Du Dandysme et de George Brummell/02

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Alphonse Lemerre (p. 4-6).
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II


Q uand la vanité est satisfaite et qu’elle le montre, elle devient de la fatuité. C’est le nom assez impertinent que les hypocrites de modestie, ― c’est-à-dire tout le monde, ― ont inventé par peur des sentiments vrais. Ainsi ce serait une erreur que de croire, comme on le croit peut-être, que la fatuité est exclusivement de la vanité montrée dans nos relations avec les femmes. Non, il y a des fats de tout genre : il y en a de naissance, de fortune, d’ambition, de science ; Tufière en est un, Turcaret un autre ; mais comme les femmes occupent beaucoup en France, on a surtout donné le nom de fatuité à la vanité de ceux qui leur plaisent et qui se croient irrésistibles. Seulement, cette fatuité, commune à tous les peuples chez qui la femme est quelque chose, n’est point cette autre espèce, qui, sous le nom de Dandysme, cherche depuis quelques temps à s’acclimater à Paris. L’une est la forme de la vanité humaine, universelle ; l’autre, d’une vanité particulière et très particulière : de la vanité anglaise. Comme tout ce qui est universel, humain, a son nom dans la langue de Voltaire ; ce qui ne l’est pas, on est obligé de l’y mettre, et voilà pourquoi le mot Dandysme n’est pas français.

Il restera étranger comme la chose qu’il exprime. Nous avons beau réfléchir toutes les couleurs : le caméléon ne peut réfléchir le blanc, et le blanc pour les peuples, c’est la force même de leur originalité. Nous posséderions plus grand encore le pouvoir d’assimilation qui nous distingue, que ce don de Dieu ne maîtriserait pas cet autre don, cette autre puissance, ― le pouvoir d’être soi, ― qui constitue la personne même, l’essence d’un peuple. Eh bien ! c’est la force de l’originalité anglaise, s’imprimant sur la vanité humaine, ― cette vanité ancrée jusqu’au cœur des marmitons, — et contre laquelle le mépris de Pascal n’était qu’une aveugle insolence, ― qui produit ce qu’on appelle le Dandysme. Nul moyen de partager cela avec l’Angleterre. C’est profond comme son génie même. Singerie n’est pas ressemblance. On peut prendre un air ou une pose comme on vole la forme d’un frac ; mais la comédie est fatigante : mais un masque est cruel, effroyable à porter, même pour les gens à caractère qui seraient les Fiesques du Dandysme, s’il le fallait, à plus forte raison pour nos aimables jeunes gens. L’ennui qu’ils respirent et inspirent ne leur donne qu’un faux reflet du Dandysme. Qu’ils prennent l’air dégoûté, s’ils veulent, et se gantent de blanc jusqu’au coude, le pays de Richelieu ne produira pas de Brummell.