Du vert au violet/L’Éternelle Esclave

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Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 89-90).

L’ÉTERNELLE ESCLAVE



Je vis la Femme chargée de chaînes d’or et de chaînes d’airain. Ses liens étaient à la fois ténus comme le tissu de l’araignée et pesants comme la masse des montagnes, et l’Homme, tantôt bourreau et tantôt parasite, la dominait et vivait d’elle.

Docile, elle subissait la tyrannie. Et l’épouvante la plus grande était d’entendre les hypocrites paroles d’amour qui se mêlaient aux ordres du maître.

Je criai à la Femme (et mon cri traversa désespérément les grilles qui nous séparaient) :

« Ô Toi, l’éternelle Affligée, Tendresse déçue, Martyre d’amour, pourquoi te résigner dans une patience dégradante à l’ignominie et à la lâcheté de ce faux compagnon ? Le subis-tu par amour ou par crainte ? »

Elle me répondit : « Je ne le subis ni par amour ni par crainte, mais par ignorance et par habitude. »

Et de ces paroles me vinrent une immense tristesse et un immense espoir.