Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement/Chapitre IX

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Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement
Au bureau de l’univers (p. 31-34).
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IX


Il faut bien l’admettre du reste, l’Université et ses défenseurs en repoussant le sacerdoce catholique de l’enseignement, sont d’accord avec la marche continue de cet odieux despotisme qui se déguise partout sous le nom d’esprit moderne ou de progrès social, et qui consiste à absorber dans l’unité factice de l’État toute la sève et toute la force de la vie sociale. On a commencé par détendre et briser tous les ressorts qui imprimaient à l’homme une impulsion permanente vers un monde meilleur, vers une vie plus haute, et qui lui servaient en même temps d’inviolable sauvegarde contre toutes les tyrannies. On a détruit peu à peu toutes les institutions qui témoignaient de originalité et de la féconde variété de sa nature : on a proscrit toutes les formes, toutes les traditions qui caressaient son imagination en peuplant sa mémoire. Il s’agit maintenant d’enchaîner son intelligence et son activité et de les sceller pour jamais au sein de cette grande machine qu’on appelle l’État, qui se chargera d’agir, de penser, de combattre, de choisir et de croire pour lui, qui régira son esprit comme elle régit déjà son industrie et sa propriété, qui élèvera ses enfants comme elle partage sa succession, et qui deviendra ainsi l’unique agent et le seul arbitre d’une nation moralement anéantie. L’Université ne représente pas seulement l’orgueil du rationalisme et l'anarchie intellectuelle où conduit l’incrédulité : elle représente surtout et elle sert merveilleusement cette tendance de l’État à tout ployer sous l’implacable niveau d’une stérile uniformité. C’est par elle que cé nouveau despotisme, qui menace le monde, tend à se substituer à l’Église et à la famille, ces deux foyers sacrés de la liberté morale du genre humain. Elle est l’instrument docile et efficace de cette coupable ambition des pouvoirs publics de nos jours, qui leur fait mettre la main sur tout ce qui était autrefois à l’abri de leur atteinte. Car, remarquons-le encore, par une contradiction aussi étrange que révoltante, plus leur durée est éphémère, plus ils sont dépouillés de tout ascendant moral sur les peuples, et plus ils aspirent à s’ériger en pontifes et en docteurs. C’est le moment où ils renoncent pour eux-mêmes à la profession d’une croyance quelconque, qu’ils choisissent pour réglementer et administrer chez les peuples le domaine de la conscience et de la foi, où leurs prédécesseurs n’avaient jamais osé s’aventurer qu’au nom et pour le compte d’une religion positive. Leur origine, leurs révolutions, leur constitution et leurs conditions mêmes d’existence leur interdisent jusqu’à ces fictions qui autrefois entouraient l’autorité d’un prestige salutaire ; et les voilà qui se posent en interprètes et en modérateurs de l’éternelle vérité pour pénétrer jusque dans le sanctuaire de la famille et pour prétendre que les générations futures doivent être moulées à leur effigie ! Quelles que soient les appréhensions ou l’insouciance des philosophes et des politiques étrangers à la loi de l’Église, au sujet des progrès de ce nouveau despotisme, les catholiques peuvent-ils laisser avec indifférence se consommer l’œuvre fatale de cette sécularisation universelle ? Peuvent-ils se résigner froidement à voir détacher ainsi pièce à pièce de la vérité religieuse tous les éléments de la société qui avait été sauvée et régénérée par l’incarnation du Fils de Dieu ?

Naguère la politique, la jurisprudence, la science, toutes les branches de l’art reconnaissaient la suprématie de l’Église et faisaient dériver d’elle leur fécondité et leur sanction. Toutes ces nobles vassales de l’Église ont été successivement arrachées à sa tutélaire influence. Déjà l’aumône, cette création exclusive du catholicisme, cette invention de la vanité sacerdotale, comme disait Barère[1], est entravée et poursuivie jusque dans ses asiles les plus sacrés et les plus purs, dans les hôpitaux qu’administrent les sœurs de charité, par cette bureaucratie insatiable qui ne connaît d’autre idéal que l’uniformité et qui voudrait substituer partout la bienfaisance officielle surveillée par un comptable, à la charité pratiquée par des chrétiens.

Voici maintenant le tour de l’éducation, du libre exercice de la puissance paternelle, que l’État, sous la figure de l’Université, vient dérober à l’Église et confisquer à son profit. L’épiscopat et le clergé français peuvent-ils ne pas résister à cette dernière usurpation, qui envahit directement le domaine de la conscience et qui sacrifie à l’idole politique la portion la plus délicate, et jusqu’à nos jours la plus respectée du troupeau chrétien ? Peuvent-ils abandonner un droit à la fois inhérent à leur constitution divine et garanti par l’esprit et la lettre de la loi fondamentale du pays ? Plaise au ciel qu’une pareille faiblesse ne puisse jamais leur être reprochée ; car du moment où l’Eglise reconnaîtrait qu’elle a perdu ce droit, elle aura rendu les armes à l’esprit moderne, elle aura subi une défaite non moins funeste pour le salut et, le bonheur de l’humanité que celle où le despotisme des souverains, l’astuce des légistes et l’ingrat orgueil des savants lui ont dérobe la noble fonction de juge entre les Peuples et les rois.



  1. Exposé des motifs de la loi sur les secours publics, mars 1793 et juin 1794