Divagations/Édition La Revue des Lettres et des Arts 1867-1868/Pauvre Enfant pâle
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Pauvre enfant pâle, pourquoi crier à tue-tête dans la rue ta chanson aiguë et insolente qui se perd parmi les chats, seigneurs des toits ?
Car elle ne traversera pas les volets des premiers étages, derrière lesquels tu ignores de lourds rideaux de soie incarnadine.
Cependant tu chantes fatalement, avec l’assurance tenace d’un petit homme qui s’en va seul par la vie, et, ne comptant sur personne, travaille pour soi. As-tu jamais eu un père ? Tu n’as pas même une vieille qui te fasse oublier la faim en te battant, quand tu rentres sans un sou.
Mais tu travailles pour toi. Et, debout dans les rues, couvert de vêtements déteints faits comme ceux d’un homme, d’une maigreur précoce et trop grand à ton âge, tu chantes pour manger, avec acharnement, sans abaisser tes yeux méchants vers les autres enfants jouant sur le pavé.
Et ta complainte est si haute, si haute, que ta tête nue qui se lève en l’air à mesure que ta voix monte, semble vouloir partir de tes petites épaules.
Petit homme, qui sait si elle ne s’en ira pas un jour, quand, après avoir crié longtemps dans les villes, tu auras fait un crime.
Car un crime n’est pas bien difficile à faire, va, il suffit d’avoir du courage après son désir, et nous qui désirons… Ta petite figure est énergique.
Pas un sou ne descend dans le panier d’osier que tient ta longue main pendue sans espoir sur ton pantalon : cela te rendra mauvais et un jour tu commettras un crime.
Et ta tête se dresse toujours et veut déjà te quitter, — comme si elle savait d’avance, — pendant que tu chantes d’un air qui devient menaçant.
Elle te dira adieu quand tu paieras pour moi, pour ceux qui vaudront moins que moi. Et probablement tu vins au monde vers cela et pour cela que tu jeûnes dès maintenant ; nous te verrons dans les journaux.
Ah ! pauvre petite tête !