur.

J’ai oublié à mettre des Madame dans ma lettre ; et à présent que vous êtes lieutenante de Roi de Fougères[20], c’est une grande faute. Tenez donc, en voilà trois : distribuez-les aux endroits qui vous sembleront en avoir plus de besoin : Madame, Madame, Madame.


1648

7. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

L’année d’après, marchant en Catalogne avec la compagnie de chevau-légers d’ordonnance du prince de Condé, dont j’étois capitaine-lieutenant, je reçus à Valence cette lettre de la marquise de Sévigné.

Des Rochers, le 15e mars [1648].

Je vous trouve un plaisant mignon de ne m’avoir pas écrit depuis deux mois. Avez-vous oublié qui je suis, et le rang que je tiens dans la famille ? Ah ! vraiment petit cadet, je vous en ferai bien ressouvenir : si vous me fâchez, je vous réduirai au lambel[21]. Vous savez que je suis sur la fin d’une grossesse, et je ne trouve en vous non plus d’inquiétude de ma santé que si j’étois encore fille. Eh bien, je vous apprends, quand vous en devriez enrager, que je suis accouchée d’un garçon, à qui je vais faire sucer la haine contre vous avec le lait, et que j’en ferai encore bien d’autres, seulement pour vous faire des ennemis. Vous n’avez pas eu l’esprit d’en faire autant, le beau faiseur de filles[22].

Mais c’est assez vous cacher ma tendresse, mon cher cousin ; le naturel l’emporte sur la politique. J’avois envie de vous gronder de votre paresse depuis le commencement de ma lettre jusques à la fin ; mais je me fais trop de violence, et il en faut revenir à vous dire que M. de Sévigné et moi vous aimons fort, et que nous parlons souvent du plaisir qu’il y a d’être avec vous[23].



1648

8. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ[24]

Je fis aussitôt cette réponse à cette lettre.

Ce 12e avril [1648].

Pour répondre à votre lettre du 15e de mars, je vous dirai, Madame, que je m’aperçois que vous prenez une certaine habitude de me gourmander, qui a plus l’air de maîtresse que d’amie. Prenez garde à quoi vous vous engagez ; car enfin, quand je me serai une fois bien résolu à souffrir, je voudrai avoir les douceurs des amants, aussi bien que les rudesses. Je sais que vous êtes chef des armes, et que je dois du respect à cette qualité ; mais vous abusez un peu trop de mes soumissions. Il est vrai que vous êtes aussi prompte à vous apaiser qu’à vous mettre en colère, et que si vos lettres commencent par : Je vous trouve un plaisant mignon, elles finissent par : Nous vous aimons fort, M. de Sévigné et moi.

Au reste, ma belle cousine, je ne vous régale point sur la fécondité dont vous me menacez ; car, depuis la loi de grâce, on n’en a pas plus d’estime pour une femme, et quelques modernes même, fondés en expérience, en ont moins fait de cas. Tenez-vous-en donc, si vous m’en croyez, au garçon que vous venez de faire ; c’est une action bien louable, je vous avoue que je n’ai pas eu l’esprit d’en faire autant : aussi envié-je ce bonheur à M. de Sévigné plus que chose du monde.

J’ai fort souhaité que vous vinssiez tous deux à Paris quand j’y étois ; mais maintenant je serois bien fâché que vous y allassiez, c’est-à-dire que vous eussiez des plaisirs sans moi. Vous n’en avez déjà que trop en Bretagne.

Je m’accommode fort de M. de Launay Lyais[25] ; il recevra de moi toutes les assistances et tous les bons offices que je puis rendre auprès de Monsieur le Prince à un de mes amis ; il est honnête homme, et ma chère cousine me l’a recommandé : je vous laisse à penser si je le servirai.


9. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MONSIEUR
ET MADAME DE SÉVIGNÉ.

À la fin de 1648, étant allé avec Sévigné et sa femme à l’abbaye de Ferrières (près de Montargis, en Gâtinais) voir l’évêque de Chalon, notre oncle[26], je les y laissai, après y avoir été cinq ou six jours avec eux, et je m’en allai à Paris pour terminer une affaire que j’y avois. Deux jours après que j’y fus arrivé, je leur écrivis cette lettre.

À Paris, ce 15e novembre 1648.

J’ai voulu d’abord écrire à chacun de vous en particulier ; mais la réflexion de la peine m’en a rebuté ; de faire aussi des baisemains à l’un dans la lettre de l’autre, j’ai appréhendé que l’apostille ne l’offensât ; de sorte que j’ai pris le parti de vous écrire à tous deux, l’un portant l’autre.

La plus sûre nouvelle que j’aie à vous apprendre, c’est que je me suis fort ennuyé depuis que je ne vous ai vus. Il faut dire la vérité, je ne le prévoyois pas quand je sortis d’auprès de vous. Au contraire, allant voir cette petite brune pour qui vous m’avez vu le cœur un peu tendre, je croyois que je ne songerois plus que vous fussiez au monde. Cependant je m’étois trompé ; la petite brune m’avoit, ce qu’on appelle, sauté aux yeux, je ne lui avois dit que deux mots. C’est une beauté surprenante, de qui la conversation guérit : on peut dire que pour l’aimer, il ne la faut voir qu’un moment ; car si on la voit davantage, on ne l’aime plus. Voilà où j’en suis :

Ainsi c’est vous aujourd’hui
Qui causez tout mon ennui.

Au reste, mes chers, je vous demande des nouvelles de la santé de notre oncle : je vous prie de l’entretenir toujours de propos joyeux ; faites-le rire à gorge déployée quand même il en devroit tousser un peu. Dites-lui de ma part qu’il se conserve plus qu’il ne fait, et que s’il ne se veut aimer pour lui, il s’aime pour moi, qui l’aime plus que moi-même. Je n’en dirai pas davantage : aussi bien suis-je persuadé que cela ne serviroit de rien, et que vous êtes des fripons qui vous donnerez bien de garde de faire valoir mon bon naturel. De l’humeur dont je vous connois, vous enrageriez qu’on m’aimât autant ou plus que vous.

Si vous ne revenez bientôt, je m’en irai vous retrouver : aussi bien mes affaires ne s’achèveront-elles qu’après les Rois ; mais ne pensez pas de revenir l’un sans l’autre, car autrement je ne serois pas homme à me payer de raison.

Depuis que je vous ai quittés, je ne mange presque plus. Vous qui présumez de votre mérite, vous ne manquerez pas de croire que le regret de votre absence me donne ce dégoût ; mais point du tout : ce sont les soupes de maître Crochet[27] qui me donnent du dégoût pour toutes les autres.


  1. Lettre 1. — 1. Cette lettre et la suivante sont sans date. Nous les laissons en tête du recueil, quoique nous n’y trouvions rien qui confirme bien positivement la conjecture, exprimée dans l’édition de 1818 et adoptée par M. Walckenaer, qu’elles ont été écrites en 1644, avant le mariage de Mme de Sévigné. Ni la mention qui y est faite d’un départ, ni la phrase sur les anciens et nouveaux amis ne nous paraissent des arguments fort concluants. La signature Chantal et Marie Chantal, que nous reproduisons d’après une copie faite par le libraire Blaise sur les lettres originales, ne peut pas non plus servir de preuve : parmi les autographes qui nous restent de Mme de Sévigné, il en est plusieurs, d’une date très-postérieure à son mariage, qui sont signées M. de Rabutin (ou Rabustin) Chantal. — Sur Ménage, qui donna des leçons d’espagnol, de latin et surtout d’italien à Mme de Sévigné, voyez la Notice biographique, p. 24 et suivantes.
  2. Mme de Sévigné écrit toute extraordinaire. Sur cet accord, au sujet duquel les opinions et l’usage variaient encore à la fin du dix-septième siècle, comme nous l’apprend le Dictionnaire de l’Académie de 1694, voyez, dans notre dernier volume, le Lexique, au mot Tout.
  3. Lettre 3 (revue sur l’autographe). — Rien n’indique non plus la date de ce billet. Nous ignorons quelle est cette affaire de M. Levasseur dont il y est parlé.
  4. Lettre 4. — i. Pierre Lenet, d’abord conseiller, puis procureur général au parlement de Dijon, nommé conseiller d’État en 1645, a laissé d’intéressants mémoires, dont la meilleure édition a été donnée par M. À. Champollion dans la collection Michaud. « Il avoit, dit Mme de Sévigné, bien de l’esprit, un peu grossier, mais vif et plaisant. » (Lettre du 31 août 1689.)
  5. Les lettres de Bussy et à Bussy ont été revues, comme nous l’avons dit dans l’Avertissement, sur une copie écrite de sa main. Les introductions qui les précèdent sont toutes de lui.
  6. Voyez la Notice biographique, p. 36.
  7. Le ménage que vous faites, votre économie, votre train de maison.
  8. En termes de fileuse, on nomme poupée, le paquet d’étoupe ou de filasse dont on garnit le fuseau.
  9. « Ribon-ribaine, façon de parler adverbiale et populaire, qui signifie bon gré mal gré » (Dictionnaire de l’Académie françoise de 1694.)
  10. Le Supplément aux Mémoires et Lettres de Bussy, où cette épître a été imprimée d’abord, sur l’original peut-être, ou du moins sur une copie différente de celle de Bussy que nous avons suivie, offre, sans parler des fautes et des omissions, un certain nombre de variantes, dont quelques-unes pourraient bien être le vrai texte. Ainsi, au premier vers :
    Salut à tous gens de campagne ;

    À la fin du discours du curé :

    Pour tous Nosseigneurs ses ancêtres ;

    Vers la fin :

    Où Madame n’est point dupée,

    Et au dernier vers :

    Elle renverse le ribon.
  11. Lettre 5. — i. Nous avons vu de cette lettre deux copies de la main de Bussy (voyez au dernier volume l’Indication des sources) ; elles ne diffèrent l’une de l’autre que dans les premières lignes. Nous avons suivi pour ce commencement le manuscrit autographe du Discours de Bussy à ses enfants. Dans l’autre manuscrit voici quel est le début : « Vous qui aimez les détails, Madame, je m’en vais vous en faire un de cette campagne, qui, je crois, ne vous déplaira pas, c’est proprement à dire un éloge de Monsieur le Duc. Pour vous conter ce qu’à Courtrai Firent ses soins et sa prudence, Sans elle, etc. »
  12. Le duc d’Enghien, depuis prince de Condé, alors âgé de vingt-cinq ans. Voyez le récit plus détaillé de la campagne dans les Mémoires de Bussy, tome I, p. 119 et suivantes.
  13. « Le 21e juillet au soir, nous repartîmes de la plaine (de Bruges), et nous allâmes camper sur la Lis, à une lieue au-dessous de Courtrai. » (Mémoires de Bussy, tome I, p. 121)
  14. Le chevalier d’Isigny, enseigne des gendarmes d’Enghien.
    Voyez un long récit de ce duel dans les Mémoires de Bussy, tome I, p. 121-124.
  15. « Le duc de Nemours eut la jambe percée, le prince de Marsillac l’épaule, le duc de Pont de Vaux la mâchoire cassée, et Laval fut blessé au-dessus de la hanche. Le comte de Fleix de la maison de Foix, la Roche-Guyon, fils de Liancourt… et le chevalier de Fiesque furent tués. » (Discours de Bussy à ses enfants, p. 219.)
  16. « Le duc d’Orléans était généralissime, le duc d’Enghien général sous lui, et sous ce prince les maréchaux de Gramont et de Gassion. » (Ibid., p. 211.)
  17. Le marquis de Caracène, général espagnol, gouverneur de Flandre en 1659.
  18. Ville de la Flandre occidentale (Belgique), où le marquis de Caracène s’était retiré. Voyez les Mémoires de Bussy, tome I, p. 130.
  19. Lettre 6. — i. Cette lettre est imprimée sans date dans les Œuvres de M. de Montreuil.. Nous sommes portés à croire, d’après la plaisanterie de la fin sur la lieutenante de Fougères, qu’elle est des premiers temps du mariage de Mme de Sévigné : voyez cependant la Notice, p. 34.

    Matthieu de Montreuil ou Montereul, qu’il ne faut pas confondre avec son frère aîné, Jean de Montreuil de l’Académie française, fut secrétaire de Daniel de Cosnac, évêque de Valence et plus tard archevêque d’Aix. Il mourut en 1692. Boileau le touche, en passant, dans sa viie Satire, composée en 1663 :

    On ne voit point mes vers, à l’envi de Montreuil,
    Grossir impunément les feuillets d’un recueil.

    On se rappelle son joli madrigal, Pour Madame la marquise de Sévigny, en jouant à colin-maillard ; il fut imprimé pour la première fois dans le recueil des Poésies choisies publié en 1653 chez Sercy :

    De toutes les façons vous avez droit de plaire,
    Mais surtout vous savez nous charmer en ce jour :
    Voyant vos yeux bandés, on vous prend pour l’Amour ;
    Les voyant découverts, on vous prend pour sa mère.

  20. Dans le Contrat de mariage de Mme de Grignan, les titres du marquis de Sévigné sont « conseiller du Roi en ses conseils, maréchal de ses camps et armées, et gouverneur pour S. M. des ville et château de Fougères (en Bretagne). » Voyez plus haut, p. 328. Le marquis n’avait point tous ces titres lorsqu’il se maria ; mais rien, que je sache, ne prouve qu’il n’eut pas dès lors ou n’ait pas eu bientôt après la charge assez peu importante de lieutenant de Roi de Fougères.
  21. Espèce de brisure, qui se place dans les armoiries pour indiquer les branches cadettes. Voyez à la suite de la Notice la Généalogie de Mme de Sévigné et de Bussy.
  22. Bussy n’avait eu que des filles de son premier mariage avec Gabrielle de Toulongeon, sa cousine, dont il était veuf à cette époque. C’est en 1650 qu’il épousa en secondes noces Louise de Rouville dont il eut deux fils et deux filles : voyez la Généalogie de Bussy, p. 342.
  23. Cette lettre et la suivante ont été placées à tort par Bussy en 1647. Il s’est évidemment trompé d’une année : voyez la Notice biographique, p. 37 et 40.
  24. Lettre 8. — 1. Bussy date cette lettre de Valence. Au sujet de cette erreur, voyez encore la Notice, p. 40.
  25. lettre 9. — Launay Lyais, volontaire breton, que Bussy traite ailleurs, dans ses Mémoires (tome I, p. 197), d’homme obscur et glorieux.
  26. lettre 9. — Voyez la Notice, p. 34, 41 et 343.
  27. Le cuisinier de l’évêque de Chalon.