Du vert au violet/Les Amants de la Mort

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Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 81-82).

LES AMANTS DE LA MORT



La Mort m’apparut un soir d’hiver. Sa robe semblait tissée de lune et de neige et de larmes. La Mort me dit : « Suis-moi jusque dans mon palais dont le marbre luit au milieu des cyprès. Là, je te montrerai la multitude de mes amants. Ils sont plus clairs et plus majestueux que la Beauté vivante, et aucune ivresse humaine n’égalera l’ardeur de l’étreinte dont ils m’enlacèrent jadis. »

Je pris le chemin des tombeaux et je vis la multitude des amants de la Mort.

Quelques-uns avaient connu la fraîcheur de ses lèvres dans le lit fluide des fleuves et des mers. D’autres l’avaient cherchée dans les angoisses du poison ou dans le cruel éclair de l’acier. Tous, ils gardaient au front le reflet d’une pensée décisive et d’un acte solennel.

Je vis la multitude des amants de la Mort, de ceux qui avaient osé accomplir le plus magnifique geste humain : la Destruction de soi-même. Et j’enviai la paix et splendeur qui rayonnaient de leurs visages.

Je leur demandai si, en vérité, le baiser de la Mort leur fut clément et doux.

Et leur réponse fut la plénitude du silence.