Distribution des prix au collége des Francs

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SMYRNE. — Première distribution des prix du collége des Francs. – La distribution des prix de ce collége établi depuis peu sous la direction de MM. Calderbanck et Sacchetti, a eu lieu le 23 décembre 1829 dans la salle du casin (cercle des négocians européens). C’était pour la première fois à Smyrne que ces récompenses publiques allaient être offertes à la jeunesse studieuse ; aussi cette intéressante cérémonie avait-elle attiré, indépendamment des parens des élèves, un nombre considérable de spectateurs. Les membres les plus distingués de la société européenne s’étaient rendus à l’invitation des Directeurs, jaloux d’encourager par leur présence des efforts aussi dignes d’éloges. S. Ém. Mgr. l’archevêque Cardelli et MM. Les consuls avaient bien voulu accepter la présidence de la fête. S. Ém. a couronné l’élève qui a remporté le premier prix de bonne conduite ; MM. le consul de France et le consul d’Angleterre, les élèves qui ont obtenu le prix de composition française et anglaise. Le premier, M. Adrien Dupré, a doublé la récompense pour le prix français, en donnant lui-même au vainqueur un très bel ouvrage de sa bibliothèque. La vaste et brillante salle du casin ajoutait au coup d’œil charmant qu’offrait la réunion dont un nombre considérable de dames faisait partie, et les commissaires de cet établissement, en accordant ce beau local, par une faveur que la nature des lieux rend nécessairement difficile à obtenir, se sont noblement associés aux encouragemens prodigués par la ville entière aux chefs du collége.

La distribution des couronnes a fait naître au milieu de la nombreuse assemblée les plus vives émotions ; elle applaudissait avec transport, et nous avons surpris dans l’œil de plus d’un spectateur ces larmes généreuses et douces qu’on accorde si volontiers aux souvenirs de sa jeunesse.

À l’ouverture de la séance, M. Sacchetti, l’un des directeurs, a prononcé un discours remarquable, pour l’élévation des idées et des sentimens, et dont voici quelques passages :

« Les habitans de Mytilène ayant soumis quelques-uns de leurs alliés qui s’étaient séparés d’eux, leur défendirent de donner la moindre instruction à leurs enfans. Ils ne trouvèrent pas de meilleur moyen pour les tenir dans l’asservissement que de les tenir dans l’ignorance.

« Ainsi dans ces temps antiques l’éducation de la jeunesse était considérée comme l’honneur et la force de la société, la privation de ce bienfait comme un gage d’avilissement et de faiblesse…

… « La méthode de l’enseignement mutuel dont les avantages long-temps contestés par des intérêts aveugles, sont aujourd’hui à-peu-près sans contradicteurs, est celle que nous avons adoptée ; c’est à elle que nous devons les progrès rapides que vous avez, messieurs, reconnus dans nos élèves. Et non-seulement elle produit cet heureux effet d’une instruction plus prompte et gravée plus profondément dans l’esprit ; mais elle renferme en elle quelque chose de moral qui tempère l’apprentissage autrefois si aride des premiers élémens par ces jouissances de l’ame auxquelles le travail doit ses plus belles productions. L’enfant qui en instruit un autre recueille sur l’heure le fruit de ce qu’il a appris lui-même ; il jouit de son ouvrage et s’associe aux progrès de son condisciple. Tous, dans cet échange continuel de services prêtés et rendus, sont tour-à-tour protégés et protecteurs ; tous contractent ces habitudes de bienveillance et d’appui du plus fort envers le plus faible, qu’ils doivent un jour reporter au sein de la société. Quel est l’homme, ami de l’humanité, qui peut demeurer insensible à ce consolant spectacle ? Pour moi, messieurs, je l’avoue naïvement, j’y trouve chaque jour un nouveau plaisir…

« Dans un siècle et surtout dans un pays où la tolérance religieuse est un bienfait public, pouvions-nous négliger de nous approprier ces heureuses conséquences ? Au milieu du jeune troupeau confié à nos soins, toutes les religions sont également admises et respectées : ces croyans divers qui remplissent tous avec une même fidélité leurs devoirs religieux, confondent les sentimens de leur conscience dans une pensée de paix et d’union ; et apprennent de bonne heure, par l’expérience la plus utile, que tous les hommes sont frères…

« Nous éprouvons, messieurs, une sorte d’orgueil, que vous trouverez sans doute bien légitime, à rouvrir après plus de vingt siècles la carrière de l’éducation et des sciences, dans cette ville immortalisée par le génie d’Homère. Cette noble arène, où s’exercèrent Quintus et tant d’autres moins célèbres, ne sera plus sans athlètes, et la terre classique qu’arrose encore le Mélès, retrouvera sa fécondité. Qui sait si ces couronnes que nous allons distribuer ne sont pas des germes d’une illustration digne d’être reconnus pour le glorieux rejeton de l’illustration antique ?…

C’est à vous, jeunes élèves, à vous dont les travaux vont recevoir leur première récompense, que je confie l’accomplissement de cette prédiction. »

C…