Du contrat social (Édition Beaulavon 1903)/Introduction III

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)
Société nouvelle de librairie et d’édition (p. 70-96).


CHAPITRE III

L’Influence du Contrat social


« Nous n’avons pas vu de notre temps, et le monde n’a vu qu’une ou deux fois dans tout le cours des temps historiques, des travaux littéraires exercer une aussi prodigieuse influence sur l’esprit des hommes de tout caractère et de tome nuance intellectuelle que ceux que publia Rousseau de 1749 à 1762. »
(H. Sumner Maine, l’Ancien Droit, trad. franç., p. 83).


Il est, je pense, impossible de déterminer exactement l’influence exercée par le Contrat social : en tout cas, pour le tenter sérieusement, il faudrait tout un livre. Auguste Comte dit qu’il y a eu une époque de l’histoire où le Contrat a suscité plus d’enthousiasme et de loi « que n’en obtinrent jamais la Bible et le Coran[1] ». Carlyle l’appelle le « cinquième évangile » ou « l’évangile selon Jean-Jacques[2] ». Le livre de Rousseau, par son abstraction et sa généralité, se prêtait à toutes les déductions et pouvait être appliqué à tous les problèmes politiques ; la complexité même de la thèse fondamentale, qui prétendait concilier l’autorité et la liberté, facilitait les interprétations partielles et exclusives ; les admirables formules, concises, nettes et pleines, qu’on y INTRODUCTION ?I

trouve à chaque page, se gravaient d'elles-mêmes dans la mémoire des hommes ; enfin la célébrité de Rousseau et de son œuvre entière, la passion ardente et contenue qu'on sent en maint passage du Contrat, assurèrent à ce petit traité du droit politique non seulement la plus grande vogue immédiate, mais l'influence la plus géné- rale et la plus persistante jusqu'à la fin du xvin e siècle. Cette influence s'est exercée sous deux formes très différentes : d'une manière directe et précise, on trouve la trace indéniable des théories et même des paroles du Contrat social dans beaucoup d'œuvres et dans beau- coup d'actes de la Révolution; mais, d'autre part et surtout, le Contrat social a exercé une influence diffuse et générale; des hommes, qui peut-être même ne l'avaient jamais lu ou qui l'avaient mal compris, n'y ont pas moins puisé, dans une mesure indéterminable, quelque chose de leur manière de sentir et de penser ; plus encore que par son texte, le Contrat a agi par son esprit. C'est ce qu'exprime très bien George Eliot: « Le génie de Rousseau a éveillé en moi de nouvelles facultés..., non en m'inculquant quelque croyance nou- velle, mais par le souffle de son inspiration qui a vivifié mon âme. » Toute la démocratie moderne, parfois à son insu ou même contre son gré, a trouvé dans le Contrat social, sinon un programme et des doctrines, du moins un esprit, une méthode et une attitude politique.

Sans prétendre traiter à fond un sujet aussi vaste et aussi difficile, j'indiquerai brièvement dans quel sens le Contrat social me paraît avoir agi sur les faits de l'histoire et sur les doctrines des philosophes jusqu'à la fin du xvm e siècle.

  • *

Du vivant même de Rousseau, le Contrat social avait failli recevoir un commencement d'application. A

�� � 72 INTRODUCTION

Genève, alors troublée de querelles politiques qui nous semblent mesquines et confuses, les partis s'étaient emparés du livre, dès son apparition, et la condamna- tion prononcée par le Grand Conseil, la défense de Rousseau (*) et de ses amis, maintinrent pendant plusieurs années une assez vive agitation, mais sans aucun résultat politique important. De même, les négo- ciations engagées entre Rousseau et les Corses ou les Polonais échouèrent bientôt : des difficultés graves s'op- posaient à la réorganisation politique de ces deux pays ; Rousseau d'ailleurs semble avoir le premier renoncé aux projets qu'il avait d'abord accueillis avec enthou- siasme ( 2 ). Les persécutions réelles et imaginaires qui attristèrent la fin de sa vie le détournèrent de plus en plus de toute pensée d'action pratique. 11 semble même avoir perdu confiance, non pas dans la valeur de son système politique, mais dans ses chances de réalisation ( ;i ).

Mais, après la mort de Rousseau, lorsque commença l'agitation politique qui conduisit par degrés à la Révo- lution, le Contrat social lut dès l'abord invoqué par tous les partisans des réformes. Mirabeau en parle sans cesse : « Lis le grand Rousseau, écrit-il à Sophie,... laisse les fous, les envieux, les bégueules et les sots dire que c'est un homme à système (*) ». Et il écrit à Thérèse Le Vasseur, veuve de Rousseau, qu'il professe « un saint respect pour l'écrivain qui avait le plus éclairé la France sur les saines notions de la liberté ( 5 ) ». Le premier ouvrage de Madame de Staël ( 6 ) se

(*) Voir les Lettres de la Montagne. — Cf. Gaberel, Rousseau et les Genevois, et J. Vuy, ouvr. cit , 3 e article.

{-) Voir notamment l'histoire des négociations de Rousseau avec M. Butta-Foco.

( 3 ) Voir- notamment la lettre déjà citée au M IS de Mirabeau (1667).

( 4 ) Mirabeau, Lettres, II, 259.

( 5 ) Cité par E. Champion, Espr. de la Rév. /'r., p. 27. ( c ) Lettres sur J.-J. Rousseau (1788).

�� � INTRODUCTION ?3

termine par une invocation à l'ombre de Rousseau, à qui elle demande de soutenir le courage de « l'ange tutélaire de la France » (M. Necker, son père) et d ins- pirer de son esprit les Etats-généraux. C'est donc sous les auspices du Contrat social que la Révolution va s'ouvrir. Les cahiers en parlent le style et en reprodui- sent souvent les idées ( 1 ).

Quant à la Révolution elle-même, il faut d'abord écarter l'opinion, longtemps classique, qu'il n'y a eu à se réclamer de Rousseau que le parti jacobin, que l'influence du Contrat social commence à se faire sentir quand la suprématie passe aux Montagnards dans la Convention et qu'elle atteint son apogée avec l'établisse- ment de la Terreur. Cette théorie commode et trop simple, qui rattache la Constituante à Montesquieu, les Girondins à Voltaire et la Montagne à Rousseau ( 2 ), est en complet désaccord avec les faits et plusieurs his- toriens récents en ont fait bonne et complète justice ( 3 ). En réalité, Rousseau a été invoqué par tous les partis, du premier jour de la Révolution jusqu'à la fin du Consulat. Dans un très intéressant ouvrage composé à la fin de 1790, Ph. Gudin écrivait : « 11 est de tous les sages celui qui influe le plus aujourd'hui sur les hommes et sur les affaires... ( 4 ) ». Et l'on retrouve son influence précise dans l'organisation du culte décadaire et de la théophilanthropie à la fin de la Convention, sous le Directoire et sous le Consulat.

Mais, si son influence n'a pas été exclusive, a-t-elle

(*) Voir l'analyse de ces cahiers dans E. Champion, la France d'après les cahiers de 4789, ou dans Jaurès, 1. 1, ch. 11.

( 2 ) C'est notamment celle de Louis Blanc, Hist. de là Rév. t t. II, liv. x, ch. 1, et passim.

( 3 ) Notamment Paul Janet, ouv. cit., 3 e éd., p. 455 et suiv. — - E. Champion, Espr. de la Rév., ch. 1 ; etc....

(S Ph. Gudin, Supplément au Contrat social, applicable particulièrement aux grandes nations, Paris, 1791, p. vi (dédi- cace à l'Assemblée nationale, du 30 oct. 1790).

R. —-3.

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été aussi profonde que générale et persistante ? — M. Faguet a cru pouvoir avancer que les idées de Rous- seau, comme celles de Montesquieu et de Voltaire, avaient eu très peu d'action réelle sur la Révolution : « elles ont, dit-il, traversé toute la Révolution française comme des projections de phares, et c'est à leurs lumières intermittentes qu'on a combattu dans les ténèbres. Leurs livres ont été les textes dont se sont appuyés les partis pour soutenir les revendications diverses et contraires qui leur étaient inspirées par leurs passions ou leurs intérêts (*). » S'il y a une idée très juste dans le paradoxe précédent, il convient de la bien entendre et de ne pas l'exagérer ( 2 ). 11 est vrai que tous les partis se sont presque également abrités sous l'immense autorité du Contrat social, et il est vrai encore que les principes de Rousseau ont été bien souvent invoqués comme justification théorique de mesures pratiques qu'ils n'avaient nullement suggérées et que les circonstances seules imposaient. Mais il serait tout à fait faux de penser que ce livre, presque sacré, qu'on osait à peine discuter, ait pu être si constamment invoqué dans la mêlée des partis sans exercer une influence directe et profonde. Il a en grande partie déterminé les conceptions politiques de Mirabeau, de Madame Rolland, de Robespierre et de bien d'autres, et, par les hommes, il a conduit les faits ; d'autre part, à mesure que la Révolution, en se déroulant, réalisait, presque malgré elle, ce régime démocratique étudié, plutôt que prévu, par Rousseau, les doctrines du phi- losophe de Genève se présentaient d'elles-mêmes à des esprits qui en étaient imbus ( 3 ) et leur apportaient

f 1 ) É. Faguet, La polit, comp., p. 280.

( 2 ) M. Faguet ajoute lui-même, quelques pages plus loin: « Rousseau, c'est la doctrine des Jacobins, de Robespierre, de St-Just, et, en une certaine mesure, de Rabeuf (p. 288) ».

( :i ) Mirabeau disait un jour à la Constituante : aujourd'hui,

�� � INTRODUCTION ?5

la solution la plus naturelle des difficultés que les événements soulevaient devant eux. M. Aulard distin- gue, très justement, dans l'œuvre des révolutionnaires, deux sortes de mesures : « On dut à la l'ois légiférer rationnellement pour l'avenir, pour la paix, et légiférer empiriquement, pour le présent, pour la guerre (*) ». Pour les mesures empiriques et occasionnelles, Rousseau a fourni surtout des prétextes : mais l'œuvre systéma- tique et rationnelle des assemblées révolutionnaires porte l'empreinte beaucoup plus profonde des théories du Contrat social et en est très souvent directement inspirée. — 11 faudrait, pour prouver ce que je viens d'avancer, exposer en détail l'histoire de la Révolu- tion : je me contenterai d'apporter quelques exemples précis.

Dans la première partie de la Révolution, l'ancien régime est encore trop vivant pour qu'on puisse avoir seulement l'idée d'appliquer le système de Rousseau à une société qui repose sur des principes si différents des siens. Aussi l'influence du Contrat soe ial est, d'une part, partielle et fragmentaire, — Mirabeau, par exemple, l'in- voque dans une discussion sur le droit des majorités ( 2 ),

nous n'avons plus le temps de travailler; heureusement, nous avions des « avances d'idées » (cité par Jaurès, t. I, en. i, p. 38). 11 est certain que nul livre n'avait autant contribué que le Contrat.social à constituer ces « avances a'idées » où les hommes de la Révolution puisaient selon leurs besoins.

(*) Aulard, HisL. polit, de la Rév. fr., avertiss., p. vu.

( 2 ) Discours de Mirabeau, séance du 29 juillet 1789 : « Il n'est dans toute association politique qu'un seul acte qui, par sa nature, exige un consentement supérieur à celui de la plu- ralité, c'est le pacte social, qui, de lui-même étant volontaire, ne peut exister sans un concert unanime. L'un des premiers effets de ce pacte, c'est la loi de pluralité des suffrages. C'est cette loi qui constitue pour ainsi dire l'existence, le moi moral, l'ac- tivité de l'association. C'est elle qui donne à ses actes le carac- tère sacré de la loi en consacrant qu'ils sont en effet l'expression du vœu général... » Séance du 29 juillet 1889 ( cité par L. Blum, la Déclaration des Droits avec commentaire, Paris,1902, p. 185).

�� � ou sur les biens du clergé ( 1 ), ou, encore, Billaud- Varenne s’en réclame pour proposer l’organisation d’une république iédérative ( 2 ), — d’autre part, théorique et surtout idéale : on emprunte à Rousseau des formules générales, des définitions de la liberté, de l’égalité, de la souveraineté, qui servent de principes; le Contrat social contribue à déterminer un état d’esprit encore vague, où des tendances démocratiques se forment peu à peu. Ainsi les auteurs de la constitution monarchiste et censitaire de 1791 invoquent le Contrat social, tout comme le feront plus tard les Conventionnels pour la constitution de 1793 : a notre Constitution n’est que le développement des idées de Rousseau...; Rousseau n’en est pas moins le premier fondateur de la Constitution », tels sont les termes d’une adresse signée par les hommes les plus distingués et les plus compétents, Ginguené, Ducis, Mercier, etc., et présentée à l’Assemblée nationale pour deVnander la translation des cendres de Jean-Jacques au Panthéon ( :i ). Les Constituants avaient fait placer dans la salle de leurs séances le buste de Rousseau et un exemplaire du Contrat social avait été déposé sur le socle ( 4 ) ; ils avaient décrété de

(’) Séance du2Nov. 1789 : Mirabeau, commentant avec hardiesse le Contrat social, soutient que la volonté générale a le droit de modifier toute loi, quelle qu’elle soit (Jaurès, 1. 1, p. 453).

C 2 ) L’Acéphocratie ou le gouvernement fédératif démontré le meilleur de tous pour un grand empire, par les principes de la politique et les faits de l’histoire, par M. B. de Varennes, etc. Paris. 1791. — Une proposition dans le même sens fut faite aux Jacobins, le 10 septembre 1792, par Terrasson, qui invoqua l’autorité du « divin Jean-Jacques ». (Aulard, Hist. pot., p. 263).

< 3 ) 27 août 1791, séance du soir (cité par E. Champion, Rev. bleue, février 1889, p. 239). Cf. Gudin (ouvr. et passage cité plus haut) ; — Mercier, -de J.-J. Rousseau, considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution, exprime la même idée (II, p. 306-313); — Robespierre célèbre Rousseau à la tribune de l’ Assemblée, le 11 août 1791 : « son génie puissant et vertueux a préparé vos travaux. » ,,

( 4 ) Séance du 22 juin 1790. INTRODUCTION 77

lui élever une statue en « témoignage de la reconnais- sance que lui doit la nation française », etc. ( 1 ).

Enfin, la Déclaration des Droits de Vh/omme et du citoyen, votée en août 1789, bien loin d'être, comme le soutient M. Faguet (-), en contradiction avec les doctrines de Rousseau, en est au contraire en grande partie l'application, car le principe de la souveraineté populaire y est proclamé sans réserve dans l'article 111, et, dès lors, la reconnaissance des droits individuels prend le caractère d'une déclaration toute morale : la volonté générale s'enchaîne en quelque sorte elle-même en rendant plus solennelle l'affirmation des droits indi- viduels, mais elle reste maîtresse de modifier et la loi, qui n'est que l'application de ces principes, et ces prin- cipes eux-mêmes ('). Je crois qu'en fait le souvenir des Déclarations américaines ( 4 ), dont la nôtre est en grande partie la traduction, a dirigé les Constituants dans la rédaction de ces formules fameuses, plus préci-

(M Séance du 21 déc. 1790.

( 2 ) Lapol. comp., p. 281 et suiv. — M. Faguet soutient que la Déclaration est du « pur Montesquieu ». et que les Consti- tuants se sont grossièrement contredits eux-mêmes en y intro- duisant la doctrine de la souveraineté du peuple, empruntée à Rousseau, doctrine incompatible avec la théorie de la liberté individuelle. 11 attribue donc aux Constituants la même contra- diction qu il reprochait déjà à Rousseau lui-même, cf. ci-dessus, p. 24. Il faudrait adresser la même critique aux Déclarations américaines, et même, à vrai dire, à toute constitution démo- cratique. Voir pour la discussion de cette théorie, ci-dessus chap. 1, § 4 et 6.

( :t ) Les Constituants reconnaissaient eux-mêmes le caractère en quelque sorte provisoire de leur Déclaration, et avaient d'abord décidé de la reviser ; mais, quand la question fut soule- vée, le 8 août 1791, on résolut de s'en tenir à la première rédac- tion. (Blum, la Décl., p. 38).

( 4 ) Sur cette question récemment renouvelée, voir Ch. Bor- geaud, Établissement et Revision des constitutions en Amérique et en Europe, 1893; — Paul Janet, la Philosophie de la Révo- lution ; — Jellinek, Die Erklarung der Menschen- und Biïrger- rechte, Leipzig, 18913. (Traduction française, Paris, 1903).

�� � j8 INTRODUCTION

sément et plus immédiatement que la philosophie du xvm e siècle : mais l'influence de Rousseau y est pour- tant sensible dans la forme (1) et dans le fond. En tout cas, lors de la revision de la Constitution entière avant le vote définitif, l'Assemblée tint à y introduire, le 10 août 1791, cette formule qui, par la lettre et par l'esprit, procède immédiatement du Contrat social (2): « La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible; elle appartient à la nation; aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attri- buer l'exercice (3) ».

Si l'influence de Rousseau est déjà manifeste dans l'œuvre de la Constituante, elle devient naturellement beaucoup plus grande avec l'établissement de la Répu- blique et du suffrage universel. Dès la fin de 1792, il est sans cesse question des doctrines du Contrat social, implicitement ou explicitement, à la Convention, aux Jacobins, dans la presse ou les brochures : non seule- ment on emprunte à Rousseau les principes généraux dont on se réclame, mais déjà quelques-unes des théories de politique pratique qu'il avait esquissées dans les derniers livres du Contrat paraissent réalisables et sont défendues avec plus ou moins de succès.

Dans le procès du roi, c'est sur les principes du Contrat que se livra la décisive bataille, et, cela est très remarquable, ils y furent défendus par les Giron- dins, combattus au contraire par Robespierre, Danton, Marat et toute la Montagne. C'est en effet au nom du caractère inaliénable et indivisible de la souveraineté nationale (C s., II, 1 et 11), que les Girondins préten-

(1) Le mot « imprescriptible » ne se trouvait pas dans les Déclarations américaines.

(2) Liv. II, ch. I, II, III.

(3) Titre III, art. 1, de la Constitution de 1791. Cette for- mule a été textuellement reproduite, sauf le dernier membre de phrase, dans la Déclaration de 1793, dont elle forme l'ar- ticle XXV.

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dirent obliger la Convention à soumettre son verdict à la ratification du peuple tout entier. Vergniaud soutint que le principe même de la souveraineté populaire exigeait que, pour un tel cas, les assemblées primaires fussent juges en dernier ressort, comme pour la ratifi- cation d'une constitution. Et ce furent Robespierre et Marat qui combattirent la théorie du gouvernement direct du peuple par le peuple lui-même et affirmèrent que les représentants avaient le droit de remplir, au nom du peuple, la mission dont le peuple les avait chargés ( 1 ). Il est évident d'ailleurs que, dans toute cette discussion fameuse, les principes de Rousseau furent surtout des prétextes et des armes, et qu'en réalité ce sont des passions, des intérêts, des raisons d'opportunité et de patriotisme qui déterminèrent sur- tout la conviction de l'assemblée.

Mais, lorsque la Convention entreprit de rédiger une constitution républicaine, les idées du Contrat social se présentèrent à tous les esprits et contribuèrent, au moins autant que les circonstances et les intérêts ( 2 ), à donner à la constitution de 1793 ce caractère hardi- ment démocratique, qui en fait une exception unique parmi toutes les constitutions françaises. — Déjà, au moment de l'élection des députés à la Convention, beaucoup de sociétés avaient réclamé l'application des principes démocratiques du Contrat social. Tout le monde se trouva d'accord ( 3 ) implicitement pour accepter le système des représentants , que Rousseau

(*) Lire le récit détaillé de ces séances, décembre 1792 et janvier 1793, dans Louis Blanc, Hist. de ta Révol. fr., VIII, ix. {-) L'idée de désarmer la Gironde en satisfaisant les pro- vinces a vraisemblablement beaucoup contribué d'ailleurs à faire adopter le système de la consultation directe des assem- blées primaires. Cf. Aulard, Hist. pol. de la Rév. (r., II e part., ch. IV.

- ( 3 ) On ne signale en 1792 qu'une unique protestation, tout-à- fait insignifiante. (Aulard, ouvr. cit. 7 note de la page 257).

��� � avait condamné, mais que rendaient absolument nécessaire l’étendue du pays, le nombre de la population et le souci de maintenir l’unité nationale. Mais du moins on voulut d’abord que l’élection des représentants fût directe, « parce que le peuplé souverain doit le moins possible aliéner sa souveraineté (*)», et ensuite que la future constitution fût soumise à la ratification directe du peuple ( 2 ); beaucoup de sociétés et de sections le réclamaient en août 1792, et Danton fit voter à l’unanimité, dès la réunion de la Convention, ce principe : « Il ne peut y avoir de constitution que celle qui est acceptée par le peuple ( 3 ). »

Aussi les deux projets de constitution, le projet dit girondin préparé par Condorcet aussi bien et même plus encore que le projet montagnard d’Hérault de Séchelles, s’efforcent d’appliquer à un grand peuple quelques-uns des principes démocratiques formulés par Rousseau ( 4 ). La souveraineté du peuple doit s’exercer directement par les assemblées primaires, et le rôle des représentants est en somme de préparer seulement les lois : le peuple en doit décider définitivement. Et les deux projets sont également amenés à distinguer les lois dont le peuple reste l’auteur direct, et les décrets qui rentrent dans les attributions de l’assemblée nationale : distinction chère à Rousseau, qui établissait entre la loi, toujours générale par son objet, et les décrets particuliers une différence profonde ( 5 ) ; ni l’un ni l’autre des deux projets n’observe rigoureusement la distinction établie par Rousseau entre la loi et le décret, mais il est manifeste qu’ils s’en inspirent. Enfin, dans son projet, Hérault de Séchelles avait proposé linsti-

(*) Pétition du Club des Jacobins, du 13 août 1792 (Aulard, II, 11, § 12; p. 257).

(-) Cf. C. s. Il, vu.

( :î ) Séance du 21 septembre 1792 (Aulard, ibid., p. 258).

4 ) Aulard, II, iv. — Louis Blanc, X, 1.

( 5 ) Cf. C. s. II, iv et vi. INTRODUCTION 8l

tution d'un o grand jury national » « pour garantir les citoyens de l'oppression du corps législatif et du conseil exécutif » : îl est permis de voir dans ce projet, ajourné par la Convention, mais vivement soutenu par Robes- pierre (*), une application des idées de Rousseau sur la nécessité, dans une démocratie, de corps intermé- diaires, tels que le tribundt, destinés à assurer l'équili- bre des différents organes de l'État ( 2 ). Et l'on pourrait montrer dans beaucoup d'autres projets encore l'in- fluence de Rousseau ( 3 ).

C'est surtout dans la politique religieuse de la Révolution que cette influence s'est fait nettement sentir et s'est traduite par des actes précis. D'après M. Aulard, les révolutionnaires auraient été amenés à combattre les idées chrétiennes, dont ils étaient encore tous, au début surtout, profondément imbus, et à essayer d'y substituer une religion civile, *« non par philosophie, mais par patriotisme ( 4 ) », parce que les prêtres catholiques étaient à la tête de la résistance contre-révo- lutionnaire et pactisaient avec l'étranger. 11 me semble

(*) Séance du 16 juin 1793 (Aulard, II, iv, § 5).

{-) C. s., IV, v. — Gudin fouv. cit'.J avait aussi réclamé des institutions de ce genre.

( 3 ) Ainsi, Le 10 mai 1793, Isnard demande que le « pacte social )) ne soit pas définitif et que la patrie française ne soit établie que pour trente ans. Cf. C. s., I, vu : « il ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat social ». — De même, Robes- pierre, sans doute pour combattre la Gironde, avait proposé, le 24 avril 1793, d'introduire dans la Déclaration des droits une nouvelle formule (retirée d'ailleurs par lui dans la suite), où la propriété était définie exactement comme elle eût pu l'être par Rousseau : « la propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion des biens qui lui est garantie par la loi. » (Aulard, II, iv, § 3). Cette formule a été souvent reprise par les partis avancés, de 1830 à 1850.

( l Aulard, le Culte de la Raison et le Culte de l'Être suprême (Paris, 1892), p. 15. — Cf. Hist. pol. de la rév., II, ix; III, vi ; IV, m.

��� � 82 INTRODUCTION

que le dessein de la plupart des conventionnels, et tout au moins de Robespierre, tel qu'il ressort de ses actes et de ses discours, est beaucoup plus général et plus profond, et que c'est vraiment une pensée de Rousseau. Les circonstances imposaient à la France un régime démo- cratique fondé sur la souveraineté populaire et elles exigeaient en même temps un gouvernement fort, capable de résister aux ennemis du dedans et du dehors : l'idéal du Contrat social était en quelque sorte adapté d'avance à ces deux conditions. Les révolutionnaires ont cru, comme Rousseau, qu'il était impossible de constituer une société sans utiliser la force morale des idées et surtout des sentiments religieux, et que, notamment, pour sauver, au milieu de déchirements si profonds, l'unité nationale, il fallait maintenir dans tous les esprits un fond de croyances communes, une véritable religion civile, exempte de superstition et surtout de fanatisme, mais assez puissante sur les cœurs pour incliner les volontés devant la loi.

Une première tentative (*), presque uniquement rationaliste et anti-catholique, fut faite à la tin de i"9,3, par Chaumette et la commune de Paris, qui établirent le culte de la raison, adopté d'abord avec enthousiasme en beaucoup de régions ( 2 ). Mais lorsque Robespierre fut devenu tout- puissant, après l'exécution des Héber- tistes et des Dantonistes, il entreprit de réaliser, au mois de mai 1794» un projet longtemps médité, qui est bien plus directement inspiré des idées de Rousseau : c'est l'établissement du culte de VÊtre suprême, avec lequel se confondit bientôt en partie le culte de la rai- son. Le projet que Rousseau exposa d'abord aux Jaco-

C 1 ) On pourrait déjà montrer l'influence de Rousseau dans la Constitution civile du clergé : les intentions des Constituants se comprennent mieux si l'on connaît l'esprit du Vicaire savoyard. Voir l'explication très ingénieuse qu'en donne M. Jaurès, Hist. soc., t. I, p. 539. ( 2 ) Cf. Aulard, le Culte de la Raison, ch. VI-XIV.

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bins, puis à la Convention, portait « sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes répu- blicains et sur les fêtes nationales ». Le 18 floréal an II, Robespierre, dans un des plus curieux discours qu'il ait prononcés, discours dont l'effet fut prodigieux, atta- qua vivement l'athéisme, que l'on avait voulu considérer comme « national » et lié au système de la Révolution, et définit l'esprit de la religion nouvelle : « Que vous importent à vous, législateurs, les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquèrent les phénomènes de la nature ? Vous pouvez abandonner ces objets à leurs disputes éternelles.... Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans la pratique est la vérité. Vidée de l'Être suprême et de l'immortalité de Vâme est un appel continuel à la justice : elle est donc sociale et républicaine. » Et, après une attaque contre Voltaire, il invoqua expressément Rousseau : « un homme, par l'élévation de son âme et par la grandeur de son caractère, se montra digne du ministère de précepteur du genre humain.... Ah ! s'il avait été témoin de cette révolution dont il fut le précurseur et qui l'a porté au Panthéon, qui peut douter que son âme généreuse eût embrassé avec transport la cause de la justice et de l'égalité ?... (*) » Et Robes-*

f 1 ) On voit que Robespierre rangeait hardiment Rousseau parmi les amis de la Révolution et même de la Montagne. St.-Just l'appelle également « l'homme révolutionnaire » (rap- port sur la police générale). Qu'en faut-il penser? Cela était déjà contesté dès l'époque révolutionnaire. Un .anonyme (Duhem?) publiait en 1790 un pamphlet intitulé : J.-J. Rousseau aristocrate; et les modérés opposaient souvent aux Montagnards l'autorité de Rousseau. Chateaubriand (Esprit des révolutions) dit qu' « il n'y a pas de livre » qui, plus que le Contrat social, condamne les terroristes. Et, en effet, M. Paul Janet (Bist. de la Se. polit., t. II. p. 458 et suiv. ), et M. E. Champion ( Esprit de la Révol., ch. n, n'ont pas eu de peine a rassembler des textes où Rousseau condamne par avance Te système de la Terreur (notamment, article Économie politique, p. 416) et même pro-

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pierre, après avoir attaqué la superstition et distingué le Dieu des prêtres et le Dieu de la nature, termina par ce mot : « les ennemis de la république, ce sont les hommes corrompus ! (*) ». Déjà, aux Jacobins, Robes- pierre avait justifié les mêmes idées en citant le chapitre du Contrat social sur la religion civile, dont il avait vanté la profondeur et l'utilité ( 2 ). C'est donc bien le souci de la morale et de la vertu, le désir de « purifier » la volonté générale, c'est-à-dire l'esprit du fameux chapitre de Rousseau, qui a directement déterminé la

teste contre toute pensée d'introduire dans les gouvernements des changements radicaux (notamment, Jug. sur la Polysy- nodie de l'Abbé de St- Pierre, t. V, p. 93 et suiv. ; et C. s., II, m; 6 e et 7 e Lettres de la Montagne); et on a répété que Rous- seau s'accommodait fort bien de la monarchie ou de l'aristocratie. — Mais, il ne faut pas oublier, que si Rousseau proclame toutes les formes de gouvernement valables selon les circonstances, c'est que, pour lui, la forme du gouvernement est secondaire, car « tout Etat légitime est républicain ». Le principe de la souve- raineté populaire est au cœur de son système. — Quant à savoir s'il eût approuvé la Révolution, comment décider une pareille question ? En tout cas, il ne suffît pas d'invoquer les condam- nations anticipées qu'on en trouve dans son œuvre, car combien parmi les plus décidés des Montagnards en auraient pu écrire autant â l'époque où écrivait Rousseau, ou même à la veille de la Révolution ! Nul ne pouvait prévoir les circontances d'où est sortie la Terreur. En tous cas, l'idée de Robespierre, l'idée de donner les forces morales de la vertu pour appui à la force matérielle, de détruire toutes les organisations qui résistent à l'unité et d'imposer celle-ci de force, par une sorte de dictature momentanée, justifiée par le salut public, en attendant qu'une organisation régulière de la démocratie fût possible, me paraît tout à fait conforme à la pensée de Rousseau.

(*) L. Blanc, XI, xi; Aulard, le Culte de la Raison, XXII et XXIII.

( 2 ) Séance de la Société des Jacobins du 15 mai 1794 (Aulard, la Société des Jacobins, t. VI, p. 134). Robespierre demande cependant qu'on a présente avec ménagements... cette vérité professée par J.-J. Rousseau, qu'il faut bannir de la République tous ceux qui ne croient pas a la divinité » ; ce serait effrayer une trop grande « multitude d'imbéciles ou d'hommes corrom- pus ». — Carrier, Couthon, etc. développèrent les mômes idées.

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politique du parti de Robespierre en matière religieuse, qui lui a fait essayer d'établir la religion naturelle sur les ruines de la religion catholique et qui a peut-être ainsi facilité d'autant la résurrection si prochaine et si rapide de celle-ci.

Ces conceptions survécurent d'ailleurs au 9 Thermi- dor et à Robespierre ; pendant la fin de la Convention, sous le Directoire et jusque sous le Consulat, on assiste à de nouveaux efforts pour reconstituer une autre forme de religion naturelle: le culte décadaire , la Théophilan- thropie reprennent les mêmes idées essentielles et se réclament toujours de l'autorité de Rousseau. Le 9 fruc- tidor an V, un ami du directeur La Révellière-Lépeaux, J.-B. Leclerc (de Maine-et-Loire) dépose une motion « sur l'existence et l'utilité d'une religion civile en France (*) », et les arguments en sont encore puisés à la grande source de toute la politique religieuse de la Révolution, le chapitre vm du IV e livre du Contrat social.

En somme donc, autant que l'on peut prouver l'in- fluence d'un homme et d'un livre sur des faits aussi complexes, il me semble certain que le Contrat social a suggéré certaines mesures politiques, inspiré de nom- breux projets constitutionnels et agi d'une façon réelle et profonde sur la politique religieuse de la plupart des révolutionnaires. Mais, quelle que soit l'importance de quelques-uns de ces faits, l'influence de Rousseau sur la Révolution me paraît surtout capitale en ce qu'elle a contribué à donner à l'idéal révolutionnaire sa forme précise. Souveraineté du peuple, liberté et égalité, voilà les trois dogmes fondamentaux, les trois mots fatidiques que l'on retrouve partout. Il serait évidem- ment ridicule de soutenir que cela vient uniquement du livre de Rousseau. Mais je crois que ce livre apuissarn-

(*) Ce fait m'a été signalé par M. Mathiez, qui prépare un important travail sur la Théophilanthropie et le culte décadaire.

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ment contribué, non seulement à familiariser les esprits avec ces trois idées, qui résument le Contrat (*) comme elles résument l'esprit révolutionnaire, mais surtout à en faire des sentiments vivants et passionnément aimés. En ce sens est vraie peut-être la parole mystique de Quinet : J.-J. Rousseau « représente d'avance » la Révo- lution « et la personnifie, autant qu'un individu peut représenter un système (*) ».

  • *

L'influence du Contrat social sur les doctrines des philosophes et des écrivains a été beaucoup moins grande, ou du moins plus restreinte et plus localisée qu'on ne le croit généralement. En France, on est embarrassé pour découvrir d'incontestables héritiers politiques de Rousseau. M. P. Janet ( 3 ) désigne .comme ses disciples Turgot, Malesherbes et Bernardin de St-Pierre ; mais, pour les deux derniers, il s'agit d'une influence générale, sentimentale et morale en même temps que littéraire, que nous n'avons pas à étudier ici ( 4 ) ; — et le libéralisme économique de Turgot me paraît radicalement opposé à l'esprit du Con- trat ( 5 ). On est tenté d'établir a priori un rapport

(*) C. s., II, xi. « Si l'on recherche en quoi consiste précisé- ment le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu'il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et Y égalité... » Liberté, égalité, c'était la devise républicaine sous la Convention et le Direc- toire ; cf. communication de M. Aulard à la Société de l'hist.de la Rév. fr., 29 mars 1903.

( 2 ) Edgar Quinet, La Révolution, V, m (éd. du Centenaire, p. 159).

( y ) Hist. de la se. polit., t. II, p. 417.

( 4 ) Cependant Bernardin de St-Pierre, dans ses Études de la nature (1784), a touché en passant aux questions politiques.

( 5 ) Voir plus haut, ch. i, § 5 et 6. L'idée de la liberté du commerce et de l'industrie, comme moyens d'augmenter la

�� � entre l’école des économistes physiocrates et Rousseau, à cause du rôle de la nature dans les théories des uns et des autres ; mais le rapprochement serait superficiel, presque uniquement verbal, et, je crois, sans fondement historique : Rousseau a bien célébré le retour à la nature, l’agriculture et la vie champêtre, mais il suffît de lire son article Économie politique ( 1 ), pour voir combien profondément il diffère des hommes qui posaient, à cette époque même, les fondemeuts de cette science. — M. André Lichtenberger, qui a étudié de très près la naissance des théories socialistes au xvin e siècle, reconnaît surtout l’influence de Rousseau dans les œuvres de trois auteurs, inégalement obscurs, mais tous les trois secondaires, Raynal, Mercier et Restif de la Bretonne (-). On pourrait être tenté d’y ajouter Mably ( 3 ) et Condorcet ( 4 ) ; mais, en étudiant de

richesse publique et privée, aurait eu peu d’attraits pour Rousseau, dont on se rappelle le Projet de constitution pour la Corse: « Il faut que tout le monde vive et que personne ne s’enrichisse » (p. 91) ... « Je veux que la propriété de l’État soit aussi grande, aussi forte et celle des citoyens aussi faible, aussi petite qu’il est possible .. » (p. 100) (Œuvres et corr. inéd. publ. par M. Streckeisen-Moultou).

(*) C’est surtout une première esquisse du Contrat social et les questions économiques y sont étudiées presque uniquement, du point de vue de l’Etat, très sommairement et superficiellement d’ailleurs.

( 2 ) A. Lichtenberger, le Socialisme au XVIIIe siècle, ch. vi.

( 3 ) M. Paul Janet croit que « Mably doit être séparé de J.-J. Rousseau et rattaché à une autre origine » (celle de Platon). Hist. de la sc. pol., t. II, p. 651.

( 4 ) J’ai signalé plus haut l’influence du Contrat social sur le projet de constitution, dit girondin, préparé par Condorcet en 1793. Mais les idées les plus importantes et les plus caractéristiques de Condorcet, sa conception de l’application des mathématiques aux problèmes politiques, sa confiance dans la science et dans le progrés, ses projets pédagogiques, etc., me paraissent en opposition complète avec l’esprit du système de Rousseau. Condorcet a surtout subi l’influence de Turgot, et aussi de Voltaire. — Tout au plus pourrait-on signaler, au IIIe livre du près ces deux hommes, on trouverait, je crois, que s’ils doivent quelque chose à Rousseau, comme tout leur siècle, ce n’est pas le Contrat social qui a inspiré et nourri leur pensée politique. — .En France donc, si l’influence générale de l’œuvre de Rousseau a été profonde, du moins son Contrat social ne me paraît avoir suscité aucune école ni même aucune œuvre politique de réelle importance.

C’est en Allemagne que l’influence de la politique de Rousseau est surtout manifeste et précise. Comme l’a dit M. Albert Sorel : « l’éducation des Allemands les préparait à le comprendre, leurs sentiments le poussaient à l’admirer... Rousseau ne trouva nulle part un sol aussi fécond.. ( 4 ) », et «... en Allemagne, où les institutions étaient fédérales,... la doctrine du Contrat conduisait à resserrer l’Etat, à rassembler la nation ; elle entrait tout naturellement dans le courant de l’histoire. Les disciples de Rousseau, qui furent en France des révolutionnaires, devinrent en Allemagne des réformateurs ( 2 ). » Mais, si cette influence s’est étendue jusqu’aux faits et aux institutions, c’est d’abord en se faisant allemande et en suscitant les doctrines des deux philosophes dont l’action a été la plus profonde sur le xix e siècle allemand, Kant et Fichte.

On sait combien l’œuvre tout entière de Rousseau a produit sur Kant une impression vive et a contribué à la constitution de la philosophie critique ( 3 ). Hegel

Contrat, quelques tentatives de Rousseau, malheureuses d’ailleurs, pour introduire le langage mathématique dans la politique : mais cela est bien différent des idées exposées par Condorcet dans son Tableau général de la science qui a pour objet l’application du calcul aux sciences politiques et morales (1787, publié en 1795).

(*) A. Sorel, L’Europe et la Révolution, I, n, § 2, p. 104.

( 2 ) Ibid., I, m, § 4, p. 185.

( 3 ) Kant était un lecteur passionné des œuvres de Rousseau, notamment de l’Emile; le portrait de Rousseau était seul placé

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disait que la doctrine de Rousseau avait préparé celle de Kant et en avait fourni le fondement ('). M. Delbos va jusqu'à dire que Rousseau, plus que Hume, « réveilla^Kant de son sommeil dogmatique (-)»• Et Kant déclare lui-même que c'est Rousseau qui l'a « ramené dans le droit chemin », alors qu'il se perdait dans la présomption et la curiosité delà science pure et lui a fait comprendre que l'objet essentiel de tout travail philosophique devait être : « restituer (ou faire ressortir) les droits de l'humanité ( 3 ) ». Mais si, dans une première période, Kant semble avoir été surtout séduit par les premiers ouvrages de Rousseau, dans la suite ( 4 ) les doctrines mêmes du Contrat social ont exercé sur sa pensée la plus durable influence : elles ont fourni à sa morale quelques-uns de leurs traits essentiels et directement inspiré ses théories politiques ( 5 ). Nul

dans sa chambre. Outre les allusions fréquentes qu'il fait dans ses œuvres aux théories de Rousseau on a publié des Réflexions relatives à Rousseau, que Kant avait écrites sur son exemplaire des Observations sur le sentiment du beau et du sublime. Cf. Delbos, Essai sur la formation de la philos, prat. de Kant, p. 125, note. — Lévy-Bruhl, Y Influence de J.-J. Rousseau en Allemagne (Annales de l'Éc. lib. des Se. polit., 1887).

( J ) « Hume, Rousseau et Spinoza sont les trois points de départ de la philosophie allemande moderne... Rousseau pro- clame la volonté libre l'essence de l'homme. Ce principe est la transition à la doctrine de Kant, dont il est le fondement » Hegel, Lee. sur Vhist. de la philos, (édit. de Berlin, 1836, t. XV, p. 529).

( 2 ) Delbos, ouv. cit., p. 116.

( ;t ) Kant, Réflexions, etc., éd. Hartenstein, t. VIII, p. 624.

( 4 ) Cf. la très intéressante note (p. 128/ où M. Delbos discute la thèse de Hôffding, d'après laquelle Kant aurait subi, à deux reprises différentes et dans des sens un peu divers, l'influence de Rousseau.

( 5 ) Cf. outre Delbos, I, chap. n, — Paul Janet, t. II, IV, ix, où l'influence du Contrat sur la morale kantienne est signalée, mais assez confusément indiquée, — Fouillée, Y Idée moderne du Droit, l re partie, — Henry Michel, Y Idée de l'État, introduc- tion. Cf. aussi, ci-dessus, ch. i, § 4, p. 31.

�� � 90 INTRODUCTION

n'a, je crois, plus profondément compris le système du Contrat social, et n'a mieux donné aux théories politi- ques essentielles de Rousseau toute leur signification et toute leur valeur ( j ).

Si la valeur philosophique du système de Fichte est moins grande, peut-être son action sur la politique alle- mande a-t elle été plus directe et plus immédiatement sensible ( 2 ). Or, lui aussi se réclame explicitement de la doctrine du Contrat social et prétend même en tirer des conséquences pleinement démocratiques, devant lesquelles peut être aurait reculé Rousseau . Il dit, dans la préface de ses Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française (1793) : « Rousseau, que vous ne vous lassez pas d'appeler un rêveur au moment même où ses rêves se réalisent sous vos yeux, eut beaucoup trop de ménagements pour vous, ô empiriques : ce fut là sa faute. ( 3 ) » Il professe, dans toute sa rigueur, la doctrine du contrat social et reconnaît aux citoyens le droit de modifier toutes les conventions antérieures, même de se détacher du corps politique pour former un État à part .

La théorie rationaliste du contrat social et de la sou- veraineté populaire a donc exercé l'influence la plus précise sur la révolution philosophique allemande de la fin du xvm e siècle : le contrat y est conçu comme « une idée », non pas comme un fait historique, et c'est à la

(*) Je ne puis exposer ici la philosophie politique de Kant : on en trouvera un excellent résumé dans Paul Janet, ouvr. cit., et Th. Ruyssen, Kant (Paris, 1900). L'influence du Contrat est particulièrement manifeste dans la Doctrine du Droit, et les Rapports de la théorie et de la pratique (traduction des Eléments métaphysiques du Droit, par Barni).

( 2 ) Pour l'influence de Rousseau sur Kichte, voir Paul Janet, t. II, IV, ix, — Henry Michel, ouvr. cit., ibid., — Lévy-Bruhl, art. cil. Dans le livre récent de M. Xavier Léon sur la Philo- sophie de Fichte (1902), la politique est malheureusement négligée.

( 3 ) Trad. Barni, préf., p. 87 (cité par H. Michel, ouvr. cité).

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lumière de celle idée que l'on détermine les droits et les devoirs des individus et des gouvernements. Par là, les théories de Rousseau se sont trouvées reprendre une nouvelle vigueur, et ont atteint de nouveaux cercles d'esprits. Mais cela rend naturellement d'autant plus compliquée l'étude de l'influence ultérieure du système.

��Je ne chercherai pas à poursuivre cette étude pour le xix* siècle : à mesure qu'on s'éloigne de la source première, les difficultés s'accumulent. Je crois d'ailleurs que l'influence directe de la politique de Rousseau et du Contrat social y a été bien moins grande qu'on ne serait tenté de le supposer. Ni les partis politiques, ni les sociologues, ni les philosophes ne lui ont peut-être accordé l'attention qu'il mérite, et cela, pour des raisons multiples.

D'abord, dès le début du xix e siècle, s'est créée la « légende » du Contrat social et l'on a commencé à n'en plus bien entendre l'esprit. Gomme la Révolution en général, mais surtout les Jacobins, et plus particulière- ment Robespierre s'étaient hautement réclamés des doctrines du philosophe de Genève, on n'a plus voulu voir dans Rousseau que l'apologiste par avance ou du moins le théoricien de la Terreur. On n'a plus lu le Contrat social qu'à travers les souvenirs de la Révo- lution, et tout le parti libéral a proclamé que ce livre n'était qu'un manuel du despotisme et de la tyrannie. Alors que Madame de Staël et Mirabeau y avaient trouvé « les plus saines idées de la liberté », Benja- min Constant (*) , Royer-Gollard, Lamartine, etc.,

( * ) Voir la vigoureuse et précise critique que Benjamin Constant dirige contre les théories du Contrat (Princ. de polit, const., chap. I, p. 10 et suiv.); j'en résume les idées essentielles : — Rousseau oublie, dans sa théorie de la souveraineté illimitée du peuple, que cet être abstrait, le souverain, ne peut agir qu'en délé-

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dénonçaient Rousseau comme le défenseur de la tyran- nie, « le grand anarchiste de l'humanité » (*) « le tribun des sentiments justes et des idées fausses ( 2 )»- Lamartine écrivait : « Le Contrat social est le livre fondamental de la Révolution française. C'est sur cette pierre, pulvérisée d'avance, qu'elle s'est écroulée de sophismes : que pouvait-on édifier de durable sur tant de mensonges ?.... » ( 3 ). On oubliait ou on ne voulait pas voir l'effort tenté par Rousseau pour concilier la liberté et l'autorité et l'on n'examinait pas si la démo- cratie pouvait vraiment reposer sur un autre principe que celui de la souveraineté populaire.

Mais, tandis que Rousseau était ainsi méconnu et combattu par les modérés, doctrinaires et libéraux, ses

guant sa puissance à quelques-uns, et que, dès lors, tous les attributs préservateurs que Rousseau reconnaissait au souverain disparaissent. « L'action qui se fait au nom de tous étant néces- sairement, degié ou de force, à la disposition d'un seul ou de quelques-uns, il arrive qu'en se donnant à tous il n'est pas vrai qu'on ne se donne à personne : on se donne au contraire à ceux qui agissent au nom de tous. » Donc, la condition n'est pas égale pour tous ; tous n'acquièrent pas autant de droits qu'ils en cèdent, car « le résultat de ce qu'ils sacrifient est ou peut être l'établissement d'une force qui leur enlève ce qu'ils ont. » Aussi Rousseau, effrayé de ces conséquences, a déclaré que la souve- raineté ne peut être ni aliénée, ni déléguée, ni représentée : c'est dire qu'elle ne peut être exercée. — Je renvoie, pour la discussion de ces idées, au chap. I, § 6, de cette introduction : Benjamin Constant me parait oublier que la volonté générale s'exprime précisément par la loi, et que, selon Rousseau, a ceux qui agissent au nom de tous » n'ont d'autre puissance que celle qui leur est conférée, dans la mesure strictement nécessaire, par la loi elle-même.

( 1 ) Lamartine, J.-J. Rousseau, son faux Contrat social et le vrai Contrat social (1866), p. 125. — Dans cet ouvrage passionné où Lamartine expose une extraordinaire politique « spiiïtualiste » et mystique (voir surtout M* partie), quelques principes du Contrat sont discutés avec détail (2 e partie), mais ni l'esprit ni\ parfois le sens littéral n'en sont compris par Lamartine.

( 2 ) lbid. t p. 15.

( 3 ) ibid., p. 93.

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théories politiques ne rencontraient pas beaucoup plus de laveur dans les partis avancés ni dans les diverses écoles philosophiques. Quelques-uns des anciens socia- listes français d'avant 1848 se sont bien réclamés de ses doctrines ; par exemple, Pierre Leroux (*), Louis Blanc, les apôtres de la « fraternité », qui opposent le « senti- ment » de Rousseau à la froide « raison »de Voltaire ( 2 ). Mais ni les Positivistes, — car, malgré plus d'une ana- logie dans les idées, la différence des méthodes est si grande qu'ils n'ont que défiance pour la « métaphy- sique » du Contrat, — ni même, en général, les Saint- Simoniens, dont les vues économiques sont tout autres, — ni les socialistes modernes, quelques-uns, comme Proudhon ( 3 ), à qui conviendrait mieux peut-être le

(*) Revue sociale, 1845, t. I, p. 109.

(*) L. Blanc, Hist de la RévoL, t. II, IX, v.

( 3 ) P.-J. Proudhon a fait du Contrat social une très inté- ressante critique, violente, injuste et haineuse i mais en quel- ques parties solide et profonde, dans son Idée générale de la Révolution au IVI e siècle, IV, 1 (p. 115-125). Avec Benjamin Constant, mais dans un camp tout opposé, il est le plus sérieux adversaire de Rousseau. Il lui reproche de n'avoir pas établi d'abord une théorie juridique, solide et précise du Contrat selon les principes du Droit : le contrat social de Rousseau n'est qu' « un acte constitutif d'arbitres » ; on peut le comparer « à un traité de commerce dans lequel auraient été supprimés les noms des parties, l'objet de la convention, la nature et l'im- portance des valeurs, produits et services pour lesquels on devrait traiter,... tout ce qui fait, en un mot, la matière des contrats, et où l'on ne serait occupé que de pénalités et de juri- dictions. » Rousseau s'inquiète uniquement de « la protection et la défense des biens et des personnes », mais il néglige l'essen- tiel^ savoir le mode d'acquisition et de transmission des biens, le travail, l'échange, la valeur, le prix des produits, etc. : « son programme parle exclusivement de droits politiques ; il ne reconnaît pas de droits économiques ». Ce « pacte de haine », ce « serment de guerre sociale », réorganise la tyrannie, en la faisant dériver du peuple. « Après avoir fait, sous le titre déce- vant de Contrat social, le code de la tyrannie capitaliste et mercantile, le charlatan genevois conclut à la nécessité du pro- létariat, à la subalternisation du travailleur, à la dictature et à l'inquisition. »

�� � 94 INTRODUCTION

nom d'anarchistes, parce qu'ils ne pardonnent pas à Rousseau d'avoir voulu renforcer la puissance de l'Etat, mais tous parce qu'ils lui reprochent à bon droit d'avoir entièrement subordonné les questions sociales aux ques- tions politiques, et méconnu ou dénaturé l'importance des faits économiques, — ni les « démocrates » (*), parce qu'ils répugnent instinctivement à la reconnais- sance expresse de l'absolue souveraineté populaire, et qu'à vrai dire, ils n'ont pas de système politique logi- que et complet, — ni les sociologues, philosophes et savants, qui étudient surtout les faits de l'histoire, les lois de la biologie ou de la psychologie, et qui, à force d'avoir réfuté «jusqu'à satiété ( 2 ) » l'interprétation historique du. contrat social (interprétation qui est, comme on l'a vu, une déformation complète des idées de Rousseau), oublient volontiers que la vraie signifi- cation du contrat est morale et logique, et, comme M. Sumner-Maine, s'étonnent de « la fascination sin- gulière » qu'exerce « cette erreur spéculative » sur a ceux qui pensent légèrement en tout pays ( 3 ) », — ne peuvent être regardés comme des disciples, mais bien au contraire comme des adversaires de la pensée politique de Rousseau.

Peut-être cependant peut-on découvrir aujourd'hui, aussi bien dans la philosophie et dans la sociologie que dans la politique contemporaine, un certain mouvement plus sympathique à l'esprit du Contrat social. D'une part, les philosophes commencent peut-être à mieux sentir qu'à la base de tout système politique, il faut

(*) Je désigne par ce mot vague et commode les politiques, diversement dénommés selon les époques et les pays (radicaux, radicaux-socialistes, etc.), qui attribuent à 1 État un rôle plus étendu que la stricte protection des droits individuels et lui demandent de travailler à réaliser l'égalité ou la justice sociale.

(•) E. Faguet, ouvr. cit.

( 3 ) H. Sumner-Maine, l'Ancien Droit, trad. franc. (1874), en. ij, p. 84.

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poser des principes moraux auxquels adhère le cœur en même temps que l'intelligence, et ils ne regardent plus autant comme de la vaine métaphysique la déter- mination a priori des lins de la vie sociale ( 1 ). Et, d'autre part, à mesure que se découvre mieux l'impuis- sance du « libéralisme », hérité des doctrinaires et des anciens économistes, à résoudre les problèmes sociaux et même à assurer la vie du corps politique, on est amené à se demander si la liberté, en quelque sorte égoïste et passive, à laquelle ils prétendaient réduire « la liberté à la moderne », est bien la vraie liberté, celle qu'exige la justice et l'intérêt de tous, et si elle ne serait pas au contraire une liberté de privilégiés, abri- tant sous le nom de droits naturels des avantages sociaux auxquels ils ne veulent pas renoncer. C'est peut- être un intéressant symptôme que l'importance que reprend parmi nous l'idée d'égalité, et le rapprochement — tout au moins théorique — qui rattache cette idée à celle de liberté ( 2 ). Au lendemain du jour où l'on a cru utile de rappeler, et d'opposer à la morale moderne, quelques-unes des idées de la morale antique ( 3 ), peut- être est-il non moins nécessaire de relier à nouveau, comme l'avait fait Rousseau, « la liberté des modernes » à « la liberté des anciens ». La doctrine du Contrat social, si nous avons eu raison d'y voir une théorie cohérente et solide de la souveraineté populaire, — non pas la négation de la liberté individuelle, mais la con- ciliation de la liberté individuelle avec la liberté politique

f 1 ) Cf. Henry Michel, l'Idée de l'État, introd. ; — Ch. Andler, Les origines du socialisme d'État en Allemagne, introd.; — C. Bougie, Les Sciences sociales en Allemagne, fin.

( 2 ) Cf. les articles sur La Crise du Libéralisme, de MM. Bougie, Lanson, Parodi, Jacob, Lapie, etc., dans la Revue de MéLaph. et de Morale (1902-1903); voir aussi la thèse de M. C. Bougie, les Idées égalitaires, 1899.

( 3 ) V. Brochard, la Morale ancienne et la Morale moderne, Revue philosophique (janv. 1901).

�� � par l’idée d’égalité — n’a donc peut-être pas épuisé toute sa fécondité et il est bon d’en proposer l’étude à quiconque se croit animé de l’esprit démocratique.

« Quand le courant des idées publiques sera aux choses saines et généreuses, écrivait Sainte-Beuve [3], la renommée de Jean-Jacques revivra. » On aimerait à penser que cette espérance est à la veille de se réaliser.

  1. A. Comte, Politique positive, t. III, ch. vii.
  2. Carlyle, The french révolution, t. II, ch. vii, p. 44.
  3. Lettre à Ernest Hamel (cité par Grand-Carteret, Rousseau jugé par les Français d’aujourd’hui, 1890).