Don César d’Avalos/Acte II

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Don César d’Avalos
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 87-106).
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ACTE II.



Scène I.

D. CÉSAR, CARLIN.
D. César.

Il n’étoit point connu dans cette hôtellerie ?

Carlin.

Non, j’ai sû seulement du valet d’écurie,
Qu’ayant jusques au jour dormi fort en repos,
Il s’étoit fait montrer la route de Burgos.
Je m’y rens au plus vîte, &, dans cette entreprise
Me servant des billets trouvés dans sa valise,
Qui tous sont adressés à Dom Pascal Giron,
Je m’informe avec soin si l’on connoît ce nom.
Ma recherche n’est pas tout-à-fait inutile.
J’apprens que Dom Pascal est natif de la ville,
Et que depuis deux mois & plus qu’on ne l’a vû,
Aucun n’a découvert ce qu’il est devenu.

D. César.

Je n’en suis guere mieux, ne sachant où le prendre
Jamais si lourdement a-t-on pû se méprendre ?
Avoir changé de malle en ce gîte maudit,
Et n’en connoître rien que le soir à Madrid.

Carlin.

À moins que de l’ouvrir, dites-moi, comment diable
L’aurais-je pû connoître ? Elle est toute semblable.
Voilà ce que nous vaut l’ardeur de votre amour.
Vous nous faites partir une heure avant le jour.
Sans savoir que la place avec vous étoit prise,
J’entre dans votre chambre, & trouve une valise.
Croyant que l’autre lit n’étoit point occupé,
Je prens sans rien choisir ; qui ne s’y fût trompé ?

Vous deviez m’avertir que vous aviez un hôte…

D. César.

Blâme mon imprudence, elle amoindrit ta faute.
La nuit s’avançait fort, lorsqu’on me vint prier
De souffrir qu’en ma chambre on couche un cavalier.
Je sai qu’elle est unique en cette hôtellerie ;
Ma joie est d’obliger, & j’attens qu’on me prie.
Pouvais-je au survenant refuser l’autre lit ?

Carlin.

Ce voyageur nocturne a joué là d’esprit.
Fait à trouver son compte aux tours de passe-passe,
Sans doute il a changé nos valises de place.

D. César.

Mais puisqu’il n’est parti que longtemps après nous…

Carlin.

Hé, Monsieur, il est tant de ces adroits filoux,
Qui toujours pour le monde observant des mesures,
Tournent sur le hazard toutes leurs aventures.
Celui-ci, m’a-t-on dit, est un des plus rusés,
Malaisé, si jamais il fut des malaisés.
Il a mangé son fait, & comme il ne subsiste
Que par le don qu’il a de n’être pas fort triste,
S’introduisant par tout, par tout faisant fracas,
Quand il trouve à duper, il ne s’épargne pas.

D. César.

De tout ce que je perds par ce bizarre échange,
Je ne regrette rien que mes lettres-de-change.
À Séville d’abord j’ai mandé l’accident.

Carlin.

On vous traitera de jeune, d’imprudent.

D. César.

Il est vrai qu’il est peu de méprises semblables.

Carlin.

Mais au seul Dom Fernand ces lettres sont payables,
À moins qu’il ne les signe, on n’en peut profiter ;
L’avez-vous vû ?

D. César.

L’avez-vous vu ?Non.

Carlin.

L’avez-vous vu ?Non.C’est assez mal débuter.
Quoi, vous, l’époux futur de sa fille Isabelle,
Vous n’allez point chez lui ? La méthode est nouvelle.
Vous veniez cependant tout échauffé d’amour.

D. César.

J’ai voulu, pour le voir, attendre ton retour.

Carlin.

Et qu’avez-vous donc fait depuis votre arrivée ?

D. César.

J’ai rêvé.

Carlin.

J’ai rêvé.La douceur est assez bien trouvée.
En auberge ! Personne en ce lieu de repos
Ne sait que vous soyez Dom César d’Avalos.

D. César.

La mort de Dom Fadrique à me cacher m’engage.
Personne dans Madrid ne connoît mon visage ;
Et quelque fort appui qu’on m’y doive prêter,
Si j’avois dit mon nom, on pourroit m’arrêter.
Avant que je l’avoue, il est bon que mon pere
Ait avec la partie accommodé l’affaire.
En tous cas, force amis doivent agir pour moi,
S’il faut solliciter ma grace auprès du roi.

Carlin.

Mais Enrique est ici qui peut vous reconnoître,
Vous êtes mal ensemble, & s’il vous voit paroître…

D. César.

Enrique a de l’honneur, je n’en dois craindre rien,
Quand il sauroit l’affaire, il en useroit bien,
L’estime est entre nous plus forte que la haine.
J’avois crû ce matin ma précaution vaine ;
Un homme qui de près m’est venu regarder,
Surpris de ma rencontre, a voulu m’aborder.
J’ai reculé pour être en état de défense,
S’il prétendoit user de quelque violence ;
Et ne comprenant rien à tout ce qu’il m’a dit,
J’ai cessé d’écouter.

Carlin.

J’ai cessé d’écouter.Rencontres de Madrid.

D. César.

Ah ! Carlin, qu’il en est quelquefois d’agréables !
Si tu savois…

Carlin.

Si tu savois…Quoi ?

D. César.

Si tu savois…Quoi ?Mais…

Carlin.

Si tu savois…Quoi ?Mais…Hé, de par tous les diables,
Contez-moi sans prélude…

D. César.

Contez-moi sans prélude…Ah ! J’en suis enchanté.
C’est… Imagine-toi la plus rare beauté.
Un teint, des yeux, la bouche…

Carlin.

Un teint, des yeux, la bouche…Et quelle est cette belle ?

D. César.

Je ne sais.

Carlin.

Je ne sais.N’ose-t-on que la regarder ?

D. César.

Je ne sais.N’ose-t-on que la regarder ?Elle ?
Nous nous sommes parlés.

Carlin.

Nous nous sommes parlés.Faites-moi donc savoir…

D. César.

Le jour de ton départ me promenant le soir,
J’apperçois un brutal qui chagrinoit deux dames ;
Moi, l’ennemi mortel des procédés infames,
Je m’avance, & d’abord…

Carlin.

Je m’avance, & d’abord…J’entens, flamberge au vent.

D. César.

Tu l’as dit ; mon brutal prend soudain le devant,
Gagne au piéd. Je m’approche, & vois en l’une d’elles
Un si brillant amas de graces naturelles,

Que tout mon cœur charmé, dès ce premier moment,
Malgré moi, prend pour elle un tendre engagement.
Elle y répond d’un air attirant, mais modeste.
La nuit au lendemain fait remettre le reste ;
Tous les soirs je la vois, sans qu’il me soit permis
De la suivre, autrement nous sommes ennemis.
Ainsi je meurs d’amour, & j’ignore qui j’aime.

Carlin.

La verrez-vous ce soir ?

D. César.

La verrez-vous ce soir ?Oui, toujours au lieu même.

Carlin.

C’est assez, laissez-moi, Monsieur, la déterrer.

D. César.

Elle s’en fâcheroit.

Carlin.

Elle s’en fâcheroit.Quoi, toujours soupirer,
Sans connoître l’objet que votre amour oblige ?

D. César.

Je crains trop…

Carlin.

Je crains trop…Laissez-moi la déterrer, vous dis-je ;
Tout n’en ira que mieux. Revenons sur nos pas.
Votre Épouse Isabelle, & Dom Fernand Vargas,
À quand les voir ?

D. César.

À quand les voir ?À quand ? Plus pour moi d’Isabelle.

Carlin.

Et si votre inconnue étoit quelque donzelle…
Là, qui selon le cas fût d’accommodement ?

D. César.

Ah ! Parle avec respect d’un objet si charmant,
C’est une modestie à surprendre, un visage
Où l’honnêteté règne.

Carlin.

Où l’honnêteté règne.Ah ! D’accord. Elle est sage,
C’est la même pudeur ; mais, quel qu’en soit l’appas,
Nous sommes à Madrid, ne vous y fiez pas,

Il est ici, Monsieur, de terribles sucrées.

D. César.

Les choses ne sont pas si long-temps ignorées.
On se connoît enfin.

Carlin.

On se connoît enfin.Cependant, entre nous,
Vous êtes sans argent, grand embarras pour vous.
Rien ne vous eût manqué chez le futur beau-pere,
C’étoit un sûr recours ; il faut donner pour plaire.
Quel présent ferez-vous à votre aimable ?

D. César.

Quel présent ferez-vous à votre aimable ?Moi ?
Point d’autre que celui de mon cœur, de ma foi.
Ce diamant offert, pour en être le gage,
Lui tient lieu contre moi du plus terrible outrage ;
Ma téméraire audace a pensé tout gâter.

Carlin.

On recule souvent, dit-on, pour mieux sauter.
Mais on vous rit de loin, n’est-ce point sa suivante ?

D. César.

Non, elle n’a jamais qu’une jeune parente,
Qui déjà mariée accompagne ses pas.

Carlin.

C’est à vous qu’on en veut. Comment on vous lorgne !



Scène II.

D. CÉSAR, BÉATRIX, CARLIN.
Béatrix.

C’est à vous qu’on en veut. Comment on vous lorgne !Hélas !
Monsieur, quoi, c’est donc vous que le ciel nous renvoie ?

Carlin.

Peste, on vous court par tout.

Béatrix.

Peste, on vous court partout.Vous revoir ! Quelle joie !
Si j’osois…

Carlin.

Si j’osois…Là, Monsieur, bras dessus, bras dessous.
Voyez qu’on vous les tend.

Béatrix.

Voyez qu’on vous les tend.Douze ans entiers sans vous !

D. César.

Elle est folle, Carlin.

Béatrix.

Elle est folle, Carlin.Je ne me sens point d’aise,
Monsieur.

Carlin.

Monsieur.Au lieu de lui, veux-tu que je te baise ?
Me voilà prêt.

Béatrix.

Me voilà prêt.Pourquoi faire tant le surpris ?
Vous ne connoissez plus la pauvre Béatrix.

D. César.

Vous ne connoissez plus la pauvre Béatrix.Béatrix !

Carlin, à D. César

Béatrix !Comme on sait que nous sommes novices,
Pour nous donner leçon, d’abord des Béatrices.
Ma chere, fait-il sûr te voir dans ton réduit ?
Nous sommes bonnes gens, qui n’aimons point le bruit.

Béatrix.

Que dit cet insensé ?

Carlin.

Que dit cet insensé ?L’aventure est gaillarde.

Béatrix.

Allons, il ne faut point qu’ici je vous retarde.
Entrez, on vous attend, Monsieur.

Carlin.

Entrez, on vous attend, Monsieur.Que n’entrez-vous ?
Le plaisir sera grand.

Béatrix.

Le plaisir sera grand.Sans doute, & des plus doux.

Carlin.

As-tu quelque marquise à montrer à mon maître ?

Béatrix.

Que veut-il dire ?

Carlin.

Que veut-il dire ?Enfin, tu crois donc le connoître ?

Béatrix.

Si je le connois ? Moi, qui dans ses feux secrets,
Si-tôt qu’on l’accusoit, prenois ses intérêts ?
Il n’est donc pas Dom Lope ?

Carlin.

Il n’est donc pas Dom Lope ?Il faut ici se rendre,
Monsieur Dom Lope, on sait pour qui l’on doit vous prendre.

Béatrix.

S’il m’en eût voulu croire, il se fût bien gardé
D’épouser… Mais l’amour l’avoit trop possédé.
Tout est bien comme il est, n’importe.

D. César.

Tout est bien comme il est, n’importe.Adieu, la belle.
Viens, Carlin.

Béatrix.

Viens, Carlin.Craignez-vous d’entrer ? Plus de querelle,
Le bon-homme est sans fiel, il vous pardonne tout.

D. César.

Va, tu rêves.

Béatrix.

Va, tu rêves.Son pere en viendra mieux à bout.
Je m’en vais l’avertir.



Scène III.

D. CÉSAR, CARLIN.
Carlin.

Je m’en vais l’avertir.Monsieur, que vous en semble ?

D. César.

Il faut qu’elle ait connu quelqu’un qui me ressemble.
Celui qui m’a tantôt dans la rue arrêté,
M’en auroit dit autant, si je l’eusse écouté.

Carlin.

C’est de quoi vous cacher, si par quelque pratique
On poursuivoit ici la mort de Dom Fadrique.
Vous pourriez de Dom Lope alors prendre le nom,
N’être plus Dom César.

D. César.

N’être plus Dom César.Et nous en croiroit-on ?
Un mensonge aisément toujours se développe.
Par où justifier que je serois Dom Lope ?
D’où ? De quelle naissance ?

Carlin.

D’où ? De quelle naissance ?On pouvoit le savoir,
Béatrix eût parlé.

D. César.

Béatrix eût parlé.Que de joie à me voir !

Carlin.

Pour moi, j’ai cru d’abord, comme ici c’est la mode,
Que cette Béatrix étoit d’humeur commode,
Et que pour vous rentrer par un air ingénu,
Elle feignoit exprès de vous avoir connu.
C’est ainsi, m’a-t-on dit, lorsque les gens s’y fient,
Que celles du métier à Madrid négocient.
Elles sentent de loin un provincial. Mais
Je crois qu’on vous en veut encor sur nouveaux frais.

D. César.

Quel est ce bon vieillard ?



Scène IV.

D. FERNAND, D. CÉSAR, CARLIN.
D. Fernand.

Quel est ce bon vieillard ?Ah quel bonheur !

D. César.

Quel est ce bon vieillard ?Ah quel bonheur !De grace,
Monsieur.

D. Fernand.

Monsieur.Il se peut donc qu’enfin je vous embrasse ?

Carlin.

Voici bien le meilleur.

D. Fernand.

Voici bien le meilleur.Vous n’êtes point changé.

D. César.

De votre accueil, Monsieur, je me tiens obligé,
Mais bien d’autres que moi s’en laisseroient confondre.
Ne vous connoissant pas, que puis-je vous répondre ?

D. Fernand.

Quoi, pour me retrouver avec des cheveux gris,
Vous pourriez ne me plus reconnoître ? Mon fils,
Ouvrez les yeux.

Carlin bas.

Ouvrez les yeux.Son fils ! Morbleu, la bonne affaire !
Faut-il tant barguigner à connoître son pere ?
Répondez à nature.

D. Fernand.

Répondez à nature.Il est vrai, j’eus pour vous,
Quand vous prîtes la fuite, un peu trop de courroux ;
Il m’en a bien coûté des larmes ; sans reproche,
J’en pleure encor.

Carlin.

J’en pleure encor.Voilà pour fendre un cœur de roche.

Ah, Monsieur ! Votre fils m’avoit toujours bien dit
Que vous étiez un pere aussi tendre… Il suffit ;
Le sang…

D. César.

Le sang…Que vas-tu dire ?

Carlin bas à D. César.

Le sang…Que vas-tu dire ?Acceptez-le pour pere,
Vous aimez, en aimant l’argent est nécessaire,
Il vous en fournira.

D. Fernand.

Il vous en fournira.Que n’ai-je point souffert,
Tant que de votre sort je n’ai rien découvert ?
Allâtes-vous d’abord aux Indes ?

Carlin.

Allâtes-vous d’abord aux Indes ?Bon voyage,
Dites oui.

D. César.

Dites oui.Non, monsieur, j’ai respect pour votre âge,
Et ne puis consentir à vous tromper… Je viens…

Carlin.

Nous avons vû, Monsieur, de drôles d’Indiens.

D. Fernand.

Vos Lettres de Goa me rendirent la vie,
Les voyant, les lisant, que j’eus l’ame ravie !
Je vous avois crû mort.

Carlin.

Je vous avois crû mort.Le voilà bien vivant.

D. Fernand.

Mais, mon fils dites-moi…

D. César.

Mais, mon fils dites-moi…Sans aller plus avant,
Le nom de votre fils auroit de quoi me plaire,
Mais…

Carlin.

Mais…Quoi, vous n’étes pas le fils de votre pere ?
Vous vous moquez.

D. César.

Vous vous moquez.En vain on veut vous éblouir.

D. Fernand.

Moi, je ne serois pas son pere ?

Carlin.

Moi, je ne serois pas son pere ?À vous oüir,
La chose est sûre, il est votre fils, on le nomme…

D. Fernand.

Dom Lope.

Carlin.

D. Lope.Oui, justement. Monsieur est honnête homme,
Pourquoi de son accueil faire si peu de cas ?
S’il n’étoit votre pere, il ne le dirait pas.
[à D. Fernand.]
Je sais ce qui le tient, que rien ne vous tourmente.

D. Fernand.

Il m’a trompé peut-être, & sa femme est vivante.

Carlin.

Sa femme…

D. César.

Sa femme…Quelle femme ? As-tu perdu l’esprit ?

Carlin, à Dom Fernand

Ne vous étonnez point de tout ce qu’il vous dit.
Revenant de Goa, nous avons eu du pire.
La tempête a long-temps battu notre navire.
Mon maître a crû trois fois être englouti de l’eau ;
Et la peur a si bien desséché son cerveau,
Que tombant par la fiévre en certaine humeur noire,
Il en est demeuré tout perclus de mémoire.
Voyages, villes, gens, rien ne s’imprime…

D. Fernand.

Voyages, villes, gens, rien ne s’imprime…Hélas !

Carlin.

Le plus souvent moi-même il ne me connoît pas.
Parlez-lui de la mer, des choses qu’il a vûes,
S’il répond, vous diriez qu’il est tombé des nues,
Point de réminiscence.

D. Fernand.

Point de réminiscence.À quoi l’homme est sujet !
Mon fils consolez-vous.

Carlin.

Mon fils consolez-vous.C’est votre fils tout fait.
Dans Goa sa mémoire étoit alors entiere,
Il m’a dit mille fois que vous étiez son pere,
Un homme entretaillé, sec, le visage frais.

D. César.

As-tu donc entrepris de ne finir jamais ?



Scène V.

D. FERNAND, D. CÉSAR, ISABELLE, BÉATRIX, CARLIN.
Béatrix à Isabelle, lui montrant D. César.

Vous avois-je pas dit qu’il avoit bonne mine ?

Isabelle.

Que vois-je ?

D. Fernand.

Que vois-je ?Viens, ma fille.

D. César.

Que vois-je ?Viens, ma fille.Ah, Carlin.

Carlin.

Que vois-je ?Viens, ma fille.Ah, Carlin.Je devine,
Monsieur, la sœur vous plaît.

D. Fernand.

Monsieur, la sœur vous plaît.Le moment est venu.
Tu vois enfin ce frere à tes yeux inconnu.

Isabelle à Béatrix.

C’est celui dont tantôt nous parlions.

Béatrix.

C’est celui dont tantôt nous parlions.Quoi ?

Isabelle.

C’est celui dont tantôt nous parlions.Quoi ?Lui-même.

D. César.

Carlin, c’est la beauté que je t’ai dit que j’aime.
Que le destin m’est doux !

Isabelle.

Que le destin m’est doux !Que le sort m’est cruel !

Carlin.

Vite, l’embrassement doit être mutuel,
Avancez. Voyez-vous comme nature opere.

D. César.

Quoi, vous étes ma sœur ?

Isabelle.

Quoi, vous êtes ma sœur ?Quoi, vous étes mon frere ?

D. Fernand.

La mémoire peut-être un jour lui reviendra.

Carlin.

Sans doute, avec le temps il se reconnoîtra.
Débarquant à Cadix, c’étoit bien autre chose.
Là, d’une potion il prit certaine dose,
Qui dégageant le nez… Je crois qu’il seroit bon
De lui faire souvent humecter le poumon,
Car on tient…

D. Fernand.

Car on tient…Nous ferons tout ce qu’il faudra faire.
[à D. César.]
Hé bien ?

D. Pascal.

Hé bien ?Je n’ose encor vous appeler mon pere,
Tant le trouble stupide où vous m’avez surpris
Me fait peu mériter le nom de votre fils.
J’eusse écouté le sang, & crû son témoignage,
Sans la noire vapeur d’un importun nuage,
Qui me cachant vos traits, m’a fait tenir suspect
Ce que pour vous d’abord j’ai senti de respect.
Cet oubli malgré moi de temps en temps m’arrive,
Je me fais des objets une image tardive,
Mais enfin cela passe, & mes égaremens
Me laissent à moi-même après quelques momens.

D. Fernand.

Comme cet accident provient de maladie,
Il sera bien fâcheux, si l’on n’y remédie.
Plus qu’en tout autre lieu sur mille maux divers,
Nous avons à Madrid des médecins experts,

Nous les assemblerons.

D. César.

Nous les assemblerons.Hélas ! Chacun raisonne
Selon…

Carlin.

Selon…Sur-tout, Monsieur, la sueur vous est bonne,
Car vous avez le sang humide, intempéré.

D. Fernand.

Il a pour vous du zéle, & je lui sais bon gré.

Carlin.

Monsieur, il est bon maître, & l’on n’en trouve guere.

Béatrix à Isabelle.

Vous soupirez ?

Isabelle.

Vous soupirez ?Hélas ! Faut-il qu’il soit mon frere ?
Car ne me parle plus de Dom César.

D. Fernand.

Car ne me parle plus de Dom César.Enfin
J’aurois tort, si j’osois me plaindre du destin.
Il ne manque plus rien à ma joie. Et mon gendre ?

D. César.

Son gendre !

D. Fernand.

Son gendre !Il va sans doute être ravi d’apprendre…

Béatrix.

Pour faire un tour en ville, il ne fait que sortir.

D. Fernand.

Je crains qu’il ne visite, il falloit m’avertir.
Par lettres la partie est peut-être liée.

D. César.

Quoi, mon pere, ma sœur est-elle mariée ?

D. Fernand.

Non, & vous ne pouviez arriver plus à point.

D. César.

Ma sœur mérite bien que…

D. Fernand.

Ma sœur mérite bien que…Ne la flattez point.

Une fille à s’aimer n’est toujours que trop prête.
Entrons, mon fils, je veux vous parler tête à tête.
Depuis votre départ j’ai sur quoi m’expliquer.

D. CÉsar à Isabelle.

Ma sœur, au rendez-vous il vous faudra manquer.

Isabelle.

Que direz-vous de moi ? Ma honte en est extrême.

D. César.

Aimez-moi seulement autant que je vous aime.



Scène VI.

CARLIN, BÉATRIX.
Carlin.

Écoute.

Béatrix.

Écoute.Qu’est-ce ?

Carlin.

Écoute.Qu’est-ce ?Enfin, ma chere Béatrix,
Comment sommes-nous ?

Béatrix.

Comment sommes-nous ?Eh, comme tu sais.

Carlin.

Comment sommes-nous ?Eh, comme tu sais.Tu ris ?
Mais, quand on doit s’aimer, l’étoille étant fort prompte,
D’abord que l’on se voit, on se sent.

Béatrix.

D’abord que l’on se voit, on se sent.À ce compte,
Tu m’aimerois un peu ?

Carlin.

Tu m’aimerois un peu ?Tout franc, cela va bien.
Le moyen que pour toi je ne sentisse rien ?
Mon maître en raisonnant sur ce qui te regarde,
M’a parlé mille fois de ton humeur gaillarde,

Tu ne haïssois pas qu’il t’en voulût conter ?

Béatrix.

Les jeunes gens toujours aiment à coqueter,
Il faut bien avec eux entendre raillerie.

Carlin.

Que diable feroit-on sans la friponnerie ?
Il en faut bien. Je sais que tu lui plaisois tant,
Que les soirs dans ta chambre… en tout honneur s’entend…

Béatrix.

Oh, quoi qu’il m’eût offert, comme j’aime la gloire,
À moins que de l’honneur…

Carlin.

À moins que de l’honneur…Vraiment, il le faut croire.
Pour avoir quelquefois la nuit des rendez-vous…

Béatrix.

Mais la petite sœur étoit avecque nous.

Carlin.

Je le sai.

Béatrix.

Je le sai.C’étoit plus qu’avoir la porte ouverte,
Dès l’âge de trois ans elle avoit l’œil alerte.

Carlin.

Voyez un peu.

Béatrix.

Voyez un peu.Jamais rien que de bienséant,
Pour des paroles, passe ; autre chose, néant.

Carlin.

Ce que c’est que d’avoir de la conduite !

Béatrix.

Ce que c’est que d’avoir de la conduite !Dame !
C’est le tout.

Carlin.

C’est le tout.Mais, dis-moi, mon maître avoit pris femme ;
C’est par là que tout jeune il s’étoit décrié.
Je n’ai jamais bien sû comme il s’étoit marié.

Béatrix.

Avec certaine fille il eut intelligence,
Belle, mais mal en biens, de même qu’en naissance ;
On la nommoit Jacinte. Il la voyoit souvent,
Parloit de l’épouser, son pere en eut le vent.
Il pesta, fulmina, lui défendit sa vûe ;
Et voyant par le temps sa passion accrûe,
Pour la mettre où son fils ne la pût retrouver,
Il résolut enfin de la faire enlever.
Mais ayant eu sur l’heure avis du stratagême,
Le fils prévint le pere, & l’enleva lui-même,
Et prenant ce qu’il put d’argent & de bijoux,
Par une prompte fuite évita son courroux.
Pour courir après eux, quelque soin qu’on pût prendre,
Autant de pas perdus, on n’en put rien apprendre,
Tant que Dom Lope enfin, après plus de dix ans,
Manda qu’il étoit veuf, & n’avoit point d’enfans,
Qu’il s’étoit à Goa, par un peu d’industrie,
Fait un fonds assez grand pour y passer sa vie,
Et qu’il s’y résolvoit, si son pere irrité
Gardoit toujours pour lui même sévérité.
De son éloignement voilà ce qui fut cause.

Carlin.

Il m’avoit, à peu près, conté la même chose,
Mais, ma foi, je doutois s’il falloit qu’on le crût.

Béatrix.

Il aimoit bien sa femme ?

Carlin.

Il aimoit bien sa femme ?Ah !

Béatrix.

Il aimait bien sa Femme ?Ah !Quand elle mourut,
Quelle angoisse !

Carlin.

Quelle angoisse !Vois-tu, c’étoient de grosses larmes.

Béatrix.

Il pouvoit la pleurer, elle avoit bien des charmes.

Des yeux perçans, un air à n’en point revenir.

Carlin.

De grande taille.

Béatrix.

De grande taille.Autant qu’il m’en peut souvenir,
Elle étoit médiocre.

Carlin.

Elle étoit médiocre.Il est vrai, mais bien prise.
L’air fait tout, c’est par l’air que la taille est de mise.

Béatrix.

Et Sganarelle ?

Carlin.

Et Sganarelle ?Hé bien ?

Béatrix.

Et Sganarelle ?Hé bien ?L’a t-on ramené ?

Carlin.

Et Sganarelle ?Et bien ?L’a t-on ramené ?Quoi ?
Sganarelle ?

Béatrix.

Sganarelle ?Il étoit à ton Maître avant toi.

Carlin.

Ah ! J’entens ; il peut bien ne se pas laisser prendre ;
Sinon, point de quartier, mon maître le fait pendre,
Il l’a volé.

Béatrix.

Il l’a volé.Volé ! Qui l’aurait crû de lui ?

Carlin.

Son procès est tout fait, qu’on l’attrape aujourd’hui,
Demain pendu.

Béatrix.

Demain pendu.C’étoit la fidélité même,
Quand il étoit ici. Comme on change !

Carlin.

Quand il étoit ici. Comme on change !Un teint blême
Tel qu’il l’avoit, est bien sujet à caution.

Béatrix.

Il ne l’avoit pas tant.

Carlin à part.

Il ne l’avoit pas tant.Adieu, ma passion.
[à Béatrix.]
Ma Béatrix, mon tout, tu m’aimeras ?

Béatrix.

Ma Béatrix, mon tout, tu m’aimeras ?Peut-être.

Carlin.

J’enrage qu’il me faille aller joindre mon maître ;
Mais il m’étrilleroit, si je tardois.

Béatrix.

Mais il m’étrilleroit, si je tardois.Entrons.

Carlin.

Mon cœur est tout à toi, sotte.

Béatrix.

Mon cœur est tout à toi, sotte.Nous le verrons.