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Dissertation sur la nature et la propagation du feu/Seconde partie

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SECONDE PARTIE.
De la Propagation du Feu.

I.

Comment le Feu est distribué dans les corps.


Le Feu est distribué ici-bas de deux façons différentes.

1o. Également dans tout l’eſpace, quels que ſoient les corps qui le rempliſſent, lorſque la température de l’air qui les contient eſt égale.

2o. Dans les créatures qui ont reçû la vie, leſquelles contiennent plus de Feu que les Végétaux, & les autres corps de la Nature.

Le Feu agit ſur toute la Nature.

Le Feu étant répandu par-tout, exerce ſon action ſur toute la Nature, c’eſt lui qui unit & qui diſſout tout dans l’Univers.

Mais cet être dont les effets ſont ſi puiſſans dans nos opérations, ſe dérobe à nos ſens dans celles de la Nature, & il a fallu des expériences bien fines, & des réfléxions bien profondes pour nous découvrir l’action inſenſible que le Feu exerce dans tous les corps.

Si l’équilibre que le Feu affecte, n’étoit jamais interrompu, ni dans nous-mêmes, ni dans les corps qui nous entourent, nous n’aurions aucune idée du froid, ni du chaud, & nous ne connoîtrions du Feu que ſa lumiére.

Mais comme il eſt impoſſible que l’Univers ſubſiſte, ſans que cet équilibre ſoit à tout moment rompu, nous ſentons preſque à chaque moment les viciſſitudes du froid & du chaud que l’altération de notre propre température, ou celle des corps qui nous environnent, nous font éprouver.

L’action du Feu, lorſqu’elle ſe cache, ou lorſqu’elle ſe manifeſte à nous, peut être comparée à la force vive & à la force morte ; mais de même que la force du corps eſt ſenſiblement arrêtée ſans être détruite, auſſi le Feu conſerve-t-il dans cet état d’inaction apparente, la force par laquelle il s’oppoſe à la cohéſion des parties des corps, & le combat perpétuel de cet effort du Feu, & de la réſiſtance que les corps lui oppoſent, produit preſque tous les Phénomenes de la Nature.

Ainſi on peut conſidérer le Feu dans trois états différens, qui réſultent de la combinaiſon de ces deux forces.

1o. Lorſque l’action du Feu ſur les corps, & la réaction des corps ſur lui, ſont en équilibre ; alors c’eſt comme s’il n’y avoit point d’action, & les effets du Feu nous ſont inſenſibles.

2o. Lorſque cet équilibre eſt rompu, & que la réſiſtance des corps l’emporte ſur la force du Feu ; alors les corps ſe condenſent, une partie du feu qu’ils contiennent eſt obligée de les abandonner, & ils nous donnent la ſenſation du froid.

3o. Enfin, lorſque l’action du Feu l’emporte ſur la réaction des corps, alors les corps s’échauffent, ſe raréfient, deviennent lumineux, ſelon que la quantité du Feu qu’ils reçoivent dans leur ſubſtance eſt augmentée, ou que la force de celui qu’ils y renferment naturellement eſt plus ou moins excitée. Si cette puiſſance du Feu paſſe de certaines bornes, les corps ſur leſquels il l’exerce ſe fondent ou s’évaporent ; dans ce cas le Feu n’ayant plus d’antagoniſte, force par ſa tendance quaquaverſum, les parties des corps à ſe fuir, à s’écarter l’une de l’autre de plus, en plus, juſqu’à ce qu’enfin il les ait entiérement ſéparées.

Quelques Philoſophes conſidérant avec quelle force les parties des corps s’éloignent l’une de l’autre dans l’évaporation (puiſque la vapeur qui ſort de l’eau bouillante augmente ſon volume juſqu’à 14000 fois) ont ſuppoſé dans les particules des corps une force répulſive, par laquelle elles s’écartent & ſe fuyent dans de certaines circonſtances qui déployent cette force ; mais cette vertu répulſive paroît n’être autre choſe que l’action que le Feu exerce ſur les corps, & par laquelle il combat la cohérence de leurs parties ; ainſi de ces deux forces combinées, la cohérence des corps, & l’effort que fait le feu pour s’y oppoſer, réſultent tous les aſſemblages & toutes les diſſolutions de l’Univers, la cohéſion uniſſant, comprimant, connectant les parties des corps, & le Feu, au contraire les écartant, les ſéparant, les raréfiant.

Il faut donc examiner les différens effets qui réſultent de la combinaiſon de ces forces.

II.

Des cauſes de la chaleur des corps.

Un corps s’échauffe, ou parce qu’il reçoit plus de Feu dans ſes pores, ou parce que celui qui y eſt renfermé, reçoit un nouveau mouvement.

Il me ſemble qu’on peut rapporter les différentes cauſes qui peuvent produire ces effets ſur les corps, à deux principales.

Deux cauſes de la chaleur des corps. La premiére eſt la préſence du Soleil & la direction des rayons qu’il nous envoye ; les corps reçoivent par la préſence du Soleil, un nouveau Feu dans leurs pores, & ils en reçoivent d’autant plus que l’incidence de ſes rayons eſt plus perpendiculaire.

Les rayons perpendiculaires ſont plus denſes que les rayons obliques, car le plan perpendiculaire AP, reçoit tous les rayons qui tombent dans l’eſpace RR, mais il n’en recevroit environ que la moitié, s’il étoit incliné dans la direction OB, & il en recevroit d’autant moins que ſa poſition ſeroit plus oblique : donc puiſque le même eſpace reçoit plus de rayons, il doit être plus échauffé.

La ſeconde cauſe qui manifeſte le Feu, & qui interrompt l’équilibre auquel il tend, c’eſt l’attrition des corps les uns contre les autres. Toutes les façons dont le Feu d’ici-bas peut être excité, ne ſont que des modifications de cette cauſe, de même que tous nos ſens ne ſont qu’un tact diverſifié.

Comment les premiers hommes ont connu le Feu.

C’eſt vraiſemblablement cette attrition des corps qui a fait connoître le Feu aux premiers hommes. L’embraſement de quelques forêts que l’agitation de leurs branches aura produit, ou le choc de deux cailloux, leur auront fait connoître cet être qui les animoit, & dont ils ne ſoupçonnoient pas même l’exiſtence.

Ainſi les premiers hommes auront pû voir long-tems la lumiére du Soleil, & ſentir ſa chaleur, ils auront pû éprouver les viciſſitudes du froid & du chaud cauſées par la ſanté, & la maladie, ſans avoir aucune idée du Feu, c’eſt-à-dire, de cet être que nous avons le pouvoir d’exciter, & pour ainſi dire de créer, car le premier Feu que les hommes ont produit, a dû leur paroître une création véritable.

La Nature ayant laiſſé deviner aux hommes le ſecret du Feu, ils ont dû être encore long-tems ſans ſe douter que les rayons du Soleil, & le feu qu’ils allument, fuſſent de la même nature ; il a fallu que l’invention admirable des Verres brûlans leur ait appris que ce Soleil, dont le retour leur apporte la ſanté, & rajeunit toute la Nature, avoit la vertu de tout détruire comme de tout vivifier, & que l’effet de ſes rayons, lorſqu’ils ſont raſſemblés, ſurpaſſe de beaucoup ceux du Feu d’ici-bas.

III.

Du Feu produit par le frottement.

Cette ſeconde cauſe, qui manifeſte le Feu que les corps contiennent, agit d’autant plus puiſſamment, que les corps que l’on frotte s’appliquent plus exactement l’un contre l’autre ; ainſi trois choſes peuvent augmenter les effets le Feu produit par l’attrition.

1o. La maſſe des corps.

2o. Leur élaſticité.

3o. La rapidité du mouvement.

La maſſe des corps fait que leurs parties ſe touchent en plus de points, c’eſt pourquoi un fluide, ou quelque matiere onctueuſe interpoſée entre deux corps, diminuë beaucoup la chaleur excitée par le frottement, car ce fluide s’oppoſe au contact immédiat de ces corps en ſe gliſſant entr’eux ; c’eſt en partie pour cette raiſon que l’on graiſſe le moyeux des rouës.

L’élaſticité des corps fait que les oſcillations de contraction & de dilatation que le frottement excite en eux, ſe communiquent juſqu’à leurs parties les plus inſenſibles, & que par conſéquent le Feu retenu dans leurs pores, acquiert un plus grand mouvement.

Enfin la rapidité du mouvement de ces corps augmente cette action du Feu, car toute cauſe produit des effets d’autant plus grands, qu’elle eſt plus ſouvent & plus continuëment appliquée.

La production du Feu par le frottement, ſuit les loix du choc.

Ainſi les effets que le Feu produit par le frottement, ſuivent les loix generales du choc des corps, puiſqu’ils dépendent de la maſſe & de la vîteſſe, quoique peut-être dans une proportion qui n’eſt pas aſſignable, par les changemens que la différente contexture des parties internes des corps y doit apporter.

L’attrition ne fait que déceler le Feu que L’attrition ne produit point le Feu, mais elle le décele.les corps contiennent dans leur ſubſtance ; alors cette balance entre la puiſſance du Feu & la coheſion des parties des corps, n’eſt plus en équilibre, & cette ſupériorité de force, que le Feu acquiert par l’augmentation de ſon mouvement, ſe manifeſte par la chaleur des corps que l’on frotte, & quelquefois par leur embraſement.

Cet effet n’eſt point produit par l’air comme quelques-uns l’ont prétendu, puiſqu’il s’opere dans le vuide.

Les corps les plus élaſtiques étant ceux qui s’échauffent le plus par le frottement, cette cauſe doit produire peu d’effet ſur les fluides ; (car lorſque les fluides s’échauffent ſoit par l’agitation, ſoit par la mixtion, ils ne s’échauffent que par le frottement de leurs parties,) cette cauſe doit produire moins d’effet ſur les fluides moins élaſtiques, Les fluides s’échauffent très-difficilement par le frottement.c’eſt pourquoi l’eau pure s’échauffe très-difficilement par le mouvement ſeul, ſes parties échappant par leur liquidité aux frottemens néceſſaires pour mettre en action le Feu retenu dans ſes pores ; mais l’air au contraire, qui eſt très-élaſtique, s’échauffe très-ſenſiblement par l’attrition.

L’attrition le moyen le plus puiſſant pour exciter le Feu. L’attrition des corps eſt en même tems la plus univerſelle & la plus puiſſante cauſe pour exciter la puiſſance du Feu, les effets qui ſont pour nous le dernier période de ſa puiſſance, & que le plus grand Miroir ardent n’opere que très-rarement, la percuſſion les produit en tout tems, & en tout lieu, dans le vuide, comme dans l’air, par la gelée la plus forte, comme par le tems le plus chaud ; car ſi vous frappez fortement une pierre contre un morceau de fer, il en fort en quelque tems que ce ſoit, des étincelles, qui, étant reçûës ſur un papier, ſe trouvent autant de petits globes de verre produits par la vitrification de la pierre ou du métal, & peut-être de tous les deux enſemble : c’eſt-là ſans doute un des plus grands miracles de la Nature, que le Feu le plus violent, puiſſe être produit en un moment par la percuſſion des corps les plus froids en apparence.

IV.

De l’action du Feu ſur les Solides.

Le Feu raréfie tous les corps, c’eſt une verité que l’on a tâché d’établir dans la premiere Partie de cet ouvrage. Les fluides, les ſolides, tous les corps enfin ſur leſquels on a operé juſqu’à préſent, éprouvent cet effet du Feu, & tous les autres effets qu’il opere ſur eux, ne ſont que les différens degrés de cette raréfaction.

Je vais commencer par examiner les progrès & les bornes de cet effet du Feu dans les ſolides.

Le Feu étend les corps ſelon toutes leurs dimenſions. Cette dilatation n’étend pas les corps ſeulement en longueur, mais ſelon toutes leurs dimenſions, & cela doit être ainſi, puiſque l’action du Feu ſe porte également de tous côtés ; ainſi un cylindre de Cuivre ne paſſe plus, lorſqu’il eſt chaud, à travers le même anneau qui le tranſmettoit avant d’être échauffé.

Un Philoſophe de nos jours, qui joint l’adreſſe de la main aux lumieres de l’eſprit, a porté cette découverte à ſa perfection, par l’invention d’un inſtrument qui nous fait voir la 1/12500e. partie d’un pouce dans l’augmentation du volume des corps, ainſi la plus petite différence qui puiſſe être ſenſible pour nous, tombe ſous nos yeux par le moyen du Pyrometre.

Cet inſtrument nous a appris :

Tous les ſolides ſe dilatent par l’action du Feu. 1o. Que la Craye blanche que l’on croyoit exceptée de cette regle generale de la dilatation, y eſt ſoumiſe, d’où l’on doit conclure qu’il eſt vraiſemblable qu’il ne nous manque que des inſtrumens & des yeux aſſez fins pour nous appercevoir de celle que les rayons de la Lune operent, & de celle que le Sable qui paroît encore s’y refuſer, ſubit.

La raiſon que ſuit cette dilatation, eſt inconnue. 2o. Cette dilatation des corps eſt plus grande dans les plus legers, & moindre dans ceux qui ont plus de maſſe ; mais elle ne ſuit ni la raiſon directe de la maſſe, ni celle de la cohérence des parties, ni une raiſon compoſée des deux, mais une raiſon inaſſignable ; car cet effet du Feu ſur les corps dépend de leur contexture interne que nous ne découvrirons vraiſemblablement jamais.

3o. Cette expanſion des corps ne ſuit point non plus la quantité du Feu ; il eſt bien vrai que plus le Feu augmente, plus la dilatation augmente auſſi, mais non pas proportionnellement ; Un Feu double n’opere pas une expanſion double, & pourquoi.la dilatation operée par deux mêches d’Eſprit de Vin, par exemple, n’eſt pas double de celle qu’une ſeule mêche opere, mais un peu moindre ; & celle que trois mêches produiſent eſt encore dans une moindre raiſon.

M. Bernoulli a fait voir que l’extenſion des fibres ſemblables & homogênes, chargées de poids différens, eſt moindre que la raiſon des poids, & que cette raiſon diminuë à meſure que l’extenſion augmente : il en eſt de même de la dilatation des corps par le Feu, il les dilate d’autant moins, qu’il les a déja plus dilatés ; ainſi une barre de Fer froide eſt comme une corde non tenduë, ces corps s’allongent tous deux, le fer par le Feu qu’on lui applique, & la corde par le poids dont on la charge, & il faudra d’autant plus de poids & de Feu pour produire une même extenſion, que le fer ſera déja plus dilaté & la corde plus tenduë, car l’extenſion de la corde & la dilatation du fer ſont fixées ; ainſi le Feu en dilatant les corps fait ſur eux le même effet que s’ils étoient étendus par une force externe quelconque, puiſque la pulſion interne du Feu, & la traction appliquée extérieurement, produiſent le même effet, qui eſt l’alongement du corps ; il y a cependant cette différence, que le Feu dilate les corps en tout ſens, & que la traction extérieure ne les étend qu’en longueur.

4o. On ſuit la marche du Feu dans la dilatation des corps à l’aide du Pyrometre, cette dilatation eſt plus lente au commencement, car le Feu eſt quelque tems à pénétrer dans les pores des corps, & à vaincre la coheſion de leurs parties, mais lorſqu’il a ſurmonté cette réſiſtance, le corps ſe dilate davantage ; enfin la dilatation eſt plus lente à la fin lorſqu’elle eſt prête d’atteindre ſon dernier degré, car alors le Feu ayant ouvert les pores des corps, il eſt tranſmis en partie à travers ces pores dilatés : or ce corps ne recevant que la même quantité de Feu, & en tranſmettant une partie, les progrès de ſa dilatation doivent être moindres.

5o. Le tems dans lequel cette raréfaction s’opere par un même Feu, eſt différent dans les différens corps, & ne ſuit aucune raiſon aſſignable. La ſeule regle générale, c’eſt que plus un corps peut[1] acquérir de chaleur, & plus ſa dilatation eſt lente.

6o. Les Métaux ne ſe fondent pas tous au même degré de chaleur, le Pyrometre nous apprend bien à la verité la quantité de leur expanſion, mais il ne nous informe pas du degré de chaleur qu’ils acquerent dans cette expanſion & dans la fuſion.

M. de Muſſchenbroëk Inventeur du Pyrometre, imagina de découvrir la chaleur des Métaux en fonte, par la quantité de raréfaction que les différens Métaux feroient éprouver au Fer, de même que l’on connoît la chaleur des liquides par le degré de raréfaction qu’ils operent ſur le Mercure, car le Fer étant celui de tous les Métaux qui ſe fond le plus tard, il eſt le plus propre à marquer ces différences.

Cette chaleur des Métaux en fonte ne ſe trouve encore aſſervie à aucune regle, elle ne ſuit pas même la proportion de la dilatation, car le Plomb, qui ſe dilate preſque autant que l’Étain par un même Feu, ſe trouve cependant avoir beſoin pour ſe fondre, d’un Feu preſque double de celui qui fond l’Étain.

Une choſe qui eſt encore aſſez ſinguliere, c’eſt que deux Métaux quelconques mêlés enſemble, ſe fondent à un moindre Feu que s’ils étoient ſéparés.

Les métaux ne s’échauffent plus après la fuſion. 7o. Lorſque la dilatation des corps eſt à ſon dernier période, leurs parties ſont obligées de céder à l’action du Feu, & de ſe ſéparer ; alors le Feu les fait paſſer de l’état de ſolides à celui de fluides, & c’eſt-là le dernier degré de l’action du Feu ſur eux : car leurs pores étant ſuffiſamment dilatés ils rendent autant de particules de Feu qu’ils en reçoivent, ainſi la chaleur des corps n’augmente plus après la fuſion.

Si la puiſſance du Feu ſur les corps n’étoit bornée, le Feu détruiroit bientôt l’univers, ces bornes que le Créateur lui a impoſées & qu’il ne franchit jamais, ſont une des grandes preuves du deſſein qui regne dans cet univers.

Le Feu ſépare les corps juſques dans leurs parties élémentaires. Lorſque le Feu fait paſſer les corps ſolides à l’état de fluides, il les ſépare juſques dans leurs parties élémentaires ; un grain d’Or fondu avec 100000. grains d’Argent, ſe mêle avec l’Argent, de façon que ces deux Métaux forment dans la fuſion une liqueur dorée ; & ſi après la fuſion on ſépare un grain de toute cette maſſe, on retrouve entre l’Or & l’Argent de ce grain la même proportion de 100000. à 1, & l’on n’a point encore trouvé les bornes de cette incorporation de l’Or dans l’Argent.

On voit dans cette expérience un exemple des deux plus puiſſans effets du Feu ſur les corps, l’un de les déſunir & de les ſéparer juſques dans leurs principes, & l’autre de les aſſembler & de les incorporer enſemble.

Ces deux effets ſi différens, qui paroiſſent l’αλφα & l’ωμέγα de la Nature, (ſi je puis m’exprimer ainſi,) le Feu les opere par cette même proprieté qui lui fait raréfier tous les corps, car pour que deux corps ſoient auſſi intimement unis que l’Or & l’Argent dont je viens de parler, il faut qu’ils ayent été diviſés juſques dans leurs principes, afin que leurs plus petites particules ayent pû s’unir intimement l’une à l’autre en ſe réfroidiſſant ; ainſi le Feu eſt le plus puiſſant, & peut-être le ſeul agent de la Nature pour unir & pour ſéparer, il fait le Verre, l’Or, le Savon, &c. & il diſſout tous ces corps, il paroît être enfin la cauſe de la plupart des formations, & des diſſolutions de la Nature.

Le Feu agit différemment ſur les différens corps ſuivant la cohérence, la maſſe, la glutinité de leurs parties, &c. & tous ces différens effets dépendent de l’action & de la réaction perpétuelle du Feu ſur les corps, & des corps ſur le Feu, c’eſt toujours la même cauſe qui ſe diverſifie en mille façons différentes.

Puiſque le Feu dilate tous les corps, puiſque ſon abſence les contracte, les corps doivent être plus dilatés le jour que la nuit, les maiſons plus hautes, les hommes plus grands, &c. ainſi tout eſt dans la Nature dans de perpétuelles oſcillations de contraction & de dilatation, qui entretiennent le mouvement & la vie dans l’Univers.

La chaleur doit dilater les corps ſous l’Équateur, & des contracter ſous le Pole ; c’eſt pourquoi les Lapons ſont petits & robuſtes, & il y a grande apparence que les Animaux & les Végétaux qui vivent ſous le Pole, moureroient ſous l’Équateur, & ceux de l’Équateur ſous le Pole, à moins qu’ils n’y fuſſent portés par des gradations inſenſibles, comme les Cometes paſſent de leur aphélie à leur périhélie.

Cette chaleur doit élever la terre dans la région de l’Équateur, & le froid doit abaiſſer celle du Pole ; mais cette élevation cauſée par la chaleur ſeulement, doit être inſenſible pour nous.

Les corps s’échauffent plus ou moins ſelon leur couleur.

Les corps s’échauffent plus ou moins, & plus ou moins vîte, ſelon leur couleur, ainſi les corps blancs compoſés de particules très-compactes & très-ſerrées, cédent plus difficilement à l’action du Feu, c’eſt pourquoi ils réfléchiſſent preſque toute la lumiere qu’ils reçoivent ; les noirs, au contraire, compoſés de particules très-déliées, cédent aiſément à l’action du Feu, & l’abſorbent dans leur ſubſtance ; ainſi un corps noir, toutes choſes égales, peſe ſpécifiquement moins qu’un corps blanc : & la facilité avec laquelle le noir s’échauffe, fait que les terres noires ſont les plus fertiles.

Ce n’eſt pas ſeulement le noir & le blanc qui s’échauffent différemment par un même Feu, mais les ſept couleurs primitives s’échauffent à des degrés différens. J’ai fait teindre un morceau de drap des ſept couleurs du priſme, & l’ayant mouillé également, l’eau, par un même Feu, s’eſt retirée des pores de ces couleurs dans cet ordre, à commencer par celles qui ſe ſécherent le plus vîte : violet, indigo, bleu, verd, jaune, orangé & rouge. La réflexion des rayons ſuit le même ordre & cela ne peut être autrement, car le corps qui abſorbe le moins de rayons, eſt ſûrement celui qui en refléchit davantage.

Les rayons de différentes couleurs ont peut-être différentes vertus brûlantes. Une expérience bien curieuſe (ſi elle eſt poſſible) ce ſeroit de raſſembler ſéparément aſſez de rayons homogênes pour éprouver ſi les rayons primitifs qui excitent en nous la ſenſation des différentes couleurs, n’auroient pas différentes vertus brûlantes ; ſi les rouges, par exemple, donneroient une plus grande chaleur que les violets, &c. c’eſt ce que je ſuis bien tentée de ſoupçonner :

Natura eſt ſibi ſemper conſona.

Or les différens rayons ne nous donnent la ſenſation des différentes couleurs, que parce que chacun d’eux ébranle le nerf optique différemment ; pourquoi ne feront-ils pas auſſi des impreſſions différentes ſur les corps qu’ils conſument, & ſur notre peau ? Il y a grande apparence, ſi cela eſt ainſi, que les rouges échauffent davantage que les violets, les jaunes que les bleus, &c. car ils font des impreſſions plus fortes ſur les yeux ; la plus grande difficulté eſt peut-être de s’appercevoir de ces différences, le ſens du tact ne paroiſſant pas ſuſceptible de ſentir des varietés auſſi fines que celui de la vûë : quoiqu’il en ſoit, il me ſemble que cette expérience mérite d’être tentée, elle demande des yeux bien attentifs, & des mains bien exercées, je ne me ſuis pas trouvée à portée de la faire, mais à qui peut-on mieux s’adreſſer pour l’exécuter, qu’aux Philoſophes qui doivent juger cet Eſſai ?

V.

Comment le Feu agit ſur les Liquides.

On ſçauroit peu de choſe ſur la façon dont le Feu agit ſur les liquides, ſans la découverte de M. Amontons ; on ſçait que ce ſçavant homme, en cherchant le moyen de faire un Thermometre plus parfait que celui de Florence, découvrit que l’eau qui bout, acquert L’eau bouillante n’acquert plus de chaleur.un degré de chaleur déterminé, paſſé lequel elle ne s’échauffe plus par le plus grand Feu.

Le célébre M. de Reaumur, & Faheinrheit, cet Artiſan Philoſophe, ont perfectionné tous deux cette découverte d’Amontons.

M. de Reaumur a remarqué que l’eau ne fait pas monter le Thermometre à ſon dernier période dans le moment même de l’ébullition, mais quelque tems après, & que ce tems va même quelquefois juſqu’à un quart d’heure ; ce Philoſophe nous en a appris la raiſon, la liqueur du Thermometre ſe réfroidit en montant dans le tube, & il faut du tems pour que la chaleur de l’eau contrebalance cet effet des parties du tube ; ainſi la chaleur de l’eau n’augmente pas réellement après l’ébullition, mais elle paroît augmenter, & cette augmentation apparente a trompé pluſieurs Phyſiciens, & leur a fait douter de la découverte d’Amontons avant la remarque de M. de Reaumur.

Faheinrheit de ſon côté a découvert que la preſſion de l’Atmoſphere augmente la chaleur que l’eau acquert en bouillant, en ſorte que plus l’Atmoſphere eſt peſant, plus il faut de Feu pour faire bouillir l’eau. Cette découverte Pourquoi ?eſt confirmée par ce qui arrive dans le vuide, où l’eau qui n’étoit que tiede dans l’air, bout dans le moment qu’on la met ſous le récipient.

On voit aiſément la raiſon de ce qui arrive alors, car lorſque la ſurface de l’eau eſt preſſée par un plus grand poids, le Feu ſépare plus difficilement ſes parties, & par conſéquent il faut une plus grande quantité de Feu pour la faire bouillir, puiſque c’eſt dans cette ſéparation des parties des liquides, que conſiſte l’ébullition ; ainſi il eſt vraiſemblable que l’eau, preſſée par un poids pareil à celui que l’Atmoſphere auroit à 409640 toiſes au deſſous de la ſurface de la terre, brilleroit comme les métaux en fonte, car le poids de l’Atmoſphere à cette profondeur, ſeroit égal à celui de l’Or, ſuivant le calcul de M. Mariotte.

Cette proprieté de l’eau de ne point augmenter ſa chaleur paſſé l’ébullition, appartient à tous les fluides, ainſi :

Il en eſt de même des autres fluides. 1o. Ils acquerent tous des degrés de chaleur différens dans l’ébullition, car il faut que le Feu ſoit en plus grande quantité pour faire les mêmes effets ſur les corps qui lui oppoſent une plus grande réſiſtance ; mais cette quantité de Feu plus ou moins grande, que les différens liquides reçoivent dans leurs pores, ne dépend point de leur maſſe, car l’Huile qui eſt plus légere que l’eau, acquert cependant près de trois fois autant de chaleur que l’eau avant de bouillir, & l’Eſprit de Vin qui eſt auſſi plus léger que l’eau, acquert moins de chaleur qu’elle dans l’ébullition.

Le Mercure eſt de tous les fluides celui auquel il faut un plus grand Feu pour bouillir ; ainſi on connoît avec certitude le plus grand degré de chaleur des autres fluides, à l’aide des Thermometres de Mercure.

La raréfaction ne ſuit point la denſité des liquides. 2o. La quantité de la raréfaction que le Feu opere ſur les fluides, depuis le froid artificiel produit par l’Eſprit de Nitre, juſqu’à l’ébullition, eſt différente dans les différens fluides ; mais elle ne ſuit ni la raiſon de la peſanteur ſpécifique, ni celle de la glutinité des parties, ni aucune raiſon conſtante, car l’Eſprit de Vin qui eſt plus léger que l’eau, augmente ſon volume de 1/9e. & l’eau ſeulement de 1/85e. mais le Mercure dont la péſanteur ſpécifique eſt à celle de l’eau comme 14 à 1, augmente le ſien de 4/51es. Ainſi il en faut toujours revenir à la contexture intime des corps quand on veut expliquer les effets que le Feu fait ſur eux ; & comme nous ne la connoîtrons jamais, il y aura toujours dans ces effets des exceptions aux regles les plus générales.

3o. La raréfaction de preſque tous les fluides s’opere par des eſpeces de ſauts inégaux ; le Mercure eſt celui de tous qui ſe raréfie le plus également, & c’eſt un des avantages des Thermometres qui en font compoſés.

4o. L’Air qui eſt de tous les fluides celui qui ſe raréfie le plus, ne parvient jamais juſqu’à l’ébullition, ſa raréfaction eſt telle, que la chaleur de l’eau bouillante augmente ſon volume d’un tiers, & c’eſt encore à M. Amontons à qui nous devons cette découverte : cette grande raréfaction eſt peut-être ce qui l’empêche de bouillir, de même que l’Eſprit de Vin ne bout point au foyer d’un verre ardent, parce qu’il s’évapore dans le moment ; ainſi après que le Feu a fondu les ſolides & fait bouillir les liquides, ſi ſon action eſt continuée il fait évaporer leurs parties.

Effets ſurprenans des différentes mixtions des liqueurs. 5o. Le mêlange des différentes liqueurs, produit des effets très-ſinguliers.

Quelquefois les liqueurs mêlées s’enflamment, & c’eſt ce qu’on appelle des fulminations ; pluſieurs Huiles font cet effet avec l’Eſprit de Nitre.

Dans d’autres mêlanges, il ſe fait une grande efferveſcence, qui produit le réfroidiſſement des liqueurs, & c’eſt ce qu’on appelle des fermentations froides dont j’ai parlé dans ma premiere Partie, c’eſt ainſi que l’Eſprit de Vin fermente lorſqu’il eſt mêlé avec l’Huile de Thérébentine.

D’autres liqueurs au contraire, s’échauffent très-ſenſiblement par la mixtion, ainſi l’Eſprit de Vin mêlé avec de l’eau fait monter[2] le Thermometre de 18 degrés. Il fait à peu près le même effet avec notre ſang ; & c’eſt ce qui fait que les liqueurs ſpiritueuſes ſont mortelles, quand on en abuſe.

Dans les fermentations chaudes, le mêlange s’échauffe dans le moment même de la mixtion, la Poudre à Canon ne prend pas feu plutôt, & lorſque le mêlange eſt parfait, la liqueur ne s’échauffe plus, quelque fort qu’on la remuë.

Il y a des mêlanges qui s’échauffent plus que d’autres, parce que les particules des liqueurs qui les compoſent, agiſſent plus puiſſamment les unes ſur les autres ; de même que certains corps acquerent plus de chaleur que d’autres, par l’attrition de leurs parties.

La chaleur que les fermentations chaudes produiſent dure juſqu’à ce que le mouvement où ſont les liquides ceſſe, alors ils retournent à leur premiere température, de même que la chaleur que les ſolides acquerent par le frottement, ſe diſſipe dès que le mouvement interne de leurs parties vient à ceſſer.

L’analogie ſeroit parfaite, s’il y avoit des corps ſolides qui ſe réfroidiſſent par le frottement, comme il arrive à quelques liqueurs de ſe refroidir par la mixtion, mais nous n’en connoiſſons point.

Il paroît plus difficile de connoître ce qui cauſe les fermentations froides que les chaudes.

Il eſt cependant vraiſemblable que c’eſt la même cauſe qui agit dans les unes & dans les autres ; toute la différence conſiſte en ce que dans les fermentations chaudes, les particules ignées font évaporer les particules les plus légeres des liqueurs, & que dans les froides, ce ſont les parties de Feu qui s’évaporent : ainſi ces effets ſi différens dépendent vraiſemblablement de la façon dont les particules des différentes liqueurs agiſſent les unes ſur les autres.

Mais l’effet le plus ſingulier de ces mêlanges, & qui paroît entierement inexplicable, c’eſt que deux quantités égales, mais inégalement échauffées, d’un liquide quelconque, prennent par la mixtion, un degré de chaleur qui eſt la moitié de la différence de la chaleur que ces deux portions du même liquide avoient avant d’être mêlées ; ainſi une livre d’eau qui tient le Thermometre à 32 degrés, étant mêlée à une autre livre d’eau bouillante qui le tient à 212, fera monter le Thermometre après la mixtion, à 90 : or 90 eſt la moitié de la différence de 32 à 212.

De quelque façon qu’on explique ce Phénomene ſi ſingulier, il eſt toujours certain qu’il eſt une nouvelle preuve de l’égalité avec laquelle le Feu ſe répand dans les corps.

Dans toutes les fermentations, ſoit chaudes, ſoit froides, le mouvement dure juſqu’à ce que les liqueurs ayent repris leur température ordinaire ; ce mouvement eſt cauſé par le combat de l’action du Feu ſur les corps, & de la réſiſtance que les corps lui oppoſent par leur coheſion, ce qui nous prouve que les fermentations froides dépendent auſſi de la combinaiſon de ces deux forces.

VI.

Comment le Feu agit ſur les Végétaux & ſur les Animaux.

Le Thermometre nous apprend que les créatures qui ont reçu la vie, contiennent une plus grande quantité de Feu que les autres corps de la Nature, la plus grande chaleur de l’Été étant, dans nos climats, de 80, & rarement de 84 degrés, & celle d’un Homme ſain de 90 ou 92 degrés, & même dans les Enfans elle va juſqu’à 94. Le principe de la vie paroît être dans le Feu.Ainſi le principe de la vie paroît être dans le Feu, puiſque les créatures animées en ont reçu une plus grande quantité que les autres, & que les Enfans, en qui le principe de la vie eſt encore tout entier, ont un plus grand degré de chaleur que les Hommes faits, & les Hommes faits plus que les Vieillards.

La chaleur du ſang d’un Bœuf eſt à celle de l’eau bouillante à peu-près comme  143/11 eſt à 33, c’eſt-à-dire, un peu moins de la moitié ; la chaleur de l’eau bouillante fait monter le Thermometre à 212 degrés dans l’air ordinaire, ainſi ces Animaux ont un plus grand degré de chaleur que nous, auſſi ſont-ils plus vigoureux.

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Le célébre Boërhaave, dans ſon excellent Traité du Feu, rapporte qu’ayant mis pluſieurs Animaux dans un lieu où l’on ſéche le Sucre, & dont la chaleur étoit de 146 degrés, non-ſeulement ils y moururent tous en peu de tems, mais leur ſang & toutes leurs humeurs ſe corrompirent, de façon qu’ils rendoient une odeur inſupportable. Les Hommes ne peuvent ſoutenir la chaleur de ce lieu, & il faut que les ouvriers qui y travaillent, ſe relayent preſque à chaque inſtant pour aller reſpirer de nouvel air. M. Boërhaave conclut de cette expérience & de quelques autres, que nous mourerions bientôt, ſi l’air qui nous entoure, faiſoit ſeulement monter le Thermometre à 90 degrés ; ainſiQuel degré de chaleur feroit périr tous les Animaux. nous pouvons regarder à peu près ce degré de chaleur comme le point auquel toute l’eſpece animale périroit.

En 1709, le Thermometre fut à 0 degrés en Iſlande, & l’eſpece animale ne périt point ; ainſi il eſt vraiſemblable que nous ſommes plus capables de ſupporter un grand froid qu’un grand chaud, pourvû cependant qu’il ne ſoit pas continué.

La végétation ceſſe au point de la congélation, car quoique les Arbres & quelques Herbes, comme l’herbe à foin, y réſiſtent, elles ne végétent point tant que l’air a cette température ; ainſiQuel eſt le terme où le froid fait ceſſer la végétation. ce terme peut être regardé comme celui de la végétation du côté du froid, & s’il étoit continué, les Arbres & les Plantes ne végétant plus, ſeroient bientôt entierement détruits.

Le degré de chaleur de la Cire fonduë qui, nageant ſur de l’eau chaude, commence à ſe coaguler, peut être regardé comme le point extrême de la végétation du côté du chaud ; car puiſqu’une plus grande chaleur fondroit la Cire qui eſt une ſubſtance végétale, cette chaleur diſperſeroit & ſépareroit les matieres nutritives, au lieu de les amaſſer & de les unir, & les Plantes ne pourroient alors que déperir.

VII.

De l’aliment du Feu.

On ſçait aſſez que ce qu’on appelle l’aliment du Feu, pabulum ignis, ſont les parties les plus légeres des corps, que le Feu enleve, & qui diſparoiſſent entierement pour nous. LesQuel eſt l’aliment du Feu. opérations chimiques nous font voir que l’Huile eſt ſeule cet aliment du Feu ; on retrouve tous les autres principes, lorſqu’on raſſemble les exhalaiſons que le Feu tire des corps, l’Huile ſeule ſe conſume, & échappe enſuite entierement à nos ſens.

Que l’aliment du Feu n’eſt pas du Feu. De grands Philoſophes ont crû que cet aliment du Feu, qui diſparoît entierement pour nous, n’étoit autre choſe que le Feu lui-même, qui ſe dégageoit d’entre les pores des corps, mais ſi cela étoit, les matieres qui reſtent après des opérations réïterées, comme le caput mortuum, par exemple, devroient toujours être inflammables, car certainement cette tête-morte n’eſt pas entierement privée du Feu, cependant le Feu ne peut plus rien ſur elle : Donc elle ne contient plus cette matiere ſur laquelle le Feu exerçoit ſa puiſſance : Donc cette matiere n’eſt pas du Feu.

Il y a des corps qui contiennent beaucoup plus de ce pabulum, de cette huile qui nourrit le Feu, que d’autres, & cependant tous contiennent également de Feu dans un même air ; c’eſt ce qui a été, je crois, invinciblement prouvé dans ce mémoire : Donc l’aliment du Feu n’eſt pas du Feu.

Mais que ſera-ce donc ?

Les parties les plus tenuës & les plus volatiles des corps, leſquelles cédant plus facilement que les autres à l’action du Feu, s’envolent avec lui dans l’air où elles ſe diſſipent, & ne reparoiſſent plus à nos yeux, du moins ſous la même forme ; car l’huile & l’eſprit ne ſont autre choſe que ces parties les plus ſubtiles, mêlées encore avec quelque flegme dont le Feu les dégage.

Et qu’il ne ſe change point en Feu. Mais ces exhalaiſons que le Feu tire des corps, cette huile qu’il conſume, ne ſe changent pas en ſa ſubſtance, ne deviennent pas du Feu.

Car, 1o. Si le Feu changeoit quelques parties des corps en Feu, la matiere ignée augmenteroit à tel point ſur la terre par la puiſſance du Feu, que tout deviendroit Feu à la fin : or la conſtitution de notre globe demande qu’il y ait toujours à peu près la même quantité de Feu, ſans quoi tous les germes ſeroient détruits :

2o. Il paroît par les plus exactes & les plus anciennes Tables Météorologiques, que la quantité du Feu eſt toujours la même :

3o. Les incendies des forêts qui brûlent pendant pluſieurs mois, ne changent point, lorſqu’ils ſont paſſés, la température des climats qui les ont ſouffert :

4o. La flamme de l’alcohol (la plus pure de toutes) nous eſt viſible, & le cone lumineux qui va fondre l’Or dans le foyer du verre ardent, échappe entierement à notre vûë ; marque certaine que l’eſprit qui compoſe l’alcohol n’eſt pas du Feu, & qu’il ne ſe change point en Feu : Donc les particules que le Feu enleve des corps, & qui diſparoiſſent à nos yeux, ne ſe changent point en Feu.

Ce que c’eſt que la flamme & la fumée. À l’égard des parties plus groſſieres des corps, le Feu les attenuë, & les transforme en un fluide élaſtique, que nous voyons tantôt ſous la forme de fumée, lorſqu’il ne contient pas encore aſſez de particules de Feu pour briller, & tantôt ſous celle de flamme, lorſqu’il en contient une plus grande quantité ; ainſi la fumée ne différe de la flamme, que par le plus ou le moins de particules ignées qu’elles contiennent l’une & l’autre, elles montent toutes deux dans l’air par leur legereté ſpécifique, & par l’action du Feu qui les enleve & qui tend en haut, comme je l’ai déja dit.

En quelle proportion les différens corps ſe conſument. Le Feu conſume les corps plus ou moins vîte, ſelon leur denſité ; ainſi dans un mêlange d’Eſprit de Vin, d’Huile, de Camphre, de Sel ammoniac, de Terre & de Limaille de bois, l’Eſprit de Vin brûle le premier, & la flamme a la même couleur que s’il étoit ſeul, & tous les autres corps de ce mêlange brûlent de même ſucceſſivement ſelon leurs denſités reſpectives.

L’air à cauſe de ſon élaſticité, & l’atmoſphere à cauſe de ſon poids, ſont auſſi néceſſairesPourquoi l’air eſt néceſſaire au Feu pour brûler. au Feu pour entretenir ſon action, que la matiere même qui lui ſert d’aliment ; ainſi les matieres les plus combuſtibles ne brûleroient point ſans air, & l’air ne s’enflammeroit jamais, ſi les exhalaiſons ne mêloient pas de cette huile alimentaire à ſa ſubſtance.

L’atmoſphere peſe ſur un Feu d’un pied en quarré, comme un poids de 2240 livres environ ; ce poids étant ſans ceſſe agité, & preſſant ſans ceſſe par de nouvelles ſecouſſes, ſur le corps que le Feu conſume, augmente la puiſſance du Feu dans ce corps, à peu près par la même raiſon qu’un corps s’enflamme d’autant plus promptement par le frottement, que celui qui lui eſt ſucceſſivement appliqué eſt plus péſant ; car dans tous les feux que nous allumons, l’atmoſphere fait ſur le corps qui s’enflamme, le même effet qu’un corps qu’on appliqueroit ſucceſſivement ſur un autre par le frottement.

Pourquoi l’eau éteint le Feu, & pourquoi un ſoufflet l’allume.C’eſt par cette raiſon que l’eau éteint le feu, & qu’un ſoufflet l’allume ; car l’eau empêche que les oſcillations que l’air communiquoit au Feu, parviennent juſqu’à lui, & le ſoufflet au contraire rend les vibrations de l’atmoſphere plus fortes & plus fréquentes.

La force avec laquelle un ſoufflet double de Forge pouſſe l’air dans le Feu, étant égale à la 30e. partie du poids de l’atmoſphere cette force doit faire ſortir l’air avec une grande vîteſſe, & le renouveller à chaque moment. On peut juger par-là combien un vent violent doit augmenter le Feu.

Des cauſes de l’extinction du Feu. Le Feu dure tant que l’action & la réaction excitée par cette preſſion de l’atmoſphere ſubſiſte. Ainſi trois choſes peuvent faire ceſſer le Feu.

1o. La conſommation du corps combuſtible.

2o. La ſuppreſſion du poids de l’atmoſphere.

3o. La deſtruction de l’élaſticité de l’air.

VIII.

Si le Feu eſt la cauſe de l’Élaſticité.

Le Feu n’eſt point la cauſe de l’élaſticité. Cette néceſſité de l’air élaſtique pour entretenir l’action du Feu, prouve bien clairement, ce me ſemble, que le Feu, loin d’être la cauſe de l’élaſticité de l’air, comme quelques Phénomenes pourroient d’abord le faire croire, en eſt au contraire le deſtructeur, car on voit toujours le Feu détruire cette proprieté dans l’air, & dans tous les corps.

Il la détruit dans l’air & dans tous les corps. 1o. Le Feu détend le reſſort de tous les corps, puiſque ce n’eſt que par cet effet qu’il les rarefie : or un corps eſt d’autant moins élaſtique que ſon reſſort eſt plus détendu, & il n’y a pas même d’autre moyen de faire perdre l’élaſticité à l’air & à tout autre corps, que de détendre ſon reſſort : Donc puiſque celui de l’air & d’un corps quelconque, eſt d’autant plus détendu qu’il eſt plus échauffé, le Feu ne peut être la cauſe de l’élaſticité de l’air, ni de celle d’aucun corps.

2o. Il eſt vrai que lorſque l’air eſt comprimé, le Feu augmente ſon reſſort ; mais cette augmentation ſuit la raiſon des poids qui le compriment, & non celle du Feu qu’on lui applique : Donc ce n’eſt pas le Feu qui lui donne l’élaſticité, & il n’augmente celle de l’air comprimé, que parce que l’air réſiſte à l’effort que fait le Feu pour détendre ſon reſſort, à proportion des poids qui le compriment.

3o. L’air de la moyenne région reçoit plus de rayons, & des rayons plus directs que l’air d’ici-bas, car ces rayons n’ont point d’atmoſphere à traverſer, & cependant cet air eſt bien moins élaſtique que celui qui eſt près de la ſurface de la Terre.

4o. Une bougie que l’on met ſous un rêcipient avant d’en avoir pompé l’air, détruit l’élaſticité de cet air, & ne s’éteint même qu’à cauſe de ce manque d’air élaſtique ; cependant ſi le Feu cauſoit l’élaſticité, il ne pourroit la détruire, & cet air devroit être très-élaſtique.

5o. Tous les corps perdent leur élaſticité par l’action du Feu, l’eau liquide, les métaux en fonte, qui ſont à peu près aux métaux froids, ce que l’eau liquide eſt à la glace, tous les corps enfin ceſſent d’être élaſtiques, dès que le Feu les a pénetrés : Donc le Feu détruit l’élaſticité, loin de la produire. Ce n’eſt pas ici le lieu d’examiner ce que c’eſt que l’élaſticité des corps ; il me ſuffit d’avoir prouvé que le Feu, loin d’en être le principe, en eſt le deſtructeur, & que s’il y contribuë, c’eſt en s’y oppoſant.

IX.

Si l’Électricité dépend du Feu.

Le Feu paroît être la cauſe de l’électricité. On peut croire avec plus de fondement que le Feu eſt la cauſe de l’Électricité.

L’analogie, ce fil qui nous a été donné pour nous conduire dans le labyrinthe de la Nature, rend, ce me ſemble, cette opinion très-vraiſemblable.

Preuves. 1o. Tous les corps contiennent du Feu, preſque tous ont la proprieté de retenir & de rendre la lumiere, & tous deviennent électriques par le frottement, ſi on en excepte les métaux & les liquides ; mais ces corps qui ne deviennent point électriques par eux-mêmes, le deviennent par communication.

2o. Il n’y a point d’électricité ſans frottement, & par conſéquent ſans chaleur.

3o. Preſque tous les corps électriques manifeſtent au-dehors la cauſe qui les anime, par les étincelles qu’ils jettent, & dont on s’apperçoit dans les ténébres.

4o. Leur lumiere ſubſiſte après que leur électricité eſt détruite, de même qu’il y a des corps qui donnent de la lumiere ſans chaleur.

5o. La gelée & un tems ſerein, ſont plus favorables qu’un grand chaud à l’électricité, comme au miroir ardent.

6o. Le Feu & la matiere électrique ont beſoin de l’air pour agir.

7o. Les corps les plus ſuſceptibles de l’électricité, font les moins propres à la tranſmettre, de même que les corps réfléchiſſent d’autant moins de lumiere, qu’ils s’échauffent davantage.

8o. L’humidité détruit l’électricité des corps, ſans détruire la lumiere électrique, ainſi que l’eau refroidit les corps, mais n’éteint point les Dails, les Vers luiſants, &c.

9o. Les corps homogênes s’empreignent de l’électricité, en raiſon de leur volume, de même que le Feu ſe diſtribuë ſelon les volumes, & non ſelon les maſſes.

10o. Les corps deviennent plus électriques lorſqu’on les échauffe avant de les frotter, &c.

Il ſemble par tous ces effets, que l’on peut, avec quelque vraiſemblance, regarder le Feu comme la cauſe de l’électricité.

Je ne diſconviendrai pas cependant que l’électricité nous montre d’autres Phénomenes, dont l’analogie avec ceux du Feu, n’eſt pas ſi aiſée à découvrir, auſſi ce que je viens de dire ſur cette queſtion ne doit-il être regardé que comme un doute que je ſoumets au Corps reſpectable à qui j’adreſſe cet Eſſai.

Si le Feu produit l’électricité, il y a grande apparence qu’il ſe joint à ſon action un atmoſphere particulier qui lui ſert de véhicule, & qui entoure les corps électriques ; que cet atmoſphere eſt la cauſe de ces ſubſaltations des corps légers qui ſont dans la ſphere de ſon activité, & que c’eſt cet atmoſphere qui décide l’eſpece d’électricité[3] des corps (peut-être eſt-ce lui qui opere la réfléxion de la lumiere) mais le Feu n’en paroît pas moins la cauſe efficiente des Phénomenes de l’électricité.

Le Philoſophe ingénieux, qui s’eſt appliqué à ſuivre ces nouveaux miracles de la Nature, peut eſpérer de nous en faire bientôt connoître la cauſe, ſi le travail, l’application & la ſagacité de l’eſprit, peuvent la faire découvrir.

X.

Comment le Feu agit dans le Vuide.

L’air paroît auſſi néceſſaire au Feu pour brûler, qu’aux Animaux pour vivre ; cependant la Machine Pneumatique nous a fait voir que cette regle ſi générale, a auſſi ſes exceptions.

Quelques corps s’enflâment dans le vuide. 1o. Du Souffre verſé dans le vuide ſur un Fer chaud, donne une lumiere très-foible à la verité, & qui s’éteint très-vîte, mais enfin il s’enflamme.

2o. Quelques grains de Poudre à Canon jettés ſur ce Fer, s’enflamment ſans exploſion. M. Hauksbée aſſure que lorſqu’on y en jette une plus grande quantité, elle fait exploſion & caſſe même le récipient : Boyle rapporte avoir fait à peu près la même expérience avec le même ſuccès.

3o. L’Huile de Gérofle s’enflamme dans le vuide, & c’eſt la ſeule de toutes les Huiles qui ait cette vertu.

4o. Les Pierres & les Métaux ſe vitrifient dans le vuide par la percuſſion, mais ils n’y jettent point d’étincelles.

5o. Du Phoſphore d’urine enfermé hermétiquement dans une boule de verre, à laquelle on donne un feu de 120 degrés, jette une flamme très-légere.

Je ne parle point des effets du Verre ardent dans le vuide, n’ayant pas eu la commodité de m’en inſtruire, & de faire les expériences néceſſaires.

Il eſt aſſez difficile de concevoir comment l’air peut être ſi néceſſaire au Feu pour brûler, & comment en même tems il peut y avoir des corps qui brûlent dans le vuide ; car quels ſeront les corps qui brûleront ſans air ? QuelleConjecture ſur la cauſe de ce phénomene. ſera enfin la cauſe de cette différence ? Seroit-ce que les corps plus inflammables, plus pleins de la matiere qui eſt l’aliment du Feu, comme le Souffre & la Poudre à Canon, s’enflammeroient plus aiſément, & que le Feu pour les embraſer n’auroit pas beſoin d’être excité par les ſecouſſes & le poids de l’atmoſphere ? La foibleſſe & le de durée de la flamme, que ces corps peu donnent dans le vuide, rendent cette conjecture aſſez vraiſemblable.

Cependant malgré ces exceptions, les corps en général ne s’allument point dans le vuide, & ils s’y éteignent très-promptement, maisLes corps ſe refroidiſſent également vite dans le vuide & dans l’air. ils s’y réfroidiffent préciſément dans le même eſpace de tems que dans l’air ; c’eſt de quoi M. de Muſſchenbroek s’eſt convaincu en mettant deux Pyrometres ſous deux récipiens, l’un plein d’air, & l’autre entierement vuide.

Ce réfroidiffement des corps dans le vuide, eſt une des plus fortes preuves de l’équilibre du Feu ; car ils ne ſe réfroidiffent pas dans le vuide, parce que l’air prend à tout moment de leur chaleur : Donc ils ſe réfroidiſſent alors par la ſeule tendance du Feu à l’équilibre ; ainſi le contact des corps froids accelere le réfroidiſſement des corps échauffés, mais il ne le cauſe pas.

L’eau bout d’autant plus promptement dans le récipient, que l’on en a tiré plus d’air, & les urines de différens Animaux, de même que pluſieurs mêlanges, y bouillent plus ou moins vîte, ſelon que le vuide eſt plus ou moins parfait.

Enfin la plupart des efferveſcences, tant chaudes que froides, s’operent dans le vuide comme dans l’air ; il y a même des liqueurs dont le mêlange ne fait point d’efferveſcence dans l’air, & qui fermentent ſous le récipient ; mais les bornes de ce mémoire ne me permettent pas d’entrer dans ces détails.

XI.

En quelle raiſon le Feu agit.

La Géometrie démontre qu’un corps qui eſt à deux pieds d’un Feu quelconque, en reçoit quatre fois moins de rayons que celui qui n’en eſt qu’à un pied ; & on conclut de cette démonſtration, que la lumiere & la chaleur croiſſent en raiſon inverſe du quarré de la diſtance, au corps lumineux.

La regle du quarré des diſtances n’a pas lieu dans la chaleur comme dans la lumiere. Cette concluſion ſeroit très-juſte, ſi la chaleur & la lumiere étoient aſſervies aux mêmes loix.

La lumiere n’étant que le Feu tranſmis en ligne droite juſqu’à nos yeux, ce Feu ne peut nous éclairer que par la quantité des rayons qu’il nous envoye.

Mais il paroît qu’il n’en eſt pas de même de la chaleur. Le Feu, par ſa chaleur, fait pluſieurs effets ſur les corps, qui ne paroiſſent pas pouvoir être attribués à la quantité ſeule de ſes parties, raſſemblées dans un plus petit eſpace.

Le Feu n’agit pas ſeulement par le nombre de ſes parties. 1o. L’effet le plus prompt & le plus violent que le Feu puiſſe faire, ſe produit par l’attrition de deux corps durs, le fer, & la pierre : or on ne peut attribuer, ce me ſemble, la vitrification preſque inſtantanée de ces corps, à la ſeule quantité des parties du Feu.

Cette expérience prouve encore que tout le Feu ne vient pas du Soleil, car elle réuſſit auſſi-bien à l’ombre qu’au Soleil, & la nuit que le jour.

Preuves. 2o. Le Pyrometre nous apprend qu’un Feu double n’opere pas un effet double, ni un Feu triple un effet triple dans la dilatation des corps : Donc le Feu n’agit pas toujours en raiſon de ſa quantité.

3o. Les Phoſphores brûlans produiſent des effets qui ne peuvent être attribués à la ſeule quantité du Feu qu’ils contiennent.

4o. La chaleur du cone lumineux qui va fondre l’Or & les Pierres dans le foyer du miroir ardent, eſt à 5 pouces de ce foyer, très-ſupportable à la main, & le Thermometre dans cet endroit, ne monte qu’à 190 degrés : or comment ſe peut-il que par la ſeule denſité des rayons, le Feu faſſe des effets ſi différens à 5 pouces de diſtance ſeulement ?

5o. Ce Phénomene nous apprend encore que la réſiſtance que les corps ſolides apportent à l’action du Feu, eſt une des cauſes qui augmentent le plus ſon activité, c’eſt ce qui fait qu’il regne un grand froid au-deſſus de l’atmoſphere.

6o. Si ces effets ſi prompts & ſi violens du miroir ardent, devoient être attribués à la ſeule quantité des rayons qu’il raſſemble à ſon foyer, il ſeroit impoſſible que la chaleur du Soleil fût ſi moderée, & qu’en Hiver même où il nous donne une chaleur ſi médiocre, le miroir ardent fît cependant ſes plus grands effets ; c’eſt ce que M. Lémery a très-bien remarqué : cet habile homme attribuë cette différence à l’air qui eſt entre le Soleil & nous, & qui modere la chaleur des rayons du Soleil, comme le bain-marie tempere la chaleur de notre Feu ; mais ne pourroit-on pas lui répondre que l’air eſt également entre le miroir ardent & ſon foyer, comme entre le Soleil & nous ? & que par conſéquent il devroit tempérer les effets des rayons raſſemblés par ce miroir, comme il tempere ceux des rayons que le Soleil nous envoye, le miroir & nos yeux les recevant du Soleil également affoiblis.

Le peu d’impreſſion que les rayons qui entrent dans nos yeux, font ſur cet organe, eſt encore une preuve que le Feu n’agit pas par la ſeule quantité.

Il paroît donc qu’il faut chercher une autre cauſe des effets des verres brûlans, puiſqu’ils ne peuvent être attribués à la ſeule quantité des rayons qu’ils raſſemblent à leur foyer.

Les parties du Feu acquerent une nouvelle force par leur approximation. Puiſque ce n’eſt pas ſeulement par leur denſité que les rayons operent tous les effets que des verres brûlans, ce ne peut être que parce qu’ils acquerent une nouvelle force par leur approximation.

Le Feu ne ſeroit pas ſeul dans la Nature dont l’approximation déployeroit la force : l’Aimant n’eſt-il pas dans ce cas, & la diſtance ne détermine-t-elle pas ſa vertu à agir ?

Preuves. J’ai prouvé dans ma premiere partie, article VII. que les particules du Feu, ont une force qui les porte à ſe répandre également de tous côtés, & que cette proprieté du Feu paroît néceſſaire à la conſtitution & à la conſervation de l’Univers : or pourquoi cette force n’augmenteroit-t-elle pas en raiſon de l’approchement réciproque des rayons.

Il eſt difficile, à la verité, d’aſſigner en quelle proportion l’approchement des raïons augmente cette force.

Ce problême (s’il eſt poſſible) me paroît digne de l’attention des Philoſophes ; mais quelle que ſoit la proportion de cette augmentation de force que les rayons acquerent par l’approximation, il eſt de l’uniformité avec laquelle la Nature procede, qu’elle ſoit d’autant plus grande qu’ils ſont plus rapprochés, & c’eſt vraiſemblablement à cette force qu’on doit attribuer les prodigieux effets des verres brûlans.

L’effort que les parties du Feu font ſans ceſſe pour s’éviter, & pour ſe répandre également de tous côtés, ſe voit à l’œil lorſqu’on approche deux bougies l’une de l’autre, & qu’on veut unir leurs flammes ; car on les voit viſiblement s’écarter & ſe fuir avec d’autant plus de force qu’on les approche davantage.

Il y a bien de l’apparence que le Feu agit toujours ſur les corps dans une raiſon compoſée de ces deux raiſons, ſçavoir, la denſité de ſes parties, & la force qu’elles acquerent dans leur approximation.

La premiere de ces raiſons, c’eſt-à-dire, la quantité des parties du Feu, tombe preſque ſous nos ſens, au lieu qu’il a fallu d’auſſi grandes différences que celles des effets des verres brûlans, pour nous faire appercevoir que quelqu’autre cauſe que la quantité des rayons qu’ils raſſemblent contribuoit à les produire.

Les efferveſcences nous démontrent que la plûpart des particules de la matiere, ſont l’une pour l’autre comme de petits Aimans, & qu’elles ont un côté attirant & un côté repouſſant. La tendance que les particules des corps ont à reſter enſemble par leur cohéſion, & l’effort que le Feu retenu dans leurs pores, fait ſans ceſſe pour les ſéparer, ſont ſans doute la cauſe de ces Phénomenes, & c’eſt le combat de ces deux pouvoirs antagoniſtes qui cauſe les efferveſcences, & peut-être la plûpart des miracles de la Chimie.

Les fermentations qui ſe font dans l’air, & qui cauſent les Tonnerres, les Vents, &c. nous prouvent encore que les corps ſe repouſſent & s’attirent, & que ce combat augmente dans l’approchement.

Cette nouvelle force que les particules de Feu acquerent dans l’approchement, ne peut être qu’une augmentation de mouvement, & c’eſt par ce mouvement augmenté, qu’ils détruiſent avec tant de facilité les corps les plus ſolides dans le foyer du Miroir ardent.

Objections contre cette opinion, & réponſes. Je ne veux point diſſimuler les Phénomenes qui paroiſſent contraires à l’opinion que je propoſe : les difficultés affermiſſent la verité, ce ſont autant de fanaux mis ſur la route, pour nous empêcher de nous égarer.

Je vais examiner quelques-unes de celles que j’imagine qu’on peut faire contre cette proprieté des rayons.

1o. Toute action eſt d’autant plus forte qu’elle eſt plus perpendiculaire ; & cette action mutuelle des rayons l’un ſur l’autre, ne pourroit être que latérale.

Il me ſemble que cette objection, qui paroît d’abord ſpécieuſe, eſt aiſée à détruire ; car, quel eſt l’effet du Feu ſur les corps, au foyer du verre ardent ? n’eſt-ce pas de les fondre, de les vitrifier, de les diſſiper, de les ſéparer enfin juſques dans leurs parties élémentaires ? Or une force qui n’agiroit que dans une ſeule direction, ne pourroit jamais produire ces effets ; il faut donc que le Feu agiſſe ſur les particules de ces corps, ſelon toutes ſortes de directions, pour les ſéparer à ce point : Donc cette action latérale, loin de diminuer la force des rayons, eſt préciſément ce en quoi elle conſiſte.

2o. Les rayons de la Lune, quoique très-rapprochés dans le foyer d’un verre ardent, ne paroiſſent point augmenter leur force, car ils ne font aucun effet ſur les corps qu’on leur expoſe : Donc, peut-on objecter, les rayons n’ont pas cette force que vous leur ſuppoſez dans leur approchement, puiſque des rayons très-rapprochés en ſont privés.

Mais ſi on concluoit de ce raiſonnement que les rayons, n’acquerent pas dans leur approchement la force que je leur ſuppoſe, il faudroit en conclure auſſi qu’ils n’ont pas la vertu de brûler, parce que les rayons de la Lune ſont privés de cette proprieté.

3o. On peut dire encore que deux mêches dilatent moins une lamine de métal dans le Pyrometre, font moins d’effet ſur elle qu’une mêche, trois en font moins que deux, & ainſi de ſuite ; or cependant les rayons ſont plus rapprochés quand il y a deux mêches, que quand il n’y en a qu’une ; l’effet du Feu devroit donc être plus grand alors, mais il eſt plus petit : Donc cette expérience que j’ai citée ci-deſſus pour prouver mon opinion, lui paroîtroit contraire. Je répons à cette objection.

Premierement, que cette force que les rayons acquerent dans l’approchement, n’eſt pas aſſez augmentée dans l’expérience dont il s’agit ; ainſi dans ce cas l’effet n’eſt pas proportionné ſeulement à l’approximation des parties du Feu, mais il dépend de cette approximation, & de la réſiſtance qu’on lui oppoſe.

Secondement, lorſque ces deux mêches ſont éloignées, la dilatation eſt moindre que lorſqu’elles ſont rapprochées. Ainſi la force que le Feu acquert par l’approximation de ſes parties, ſe manifeſte même alors dans un effet preſqu’inſenſible.

Conjecture ſur l’action du Feu dans Saturne & dans les Cometes.

Cette augmentation de la force du Feu, par l’approximation de ſes parties eſt peut-être une des voyes dont le Créateur s’eſt ſervi pour ſuppléer à l’éloignement où Saturne & les Cometes ſont du Soleil. Peut-être les rayons agiſſent-ils dans ces Globes, en raiſon du cube des approchemens, & alors une très-petite quantité de rayons peut ſuffire pour les échauffer & pour les éclairer.

XII.

Du Refroidiſſement des corps.

Les corps les plus ſolides ſont ceux qui ſe refroidiſſent le plus lentement. 1o. Plus un corps reçoit difficilement le Feu dans ſes pores, & plus il l’y conſerve long-tems, car ce corps réſiſte par ſa maſſe & par la cohérence de ſes parties, à l’effort que fait le Feu pour l’abandonner ; ainſi plus un corps eſt ſolide, plus il ſe refroidit lentement.

2o. Les corps légers au contraire cédant aiſément à l’action du Feu, s’échauffent plus promptement, & ſe refroidiſſent de même ; ainſi le Feu échauffe davantage les plus grands, & plus long-tems les plus maſſifs, car il ſe diſtribuë ſelon les eſpaces & non ſelon les maſſes.

3o. Deux globes de Fer également échauffés, conſervent leur chaleur en raiſon directe de leur diametre ; car plus leur diametre eſt grand, moins ils ont de ſurface par rapport à leur maſſe, & moins le Feu trouve d’iſſuë pour s’échapper de leurs pores ; & de plus, l’air extérieur qui les environne les touchant en moins de points, prend moins de leur chaleur.

Conjecture ſur la forme du Soleil. Par la même raiſon, la figure ſphérique eſt la plus propre à conſerver long-tems la chaleur, car c’eſt de toutes les figures celle qui a le moins de ſurface, par rapport à ſa maſſe, & le Feu ne trouve dans un globe aucun endroit qu’il puiſſe abandonner plus aiſément qu’un autre, car ils lui oppoſent tous une réſiſtance égale.

Cette raiſon pourroit faire croire que le Soleil & les Étoiles fixes, ſont des corps parfaitement ſphériques (en faiſant abſtraction de l’effet de leur force centrifuge.)

4o. Les corps qui prennent le plus de la chaleur des autres corps, ſont réputés les plus froids ; c’eſt pourquoi le Marbre nous paroît plus froid que la Soye, car les corps les plus denſes, ſont ceux qui prennent le plus de notre chaleur, parce qu’ils nous touchent en plus de points, & le Marbre étant ſpécifiquement plus denſe que la Soye, doit nous paroître plus froid.

En quelle raiſon les corps communiquent leur chaleur. 5o. Un cube de Fer chaud étant mis entre deux cubes froids, l’un de Marbre, & l’autre de Bois, ce Fer ſe refroidira plus par le contact du Marbre, mais il échauffera davantage le Bois dans un même tems, car le Marbre s’échauffe plus difficilement que le Bois, à peu près en raiſon de la péſanteur ſpécifique de ces deux corps.

Mais ſi on laiſſe ces trois cubes aſſez long-tems dans un même lieu, la chaleur du cube de fer ſe diſtribuera aux deux autres, & à l’air qui les entoure ; de façon qu’au bout de quelque tems, ils ſeront tous trois de la même température que l’air dans lequel ils ſont.

Du refroidiſſement des fluides 6o. Les différentes liqueurs ſe refroidiſſent dans un tems proportionnel à peu près, à leur maſſe, & à la glutinité de leurs parties.

7o. La chaleur des corps qui ſe refroidiſſent, eſt plus forte au centre, car le Feu abandonne toujours la ſuperficie la premiere.

8o. L’eau qui éteint le Feu, conſerve le Phoſphore d’urine, car ce Phoſphore, tant qu’il ne brûle pas, eſt comme un Feu éteint, ainſi l’eau l’éteint en un ſens en le conſervant ; c’eſt une eſpece de créature qu’on lui confie, & qu’elle rend dès qu’on la lui redemande.

Toutes ces regles, ſelon leſquelles le Feu abandonne les corps, ſont ſujettes à des exceptions, de même que celles ſelon leſquelles il les pénetre, mais le détail en ſeroit infini.

Le Pyrometre qui nous a appris la marche de la dilatation des corps, nous marque auſſi celle de leur contraction : en général, les corps ſe contractent d’autant plus lentement qu’ils ſe ſont moins dilatés par un même Feu, & vice verſâ, le Feu abandonne les corps plus lentement qu’il ne les pénetre, &c. Mais les bornes que je me fuis preſcrites, ne me permettent pas d’entrer dans le détail de ces expériences.

XIII.

Des cauſes de la Congélation de l’Eau.

Il y a trois ſortes de froids.

Le premier eſt celui qui dépend de la diſpoſition de nos organes, car nos ſens nous font ſouvent juger qu’un corps eſt plus froid qu’un autre, quoiqu’ils ſoient tous deux de la même température ; c’eſt par cette illuſion que le Marbre nous paroît plus froid que la Laine, que le Peuple croit les Caves plus chaudes en Hiver qu’en Été, &c.

Le ſecond eſt celui des corps qui ſe refroidiſſent réellement, & que le Feu abandonne ; cette ſorte de froid n’eſt autre choſe que la diminution du Feu, & c’eſt d’elle dont j’ai parlé dans l’article précedent. C’eſt ainſi que toute la Nature ſe refroidit & ſe contracte l’Hiver, par l’abſence du Soleil, & par l’obliquité de ſes rayons.

Le troiſiéme eſt la congélation.

L’abſence du Feu n’eſt pas la ſeule cauſe de la congélation. Il ſemble par toutes les circonſtances qui accompagnent cette troiſiéme eſpece de froid, qu’il ne peut être attribué à la ſeule abſence du Feu ; & qu’il faut en chercher une autre cauſe dans la Nature.

Preuves.

1o. Le Feu raréfie tous les corps qu’il pénetre, & augmente par conſéquent leur volume : Donc ſi la glace n’étoit cauſée que par l’abſence du Feu, elle ſeroit de l’eau contractée, & elle devroit être ſpécifiquement plus péſante que l’eau ; mais il arrive tout le contraire, l’eau augmente ſon volume par la congélation, environ dans la proportion de 8 à 9, & elle l’augmente d’autant plus que le froid eſt plus grand, & qu’elle devroit être plus contractée : Donc la glace n’eſt pas cauſée par l’abſence du Feu ſeulement.

2o. Cette augmentation de volume de l’eau glacée, ne peut être attribuée aux bulles que l’air qui s’échappe de ſes pores, éleve dans ſa ſubſtance ; car de l’eau purgée d’air, avec tout le ſoin poſſible, ſe gele ſans faire paroître aucune de ces bulles, & cependant ſon volume augmente.

3o. Le Feu étant le principe du mouvement interne des corps, moins un corps contient de Feu, plus ſes parties doivent être en repos ; ainſi ſi la glace n’étoit cauſée que par l’abſence du Feu, elle devroit être privée de tout mouvement ſenſible, mais cependant il ſe fait une fermentation très-violente dans ſa ſubſtance, cette fermentation va même juſqu’à lui faire rompre les vaſes qui la contiennent, quelque ſolides qu’ils ſoient ; on ſçait qu’elle fit peter un canon de Fuſil que M. Huguens expoſa ſur ſa fenêtre pendant l’Hiver, après l’avoir rempli d’eau : Donc l’abſence du Feu n’eſt pas la ſeule cauſe de la congélation.

4o. Ce mouvement dans lequel les parties de la glace ſe trouvent continuellement, ſe prouve encore par les exhalaiſons qu’elle rend, elles ſont ſi conſidérables, que ſon poids en diminuë ſenſiblement. M. Hals a obſervé que ſi une ſurface d’eau s’évapore de 1/21e. de pouce en 9 heures, à l’ombre, pendant l’Hiver, la même ſurface de glace, miſe dans le même endroit, s’évapore pendant le même tems, de 1/31e ; c’eſt cette tranſpiration qui fait que la neige qui eſt ſur la terre, diminuë, même par le plus grand froid.

Enfin, dans les Étangs pendant la gelée on entend le bruit cauſé par cette efferveſcence, ainſi la ceſſation du mouvement n’eſt pas plus la cauſe de la congélation, que le mouvement n’eſt la cauſe du Feu.

5o. Si la glace n’étoit que la privation du Feu, il devroit toujours dégeler dès que Thermometre monte à 33 degrés au-deſſus de la congélation ; mais le Thermometre monte ſouvent juſqu’à 36 & même juſqu’à 41, ſans qu’il dégele ; & au contraire, il dégele quelquefois lorſque le Thermometre eſt au-deſſous de 32 degrés : Donc l’abſence du Feu n’eſt pas la ſeule cauſe de la congélation.

6o. Si le Feu en ſe retirant des pores de l’eau, étoit la ſeule cauſe de la congélation, on ne pourroit attribuer cet effet qu’à l’abſence du Soleil, qui fait ſeul la différence du plus ou du moins de Feu répandu dans l’Atmoſphere, pendant l’Hiver & l’Été.

Or M. Amontons, qui nous a ſi fort éclairés ſur toutes ces matieres, a trouvé par ſes obſervations ſur le Thermometre, que le froid de l’Hiver ne différe du chaud de l’Été, que comme 7 differe de 8 : or comment une ſi petite différence dans la chaleur pourroit-elle ſuffire pour changer les fluides en ſolides, & pour faire périr quelquefois une partie des germes de la Nature ?

Si la congélation ne peut être attribuée à la ſeule abſence du Feu, il faut donc en chercher quelque autre cauſe dans la Nature ; les circonſtances qui l’accompagnent, ſont ce qui peut nous ſervir le plus à découvrir cette cauſe, ainſi il faut les examiner avec ſoin.

Il ſe mêle des parties hétérogenes à l’eau, leſquelles ſont la cauſe de ſa congélation. Nous voyons que les parties de la glace ſont dans un grand mouvement, il faut donc qu’il ſe mêle à l’eau, lorſqu’elle ſe gele, des parties hétérogênes, qui ſoient cauſe de cette efferveſcence continuelle ; car aucun fluide ne fait efferveſcence, s’il ne ſe joint à lui quelque corps hétérogêne avec lequel il fermente.

L’exiſtence de ces parties qui ſe mêlent à l’eau, & qui produiſent ſa congélation, paroît prouvée par une foule d’expériences.

1o. L’eau de la glace fonduë s’échauffe bien plus difficilement que l’autre ; elle n’eſt plus propre à faire ni Caffé ni Thé, & ceux qui ont le palais délicat, la diſtinguent facilement au goût : il faut donc qu’il ſe ſoit mêlé des parties hétérogênes à cette eau, puiſque ſa ſaveur & ſa qualité font changées. Ces parties hétérogênes donnent des goitres & des maux de gorge continuels aux habitans des Alpes qui boivent de l’eau de neige.

2o. L’eau expoſée à l’air ſe gele beaucoup plus vîte que l’eau enfermée hermétiquement dans une bouteille de verre, & cependant ces deux eaux contiennent également de particules de Feu ; & les particules de Feu paſſent à travers le verre avec facilité : Donc ſi l’abſence du Feu faiſoit la congélation, il ne devroit pas y avoir une ſi grande différence dans la vîteſſe de la congélation de ces deux eaux : Donc puiſqu’elle s’opere ſi inégalement, c’eſt une marque certaine que des particules hétérogênes ſe mêlent à l’eau dans le tems de la congélation, & que ces particules paſſent plus facilement dans cette eau, lorſqu’elle eſt en plein air, que lorſqu’elle eſt enfermée dans une bouteille.

3o. L’épaiſſeur de la glace n’augmente pas à proportion du froid qu’il fait, plus la glace eſt épaiſſe le premier jour de la gelée, moins ſon épaiſſeur augmente le ſecond, & ainſi de ſuite ; marque certaine qu’il s’eſt introduit dans ſa ſubſtance, des particules hétérogênes qui ont bouché ſes pores & ſes interſtices, & en ont rendu par-là, l’accès plus difficile à celles qui veulent y pénétrer ; mais les particules de Feu qui pénétrent les pores d’un Diamant, devroient ſortir de cette eau glacée avec la même facilité, quelle que ſoit ſon épaiſſeur : il faut donc qu’il ſe fiche dans les particules de l’eau qui ſe gele, des particules roides qui rempliſſent ſes pores, & qui ſont cauſe de ſa congélation.

Expérience ſinguliere faite par l’Académie de Florence, qui prouve cette opinion. 4o. Il eſt rapporté dans les expériences de l’Académie de Florence, que 500 livres de glace ayant été expoſées à un Miroir concave, les parties frigérifiques firent baiſſer ſenſiblement un Thermometre qu’on avoit placé à ſon foyer, les Philoſophes qui firent cette expérience craignant que ce ne fût l’effet direct de cette maſſe de glace ſur le Thermometre, qui l’eût fait baiſſer, couvrirent le Miroir, & alors le Thermometre hauſſa, quoique les 500 livres de glace n’euſſent pas changé de place : Donc ce Miroir réfléchiffoit réellement des rayons glacés : Donc il falloit qu’il y eût dans cette glace des particules frigérifiques ; car ſi la ſeule privation du Feu faiſoit la congélation, le Miroir n’auroit pû raſſembler, réfléchir le froid ; une privation ne pouvant être ni réfléchie, ni rapprochée.

Mais quelles ſont ces particules frigérifiques ? c’eſt ce qui nous reſte à examiner.

Les eaux glacées que nous faiſons, nous font connoître quelles ſont les parties frigérifiques qui cauſent la glace. Les Hommes ont inventé un art qui peut ſervir également à leur inſtruction & à leurs plaiſirs ; la façon dont on fait ce qu’on appelle des eaux glacées, peut nous ſervir d’indice pour découvrir la maniere dont les congélations naturelles s’operent.

Tout le monde ſçait que de l’eau contenuë dans un vaſe que l’on entoure de ſel & de neige, ſe glace, quelque chaud que ſoit l’Atmophere, dès que le Sel commence à fondre la neige ; mais ſi au lieu de ſel on met de l’Eſprit de Nitre avec la Neige, le froid qui ſe produit alors, fait baiſſer le Thermometre à 72 degrés au-deſſous de la congélation : c’eſt Faheinrheit qui fit le premier cette expérience, & elle nous prouve invinciblement qu’il y a encore beaucoup de Feu dans la glace naturelle, puiſqu’on peut produire une ſorte de froid, qui ſurpaſſe de 72 degrés celui qui fait geler l’eau ſur la terre. Et qui oſera mettre des bornes à cette puiſſance d’exciter le froid ! Ainſi cette expérience nous fait voir que nous ne connoiſſons pas plus les bornes de la congélation, que celles de la chaleur.

Ces particules ſont les Sels & les Nitres dont l’air eſt chargé. Il y a grande apparence que les congélations naturelles s’operent de la même maniere que nos congélations artificielles, & que les particules de Sel & de Nitre, que le Soleil éleve dans l’air, & qui retombent enſuite ſur la terre, s’inſinuent dans l’eau, bouchent ſes pores, & ſe fichant comme autant de cloux entre ſes interſtices, en chaſſent les particules de Feu, & font enfin que cette eau paſſe de l’état de fluide, à celui de ſolide : ainſi l’abſence du Feu eſt une des cauſes de la congélation, mais elle n’en eſt pas la ſeule cauſe, car quoiqu’il ſoit vrai que dans toute congélation les particules de Feu s’envolent d’entre les pores de l’eau, cependant ſans les particules roides qui s’y inſinuent, l’abſence ſeule du Feu ne ſuffiroit pas pour la réduire en glace : c’eſt ce qui paroît encore dans les liqueurs ſpiritueuſes, comme Eau forte, l’Eſprit de Vin, &c. qui ne Pourquoi l’Eſprit de vin & d’autres liqueurs ne gelent point. gelent point, quoique, dans le froid, il ſe retire beaucoup de particules de Feu de leurs pores.

Ces liqueurs qui ne gelent jamais dans nos climats reçoivent à la verité des parties frigérifiques comme celles qui ſe gelent, mais vraiſemblablement ces particules frigérifiques ne fermentent point avec ces liqueurs comme elles font avec l’eau ; ce qui fait qu’elles ne ſe gelent point, & que l’eau gele.

Plus on examine les congélations, plus on ſe perſuade que les particules de Sel & de Nitre qui s’introduiſent dans l’eau, en ſont la cauſe.

1o. Les lieux qui abondent en glace & en neige, ſont tous remplis de Sel & de Nitre ; ainſi il y a des pays où il gele la nuit du jour le plus chaud : telle eſt la partie ſeptentrionale de la Perſe & de l’Armenie. M. de Tournefort, que l’amour des Sciences entraîna juſques dans ces pays, a remarqué qu’ils abondent en Nitre & en Sel ; le Soleil qui y eſt très-chaud, éleve le jour, par ſa chaleur, ces particules nitreuſes, & elles retombent la nuit ſur la terre où elles s’infinuent dans l’eau, & la gelent malgré les particules de Feu qui ont pénétré dans cette eau pendant le jour, par la préſence du Soleil.

2o. Lorſqu’un pays abonde en ces ſortes de particules nitreuſes & ſalines, la chaleur du Soleil doit les élever de la terre pendant l’Été, plus que pendant l’Hiver, car elle eſt beaucoup plus forte ; ainſi il doit geler l’Été dans ces pays, & c’eſt ce qui arrive en pluſieurs endroits de l’Italie, de la Suiſſe & de l’Allemagne où il y a des Lacs, & même un Fleuve dans l’Évêché de Bâle, qui, au rapport de Scheuchſerus, ne gele que dans l’Été.

On connoît la ſçavante Deſcription que M. de Boze a faite des Grottes de Beſançon, & l’on ſçait que ces Grottes dans le plus fort de l’Été, ſont pleines de glace, & que plus il fait chaud, plus cette glace eſt épaiſſe ; il ſort de ces Grottes pendant l’Hiver, une eſpece de fumée, laquelle annonce la liquéfaction de cette glace, & un ruiſſeau qui eſt dans le milieu de la Grotte, gele l’Été, & coule l’Hiver. M. de Billerez a examiné la terre qui couvre & entoure ces Grottes, & il l’a trouvée pleine de Nitre, & de Sel ammoniac ; le Soleil fond ces Sels bien plus facilement l’Été que l’Hiver, ces Sels coulent dans ces Grottes par des fentes, & l’eau qu’elles contiennent, ſe glace d’autant plus, que l’Été étant plus chaud, le Soleil fait fondre une plus grande quantité de ces Sels : or que la glace de ces Grottes en contienne beaucoup, cela eſt certain, car lorſqu’on la fait fondre & évaporer, il reſte dans le fond, une terre qui a le même goût à peu-près que les Yeux d’Écreviſſes.

Pourquoi de l’eau entourée de glace & de Sel, gele ſur le Feu.

3o. Si l’on met de la Neige & du Sel autour d’un vaſe plein d’eau, & que l’on mette le tout ſur le Feu, l’eau qui eſt dans le vaſe ſe gelera d’autant plus vite que le Feu ſera plus grand, & que la Neige ſera plutôt fonduë, ce qui ne peut venir que de ce que le Feu chaſſe d’entre les pores de la Neige, les parties roides qu’elle contenoit, & que ces particules s’inſinuent dans l’eau & la gelent ; car on ne dira pas, je crois, que le Feu prive l’eau du vaſe, des particules de Feu qu’elle contenoit, ni qu’il diminuë leur mouvement ; c’eſt de la même maniere que la Neige & le Sel font geler l’eau ſans être deſſus le Feu, car le Feu ne fait qu’accélérer ſa congélation.

Il n’y a point de pays dont la terre ne contienne de ces particules ſalines & nitreuſes, que j’appelle parties frigérifiques, mais les régions qui en contiennent le moins, ſont, toutes choſes d’ailleurs égales, beaucoup moins froides que les autres.

Je dis, toutes choſes d’ailleurs égales, car il y a des vents qui apportent ces ſortes de particules avec eux, c’eſt ce dont on ne peut douter, ſi on fait attention aux effets qu’ils produiſent.

De certains vents apportent avec eux le Sel & le Nitre, qui cauſent la glace.

1o. Au mois de Juin, dans le milieu de l’Été, & par un tems très-ſerein, l’irruption inopinée d’un vent d’Eſt vient geler la pointe des herbes, les vignes, les foſſes qui contiennent une eau dormante, & changer entierement la température de l’air : or ſi ce vent n’apportoit avec lui ces particules nitreuſes qui font la congélation, il ne pourroit réfroidir à ce point les herbes & l’eau échauffées depuis long-tems par le Soleil.

Or pourquoi le vent d’Eſt, qui vient d’un pays très-chaud, fait-il plutôt cet effet que le vent du Nord, qui vient du Pole, ſi ce n’eſt parce qu’il apporte avec lui ces particules de Sel & de Nitre, dont le Soleil éleve une plus grande quantité dans ces contrées chaudes, que ſous le Pole ? Donc ce n’eſt pas ſeulement parce que le vent s’applique ſucceſſivement aux corps qu’il les réfroidit.

2o. Il gele quelquefois aux deux côtés, & non au milieu, dans un endroit, & non dans un autre qui lui eſt contigu ; ces effets ne peuvent être aſſurément attribués à l’abſence du Feu, car ces deux endroits en contiennent également ; mais on voit avec évidence qu’un vent d’Eſt qui ſouffle dans un endroit, & non pas dans un autre dont quelque Montagne lui défend l’entrée, doit répandre dans cet endroit où il ſouffle, les particules nitreuſes dont il eſt chargé, ce qui cauſe la congélation.

3o. Une preuve que le vent par lui-même ne réfroidit point l’air, & qu’il faut que ceux qui cauſent le froid, apportent avec eux des particules frigérifiques ou de la glace, c’eſt qu’en ſoufflant avec un ſoufflet ſur un Thermometre, on ne le fait jamais baiſſer.

Pourquoi il gele rarement l’Été dans nos climats.

4o. Il gele rarement l’Été, dans les climats qui n’abondent pas dans ces parties frigérifiques, parce que les particules de Sel & de Nitre étant plus diviſées, plus petites, par l’agitation que la chaleur du Soleil cauſe dans toute la Nature, elles ſe ſoutiennent dans l’Atmoſphere lorſque le Soleil les éleve de la terre, & ne retombent point ſur la terre comme en Hiver ; & de plus, les parties de l’eau étant dans un grand mouvement, le peu qui retombe de ces particules ſur la terre, ne peut ſuffire pour la geler.

L’air ne gele point, apparemment à cauſe de la rareté de ſes parties, & de leur prodigieux reſſort. Il me ſemble qu’on peut conſidérer l’air extrêmement comprimé, comme une eſpece d’air gelé, & apparemment qu’il n’eſt pas ſuſceptible par ſa nature, d’une autre ſorte de congélation.

Ces particules ſalines & nitreuſes, qui s’introduiſent dans l’eau, & qui devroient la rendre plus péſante lorſqu’elle eſt gelée, n’empêche pas cependant que ſa péſanteur ſpécifique ne diminuë, l’augmentation de ſon volume & les exhalaiſons qui en ſortent, empêchant qu’on ne s’apperçoive du poids de ces corpuſcules, qui ſont d’ailleurs très-déliés, & il ſe peut très-bien faire que leur poids ſoit inſenſible à la groſſiereté de nos balances, de même que celui des corpuſcules du Muſc, de l’Ambre, & de toutes les odeurs.

Je ne crois pas, après toutes ces raiſons, qu’on puiſſe s’empêcher de reconnoître que ces particules (dont tous les Phénomenes de la Nature, & toutes nos opérations ſur la glace, nous démontrent l’exiſtence) ſont abſolument néceſſaires à la congélation de l’eau, & que ſans elles on n’en pouvoit aſſigner aucune cauſe.

XIV.

De la Nature du Soleil.

On n’a communément qu’une idée vague de la nature du Soleil, on voit que ſes rayons nous échauffent, & qu’ils brillent ; & on en conclut que le Soleil doit être un globe de Feu immenſe, qui nous envoye ſans ceſſe la matiere lumineuſe dont il eſt compoſé.

Le Soleil ne peut être un globe de Feu. Mais qu’entend-on par un globe de Feu ? Si l’on entend un globe entier de particules ignées, de feu élémentaire, j’oſe dire que cette idée eſt inſoutenable.

En voici les raiſons.

1o. Le Feu qui fond l’Or & les Pierres au foyer d’un Verre ardent, diſparoît en un inſtant, ſi on couvre ce Miroir d’un voile ; & il ne reſte aucun veſtige de ce Feu, qui un moment auparavant faiſoit des effets ſi puiſſans : DoncIl faut qu’il ſoit ſolide, puiſqu’il ne ſe diſſipe pas. ſi le Soleil étoit un globe de feu, s’il n’étoit pas un corps ſolide, un ſeul inſtant d’émanation ſuffiroit pour le détruire, & il auroit été diſſipé dès le premier moment qu’il a commencé d’exiſter.

2o. La chaleur & la lumiere ne diſparoiſſent ainſi au foyer du Verre ardent, que par la proprieté que le Feu a de ſe répandre également de tous côtés, lorſqu’aucun obſtacle ne s’oppoſe à ſa propagation quaquaverſum. Donc ſi le Soleil étoit un globe de feu, le Feu ne pourroit avoir cette tendance quaquaverſum ſans que le Soleil fut détruit en un inſtant : Donc puiſqu’il eſt certain par les expériences, que cette proprieté eſt ſéparable du Feu, le Soleil ne peut être compoſé ſeulement de particules ignées.

3o. On ne peut dire que le Soleil ne ſe diſſipe pas par l’émanation, parce que l’Atmoſphere qui l’entoure, repouſſe ſans ceſſe vers lui les particules lumineuſes qui émanent de ſa ſubſtance ; car ſi cet Atmoſphere les repouſſoit vers lui, elles ne viendroient pas à nous : Donc en ſuppoſant l’émiſſion de la lumiere cet Atmoſphere ne pourroit empêcher que le Soleil & les Étoiles fixes, ne ſe diſſipaſſent par l’émanation s’ils n’étoient des corps ſolides.

Quelques Philoſophes pour trancher apparemment toutes ces difficultés, avoient imaginé que les rayons que le Soleil nous envoye, retournoient enſuite à cet Aſtre.

5o. Le Soleil eſt au centre de notre ſyſtême planétaire, tous les Philoſophes en conviennent : cependant s’il eſt un globe de Feu, il paroît qu’il ne peut occuper cette place ; car, ou bien le Feu eſt peſant & déterminé vers un centre, ou bien il ne peſe pas, & ne tend vers aucun point, plûtôt que vers un autre : Or dans le premier cas, tous les corpuſcules de Feu qui compoſent le corps du Soleil, tendroient vers le centre de cet Aſtre, & alorsSi le Soleil étoit un globe de Feu, il ne pourroit être au centre du monde. la propagation de la lumiere ſeroit impoſſible ; car comment le Soleil par ſa rotation ſur ſon axe, pourroit-il faire acquerir aux particules de Feu qui le compoſent, une force centrifuge aſſez Si le Feu étoit peſant, il ne pourroit émaner du Soleil.grande pour les obliger à fuir avec tant de force, le centre de gravité auquel elles tendent, & pour leur faire parcourir par cette ſeule force centrifuge, 33 millions de lieuës en 7 ou 8 minutes ?

Si au contraire, le Feu n’eſt pas peſant, s’il n’eſt déterminé vers aucun point, quel pouvoir le retiendra au centre de l’Univers, & s’oppoſera à l’effort de la force centrifuge que les particules de Feu qui le compoſent doivent acquerir par la rotation du Soleil, qui l’empêchera enfin de ſe diſſiper ? Il faut donc que le Soleil ſoit un corps ſolide, puiſqu’il ne ſe diſſipe pas, & qu’il eſt au centre de notre monde : & il faut que le Feu ne ſoit pas peſant, puiſqu’il émane du Soleil.

Qu’il me ſoit permis de ſuppoſer un moment, l’attraction Newtonienne ; le Soleil dans ce ſyſtême, eſt au centre de notre monde planétaire, & cette place lui eſt aſſignée par les loix de la gravitation, parce qu’ayant plus de maſſe que les autres globes, il les force à tourner autour de lui : or ſi le Feu ne peſe point (comme je crois l’avoir prouvé) comment le Soleil peut-il être un corps de Feu, c’eſt-à-dire, un corps non peſant, & attirer cependant tous les corps céleſtes vers lui, en raiſon de ſa plus grande maſſe ? IlIl faut abſolument que le Soleil ſoit un corps ſolide dans le ſyſtême de M.Nevvton. eſt donc néceſſaire dans le ſyſtême de l’attraction, ou que le Soleil ſoit un corps ſolide ; ou que le Feu peſe, & qu’il tende vers un centre ; mais ſi le Feu du Soleil tend vers ſon centre, par quelle puiſſance s’éloignera-t-il toujours de ce centre, Auſſi M. Newton croyoit-il le Soleil un corps ſolide.

Il paroît preſque démontré par toutes ces raiſons, que le Soleil n’eſt pas un globe de Feu, & qu’il eſt un corps ſolide, mais de quoi ce corps eſt-il compoſé ? D’où lui vient cette quantité preſque infinie de particules ignées qu’il paroît projetter à tout moment, ſans s’épuiſer ?

Ceux qui ſoutiennent l’émanation de la lumiere pourroient répondre à ces difficultés, qu’il eſt très-poſſible que le Soleil ſoit un corps extrêmement ſolide, que ce corps ſolide contienne dans ſa ſubſtance le Feu qu’il nous envoye ſans ceſſe, & que ce Feu en émane par de grands volcans ; ce globe retiendra par ſa ſolidité une partie de ce Feu, & les particules ignées pourront en émaner ſans ceſſe.

Mais cette émanation de la lumiere eſt ſujette à de bien plus grandes difficultés, & paroît impoſſible à admettre malgré les obſervations modernes qui ſemblent la favoriſer ; des obſervations certaines ſuffiſent pour détruire une ſuperſtition lorſqu’elles lui paroiſſent contraires, mais elles ne ſuffiſent pas pour l’établir, & l’émanation de la lumiere a contr’elle des difficultés Phyſiques & Métaphyſiques qui paroiſſent ſi inſurmontables, qu’il n’y a point d’obſervations qui puiſſent la faire admettre juſqu’à ce qu’on les ait détruites ; mais ce n’eſt pas ici le lieu de les diſcuter.

La lumiere du Soleil paroît tirer ſur le jaune. Ainſi il faut que le Soleil projecte par ſa nature plus de rayons jaunes que d’autres car M. Newton a prouvé dans ſon optique page 216, que la lumiere du Soleil abonde en cette ſorte de rayons.

Il eſt très-poſſible que dans d’autres ſyſtêmes, il y ait des Soleils qui projectant plus de rayons rouges, verds, &c. que les couleurs primitives des Soleils que nous ne voyons point ſoient différentes des nôtres, & qu’il y ait enfin dans la Nature d’autres couleurs que celles que nous connoiſſons dans notre monde.

XV.

Du Feu Central.

Tout le Feu ne vient pas du Soleil.

Tout le Feu ne vient pas du Soleil, deux cailloux frappés l’un contre l’autre, ſuffiſent pour nous convaincre de cette vérité ; chaque corps & chaque point de l’eſpace a reçû du Créateur une portion de Feu en raiſon Le Createur a donné une portion de Feu à chaque partie de la matiere.de ſon volume ; ce Feu renfermé dans le ſein de tous les corps, les vivifie, les anime, les féconde, entretient le mouvement entre leurs parties, & les empêche de ſe condenſer entierement.

Le Soleil paroît deſtiné à nous éclairer, & à mettre en action ce Feu interne que tous les corps contiennent, & c’eſt par-là & par le Feu qu’il répand, qu’il eſt la cauſe de la végétation, & qu’il donne la vie à la Nature.

La chaleur du Soleil ne pénetre pas fort avant dans la terre. Mais ſon action ne pénétre pas beaucoup au-delà de la premiere ſurface de la terre ; on ſçait que les Caves de l’Obſervatoire qui n’ont environ que 84 pieds de profondeur, ſont d’une température égale dans le plus grand froid & dans le plus grand chaud. Donc le Soleil n’a aucune influence à cette profondeur.

Le Feu étant également répandu par-tout, & la chaleur du Soleil ne pénétrant point à 84 pieds de profondeur, le froid devroit augmenter à meſure que la profondeur augmente, puiſque le Soleil échauffe continuellement la ſuperficie, & n’envoye aucune chaleur à 84 pieds.

La chaleur augmente en approchant du centre de la terre.

Mais le froid, loin d’augmenter avec la profondeur, diminuë au contraire avec elle lorſqu’elle paſſe de certaines bornes ; c’eſt ce que M. Mariotte a éprouvé en mettant le même Thermometre conſécutivement dans deux Caves, l’une de 30 pieds de profondeur, & l’autre de 84 ; le Thermometre ne paſſa pas 51 degrés ½ dans la premiere, mais il monta à 53 degrés ½ dans la ſeconde : Donc puiſque la chaleur étoit plus grande à 84 pieds qu’à 30, il faut qu’un Feu renfermé dans les entrailles de la terre, ſoit la cauſe de cette chaleur, qui augmente lorſqu’elle devroit diminuer.

Les Volcans & les ſources d’eau chaude démontrent le Feu Central. Les Volcans & les Sources d’eau chaude, qui ſortent du ſein de la terre, les Métaux & les Minéraux qui végétent dans ſes entrailles, &c. nous démontrent ce Feu central que Dieu a vraiſemblablement placé au milieu de chaque globe, comme l’ame qui doit l’animer.

La chaleur de l’Été en eſt encore une preuve. M. de Mairan a fait voir que la chaleur du Soleil au Solſtice d’Été eſt à celle de cet Aſtre au Solſtice d’Hiver, comme 66 à 1, toute déduction faite : or ſi toute la chaleur venoit du Soleil, l’Été ſeroit 66 fois plus chaud que l’Hiver, & cependant il eſt prouvé par les expériences que M. Amontons a faites au Thermometre, que la chaleur de l’Été de nos climats ne differe du froid qui fait geler l’eau, que comme 8 differe de 7. Il faut donc qu’il y ait dans notre terre un fonds de chaleur indépendante de celle du Soleil.

Puiſque le Feu eſt également répandu par-tout, il faut que ce fonds de chaleur ait été mis par le Créateur dans le centre de la terre, d’où il ſe diſtribuë également à la même diſtance dans tous les corps qui la compoſent, en ſorte que s’il n’y avoit point de Soleil, tous les climats de la terre ſeroient également chauds, ou plûtôt également froids à ſa ſuperficie ; mais la chaleur augmenteroit, comme elle augmente réellement, à meſure que l’on approcheroit du centre de la terre.

Ainſi le Feu central paroît prouvé par les Phénomenes de la Nature, & il n’eſt nullement néceſſaire, pour l’expliquer, de recourir, comme un Philoſophe de nos jours, à une tendance du Feu en bas, tendance démentie par les expériences les plus communes, comme par les plus fines. Il ſuffit pour l’exiſtence de ce Feu, de la volonté du Créateur, & pour ſa conſervation, de la loi qui fait que le Feu ſe retire plus lentement des corps, à meſure qu’ils ſont plus denſes ; car le Feu, au centre de la terre, doit être retenu par un poids dont il ne peut vaincre la réſiſtance.

Lorſque ce Feu trouve quelqu’iſſuë, il ſort avec furie de cette fournaiſe ſouterraine, & c’eſt ce qui fait les Volcants, les Vents ſulphureux, &c. mais il ne peut jamais s’échapper qu’une très-petite partie de ce Feu renfermé dans les entrailles de la terre.

La chaleur de ce Feu ſouterrain augmente à meſure que l’on approche du centre de la terre, car puiſque la peſanteur de l’Atmoſphere retarde l’ébullition de l’eau, c’eſt-à-dire, le point auquel ſes pores laiſſent paſſer les particules de Feu, le Feu doit être d’autant plus puiſſamment retenu dans les entrailles de la terre, que le poids dont il eſt ſurchargé augmente ; or ce poids augmente avec la profondeur : Donc le Feu central doit ſe conſerver, & être d’autant plus ardent que l’on approche plus du centre de la terre.

La chaleur du Feu central diminuë vers la ſurface de la Terre, & celle du Feu du Soleil augmente près de cette ſurface. La chaleur du Soleil augmente d’autant plus qu’on approche plus de la ſurface de la terre, à cauſe de l’Atmoſphere dont les vibrations continuelles excitent ſa puiſſance ; mais la chaleur du Feu central, au contraire, diminue à meſure qu’on approche de cette ſurface, car le poids dont il eſt chargé eſt d’autant plus fort, & l’empêche plus puiſſamment de s’échapper.

Le Feu nous éclaire dès qu’il peut êtrẹ tranſmis en ligne droite juſqu’à nos yeux, mais il ne nous échauffe qu’à proportion de la réſiſtance que les corps lui oppoſent, & c’eſt-là une des plus grandes marques de C’eſt un effet de la Providence du Créateur, que le Feu brule plus difficilement, qu’il éclaire.la Providence du Créateur ; car ſi le Feu brûloit auſſi aiſément qu’il éclaire, nous ſerions expoſés à tout moment à en être conſumés, & s’il avoit beſoin de la réſiſtance des corps pour éclairer, nous ſerions ſouvent dans les ténébres ; mais dès qu’il frappe nos yeux, il nous donne une lumiere très-vive, & il ne nous échauffe jamais aſſez pour nous incommoder à moins que nous n’excitions ſa puiſſance, la plus grande chaleur de l’Été étant environ trois fois moindre que celle de l’eau bouillante,

Il y a grande apparence que la quantité de Feu dans les corps céleſtes, eſt proportionnelle à leur éloignement du Soleil. Le Feu qui eſt dans tous les corps, indépendamment du Soleil, & ce Feu central qu’on peut, avec bien de la vraiſemblance, ſuppoſer dans tous les globes, peut faire croire que la quantité du Feu dans les Planetes, eſt proportionnée à leur éloignement du Soleil : ainſi Venus qui en eſt plus près, en aura moins, Saturne & les Cometes qui en ſont très-éloignées, en auront davantage, chacune ſelon leur diſtance, Cette compenſation eſt d’autant plus néceſſaire, que la rareté de la matiere de Saturne, par exemple, ne peut ſeule ſuppléer à ſon éloignement, car étant dix fois plus loin du Soleil que nous, il en reçoit cent fois moins de rayons, & la matiere dont il eſt compoſé n’eſt qu’environ ſix fois & deux tiers plus rare que celle de notre terre : Donc tout y ſeroit dans une inaction & une condenſation qui s’oppoſeroit à toute végétation, s’il n’avoit un fonds de chaleur capable de ſuppléer à ſon éloignement du Soleil.

La matiere des Cometes doit être très-denſe, puiſqu’elles vont ſi près du Soleil, ſans ſe diſſoudre par ſa chaleur : Donc il faut que Dieu ait pourvû par la quantité du Feu central, ou bien par le Feu qu’il a répandu dans les corps qui compoſent ces globes à leur éloignement du Soleil, & peut-être auſſi a-t-il compenſé cette diſtance, en augmentant la raiſon dans laquelle le Feu y agit, de même qu’il a pourvû à l’illumination de Saturne & de Jupiter, par la quantité de leurs Lunes : ainſi il eſt inutile de ſuppoſer une hétérogénéité de matiere dans les globes placés à différentes diſtances du Soleil, mais ſeulement une quantité de Feu plus ou moins grande, ou une augmentation dans la raiſon ſelon laquelle les raions agiſſent ſur les corps.

Le Feu central conſerve toutes les propriétés que nous connoiſſons au Feu, mais il ne peut les déployer.

Le Feu conſerve toutes ſes proprietés dans le centre de la terre, il y tend à l’équilibre, ſes parties cherchent à ſe répandre de tous côtés, &c. mais il ne les exerce qu’en partie, car il ne peut ſurmonter entierement la force qui s’oppoſe à ſon action.

C’eſt ce Feu central qui fait que les Puits très-profonds ne ſe gelent point, que la Neige qui touche immédiatement la terre, fond plutôt que celle qui eſt ſur du chaume, ou ſur d’autres ſupports ; enfin c’eſt lui qui eſt cauſe en partie du dégel, qui fait que pendant la gelée la plus forte, l’eau fume ſous la glace, &c. Je n’aurois pas ſitôt fini, ſi je voulois entrer dans le détail de tous ſes effets.

Mais je n’ai déja que trop abuſé de la patience du Corps reſpectable à qui j’oſe préſenter ce foible Eſſai, j’eſpere que mon amour pour la vérité me tiendra lieu de talens, & que le déſir ſincere que j’ai de contribuer à ſa connoiſſance, me fera pardonner mes fautes.

Concluſion de la ſeconde Partie.

Je conclus de tout ce qui a été dit dans cette ſeconde Partie.

1o. Que le Feu eſt également diſtribué dans tous les corps inanimés.

2o. Que les créatures animées contiennent plus de Feu dans leur ſubſtance que les autres.

3o. Que l’attrition eſt le moyen le plus puiſſant pour exciter le Feu renfermé entre les Parties des corps.

4o. Que la maſſe des Corps, leur élaſticité & la rapidité du mouvement qu’on leur imprime, augmentent infiniment l’activité du Feu qu’ils contiennent, & que l’attrition excite.

5o. Que le Feu raréfie tous les Corps, & les étend dans toutes leurs dimenſions.

6o. Que les corps s’enflamment plus ou moins vîte ſelon leur couleur, toutes choſes d’ailleurs égales, & que les plus réflexibles ſont ceux qui s’enflamment les derniers.

7o. Que les liquides n’acquerent aucune chaleur par le plus grand Feu, paſſé l’ébulition.

8o. Que l’aliment du Feu, n’eſt pas du Feu, que ce ſont les parties les plus tenuës des corps que le Feu enleve, & qu’elles ne ſe changent point en Feu.

9o. Que le Feu détruit l’élaſticité des corps loin d’en être la cauſe.

10o. Que le Feu paroît être la cauſe de l’électricité.

11o. Que le Feu n’agit pas ſur les corps ſeulement en raiſon de ſa quantité.

12o. Que les rayons acquerent une activité dans leur approximation qui augmente infiniment les effets du Feu.

13o. Que le tems dans lequel les différens corps ſe refroidiſſent eſt à peu près le même que celui dans lequel ils s’échauffent.

14o. Que l’abſence du Feu n’eſt pas la ſeule cauſe de la congellation, mais qu’il s’y mêle des parties frigérifiques.

15o. Que ces parties frigérifiques ſont des particules de Sel & de Nitre.

16o. Que le Soleil eſt un corps ſolide.

17o. Que tout le Feu d’ici-bas ne nous vient pas du Soleil, mais que chaque corps en contient une certaine quantité.

18o. Qu’il y a dans la Terre un Feu central qui eſt la cauſe des végétations qui ſe font dans ſon ſein.

FIN.
L’Approbation & le Privilege ſe trouvent aux Mémoires de l’Académie des Sciences.
  1. Les expériences ont fait voir que les différens corps acquerent un certain degré de chaleur déterminé, paſſé lequel le Feu le plus violent ne peut plus les échauffer.
  2. Les degrés de froid & de chaud dont je parle, ont été pris au Thermometre de Faheinrheit.
  3. On ſçait qu’il y a deux ſortes d’électricités, la réſineuſe, & la vitrée. Voyez ſur cela les Mémoires de M. du Fey dans l’Hiſtoire de l’Académie des Sciences.