Doutes sur la religion/12

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Anonyme
(p. 45-49).


CHAPITRE XII.

Du Péché originel.


Un Dieu juſte doit-il punir les enfans des fautes de leur Pere ? Sans la loi point de péché ; comment les enfans d’Adam à qui Dieu n’avoit rien preſcrit peuvent-ils être coupables ? c’eſt-là le Myſtere !

Dieu a créé l’homme à ſon image, l’homme le lui a bien rendu, diſoit un Philoſophe ; la douleur eſt la ſeule voie que les hommes connoiſſent pour punir ceux qui les offenſent, donc, ont-ils dit, la douleur eſt une punition. Ainſi parceque tous ſouffrent ils ont conclu que tous étoient coupables, de là il leur a fallu un coupable général qui, aiant été le repréſentant de tous, a péché pour tous & a généralisé la punition ; ce coupable ne pouvoit être que le Pere commun. Telle eſt la ſource du péché originel ſuivant St. Auguſtin ; mais, lui dira-t-on, les douleurs des Martyrs, des élus, & des enfans qui viennent d’être baptisés ſont-elles une punition ? dans ce cas le Baptême ne juſtifie pas. Si l’on répond négativement, la douleur n’eſt donc point une punition.

La douleur ne peut être, dit-on, qu’une punition du péché. Le péché originel eſt égal dans tous les enfans, la concupiſcence eſt égale dans tous les adultes, pourquoi ne ſouffrent-ils point également ? d’ailleurs ſi la douleur eſt une punition, le plaiſir devroit être une récompenſe. Qu’eſt-ce donc que la douleur & le plaiſir chez les Chrétiens ? l’une nous fait éviter ce qui nous nuit, l’autre nous fait chercher ce qui nous ſert. Eſt-ce donc deux bienfaits ſpéciaux du Créateur qui ne voulant pas attacher les moiens de conſerver notre exiſtence à la longueur du raiſonnement, les a fait dépendre de la vivacité du ſentiment ?

Dans le ſyſtême du péché originel le monde a eu beſoin de réforme. Pourquoi Dieu ne faiſoit-il point les choſes telles qu’elles devoient être tout d’un coup ? Dieu ne fait rien de mal, pourquoi l’homme eût-il été mal fait ? Mais, dira-t-on, la mort eſt un mal ; cela eſt faux. La mort eſt un ordre néceſſaire & indiſpenſable dans la nature. L’homme eſt matière en partie, la matière eſt eſſentiellement mobile & diviſible, donc l’homme eſt eſſentiellement mortel, donc il n’eſt pas beſoin d’imaginer un péché originel pour faire entrer la mort dans le monde. Par la loi de la nature tous les corps tendent ſans ceſſe à s’altérer, à ſe décompoſer & à ſe détruire.

Mais d’où vient cette pente prétendue que tous les hommes ont au mal ? C’eſt une ſuite du péché originel.

1°. Elle ne peut venir de Dieu à moins qu’il ne nous l’eût donnée que pour nous en punir : c’eſt lui faire dire, en conséquence de ton péché tu aimeras le péché, & tu trouveras toujours du plaiſir à l’aimer.

2°. Cette pente ne vient pas de nous-mêmes ; ſommes-nous maîtres de nous donner ou de nous ôter des penchans, nous pouvons tout au plus les affoiblir en leur oppoſant leurs contraires. Si ces penchans dépendoient de nous, nous les changerions à notre gré & ils ne ſe trouveroient point dans tous les hommes.

3°. Cette pente ne vient point des créatures placées hors de nous. Elles ne peuvent nous donner ni facultés ni inclinations, elles ſervent tout au plus à l’exercice des facultés qui ſont en nous : d’où je conclus que tous nos penchans ſont bons, mais nous en faiſons un mauvais uſage relativement à nous-mêmes & aux autres créatures, circonſtances qui ne changent point le fond de nos penchans quoiqu’elles en rendent l’uſage mauvais. En un mot il répugne à la bonté de Dieu d’avoir mis l’homme dans une ſituation où il peut l’offenſer & ſe perdre, ou d’avoir permis qu’il ſe trouve dans cette ſituation.

Qu’eſt-ce que la nature déchue ? La nature eſt-elle dans un autre état qu’elle n’a jamais été ? Les eſſences, les régles déterminées au moment de la création ont-elles pu changer ? Si l’homme aime à ſentir, à être agréablement remué, c’eſt parce que telle eſt ſa nature, & non parce qu’il a péché. Adam n’eût point mangé de la pomme s’il n’avoit été tel de ſa nature que cette manducation pût lui faire plaiſir. La réſolution qu’Adam & ſa femme prirent de manger de la pomme ne pouvoit partir que d’une inclination qu’ils avoient au mal, puiſqu’ils ſavoient qu’il y avoit du mal à en manger. Quel homme fait quelque choſe ſans inclination ? Le penchant au mal a donc précédé le péché originel & n’en eſt point une ſuite.

Dire que le péché d’Adam étoit néceſſaire, dire que c’eſt une faute heureuſe felix culpa, c’eſt faire dépendre Dieu d’autre choſe que de lui-même.

Mais, la liberté ! donner la liberté à l’homme d’offenſer Dieu, c’eſt lui donner des armes pour ſe tuer. Si le péché offenſe réellement Dieu, & ſi l’homme peut commettre le péché, qu’eſt-ce qu’un Dieu qui eſt aſſez peu jaloux de lui-même pour permettre qu’on l’offenſe ?