Dupleix d’après sa correspondance inédite (Hamont)/10

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CHAPITRE X

LE SECOND BLOCUS DE TRICHINAPALI.


Dupleix obligé de changer ses dispositions. — Mauvaise qualité des troupes. — Le camp retranché du Pounar. — Lawrence obligé de ravitailler Trichinapaly. — Dupleix renforce l’armée occupée au siège de cette dernière ville. — Les plans d’Astruc et les plans de Lawrence. — Les batailles sous Trichinapaly. — Incapacité des généraux français. — Dupleix refuse de lever le siège. — Mainville et l’escalade. — Nouvelles négociations. — Conférences de Sadras. — Victoire de Mainville à Trichinapaly. — Dupleix fait rompre la digue du Cauveri. — Le rajah de Tanjore prêt à quitter l’alliance anglaise. — Les Anglais menacés.


Pendant que ces événements s’accomplissaient dans le Dékan, d’autres soins avaient réclamé Dupleix. Il était dans l’obligation de modifier son plan de campagne, et heureusement il avait prévu le cas où l’armée de Salabet-Singue ne pourrait pas exécuter le mouvement tournant contre Trichinapaly ; mais il n’en devait pas moins changer toutes ses dispositions, et cela, dans l’action même. Quel parti prendre ? Fallait-il garder comme objectif Trichinapaly, toujours bloqué par les hordes de Naud-Rajah, concentrer toutes les forces disponibles contre cette ville et en recommencer immédiatement le siège ? C’était hardi, mais bien périlleux. Il y avait des chances pour terminer la campagne en un jour, si un assaut imprévu et vigoureusement mené réussissait ; mais aussi on courait le risque d’essuyer une défaite, dont les conséquences seraient terribles, puisque l’ennemi détenait les forteresses qui fermaient la route à une armée en retraite sur Pondichéry. C’était trop risqué. Valait-il mieux, au contraire, nettoyer le Carnate des ennemis qui s’y étaient établis, reprendre les places principales de cette région, et cela fait, sûr de ses derrières, marcher à l’attaque de Trichinapaly ? Ce mouvement était évidemment le meilleur. Dupleix prit la résolution de l’exécuter, en songeant que cette opération lui fournissait le moyen de rétablir le prestige de la France devant les Hindous par une série de petites victoires à peu près certaines. Un autre motif exerça aussi grande influence sur sa décision : la nécessité d’aguerrir les troupes, et celles-ci en avaient besoin !

Rarement on en avait vu d’aussi mauvaises. Parmi les officiers, il y en avait peu, ou pour mieux dire pas du tout, qui fussent en état de commander. Ce n’était pas la bravoure qui leur manquait, mais les talents ; c’étaient des enfants, sans la moindre teinture du service. Ils ne possédaient aucune autorité sur leurs hommes, qui se moquaient de leurs chefs. Quant aux soldats, on ne pouvait faire aucun fond sur eux. Les dernières recrues arrivées étaient, selon l’expression même de Dupleix, un ramassis de la plus vile canaille. Au lieu d’imiter les Anglais, de lever des Suisses, de choisir dans les bataillons d’infanterie régulière des volontaires aguerris, l’agent de la Compagnie chargé du recrutement empochait la plus forte partie des sommes allouées pour chaque homme engagé et racolait un troupeau de coquins et de bandits échappés des bagnes, qu’il faisait figurer sur les états d’effectif sous le titre pompeux de grenadiers, d’artilleurs. Les Anglais méprisaient ces troupes qui n’avaient « vu le feu que dans leur chaumière », disait Dupleix, et en faisaient des gorges chaudes. C’étaient des bandes plutôt qu’une armée. Il fallait pourtant s’en servir.

C’était là le grand souci de Dupleix, qui s’efforçait d’établir une discipline sévère parmi ces hommes, n’ayant du soldat que l’habit. Penser à affronter avec de tels éléments l’ennemi en rase campagne, lui semblait une folie. Il résolut de n’opérer que dans des lignes, à l’abri de solides retranchements. Il expliqua à Maissin, le commandant de l’armée, la tactique qu’il entendait suivre, lui indiqua la reprise de Tiravadi comme le but de ses efforts pour le moment, et lui montra sur une carte le point où l’on devait établir le camp et les travaux destinés à le protéger. La position était bien choisie. De là on pouvait commencer l’attaque contre Tiravadi, tout en interceptant les communications avec le fort Saint-David, éloigné de sept milles, et en gardant le passage du Pounar, qui baignait un des côtés du camp.

Le 14 janvier, Maissin et Morari-Rao, avec trois cent soixante grenadiers français, deux mille cipayes, quatre mille cavaliers mahrattes, quittèrent Valdaour et occupèrent le terrain désigné par Dupleix. On y éleva aussitôt une série d’épaulements et d’ouvrages qui constituaient un ensemble de fortifications assez solides, et qui furent rapidement achevés.

Dupleix avait dit à Maissin, en le quittant : « Ce que j’attends de vous, ce n’est pas du brillant, mais du solide. Avec des troupes comme les nôtres, il faut être prudent. Nous ne pouvons pas être Annibal, tachons d’être Fabius. Oublions pour le moment les grandes opérations, et contentons-nous d’une guerre de chicanes. Notre rôle doit se borner à harceler l’ennemi, à le fatiguer. Il faut attaquer et disperser ses convois, pour affamer Tiravadi. Avec cette tactique, nous referons des soldats, et alors, mais alors seulement, nous tenterons l’attaque de Trichinapaly, qui reste le but suprême de nos efforts. »

Maissin consacra toute son intelligence à exécuter ces ordres. Il surveillait d’un œil vigilant la route qui conduit du fort Saint-David à Tiravadi. Dès qu’il voyait un nuage de poussière s’élever sur le chemin, il donnait à ses Mahrattes l’ordre de tenir les chevaux prêts. Le convoi reconnu, il le chargeait aussitôt avec ses cavaliers, dont l’élan jetait le désordre dans cette multitude de bêtes de somme, de chariots, de coolies, qui constituent une caravane indienne.

L’arrivée subite d’une colonne d’infanterie européenne, sortie en hâte des retranchements, achevait l’œuvre en écrasant l’escorte. On conduisait au camp les approvisionnements qu’on pouvait amener. On brûlait le reste. Ces escarmouches, fréquemment répétées, enhardissaient le soldat. Méhémet-Ali, qui s’était cru en sûreté dans Tiravadi, prit peur et montra des dispositions à la fuite. Les Anglais se virent bientôt réduits à ne plus tenter aucun transport, sans le protéger par un déploiement de forces relativement considérables.

Cette résurrection de l’armée française mit Lawrence en fureur. Il était très-inquiet au sujet des troupes que Naud-Rajah tenait bloquées dans Trichinapaly ; il savait que celles-ci souffraient de la famine. Il eût voulu aller à leur secours, il avait déjà préparé le matériel d’une expédition destinée à ravitailler la forteresse qui lui semblait, à bon droit, le plus solide appui de la puissance anglaise dans l’Inde, et il était encore une fois arrêté de la façon la plus cruelle et la plus imprévue, par cet « infernal » gouverneur, qu’il croyait terrassé. Il fallait à tout prix chasser les Français de leurs fortifications improvisées.

Il réunit toutes les forces dont il pouvait disposer, six cents Anglais environ, avec deux mille cipayes, pour tenter un suprême effort contre les redoutes de Maissin.

L’élan des compagnies anglaises se brisa contre les retranchements ; après des pertes sensibles, elles reculèrent. L’impossibilité d’une escalade, d’un coup de main, était démontrée ; Lawrence changea le mode d’attaque. Il résolut de pratiquer, à l’aide de l’artillerie, une brèche dans le talus de l’ouvrage. Il amena des pièces de vingt-quatre et éleva une batterie, qui ouvrit le feu sur le terrassement. Au bout d’un jour ou deux, il demeura évident que ce n’était pas encore à l’aide de ce moyen qu’on délogerait les Français. Les boulets anglais s’enfonçaient dans le sable et ne causaient aucun dommage sérieux au parapet. Lawrence, désappointé, se vit forcé d’enlever ses canons. Il rôdait comme un loup autour du camp ; il cherchait un point faible et n’en trouvait pas. Il renonça enfin, mais non sans des frémissements de colère, à chasser les Français de leur position.

Lawrence restait devant Maissin, immobile, condamné à l’inaction et ne sachant trop que faire, quand il reçut de Trichinapaly un appel pressant, désespéré. Dalton, le commandant de la place, lui mandait que la garnison, réduite à un quart de ration, n’avait plus de vivres que pour quelques semaines, que tous ses efforts pour rompre l’investissement avaient été infructueux, qu’il avait succombé sous le nombre dans une dernière sortie, et qu’il serait dans l’obligation de rendre la forteresse, s’il n’était pas secouru à temps.

Sans hésiter, Lawrence, laissant à Tiravadi cent cinquante Anglais, retourna à Gondelour, chargea rapidement ses voitures et ses bêtes de somme, et à la tête de six cent cinquante grenadiers européens et de quinze cents cipayes, s’avança à marches forcées vers Trichinapaly.

Dupleix songeait déjà à reprendre Arcate, lorsqu’il apprit la résolution de Lawrence et le départ du convoi. Il ne chercha pas à le poursuivre et à l’atteindre. S’il avait le temps, il n’avait pas assez de forces pour oser se mesurer avec l’escorte ; il fallait pourtant répondre à la manœuvre de Lawrence, qui modifiait si profondément la situation. Il prit donc le parti de renforcer les troupes du Maïssour, occupées au blocus de Trichinapaly, et dans ce but il dirigea sur cette ville deux cents hommes, sous le commandement d’Astruc, en les faisant passer par Volcondapuram et Outatour, route parallèle à celle que suivaient les Anglais. Il chargea Mortiz-Ali, le nabab de Velour, à qui il confia cinquante Français, de nettoyer le sud du Carnate, opération qui eut un plein succès. Il donna en même temps l’ordre à Maissin de prendre l’offensive, d’emporter coûte que coûte Tiravadi, et cela fait de se rabattre comme la foudre sur Trichinapaly.

Maissin exécuta très-bien ces instructions. Tiravadi tomba après une courte, mais vigoureuse défense. On s’empara sans peine de Chelambron et de Vedrachelum. Maissin était libre d’opérer sa jonction avec Astruc. Il prononça aussitôt son mouvement en avant. Le Carnate était donc encore une fois délivré. Méhémet-Ali, épouvanté, n’avait pas voulu attendre l’attaque dans Tiravadi. Il avait couru, sans regarder derrière lui, jusqu’à Trichinapaly, entraînant son armée dans sa fuite. Dupleix avait repris les forteresses occupées par l’ennemi. Il reportait toute son attention sur Trichinapaly. C’était le dernier et l’unique boulevard des Anglais. Une lutte suprême allait s’engager autour de ses remparts. Celui qui en resterait le maître serait le dominateur de l’Inde. Dupleix n’a plus qu’une idée, réduire la ville.

Cependant Astruc avait atteint Sheringam vingt-quatre heures avant Lawrence et avait tranquillement opéré sa jonction avec les troupes de Naud-Rajah. Se sentant numériquement trop faible pour disputer le passage aux Anglais, il n’avait rien tenté pour empêcher leur entrée dans la ville. Retranché dans l’île et dans la pagode, qu’il regardait comme le réduit de ses fortifications, il refusait le combat que lui offrait Lawrence. Celui-ci, malgré tous ses efforts, n’avait ravitaillé la ville que pour quelques jours. L’intérêt du général anglais était de jouer le tout pour le tout, et en outre il avait le nombre de son côté et la valeur. Le devoir d’Astruc au contraire était de ne rien risquer ; il devait maintenir le système de blocus. Comprenant très-bien la tactique à suivre, le commandant français se contenta de harceler l’ennemi à l’aide de sa nombreuse cavalerie, qui battait sans cesse l’estrade, chargeant les fourrageurs anglais, attaquant, pillant, brûlant les convois et disparaissant dans un nuage de poussière, aussitôt que les grenadiers de Lawrence arrivaient en masse.

Au cours de ces manœuvres, Maissin, dont Dupleix par des lettres quotidiennes avait pressé la marche, arriva avec ses grenadiers et ses Mahrattes. La situation des deux armées en présence changea tout à coup. La supériorité numérique passa aux Français. Ils comptèrent alors quatre cent cinquante soldats d’infanterie européenne, quinze cents cipayes, huit mille chevaux du contingent de Maïssour, quatre mille cavaliers sous Morari-Rao et quatre mille irréguliers à pied. Lawrence, lui, ne pouvait plus mettre en ligne que quatre cent cinquante habits rouges, mille trois cents cipayes et une centaine de chevaux. La maladie avait dévoré le reste. Quant aux bandes de Méhémet-Ali, elles se tenaient prudemment renfermées dans Trichinapaly et refusaient de sortir. Au reste, ces hordes constituaient plutôt un danger qu’une aide.

Lawrence fut véritablement alors l’incarnation du génie même de l’Angleterre. Il fit preuve de cette opiniâtreté, de cette persévérance, de cette vigueur, de ce sang-froid, de cette intrépidité, qui tant de fois a assuré la victoire à son pays. Quoique affaibli par la maladie, il ne désespéra pas, et, loin de penser à capituler, comme beaucoup d’autres eussent été tentés de faire, stoïquement il s’affermit dans sa volonté de remplir son devoir et de combattre jusqu’au bout.

Alors s’engagea entre les deux généraux un duel tragique, aux péripéties mouvementées et sanglantes. Par une coïncidence remarquable, tous les deux obéirent aux applications opposées d’une même loi stratégique. Astruc voulait chasser Lawrence du terrain environnant la forteresse, le forcer à s’enfermer dans l’enceinte des remparts ; Lawrence au contraire, avec une intuition claire des principes de la défense, refusait de se laisser acculer ; regardant la place comme un point d’appui et non comme un abri, il voulait tenir la campagne, rayonner dans toutes les directions, éloigner enfin autant qu’il pourrait l’ennemi des ces murs qu’il s’était donné la mission de sauvegarder.

Dupleix remontrait à Astruc la nécessité de sortir promptement de Sheringam et de réoccuper les anciennes positions de Law devant la ville. Il lui indiquait les Cinq Rocs et le Rocher d’Or, comme les clefs mêmes de Trichinapaly. Astruc, qui pensait comme le gouverneur, laissant à Sheringam une garnison suffisante, contourna la ville dans une marche de flanc et s’empara facilement des Cinq Rocs, dont Lawrence, par une négligence inexplicable, avait confié la garde à quelques cipayes. Fidèle au système de retranchement, que Dupleix entendait voir suivi par ses généraux, Astruc, en hâte, couvrit de tranchées et de parapets la base et les flancs de la montagne. Ce travail se fit si promptement qu’il était achevé lorsque Lawrence tenta le lendemain de reprendre la hauteur, dont la possession assurait aux Français le moyen de le refouler dans la ville. L’attaque des Anglais échoua complètement ; ils ne purent enlever les ouvrages. Le feu des grenadiers d’Astruc, dont les lignes s’étageaient sur les pentes abruptes de la colline, les força à la retraite.

La prise des Cinq Rocs mettait le camp anglais sous la gueule de nos canons. Lawrence se vit contraint de décamper et de se rapprocher de la ville. Il éprouvait de la fureur en se sentant ainsi resserré, lui qui s’était juré de garder toujours pour manœuvrer un vaste espace devant la forteresse. Il se promettait une revanche éclatante et disposait tout pour une nouvelle attaque des Cinq Rocs, quand il entendit tout à coup une vive fusillade retentir dans la direction du Rocher d’Or. C’étaient les grenadiers d’Astruc, qui, gravissant en courant les pentes, se jetaient sur les cipayes anglais, postés au sommet du monticule. Les dispositions d’Astruc avaient été bien prises. Le combat fut vif, mais court. Lawrence vit bientôt ses cipayes redescendre et regagner le camp en désordre.

Lawrence pâlissait sous ce coup. Si l’on ne réussissait pas à chasser les Français du poste qu’ils venaient de conquérir, c’était la capitulation inévitable, dans un délai plus ou moins long. « Le Rocher d’Or est pris, s’écriait-il, il faut le reprendre. » Mais il fallait agir avec une rapidité foudroyante. Il rassemble en hâte tout ce dont il peut disposer, quatre cent trente soldats européens, et au pas de course les entraîne. À son approche, un feu nourri de mousqueterie et d’artillerie part de la colline et le force à s’arrêter. La position est trop fortement occupée pour penser à l’enlever par une attaque de front. Il veut cependant en rester le maître. Le désespoir lui suggère une résolution décisive, c’est de tourner la ligne française. Il détache un corps de grenadiers et de cipayes, leur donne l’ordre de prendre la colline à revers, d’en gravir l’escarpement en silence, de charger vigoureusement les Français qui couronnent le plateau, de les rompre, de les rejeter sur l’armée d’Astruc, rangée en bataille à gauche de la hauteur, et de couvrir de feux ces dernières troupes. Lui-même attaquera de front et marchera sur les Français avec le reste des grenadiers et des cipayes.

D’Astruc reçut vigoureusement Lawrence. Quand il le vit à cinquante pas, il ordonna aux cavaliers mahrattes et maïssouriens de charger l’ennemi en queue et en flanc. Les escadrons s’ébranlaient, quand de violentes décharges retentirent à la droite des Français, qu’Astruc croyait la plus forte, puisqu’elle était appuyée sur la colline même. C’était le corps détaché par Lawrence, dont le mouvement tournant avait réussi. En un moment, la confusion se mit dans les rangs de l’armée assiégeante. Une charge à la baïonnette porta la panique au comble. Les soldats français, sourds à la voix de leurs officiers, qui firent tous les efforts pour rallier leurs hommes, méconnaissant l’autorité d’Astruc qui se jeta au milieu des fuyards pour les ramener au combat, s’enfuirent du champ de bataille. Morari-Rao et ses Mahrattes couvrirent la retraite. « Ces célèbres cavaliers s’acquittèrent de ce soin avec leur bravoure habituelle. Ils cherchèrent même à disputer le champ de bataille aux Anglais, lorsque Lawrence reprit sa position avec les trophées de la journée, deux canons qu’il avait capturés. Mais le petit corps anglais, formé en carré mouvant, repoussa toute attaque, puis, faisant halte, dirigea un feu si soutenu sur les Mahrattes, qu’ils se débandèrent enfin[1]. »

Quelques jours après, Astruc partit pour Pondichéry, laissant à Brenier le commandement et le soin de réorganiser les troupes. Brenier, intimidé par la défaite, prit la résolution de ne risquer aucune action générale et de s’en tenir à un blocus étroit. C’était d’une tactique facile, avec la nombreuse cavalerie qu’il avait sous ses ordres. Il lança des partis sur toutes les routes et excita si bien l’ardeur de ses Mahrattes, qu’aucun convoi ne put entrer dans la ville, qui fut bientôt réduite à une cruelle famine.

Lawrence, qui n’avait qu’une centaine de chevaux, ne pouvait pas, avec ses fantassins, s’opposer aux courses des Mahrattes. Il résolut de recommencer l’opération dont il s’était déjà tiré deux fois avec tant de bonheur, le ravitaillement de la place. Il annonça son dessein à Dalton, qu’il laissait à la garde de Trichinapaly, lui ordonna de ne pas rendre la place, quoi qu’il advînt, lui promit de revenir promptement à son secours, et, à la tête de sa petite armée, il se dirigea sur Tanjore, passant fièrement devant Brenier, qui ne chercha point à lui disputer le passage. Le commandant français se réjouissait du départ de Lawrence ; il croyait que celui-ci abandonnait la ville, et que dans tous les cas il ne serait pas de retour assez à temps pour la sauver. Il sut bientôt à quoi s’en tenir.

Brenier avait deux partis à prendre, tenter l’assaut de Trichinapaly, — le succès de ce coup d’audace était à peu près certain, — ou se porter au-devant du convoi que Lawrence ramenait avec lui. Il pouvait, à l’aide de sa cavalerie, couper en trois ou quatre tronçons la multitude de bêtes de sommes, de voitures, de coolies, qui s’allongeaient à perte de vue sur la route de Tanjore à Trichinapaly, pendant que son infanterie attaquerait l’escorte anglaise. Il avait toutes les chances pour battre l’ennemi, tout au moins pour détruire la plus grosse partie du convoi. Dupleix lui remontrait la nécessité de se décider sur-le-champ pour l’une ou pour l’autre de ces deux alternatives, et l’exhortait, le choix fait, à agir avec énergie et rapidité. Mais Brenier, comme autrefois Law, hésitait, ne savait à quoi se résoudre. Attendant aujourd’hui tout des intelligences qu’il entretenait dans la place, il penchait pour l’assaut ; le lendemain, voyant des obstacles imprévus, il se reprenait au projet d’attaquer le convoi. Il tarda tant qu’il fut obligé de recevoir l’attaque de Lawrence dans ses lignes, et elles avaient un développement considérable. Elles s’étendaient depuis Sheringam, en passant par Veiconda, le Pain de Sucre, le Rocher Français, jusqu’au Cauveri. Il lui fallait garder toutes ces positions à la fois.

Lawrence, après une reconnaissance rapide, laissant le convoi en arrière, s’avança avec son armée, renforcée de cent soixante-dix Anglais et de cinq mille Tanjoriens. D’abord il fit mine de choisir pour point d’attaque le Pain de Sucre. Brenier, inquiet, dégarnit le Rocher d’Or. Profitant de cette faute, Lawrence lança à l’attaque de cette position une colonne de grenadiers, qui s’y installa sans grandes difficultés. La ligne française était coupée. Brenier résolut de tenter un retour offensif sur le Rocher d’Or et de le reprendre. Le corps qu’il détacha échoua dans son attaque. Il revenait bravement à la charge, quand Lawrence, voyant ces troupes en l’air et Brenier immobile sur le Pain de Sucre, conçut le projet d’anéantir le petit détachement. Il le faisait prendre à revers par cinq cents Anglais, au moment même où Dalton, qui avait observé les phases du combat du haut du rocher de Trichinapaly et était sorti de la ville, le fusillait et le canonnait en flanc. Les compagnies françaises ne furent point écrasées. Décimées, mais gardant une fière contenance, elles parvinrent à se retirer sur Veiconda, après avoir infligé des pertes cruelles à l’ennemi. Brenier, qui aurait pu changer la défaite en victoire s’il avait agi plus tôt, se décida à attaquer ; mais au premier coup de feu, ses troupes, découragées par l’incapacité de leur commandant, se débandèrent et gagnèrent les Cinq Rocs et Veiconda.

Brenier songeait à s’abriter dans l’île de Sheringam, quand Dupleix lui envoya un renfort de quatre cents soldats français, deux mille cipayes, six canons et trois mille Mahrattes, sous les ordres d’Astruc, qui reprit le commandement de l’armée.

La défaite des Anglais, très-inférieurs en nombre, paraissait certaine, si on les attaquait avec ensemble et vigueur. Dupleix exhortait Astruc à agir ; il avait beau lui représenter la faiblesse de Lawrence, il ne réussissait pas à lui inspirer l’énergie. Astruc restait inactif dans son camp et se contentait d’occuper les positions des Cinq Rocs et du Rocher d’Or, pour reprendre le blocus.

Lawrence fut sur ces entrefaites rejoint par cent quatre-vingt-sept Européens et trois cents cipayes. L’équilibre numérique entre les deux armées étant ainsi rétabli, il résolut de reprendre l’offensive et de chasser l’ennemi de ses lignes. Le 27 septembre, à trois heures du matin, il se jeta avec toutes ses forces sur les quartiers de Naude-Rajah, qui ne firent aucune résistance, se replièrent sur les bataillons français postés au Rocher d’Or et au Pain de Sucre, et y mirent la confusion et la panique. On se tirait l’un sur l’autre. Lawrence chargea les Français, les tourna et les repoussa jusqu’au Cauveri, qu’ils traversèrent en désordre, laissant sur le champ de bataille onze canons et deux cents tués ou blessés. Les Anglais firent cent onze prisonniers !

Dupleix n’était pas dompté. Devant cette succession de défaites, il s’écriait seulement : « Je n’ai pas un homme de tête pour conduire la moindre opération. Que n’ai-je eu un Bussy à la tête de l’armée de Trichinapaly ! que de choses n’eût-elle pas faites ! » Cependant, comme il lui fallait réparer ces revers et réorganiser ses troupes, avant de reprendre le siège de la ville, qu’il se jurait de réduire, il résolut d’entrer en négociation avec les Anglais, pour gagner du temps. Il y eut de longs pourparlers préliminaires. Selon l’expression de Dupleix, les Anglais, eux aussi, croyant que le fruit n’était pas encore mûr, cherchaient à tirer les affaires en longueur ; on n’aboutissait pas.

Cependant Dupleix avait réussi à réorganiser l’armée de Trichinapaly ; il lui avait donné un nouveau chef, Mainville, « dont il avait lieu d’être content », et tous deux, d’un commun accord, avaient décidé qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que d’escalader la place. Dans la nuit du 27 au 28 novembre, Mainville, à la tête de six cents grenadiers, passa le Cauveri et enleva l’ouvrage qui couvrait la porte de la ville. Il n’y avait qu’à agir rapidement, à faire sauter la porte à l’aide d’un pétard, ou à escalader les murs, pour rester maître de Trichinapaly. Malheureusement on perdit du temps, et l’on fit des décharges qui donnèrent l’éveil à la garnison anglaise. On ne put enlever la porte. On dressa alors des échelles contre les murs, et tout le monde se mit à grimper. « Arrivés sur le bastion, les soldats voulurent s’étendre le long des courtines pour faciliter l’escalade du second mur ; mais le rempart n’avait pas de terre-plein ; il n’y avait qu’un escalier fort étroit qui conduisait au pied du rempart de la seconde enceinte. Nos officiers firent des efforts inutiles, et le jour, qui les surprit dans ce poste, ne leur laissa d’autre ressource que de se retirer dans le plus grand désordre. Huit d’entre eux y périrent, et il y eut quatre cent vingt soldats tués ou faits prisonniers. »

Dupleix avait échafaudé bien des espérances sur cette tentative suprême. Un moment même, il crut tenir la victoire ; dès qu’on s’était vu maître de la première enceinte, on lui avait dépêché un courrier pour lui annoncer la prise de la place. Celui qui portait la nouvelle du désastre arriva quelques heures après. Il ressentit donc dans la même journée l’ivresse du triomphe et l’amertume de la défaite ; mais, quoique en proie à la douleur, il n’éprouva point d’abattement. Il se roidit encore une fois contre le sort, et, fidèle à la tactique qui lui avait fait heureusement traverser tant de moments critiques, il reprit les négociations avec les Anglais pour les empêcher de recueillir les fruits de leur succès. Il écrivit à Saunders et lui proposa de nommer des plénipotentiaires et de désigner, d’un commun accord, une ville où se réuniraient les députés chargés de trouver les bases d’une entente pacifique. Au fond, pas plus alors qu’après ses revers précédents, il ne désirait la paix.

« J’attends, — écrivait-il à Bussy le 31 décembre 1753, — une réponse des Anglais pour faire partir des députés, afin d’entrer en conférence ; mais je crois, si vous voulez que je vous dise vrai, qu’elles n’aboutiront à rien, à moins que nous ne prenions le parti de nous déshonorer, ce que vous ne me conseillerez jamais de faire. J’ai proposé à Saunders de laisser la décision des affaires d’ici (du Carnate) à Salabet-Singue, qui dans le vrai est le parti le plus juste et le plus convenable.

« C’est sur quoi j’attends la réponse de Saunders ; mais je pense qu’il n’y acquiescera pas. Cependant vis-à-vis de sa cour, il se met dans son tort, s’il n’accepte pas cette proposition… Ne croyez pas que les Anglais soient gens sur la probité desquels on peut compter. Vous pensez que de finir avec eux serait une bonne affaire. Je pense que non. Tandis qu’ils seront ici occupés, ils ne porteront pas leur attention dans le Nord, où il convient que nous nous établissions tout doucement avec le moins de difficultés possible. Ils nous en susciteraient sûrement, s’ils n’étaient pas occupés ici. Croyez-vous que ce gouverneur (Saunders) traitait de chimère votre armée, et qu’il voulait persuader qu’elle ne subsistait que dans mon idée ! Faites-lui connaître le contraire, et vous ne pouvez le mieux faire qu’en pendant ce coquin de Saïd-Laskerkan, qui donne encore des espérances aux émissaires de Méhémet-Ali et des Anglais. »

Saunders ne s’opposa pas à la réunion d’une conférence. Les députés s’assemblèrent le 22 janvier 1754 à Sadras. Chaque nation émit des prétentions impossibles à concilier. Les Anglais proposèrent comme préliminaire indispensable la reconnaissance de Méhémet-Ali comme nabab du Carnate ; les Français, celle de Dupleix comme souverain de tout le pays compris entre la Chichena et le cap Comorin. Toute la discussion porta là-dessus. Au fond, c’était le vrai débat. On n’examina même pas les autres articles du projet de traité élaboré par Dupleix. Peu importait que Madras fût affranchi du tribut dû au nabab du Carnate, que les deux Compagnies se donnassent des sûretés mutuelles pour la liberté de leur commerce, qu’un gouvernement dans le Dékan fût offert à Méhémet-Ali. La question, c’était de savoir à qui serait l’Inde.

Les plénipotentiaires français, le Père Lavaur, Kerjean et du Beausset, montrèrent de l’habileté et embarrassèrent les Anglais, en représentant que l’emploi de nabab n’était pas héréditaire, que le père de Méhémet-Ali avait été élevé au poste de gouverneur du Carnate par Nizam-el-Molouk, que la mort d’Anaverdikan avait obligé Mousafer-Singue, le successeur du Nizam, à nommer un autre légat pour administrer la province ; qu’en toute liberté il avait fait son choix et désigné Dupleix ; qu’à l’appui de leurs prétentions, ils pouvaient fournir les titres les plus authentiques. Aussitôt ils étalèrent sur la table les paravanas octroyés par Mousafer-Singue, Salabet-Singue et l’empereur de Delhy.

Les Anglais n’avaient aucun parchemin à opposer à ceux qu’on leur montrait. Ils répondirent que Méhémet-Ali avait reçu sa nomination de Naser-Singue et de Gazendi-Kan, mais que les lettres patentes étaient à Trichinapaly. Lavaur repartit que ces deux personnages, ayant été dénoncés comme rebelles par le Grand Mogol lui-même, n’avaient jamais eu le droit de donner l’investiture d’aucune région à qui que ce fût. Vansittart et Palk, les deux commissaires britanniques, s’écrièrent alors que toutes les pièces étalées devant eux étaient fausses, comme les paravanas de l’empereur. On se sépara sans rien conclure.

Au fond, tout cela avait été une comédie artistement composée par Dupleix, très-bien jouée par ses diplomates. La lettre qu’il écrivait à Bussy pour l’informer de la rupture des conférences ne peut laisser aucun doute à cet égard :

« Il semble que le gouvernement anglais n’ait souhaité cette assemblée que pour nous faire chanter pouille par ses députés, qui étaient un ministre et un enfant sans nom et sans emploi. Nos messieurs ont tout souffert et n’ont riposté que par des écrits extrêmement modérés et tels que le P. Lavaur est capable d’en faire. La difficulté d’y répondre et le dessein où l’on était de nous faire porter le joug tout entier, auquel nous ne voulions nous prêter que par un partage convenable, firent tout rompre. N’ayant pu réussir, ces députés décampèrent un beau matin, et les nôtres, après être restés encore deux jours de plus, sont aussi revenus. Tout ce que nous avons présenté, firmans, paravanas et autres pièces, tout avait été forgé par nous ; mais on n’a pas daigné nous en exhiber aucune ni fausse ni vraie, et l’on se contentait de nous dire qu’on voulait que nous en passions par ce qu’ils nous disaient, sans autre formalité de leur part. »

Pendant ces pourparlers, Dupleix n’avait pas perdu son temps. Il avait secrètement organisé et armé de nouvelles compagnies et les avait envoyées à marches forcées au secours de Mainville. Ces renforts permirent à celui-ci de sortir de Sheringam, où il avait cherché un refuge après son désastre, et de reprendre l’offensive.

Trichinapaly souffrait toujours de la famine, car les Mahrattes coupaient toutes les routes. Les Anglais étaient dans l’obligation de ravitailler fréquemment la place. Dupleix apprit, pendant les conférences de Sadras, la formation et le départ d’un convoi pour Trichinapaly. Il prévint donc Mainville et lui donna l’ordre de le disperser et de le détruire. Mainville envoya alors Morari-Rao, avec tous ses Mahrattes, s’embusquer dans la djungle qui bordait le chemin suivi par les Anglais. Lui-même, avec ses grenadiers, se posta à quelque distance en arrière, à l’entrée d’un village appelé Coutapara. Morari-Rao, voyant les Anglais marcher en désordre, lança sur eux ses escadrons, dont les charges impétueuses mirent la confusion dans l’escorte. L’arrivée de Mainville et de ses troupes décida la perte des Anglais, qui se rendirent au nombre de cent trente-huit. Ceux-ci regrettèrent alors de ne pas s’être prêtés à la conciliation, lors des conférences de Sadras. « Dieu les a punis, et j’espère, écrit Dupleix à Bussy, qu’il les obligera d’accepter partie des propositions que nous faisions alors. Rien de plus complet que notre victoire ; on peut la regarder comme unique, puisqu’il n’est pas réchappé un soldat ni une voiture. »

C’est le moment où l’activité de Dupleix atteint sa plus haute expression ; au milieu des péripéties de la guerre, il revient sur un projet d’alliance avec le Portugal, il étudie à nouveau les moyens d’annexer aux possessions de la Compagnie Macao, au sujet de laquelle il écrivait deux ans auparavant à M. de Montaran :

« … Je fais part à la Compagnie d’un projet d’alliance perpétuelle avec le Portugal. On en fera ce qu’on voudra ; mais je suis persuadé que cette alliance ne peut que bien faire et prouvera par la suite des avantages assez considérables pour attirer l’attention du ministère. Je ne lui parle pas d’un autre projet que je réserve pour vous seul. Il s’agit de Macao. Cette ville, dont vous devez être parfaitement informé de la situation, court le risque de tomber au pouvoir des Chinois par l’abandon où elle se trouve et de la part de Goa et de l’Europe.

« La ville est si triste qu’elle députa il y a deux ans son évêque pour faire des représentations au Roi. J’apprends que ces représentations n’ont abouti à autre chose qu’à l’envoi d’un envoyé avec quelques présents auprès de l’empereur de Chine. Ce moyen dont la nation a fait usage plusieurs fois inutilement n’aura pas d’autre effet que par le passé. Cette place, réduite à la plus grande misère, ne peut que tomber au pouvoir des Chinois qui tyrannisent cruellement le peu d’habitants qui se soutiennent avec bien de la peine. Il est certain que cet endroit est à charge aux Portugais, qui n’en savent pas tirer tout l’avantage dont une autre nation profiterait. Les Hollandais, connaissant la situation, ont fait pendant la guerre avec l’Espagne diverses tentatives pour s’en rendre maîtres, et toujours inutilement. Les Anglais ont offert des sommes considérables à la cour de Portugal, qui, par rapport à la différence de religion, n’a jamais voulu s’y prêter. Cet inconvénient ne se trouve pas chez nous, et la cour de Portugal, embarrassée de ces établissements, pourra se prêter à cette cession. « Je crois qu’un million ou deux feraient l’affaire, à la condition de permettre aux religieux portugais d’y conserver leurs maisons pour faciliter l’entrée de leurs missionnaires dans la Chine. On pourrait prendre quelques arrangements pour la nomination de l’évêque et du clergé de la cathédrale. On sent mieux en Europe que nous dans l’Inde les règlements nécessaires pour ces sortes d’affaires ; mais je crois qu’on pourrait laisser au roi de Portugal le patronage en nommant à chaque mutation. Le point essentiel est la libre entrée à tous les missionnaires ; on ne peut s’en écarter, et le roi de Portugal, sûr de celui-là, passera aisément sur tous les autres. Maîtresse de cette ville, la nation serait maîtresse du commerce de Chine. Le domaine de Macao serait d’un revenu considérable. Cinq ou six cents hommes de garnison assureront bientôt cette possession ; on y trouvera la plus belle artillerie du monde et en abondance. Il s’agira seulement d’en faire meilleur usage que les misérables habitants de cette ville. Duvelaer a habité longtemps cette place et pourrait vous donner des connaissances meilleures que les miennes. »

Alors Dupleix mène la guerre avec une énergie terrible. Afin de frapper l’imagination des Indiens et de leur montrer que, comme un Dieu, il dispose des éléments pour châtier ses ennemis, il conçoit le projet de jeter le fléau de l’inondation sur les États du rajah de Tanjore, le seul, le dernier allié des Anglais. Il donne l’ordre à Mainville de reprendre Coilady et de rompre aussitôt la digue du Cauveri. Mainville exécuta adroitement l’opération commandée. Ce fut un déluge. Les eaux s’abattirent sur les plaines du Tanjore, emportant les récoltes et les villages, ne laissant que des cadavres et des ruines derrière elles. Épouvanté, le rajah se demanda s’il devait rester fidèle à l’alliance anglaise, qui l’exposait à tant de dangers. Il lui sembla qu’aucune puissance humaine ne triompherait de l’homme à qui les fleuves eux-mêmes obéissaient. Il reçut les agents secrets de Dupleix, il écouta leurs propositions et laissa voir qu’il méditait de faire défection aux Anglais, à la première occasion favorable. Évidemment il n’était retenu que par la présence de Lawrence, qui occupait la capitale avec ses troupes.

Ces dernières étaient bien amoindries. Elles avaient fondu au feu des batailles. L’élite des admirables grenadiers de Lawrence était morte devant Trichinapaly. Leur ardent général, condamné, par la faiblesse de ses effectifs, à l’inaction, surveillait d’un œil inquiet le rajah et voyait avec désespoir son rival ressaisir la domination. Il ne pouvait pas se douter que la France elle-même allait briser Dupleix.

  1. Malleson, les Français dans l’Inde.