Documents inédits sur Gassendi/4

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IV

Lettre de Nicolas Taxil, prévot de l’église de Digne, à H. L. Habert de Monmort[1] en lui envoyant l’oraison funêbre de Gassendi.


De Digne, ce 2 janvier 1656
Monsieur,

La gloire que j’ay reçeue par le chois que feu Monsieur Gassendi a fait de moy en la succession de sa prevosté me découvre tous les jours mon impuissance à reconnoistre un bienfait que je dois appeller incomparable, puisque la cause n’a esté que la seule bienveillance de mon amy ; sa libéralité me rendroit ingrat, si sa mémoire ne me restoit en vénération ; je l’ay aymé, Monsieur, avec toutes les tendresses humaines. J’ai honoré son mérite avec tout autant de respect que j’ay peu ; j’ay pleuré sur son trépas avec des larmes de sang ; tous ceux qui m’ont escrit de lettres de consolation ont parlé de ma disgrace ; en me félicitant mon benefice (sic), on me plignoit (sic) un düeil[2] et ceux qui ont ouy une oraison funèbre que j’ay faitte en sa faveur m’ont conseillé de vous l’envoyer ce que je fais vous suppliant de la voir et de la faire examiner a M. Chapelain (sic), amy de cet illustre. Si vous et ce grand homme ne la condamnés pas entièrement, je vous seray infiniment obligé, si après avoir donné la peine à mon dit sieur Chapelein de la corriger, d’adioutter et de retrancher tout ce qu’il luy plairra, vous la ranvoyés à M. Larbier pour l’imprimer. M. de La Poterie vous délivrera de tous ses (sic) soins que l’amitié et la vénération de ce cher trépassé vous pourroit faire prendre en cette occasion. N’aurés vous pas sujet de blamer ma temerité, voyant ces caractères ? Je parle de la gloire d’un amy avec franchise, sans considérer que j’en parle à un Seigneur dont je n’ay pas l’honneur de sa connoissance, ce qui rend mon incivilité inexcusable : mais comme je sçay que je suis aussi votre que mon bienfacteur, et que pour l’amour de luy vous exercerés votre bonté à mon advantage, j’espère beaucoup de votre mérite, de votre douceur et de votre amitié qui en me pardonnant ces excès me faira la grace me permettre la qualité,

Monsieur, de vostre très humble et très obéissant serviteur.
Taxil, prevost[3].

  1. À Monsieur Monsieur de Montmor, conseiller d’Estat du Roy en ses conseil d’Estat et son maistres des requestes à Paris.
  2. Je suppose que si le bon prévôt n’avait pas été autant troublé par sa douleur, il aurait ainsi modifié cette phrase : en me félicitant de mon bénéfice, on me plaignoit de mon deuil.
  3. Nicolas Taxil, mort le 24 septembre 1682 (Gallia christiana, t. III, col. 1140), prononça dans l’église cathédrale de Digne l’oraison funèbre dont il est ici question. Ni Bougerel, ni les autres biographes ne marquent le jour où le pieux hommage fut rendu à la mémoire de l’ancien prévôt. Bougerel (p. 422) dit seulement (peut-être avec un peu d’exagération) : « Toute la ville y assista, on n’entendit que cris et que gémissements, de sorte que les plus vieux avouoient qu’ils n’avoient jamais vu une consternation si générale. » Le discours de Taxil, que ne possède point la Bibliothèque nationale, est intitulé : Oraison funèbre du philosophe chrétien Pierre Gassendi, prevost de l’église de Digne et professeur de mathématique au collége royal (Lyon, 1656). Je voudrais que l’on réimprimât cette pièce qui est fort rare, en tête du recueil des lettres françaises de Gassendi dont je réclame la prompte publication.