Doutes sur la religion/07

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Anonyme
(p. 25-27).


CHAPITRE VII.

Sur le Salut des hommes.

§. I.


Le fils de Dieu eſt mort pour le Salut des hommes : tous les hommes s’en ſentiront ſans doute ? non, il n’y aura qu’un très-petit nombre d’Elus. Cependant Dieu a voulu les ſauver tous, qu’eſt-ce qui a pu mettre obſtacle aux volontés de Dieu ? C’eſt le Diable qui eſt plus puiſſant que lui. Non, c’eſt la liberté de l’homme. Dieu veut nous ſauver tous, il s’humilie, il s’incarne, il ſouffre, il meurt, en vérité il étoit aſſez inutile de ſe conſtituer en dépenſe pour ne rien faire.

§. II.

Si l’on conſulte les Théologiens, les uns diſent que Dieu nous a prédeſtinés ou rejettés ante prœviſa merita ; ainſi notre Salut ne dépend point de nous ; les autres diſent que nous avons été prédeſtinés ou rejettés poſt prœviſa merita ; mais ces mérites ſont des dons de Dieu qui ne ſont point à la diſpoſition des hommes. Le vaſe dit-il au potier, pourquoi m’as-tu fait ainſi ? belle réponſe ! oui, le vaſe, s’il ſait parler, dira au potier, tu es un inſensé ſi tu ne m’as fait que pour me jetter par la fenetre.

§. III.

Suivant les principes de la Religion Chrétienne, le Salut des hommes eſt fondé ſur les ſouffrances de Jéſus-Chriſt. Ou ce Salut eſt chimérique, ou Jéſus-Chriſt n’eſt point Dieu. Si Jéſus-Chriſt n’a pas ſouffert, le Salut eſt chimérique, s’il a ſouffert il n’étoit point Dieu, s’il étoit Dieu il ne pouvoit être privé de la viſion intuitive. Quod ſemel verbum aſſumpſit numquam dimiſit. Or les ſouffrances font incompatibles avec la viſion intuitive ; donc ſi Jéſus-Chriſt a ſouffert, il n’étoit point Dieu. Cependant vous dites qu’il a ſouffert ſous Ponce-Pilate, donc il n’étoit point Dieu. Mais ſes ſouffrances n’ont été que métaphoriques, allégoriques & dans le ſtyle des Orientaux : donc la rédemption eſt métaphorique, la Religion eſt métaphorique ; le bon ſens & la raiſon ſeuls ſont réels.

§. IV.

Pourquoi Jéſus-Chriſt, a-t-il ſouffert ? a-t-il-plus honoré Dieu en ſouffrant qu’en ſe divertiſſant ? Le plaiſir ne vient-il pas de Dieu ainſi que la douleur ? L’un & l’autre ne ſont-ils pas des ſuites néceſſaires de certaines loix du mouvement dans les organes, ſuivies dans l’ame d’une ſenſation plutôt que d’une autre ? Pourquoi Dieu ſeroit-il plus honoré d’un tel effet, d’une telle loi du mouvement excité dans tel organe, que d’un autre ?