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Dumas, Histoire de mes bêtes/Chapitre 10

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Histoire de mes bêtes
Calmann-Lévy (p. 65-71).

X

LA POCHE AUX LAPINS.


Il n’y avait, en effet, rien de mieux à faire que de chercher Pritchard, et il est probable que, sur ce point, vous serez de l’avis de Michel.

Nous cherchâmes donc Pritchard, tout en appelant, tout en sifflant « le vagabond », comme le nommait le digne forestier.

Cette recherche dura une bonne demi-heure, Pritchard se gardant bien de répondre à nos sifflements et à nos appels.

Enfin, Michel, qui marchait en ligne à une trentaine de pas de moi, s’arrêta.

— Monsieur ! fit-il, monsieur !

— Eh bien, qu’y a-t-il, Michel ?

— Venez voir, oh ! mais venez voir.

Je n’avais probablement pas de si bonnes raisons à donner de mon silence ou de mon immobilité que Pritchard ; aussi ne fis-je aucune difficulté de répondre à l’appel de Michel.

J’allai donc à lui.

— Eh bien, lui demandai-je, qu’y a-t-il ?

— Rien ; seulement, regardez.

Et Michel étendit le bras devant lui.

Je suivis la direction indiquée, et j’aperçus Pritchard aussi immobile que le fameux chien de Céphale dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir.

Sa tête, son dos et sa queue faisaient une ligne droite d’une parfaite rigidité.

— Vatrin, dis-je à mon tour, venez donc.

Vatrin arriva.

Je lui montrai Pritchard.

— Bon ! dit-il, je crois qu’il arrête.

— Pardieu ! dit Michel.

— Qu’arrête-t-il ? demandai-je.

— Allons-y voir, dit Vatrin .

Nous nous approchâmes. Vatrin décrivit autour de Pritchard autant de cercles que Pritchard en avait décrits autour des arbres.

Pritchard ne bougea point.

— C’est égal, dit Vatrin, voilà un rude arrêt.

Puis, me faisant signe de la main :

— Arrivez, me dit-il.

J’arrivai.

— Regardez… là… Voyez-vous quelque chose ?

— Je ne vois rien.

— Comment ! vous ne voyez pas un lapin au gîte ?

— Si fait.

— Cré nom ! dit Vatrin ; si j’avais mon bâton, c’est-à-dire que je l’assommerais et ce serait pour vous faire une gibelotte.

— Oh ! dit Michel, qu’à cela ne tienne, coupez-en un, de bâton !

— Bon ! pendant ce temps-là. Pritchard forcera son arrêt.

— Il n’y a pas de danger : je réponds de lui, à moins que le lapin ne file cependant.

— J’en vais couper un, dit Vatrin, quand ce ne serait que pour voir.

Et Vatrin se mit à couper un bâton.

Pritchard ne bougeait pas ; seulement, de temps en temps, il tournait de notre côté son œil moutarde, qui brillait comme une topaze.

— Patience, patience, disait Michel, tu vois bien que M. Vatrin coupe un bâton.

Et Pritchard, regardant Vatrin, semblait comprendre : puis, ramenant sa tête dans la ligne droite, rentrait dans son immobilité.

Vatrin avait coupé son bâton.

— Ah ! dit Michel, vous avez le temps de tailler les branches. Vatrin tailla les branches.

Puis, quand les branches furent taillées, il s’approcha avec précaution, prit ses mesures et envoya son coup de bâton au milieu de la touffe d’herbe où gîtait le lapin.

On vit à l’instant le ventre blanc de la pauvre bête, laquelle battait l’air de ses quatre pattes.

Pritchard voulait se précipiter sur le lapin ; mais Vatrin était là, et, après une lutte d’un instant, force resta à la loi.

— Mettez-moi ce gaillard-là dans votre poche, Michel ; c’est la gibelotte promise.

— Il a un fier râble, dit Michel en l’engouffrant entre la doublure et le drap de sa redingote.

Dieu sait combien de lapins cette poche avait déjà vus !

Vatrin chercha Pritchard pour le féliciter.

Pritchard avait disparu.

— Où diable est-il donc ? demanda Vatrin.

— Où il est ? dit Michel. Ce n’est pas difficile à deviner : il en cherche un autre.

C’était vrai ; nous nous mîmes en quête de Pritchard.

Au bout de dix minutes, nous tombâmes sur lui.

— Un roc, quoi ! dit Michel : voyez.

Effectivement, Pritchard arrêtait avec la même conscience que la première fois.

Vatrin s’approcha.

— Voilà le lapin, dit-il.

— Allons, Vatrin, cette fois-ci, vous avez votre bâton tout coupé.

Le bâton se leva, et, retombant presque aussitôt, fendit en sifflant un roncier.

Puis Vatrin plongea sa main dans le roncier et en tira un second lapin pendu à sa main par les oreilles.

— Tenez. Michel, dit-il, mettez celui-là dans votre autre poche.

Michel ne se fit pas prier ; seulement, il le mit dans la même poche.

— Eh bien, Michel, pourquoi pas dans l’autre, comme vous dit Vatrin ?

— Ah ! monsieur, fit Michel, il peut en tenir cinq dans chacune.

— Eh ! eh ! Michel, on ne dit pas de ces choses-là devant un fonctionnaire public.

Puis, me retournant vers Vatrin :

— Allons, Vatrin, le nombre trois plaît aux dieux.

— C’est possible, dit Vatrin, mais il pourrait ne pas plaire à M. Guérin.

M. Guérin, c’était l’inspecteur.

— Au reste, c’est inutile, lui dis-je : vous connaissez Pritchard ?

— Comme si je l’avais fait, dit Vatrin.

— Eh bien, qu’en dites-vous ?

— Dame, je dis que, si ça chassait sous le canon du fusil, ça ferait un crâne chien ; mais, pour arrêter, il arrête dur.

— Où est-il encore ? dis-je à Michel.

— Oh ! il aura trouvé un troisième lapin.

Nous cherchâmes, et, en effet, nous trouvâmes Pritchard en arrêt.

— Ma foi, dit Vatrin, je serais curieux de savoir combien de temps il y restera.

Vatrin tira sa montre.

— Eh bien. Vatrin, lui dis-je, vous qui êtes ici dans l’exercice de vos fonctions, passez-vous cette fantaisie ; mais, moi qui attends du monde, trouvez bon que je retourne chez moi.

— Allez, allez, dit Vatrin.

Michel et moi, nous reprîmes le chemin de la villa Médicis.

En me retournant une dernière fois, je vis Vatrin qui passait le collier de force au cou de Pritchard, sans que celui-ci parut même remarquer à quelle occupation se livrait le garde.

Une heure après, Vatrin entrait à la maison.

— Vingt-sept minutes ! me cria-t-il du plus loin qu’il me vit : et, si le lapin n’était point parti, le chien y serait encore.

— Alors, Vatrin, qu’en dites-vous ?

— Dame, je dis qu’il arrête dur.

— Oui, c’est connu ; mais que vous reste-t-il à lui apprendre ?

— Une chose que vous lui apprendrez aussi bien que moi, une bêtise, quoi : à rapporter. Vous lui apprendrez cela en jouant. Il n’y a pas besoin de moi pour cela.

— Vous entendez, Michel ?

— Oh ! monsieur, dit Michel, c’est fait.

— Comment, c’est fait ?

— Eh ! oui, il rapporte comme un ange.

Cela ne me donnait pas une idée bien positive de la manière dont Pritchard rapportait.

Mais Michel lui jeta son mouchoir, et Pritchard rapporta le mouchoir de Michel.

Mais Michel lui jeta un des deux lapins de Vatrin, et Pritchard rapporta le lapin de Vatrin.

Enfin, Michel alla au poulailler, y prit un œuf et le posa à terre.

Pritchard rapporta l’œuf comme il avait rapporté le lapin et le mouchoir.

— Mais, dit Vatrin, l’animal sait tout ce qu’il peut savoir, il ne lui manque plus que la pratique.

— Eh bien, Vatrin, le 2 septembre prochain, je vous donnerai des nouvelles de Pritchard.

— Et quand on pense, dit Vatrin, que, si un guerdin comme ça consentait à chasser sous le canon du fusil, il vaudrait cinq cents francs comme un liard !

— C’est vrai, Vatrin, lui dis-je ; mais il faut en faire votre deuil, il n’y consentira jamais.

En ce moment, les personnes que j’attendais arrivèrent, et comme une des principales qualités de Vatrin est la discrétion, il se retira, et, en se retirant, mit fin à notre conversation, si intéressante qu’elle fût.