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Drames de la vie réelle/Chapitre XV

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J. A. Chenevert (p. 47-48).

XV

Revenons maintenant à notre héroïne et au tête-à-tête si anxieusement désiré par elle, à l’office, comme elle l’avait dit, de notre vénérable curé.

Nous n’entendons pas raconter par le menu le long entretien entre M. le curé et Julie, non parce que ce fut une confession, car ça n’en fut pas une, mais plutôt une confidence, une expansion d’une enfant privée de sa mère à celui qu’elle considérait à si juste titre comme un saint et un dévoué père d’adoption.

Elle lui redit son bonheur des premiers mois de son mariage, la confiance réciproque et l’amour mutuel entre les deux jeunes époux, lorsque tout-à-coup, sans cause appréciable, apparut au firmament ce point noir précurseur de la tempête, grossissant sans cesse au ciel d’azur de leur bonheur !

Le vieillard s’enquit prudemment mais profondément, sonda le cœur de la jeune femme, interrogea onctueusement son âme ; il en conclut, sans hésitation, qu’il était sans reproches. Il n’en resta pas moins douloureusement perplexe…… On en vint à la conclusion à attendre la venue du jeune époux de Julie à Sorel, tel qu’il l’avait promis.

On se flattait de l’espoir hélas ! irréalisé que, en causant avec lui, le vieillard chercherait et trouverait la blessure, la sonderait et verrait au meilleur moyen d’opérer la guérison car, nul doute que c’était une plaie morale et, en conséquence, le ministre de Dieu se trouvait par la force des choses, le meilleur des médecins en cette vallée de larmes pour les jeunes comme pour les vieux !

Julie, depuis son arrivée à Sorel, n’avait pas reçu de lettre de son mari, mais il n’y avait, en cela, encore rien d’alarmant, car en ce temps-là, une lettre de Québec à Sorel ne se rendait à destination, qu’après plusieurs jours et, qui sait, se disait la jeune femme, si son mari, au lieu d’écrire, ne lui ménageait pas une heureuse surprise en venant lui-même ?……

Hélas ! la pauvre enfant se faisait une amère illusion, car elle ne devait jamais revoir, vivant, celui dont, insondables décrets de la providence, la cruelle destinée devait lui créer un deuil tragique.