Du Paupérisme dans plusieurs pays de l’Europe
Un sujet digne de l’attention des gouvernemens ainsi que des particuliers, est l’accroissement sensible du nombre des indigens dans presque toutes les parties de l’Europe. C’est dans les pays les mieux peuplés et les plus riches, dans ceux où l’agriculture, le commerce et l’industrie ont fait davantage de progrès, que le mal se trouve le plus répandu, effet assez naturel de la plus grande masse de richesses et de la plus grande inégalité du partage ; ce qui doit nécessairement amener l’augmentation du prix de tous les premiers besoins de la vie. En France, sur une population de 32 millions, on ne trouve pas moins de 22,500,000 individus qui n’ont à dépenser par jour que 5, 6 et 8 sous. On compte en général 5 millions de pauvres dans toute la rigueur du terme, et 3 millions dont l’existence n’est pas assurée pour un mois. Pour juger de la misère qui existe à Paris, qui seul paie le dixième de toutes les contributions de la France entière, on n’a qu’à faire attention que, sur le nombre de 23,341 individus décédés en 1826, 15,647 ou plus des 3 cinquièmes sont morts dans les hôpitaux. L’étendue du même fléau dans les Pays-Bas se fera connaître par les mesures qu’on y a été forcé de prendre pour le diminuer. On y comptait en 1827, 6,445 établissemens de Charité, qui sont venus au secours de 805,000 individus, et qui ont dépensé une somme de 10 millions et demi de florins. C’est en Angleterre, le pays le plus riche du monde, que le paupérisme a atteint son plus haut période. La taxe des pauvres y a été décuplée depuis 80 ans, ce qui certainement dépasse l’accroissement proportionnel du commerce, de la richesse et de la population du pays, dans le même espace de temps. Même en Allemagne, laquelle jusqu’ici avait été remarquée par l’aisance générale et le bien-être à peu près uniforme de la moyenne classe, et où le contraste de la richesse et de l’extrême misère était le moins sensible, le nombre des pauvres s’est accrû considérablement depuis les dernières années. Dans une partie de la Bavière, dans le Wurtemberg et le Hanovre, on élève des plaintes réitérées sur la grande quantité d’expropriations et de familles réduites à la misère.
Plusieurs villes, qui jusqu’à présent venaient au secours de leurs pauvres par des dons volontaires, se sont vues forcées d’établir la taxe. À Weimar, il vient d’être créé un impôt d’un phenning sur chaque risdaler de revenu, dans le même but. À Darmstadt, les habitans ont été engagés à augmenter la quotité des dons volontaires pour éviter la taxe. Il serait à désirer que plusieurs des petits états de l’Allemagne s’entendissent pour prendre des mesures uniformes, afin de prévenir un mal qui augmente tous les jours, malgré les bienfaits de la paix et l’accroissement de l’industrie. Il faudrait pour cela que les gouvernans secondassent les efforts bienveillans des particuliers. C’est surtout sur les émigrations, devenues si générales depuis quelque temps dans presque toutes les parties de l’Allemagne, que les cabinets sont appelés à fixer leur attention, soit en les dirigeant vers un point utile, soit en les encourageant avec prudence. Un problème de politique digne de toute leur sollicitude serait d’étendre au dehors les résultats de la civilisation européenne, et de chercher, dans l’exploitation des contrées éloignées de l’Europe, la garantie la plus sûre du bien-être et de la tranquillité de celle-ci.