Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873/Navets

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Alexandre Dumas
Grand dictionnaire de cuisine
Texte établi par Denis-Joseph Vuillemot, A. Lemerre (p. 734-738).
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NAVETS. — Les légumes eux-mêmes ont leur aristocratie et leurs privilèges : il est reconnu que les trois meilleures espèces de navets qu’on peut cultiver sont ceux de Cressy, de Belle-Isle-en-Mer et de Meaux ; mais, soit intrigues, soit adresse, ce sont les navets de Freneuse et de Vaugirard qui fournissent aujourd’hui à la consommation de Paris.

La première recette qui nous tombe sous la main est celle des navets à la d’Esclignac. Qui a pu valoir à M. d’Esclignac l’honneur de donner son nom à un plat de navets ?

Il n’y a rien de plus curieux à étudier, sous ce rapport, que les livres des cuisiniers et les étranges fantaisies qu’il leur prend de saucer, de mettre sur le gril et de faire rôtir nos grands hommes.

Voilà ce que nous trouvons dans un seul, à l’article Potage :



Potage à la Demidoff.
— à la John Russell.
— à l’Abd-el-Kader
— à la ville de Berlin.
— à la Cialdini.
— au 15 septembre 1864.
— au héros de Palestro.
— à la Lucullus.
Potage


Potage à la Guillaume Tell.
— au mont Blanc.
— à la Magenta et à la Solferino.
— aux Dardanelles.
— à la Dumas.
— à la Thérésa.
— à la mère l’Oie.
— à la Rothschild.

Si nous passons du potage aux hors-d’œuvre, nous trouvons, sans nous rendre compte du motif :

Fritures sibériennes.


Petits soufflés au Caire.
Petits pâtés à la Turbigo.
Petits pâtés Inkermann.
Filets de merlans à la Durando.
Petites timbales à la Garibaldi.
Friture au prince impérial.
— à la Louisiane.
— à la Capodimonte.
— à l’Africaine.


Friture au nouveau monde.
— à la fleuriste florentine.
Petites timbales à la Titus.
Soufflés à la Marc-Aurèle.
Pâtés Omer-Pacha.
Petites bouchées aux vrais amis.
Bâtons à la Palmerston.
Petits soufflés à la Cellini.
Petits soufflés au désir.

Relevés.


Turbot à la lord Byron.
Esturgeon à l’Arioste.
Truite à l’union universelle.
Matelote à la botanique.
Filet de turbot au prince Humbert.
Esturgeon aux flottes réunies.
Culotte de bœuf à la Dante Alighieri.
— à la Napoléon 1er.
Pièce de bœuf à la Napoléon III.
Gigot de mouton à la Jean-Jacques
Rousseau.
Poularde à la Dame aux camélias.
Dindonneau à la paix européenne.
Oie à la don Carlos.
Cochon de lait à la Washington.


Jambon à la reine Victoria.
Filet de bœuf à la Jules César.
Poulet aux cinq journées de Milan.
Bécasse au quadrilatère vénitien.
Pyramide à la rentrée des armées.
Poularde aux Florentins du
27 septembre 1859.
Filets de volaille au grand poëte.
Tordue à la Saïd-Pacha.
Poulet nouveau à la Nélaton.
Tête de veau à la Girardin.
Filets de faisan à l’impératrice
Eugénie.
Rognons de chapon à l’amitié.
Filets mignons de dindonneau au
souvenir.

Entrées chaudes.


Suprême de volaille à la Lucullus.
Poularde à la Scipion l’Africain.
Caille à l’aigle romaine.
Ortolan à l’indépendance.
Poularde au prince Albert.
Bécasse au prince de Galles.
Lièvre à la Dante de Castiglione.
Perdrix rouge à la maréchale Ney.


Croustade de gibier aux Trois
mousquetaires.
Mauviettes aux frètes Bandiera.
Saumon à la don Juan.
Poularde au premier soldat de
l’indépendance italienne.
Perdreau à la Cimarosa.
Côtelette de veau au doge de Venise.

Froides.


Galantine de dindonneau au roi de
Perse.
Pain de canneton à la Michel-Ange.


Pain de canneton à la Michel-Ange.
Pâté de gibier au grand Frédéric.


Cochon de lait de Gemma[1].
Chaud-froid de caille à la Charles-Albert.
Timbale d’huîtres à la Raphaël.
Filet de turbot à la lettore
Fieramosca.
Mayonnaise de homard à la Nicolo
dei La pi.


Mayonnaise de thon à la Vespucci.
Chaud-froid de ris d’agneau à la
Brunellesco.
Homard à la Borgia.
Mayonnaise de poisson aux quatre
ports de mer.
Galantine de chapon à la Persano[2].
Hure de sanglier à la Machiavel.

Rôts.


Oie à la Nelson.
Dindonneau à la Tibère.


Ortolan à la sultane.
Poulet au roi de Rome.


Nous pourrions pousser plus loin la liste de ce cuisinier historique, qui est en même temps un excellent cuisinier, auquel nous ne nous priverons pas, en le citant, bien entendu, d’emprunter quelques-unes de ses étranges recettes.

Revenons à nos navets.

Navets glacés au jus. — Choisissez des navets égaux de taille et propres à être taillés en poires, faites-les blanchir, égouttez-les, et beurrez le fond d’une casserole qui puisse les contenir les uns à côté des autres ; arrangez-y ces navets, faites-les blondiner au beurre et au sucre, mouillez-les d’excellent bouillon, saupoudrez-les de sucre écrasé, mettez-y un grain de sel et un peu de cannelle en bois, faites-les partir, couvrez-les d’un fond de papier beurré, posez-les sur le bord du fourneau avec du feu dessous, mettez sur votre casserole son couvercle avec du feu sur le couvercle, et, la cuisson de vos navets achevée, découvrez-les, faites-les tomber à glace, dressez-les sur votre plat, versez un peu de bon bouillon dans votre casserole pour en détacher la glace ; retirez-en la cannelle et saucez vos navets de cette glace, comme si c’était une compote.

Je m’aperçois que j’ai eu l’injustice de sauter par-dessus les navets à la d’Esclignac, qui ont été la cause de la longue parenthèse à laquelle nous nous sommes livrés, mais je m’empresse de réparer cette injustice.

Navets à la d’Esclignac. — Ayez des navets longs de quatre ou cinq pouces, coupez-en les deux bouts, fendez-les en deux et tournez chaque moitié pour lui donner la forme d’une corde, taillez avec le bout du couteau deux petites rainures telles qu’il en est à ces dernières, faites-les blanchir, mettez-les dans une casserole comme les précédentes, assaisonnez-les et faites-les cuire de la même manière ; seulement, n’y mettez pas de cannelle. Leur cuisson terminée, mettez un peu d’espagnole dans votre casserole pour en détacher la glace, joignez-y un peu de beurre et saucez vos navets.

Navets à la picarde. — Tournez des navets dans la forme que vous voudrez, mettez-les dans une casserole avec des oignons, du sel et un morceau de beurre, faites-les cuire, égouttez-les, confectionnez une bonne sauce blanche, liez-la de farine de manioc ou de tapioca, mettez-y une pincée de muscade râpée, ainsi qu’une demi-cuillerée de fine moutarde, et faites prendre sauce à vos navets.

Ragoûts de navets pour litière ou garniture. — Après avoir coupé régulièrement et proprement des navets, faites-leur faire un bouillon dans de l’eau, mettez-les cuire ensuite avec du bouillon ou du coulis et un bouquet de fines herbes ; quand ils sont cuits, assaisonnez de bon goût et dégraissez votre ragoût.

On sert assez souvent des navets avec des viandes cuites à la braise ; mais une façon plus simple est celle-ci : quand la viande est à moitié cuite, on y met des navets pour faire cuire le tout ensemble, et quand on a bien assaisonné le ragoût, on le dégraisse avant de le servir.

Navets en ragoût vierge. — Tournez trente ou quarante navets en boules de la même grosseur, faites-les blanchir dans l’eau bouillante et légèrement salée ; après les avoir rafraîchis, vous les ferez cuire dans un consommé de volaille avec de la moelle et du sucre, après quoi vous ajouterez un morceau de beurre bien frais, et vous achèverez ce ragoût en le liant avec des jaunes d’œufs au bain-marie.

Purée de navets pour garnir les potages. — Mettez un quart de bœuf dans une casserole, avec une douzaine de gros navets coupés par morceaux ; placez votre appareil sur un feu très-vif, en ayant soin de le manipuler fréquemment ; lorsque les navets commencent à fondre, vous y mettrez du blond de veau, vous ferez réduire le tout à consistance de purée, vous passerez à l’étamine et vous vous en servirez d’après l’indication.

Bouillon pectoral aux navets. — Faites bouillir 1 kilogramme de jarret, avec 1 kil. 500 grammes de mou de veau, dans quatre setiers d’eau de pluie bien filtrée, joignez-y une demi-once d’amandes douces concassées ; laissez réduire à moitié. Pendant ce temps-là, vous aurez fait cuire vingt-quatre navets dans les cendres rouges, après les avoir enveloppés dans une triple feuille de papier d’office, et lorsque les navets auront formé leur sirop, vous les tirerez de leur enveloppe, afin de les mettre dans le bouillon, où vous les laisserez se consommer jusqu’à réduction d’un quart. Joignez-y 2 gros de sucre candi, 3 gros de gomme arabique en poudre ; mélangez le tout jusqu’à solution parfaite, et maintenez ce bouillon tiède au bain-marie pour être administré par tassés ou bien par cuillerées, suivant le cas. (M. de Courchamps.)

  1. Gemma de Vergy, à qui son mari jaloux fit manger le cœur de son amant.
  2. L’amiral Persano est celui qui fut battu à la bataille de Lyssa.