Drames de la vie réelle/Chapitre XXI

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J. A. Chenevert (p. 71-75).

XXI

À son arrivée à St-Charles, l’honorable Louis-Joseph Papineau, orateur de la chambre d’assemblée du Canada, adressait la parole aux délégués des comtés de Richelieu, de St-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly, de Verchères et de l’Acadie, le 23 octobre 1837.

Sur l’estrade, élevée dans une prairie dépendant de la ferme du docteur François Chicou-Duvert, on remarquait assis, le docteur Wolfred Nelson, président de l’assemblée, et à sa droite aussi assis, le major Joseph Toussaint Drolet, de St-Marc, député du comté de Verchères, et le docteur Duvert, — tous deux vice présidents de l’assemblée. Ensuite venaient l’honorable Louis Lacoste, député de Longuenil (père de sir Alexandre Lacoste, juge en chef de la cour d’appel) ; puis Messieurs Louis Michel Viger, député du comté de Chambly, (le beau Viger) ; Boucher-Belleville, secrétaire de l’assemblée ; Édouard Rodier, député du comté de l’Assomption ; le docteur Duchesnois, de Varennes ; Rodolphe Desrivières, président des “ Fils de la Liberté ” ; P. Amiot, député de Verchères ; Louis Blanchard, député de St-Hyacinthe ; Côme Cartier, de St-Antoine ; le docteur Allard, de Belœil ; et le fougueux docteur O’Callaghan rédacteur en chef du journal anglais, The Vindicator.

Au pied de l’estrade se déroulait une foule que les historiens de l’époque évaluent à huit mille personnes, venues des comtés composant la “Confédération des six comtés, ” pour entendre le grand orateur Papineau.

Un grand nombre de bannières flottaient au vent, il faisait un temps délicieux ; elles étaient couvertes d’inscriptions plus ou moins révolutionnaires dont voici les plus anodines : “ Vive Papineau et le système électif ! ” “ Honneur à ceux qui ont renvoyé leurs commissions et qui ont été destitués ! ” “ Honte à leurs successeurs ! ” “ Nos amis du Haut-Canada ! ” “ Honneur aux braves Canadiens de 1816 ” “ Le pays attend encore leurs secours. ” “ Indépendance.” Le conseil législatif était représenté par une tête de mort sur des os en croix.

Après le discours de M. Papineau, MM. Nelson, Viger, Lacoste. Ed. Rodier, le docteur Côté, T. S. Brown et Girod adressèrent aussi l’immense assemblée.

Ensuite on proposa à la “ Confédération des six Comtés ” d’adopter les résolutions suivantes, rappellent quelque peu les grands jours de la révolution française.

Un vent de révolte avait passé dans nos campagnes. Cette révolte était plutôt une protestation qu’un soulèvement sérieux.

Ce délirant patriotisme avait gagné jusqu’au vénérable curé de St-Charles, le révérend abbé Blanchet, qui mourut évêque de Nesqualy. Il assistait à cette assemblée.

La première résolution fut présentée par le docteur Wolfred Nelson, appuyée par le docteur Daviguon de Ste Marie : —

Résolu. — Qu’imitant en cela l’exemple que nous ont donné nos ancêtres et les héros de 1776, nous considérons les vérités suivantes comme évidentes par elles-mêmes, et nous les affirmons comme nos devanciers : — Que tous les hommes ont été créés égaux ; Que le Créateur a accordé à chacun certains droits inaliénables, au nombre desquels se trouvent le droit de vie, de libérté et la recherche, du bonheur ; que les gouvernements ont été constitués pour protéger et sauvegarder ces droits ; que leur autorité légitime ne repose que sur la volonté et le consentement du peuple qui les a institués ; que c’est le privilège du peuple de modifier et même de rejeter toute forme de gouvernement qui menace l’existence de ces droits, pour en adopter uue autre basée sur ses principes immuables et appuyée de toute l’autorité nécessaire pour assurer leur existence et le bien-être de la population.

La 2e résolution fut proposée par M. René Boileau, notaire de Chambly, petit neveu de l’infortuné Jumonville, assassiné sur l’ordre de Washington en 1754, appuyé par le capitaine Vincent de Longueuil : —

Résolu — Que la Grande-Bretagne ne peut et ne doit exercer son autorité sur les deux Canada, que du consentement et de la bonne volonté de ses habitants ; qu’elle ne doit pas la faire reposer sur la force brutale, qui loin de conférer des privilèges, ne représente qu’un pouvoir dont l’existence cessera le jour où la résistance triomphera ; que le peuple a droit a fortiori de demander et d’obtenir comme condition de son allégeance volontaire tels changements dans la forme du gouvernement, devenus de nécessité par les progrès opérés dans le pays depuis 1791 et la condition présente, et qui se rattachent au bien-être de la population.

3e résolution proposée par M. Louis Marchand de St-Mathias, et secondée par M. Jean Marie Tétreau de St-Hilaire : —

Résolu — Que les démissions arbitraires opérées sur l’ordre du gouverneur en chef, durant les trois derniers mois, démissions qui se continuent de jour en jour, contre un certain nombre de juges de paix, d’officiers de milice et de commissaires pour la décision sommaire des petites causes, et ce dans toutes les paroisses de la province, sous le prétexte que ces officiers ont pris part aux délibérations des assemblées de comté tenues par le peuple dans le but de revendiquer ses droits menacés, prouvent jusqu’à l’évidence que Son Excellence abuse indignement des prérogatives de la couronne, et ce simplement pour supprimer des personnes qui avaient rempli les devoirs de leurs charges avec intégrité et indépendance, de manière à se gagner l’estime et la considération du public tout en faisant respecter les lois ; que ces personnes ont été remplacées par de vils instruments disposés à favoriser de tout leur pouvoir la politique violente du gouverneur, sans tenir aucun’compte du mépris universel de leurs compatriotes.

4e résolution, proposée par M. Lacoste de Longueuil, député, appuyé par M. Timothé Frauchère de St-Mathias : —

Résolu — Que dans des circonstances aussi regrettables, il est devenu de nécessité urgente de remplacer ces individus, qu’une administration hostile au pays a nommés aux différents emplois par des hommes dignes de confiance. Dans ce but toutes les paroisses des six comtés sont simultanément invitées à choisir, du 1er  jour de décembre au 1er  jour de janvier prochain, des juges de paix compétents à rétablir l’ordre, et des officiers de milice. Les règlements actuellement en force dans le comté des Deux-Montagnes seront temporairement adoptés pour la gouverne de ces officiers et déterminer leur juridiction.

6e résolution, proposée par M. J. T. Drolet de St-Marc, député, appuyé par M. le Dr. Duchesnois de Varennes :

Résolu — Que sous les pénalités contenues dans les dits règlements, mais encore plus par engagement d’honneur, les partisans de la réforme dans les six comtés promettent d’obéir et d’aider de tout leur pouvoir, les officiers qu’ils auront eux mêmes choisis, de faire opposition et de résister à tout ce qu’ordonneront les officiers nommés par lord Gosford, et ce de cette date au jour du départ de ce gouverneur de la province, leur refusant toute confiance, tout aide, et n’obéissant à leurs ordres que dans le cas où ils ne pourraient agir autrement sans contrevenir ouvertement aux lois établies. De plus, les Réformateurs s’obligent de souscrire les fonds nécessaires pour poursuivre et faire punir les officiers injustement nommés chaque fois qu’ils commettront une injustice ou un abus de pouvoir.

6e résolution, proposée par M. le Dr Duvert, de St-Charles, appuyée par M. le Dr Allard, de Belœil :

Résolu — que les habitants des six comtés avaient droit de s’attendre à ce que la province ne fut pas continuellement privée des avantages d’une Législation locale à ce que le Conseil Législatif serait organisé de manière à pouvoir donner un concours efficace au corps représentatif de la Législature et à respecter les besoins et les légitimes désirs de la masse du peuple. Que loin d’assister à la réalisation de si justes espérances, on a vu appeler à siéger dans le Conseil des personnes qui, presque sans une seule exception, non seulement ne jouissent pas de la confiance publique, mais sont indignes d’occuper cette position, tant par leur conduite que par leurs opinions politiques et devenues odieuses à toute la population du pays.

7e résolution, proposée par M. T. Amyot, député de Verchères, appuyée par M. le capitaine Bonin, de St-Ours :

Résolu — Que cette assemblée déclare que les dernières nominations au Conseil Exécutif de cette province ne rencontrent pas plus la confiance du public que celles dans le Conseil Législatif ; qu’elles sont d’autant plus scandaleuses qu’elles constituent la pluralité des charges, abus dénoncé antérieurement par lord Gosford lui-même, tant en sa qualité de gouverneur en chef que comme commissaire Royal eu ce qu’il réunit dans la même main les pouvoirs Législatifs, Exécutifs et Judiciaires.

8e résolution, proposée par M. E. Papineau, de St-Césaire, appuyée par M. le lieutenant Bonaventure Viger de Boucherville :

Résolu — Que cette assemblée ne voit dans ces différentes nominations que la continuation du système déjà existant de fraude et de déception, système qui a détruit tous sentiments de confiance, tant dans le gouvernement de la métropole que dans celui des colonies, de même que dans le Conseil Législatif tel que maintenant constitué. Que cette assemblée y voit aussi une autre preuve de l’opposition déclarée aux réclamations répétées de tout le pays, de même qu’une détermination bien arrêtée et tyrannique, de la part du gouvernement de Sa Majesté, de protéger et perpétuer les abus et les griefs dont se plaint la population déjà trop patiente.

9e résolution, proposée par M. Jean Marie Cormier de Contrecœur, appuyée par M. Gosselin de St-Hilaire :

Résolu — Que les nombreux et divers abus et griefs, dont cette colonie s’est plaint depuis de longues années, ont été si souvent énumérés par les représentants du peuple, et admis par le gouvernement de Sa Majesté et le Parlement de la métropole, qu’il est inutile de les récapituler ici, d’autant plus qu’ils ont été dénoncés par le peuple lui-même dans les différentes assemblées de comtés, en même temps que des mesures remédiatrices étaient suggérées. Les six comtés ne peuvent aujourd’hui que les dénoncer de nouveau et insister sur leur redressement.

10e résolution, proposée par M. Louis Blanchard, de St-Hyacinthe, député, appuyée par M. Joseph Séné :

Résolu — Qu’au lieu de faire cesser de bonne foi ces griefs et ces abus, tel qu’il en est obligé, le Gouvernement et les deux chambres du Parlement Impérial ont menacé, et ils se proposent de mettre à néant les droits fondamentaux de cette colonie ; afin d’imposer au peuple une soumission indigne et abjecte aux mesures oppressives qu’on est à lui préparer, les autorités ont recours au même système de coercition et de terreur qui a déshonoré le gouvernement anglais en Irlande : des magistrats, des officiers de milice, jouissant de la confiance de leurs compatriotes, sont dépouillés de leurs charges, parce qu’ils aiment trop leur pays pour donner leur sanction à un système agressif et inconstitutionnel, ou pour laisser violer impunément les franchises qui demandent à être respectées. Et pour mettre la sceau à toutes ces injustices, le gouverneur actuel a fait venir de nombreuses troupes dans cette province voulant ainsi détruire par la force physique toute résistance constitutionnelle, et compléter par la désolation et la mort l’œuvre de tyrannie décidée préalablement et autorisée par les autorités de l’autre côté de l’océan.

11e résolution, proposée par M. Laurent Bédard, de St-Simon, appuyée par M. S. Boudrault, de Ste-Marie :

Résolu — Que tout en tenant lord Gosford responsable de cette atteinte atroce à nos plus chères libertés qui se trouvent menacées par la force armée, et comptant sur la sympathie de nos voisins, sur la coopération active de nos frères réformateurs du Haut-Canada, et sur la Providence qui nous fournira l’occasion favorable de nous dégager du système d’oppression sous lequel nous gémissons aujourd’hui, nous déclarons ici que nous prenons en pitié la condition malheureuse des soldats que nos ennemis veulent convertir en vils instruments d’esclavage, et que la population de ces comtés n’entravera en rien l’action des soldats stationnés dans ce district, qui désireront améliorer leur condition en émigrant dans la république voisine ; d’autant plus que nous avons toute raison de croire que grand est le nombre de ceux qui n’attendent que l’occasion d’abandonner ainsi un état aussi anormal que désagréable.

12e résolution, proposée par M. Côme Cartier, de St-Antoine, appuyée par M. Siméon Marchessault, de St-Charles :

Résolu — Que cette assemblée approuve la formation nouvelle d’une association politique ayant nom ; " Les Fils de la Liberté,” et recommande aux jeunes gens de ces comtés de suivre cet exemple, de former dans chacune de leurs paroisses des soçiétés-sœurs des " Fils de la Liberté, ” de se tenir en rapport et en communication constante avec ces derniers à Montréal, et d’adopter la même organisation, afin d’être prêts, à un moment donné, à offrir leur support, si les circonstances les appelaient à protéger et défendre leurs libertés menacées.

13e résolution, proposée par M. le Dr Dorion, de St-Ours, appuyée par M. Eustache Graton, de Ste-Marie :

Résolu — Que les délégués nommés par les différentes paroisses des six comtés soient requis de se réunir de nouveau à cet endroit, demain, à deux heures de l’après-midi, afin de prendre en considération toutes propositions qui pourront leur être soumises.

Sur ce, l’assemblée se dispersa, non sans faire retentir l’air de vigoureux hourrahs patriotiques, et le Dr Dorion, qui avait fait adopter la dernière résolution, repartit pour St-Ours avec l’intention de revenir à Saint-Charles le lendemain.