Dupleix et l’Inde française/1/0

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Champion (Tome 1p. v-xi).


INTRODUCTION



L’idée de composer cet ouvrage nous est venue pendant notre séjour à Pondichéry. Quelques années passées dans l’Inde nous avaient permis de connaître assez exactement l’esprit des populations indigènes et de mieux apprécier les principes de leur gouvernement et de leur politique. Comme nous avions des loisirs, il nous a paru intéressant d’utiliser les éléments psychologiques qui nous étaient ainsi fournis en l’exercice de notre gouvernement pour étudier à nouveau l’œuvre de Dupleix dans le pays où elle s’était développée, et nous avons commencé à Pondichéry même cet ouvrage qui a été terminé à Paris.

Nous savons bien que sur le sol mouvant des idées humaines, il est difficile d’édifier quoi que ce soit de durable et de parfait, et nous n’avons pas la prétention de donner sur Dupleix une étude définitive et sans appel. Bien que nous ayons utilisé à peu près tous les documents connus, on peut en découvrir d’autres qui compléteront ou modifieront certains développements ; il se peut aussi qu’à l’aide même des documents que nous publions, les lecteurs portent des jugements opposés aux nôtres.

Nous n’avons pas eu, en effet, l’intention d’exposer ici une thèse quelconque sur l’action considérable de Dupleix, soit pour l’exalter comme M. Guénin, soit pour la critiquer comme Cultru ; il n’est pas d’homme, si grand soit-il, qui n’ait ses faiblesses, et si le psychologue pouvait pénétrer avec certitude dans la pensée des hommes d’état, il en est peu, très peu, dont les actes lui paraîtraient inspirés par de hautes idées, surtout par des idées de prévoyance et d’avenir. Le hasard et l’intérêt les conduisent beaucoup plus qu’on ne veut communément l’avouer.

Dupleix n’échappa pas à cette loi commune. Venu dans l’Inde uniquement pour y faire fortune, les événements et une sorte de nécessité financière le jetèrent à l’improviste dans une politique d’expansion territoriale qu’il n’avait pas prévue et qu’il n’entrevit pour la première fois que vingt-sept ans après son arrivée dans la péninsule. Sur ces seules données, on voit combien les appréciations les plus contradictoires peuvent se donner libre cours, surtout si l’on ne tient compte des textes que pour les interpréter selon son tempérament ou ses passions. Afin de favoriser ce libre examen, nous les avons cités plutôt qu’analysés lorsqu’ils nous ont paru pouvoir soulever des opinions divergentes.

C’est donc l’histoire d’un homme que nous écrivons et non celle d’un demi-dieu. Et comme l’histoire de cet homme est intimement liée à celle d’événements dans lesquels il se trouva nécessairement engagé sans exercer toujours sur eux une influence prépondérante, nous avons donné à ce volume le titre qu’il porte : Dupleix et l’Inde Française, en nous efforçant toutefois de donner à la personnalité même de Dupleix le rôle principal. Les développements sur l’Inde Française ne seront introduits dans le récit que comme une explication plus détaillée et complémentaire.

Le présent volume est le premier d’une série qui doit en comprendre trois. Il englobe la vie de Dupleix depuis sa naissance jusqu’au jour où, nommé gouverneur de tous nos établissements, il prit possession de ses fonctions en janvier 1742. En dehors de son enfance et de sa jeunesse sur lesquelles les renseignements sont peu nombreux, il comprend par conséquent son séjour à Pondichéry comme conseiller au Conseil supérieur de 1722 à 1731 et sa direction du Bengale de 1731 à la fin de 1741.

Les matériaux de ce volume ont été empruntés presque complètement à des documents inédits. Il n’existe, en effet, jusqu’à ce jour, que deux histoires de Dupleix qui méritent à divers titres de retenir l’attention, celle de M. Guénin et celle de Cultru et pour la période qui nous occupe, soit jusqu’en 1742, aucun autre volume ou imprimé.

Les matériaux inédits sont eux-mêmes peu nombreux ; ils ne sont pourtant pas négligeables ; ici, l’agglomération supplée à la dispersion.

Les plus importants sont la correspondance de Dupleix conservée à la Bibliothèque Nationale et à celle de l’Arsenal. Elle forme 6 volumes d’un format moyen de 42×28 et comprend 788 feuillets ou 1.576 pages. Cette correspondance est malheureusement incomplète ; commencée le 25 septembre 1731, elle se termine le 11 mars 1740 et dans cet intervalle il y a des lacunes.

Le premier volume (Bibl. Nat., anc. f. fr. n° 8979), 96 feuillets, va du 25 septembre 1731 au 18 janvier 1733 ;

Le deuxième volume (Ars. 4743), 103 feuillets, va du 27 janvier 1735 au 20 juillet 1736 ;

Le troisième volume (Ars. 4744), 94 feuillets, va du 23 juillet 1736 au 10 avril 1737 ;

Le quatrième volume (Bibl. Nat., anc. f. fr. n° 8980), 153 feuillets, va du 10 avril 1737 au 6 juillet 1738.

Le cinquième volume (Bibl. Nat., anc. f. fr. n" 8981), 95 feuillets, va du 27 octobre 1738 au 11 janvier 1739.

Enfin le sixième volume (Bibl. Nat., anc. f. fr. n" 8982), 244 feuillets, va du 11 janvier 1739 au 11 mars 1740.

Le lecteur qui se reporterait à cette correspondance dans l’espoir d’y trouver des conceptions politiques ou le récit d’événements sensationnels serait désillusionné ; il n’y est guère question que d’affaires commerciales que Dupleix était chargé plus spécialement de suivre et de faire aboutir[1].

Cette correspondance n’est pas de la main de Dupleix ; c’est une copie de lettres alignées à la suite les unes des autres, copie faite dès le xviiie siècle. Il est évident qu’elle faisait à l’origine partie de la même collection et sans doute d’une collection plus complète dont une partie a disparu.

Après la correspondance de Dupleix, les documents les plus précieux sont la correspondance du Conseil supérieur de Pondichéry avec le Conseil de Chandernagor, tirée des archives de Pondichéry (registres 89, 90 et 92) et publiée par nous à Pondichéry de 1915 à 1918, en vue précisément d’une histoire de Dupleix, qui déjà sollicitait notre attention.

Le premier volume de cette correspondance imprimée va du 30 septembre 1728 au 15 octobre 1737 et comprend 424 pages. Le second va du 18 février 1738 au 2 février 1747 et comprend 438 pages. Enfin le troisième va du 4 août 1747 au 21 avril 1757 et comprend 526 pages.

Le premier volume et une partie du deuxième se réfèrent seuls à la période qui nous intéresse. Il est regrettable qu’à la correspondance du Conseil supérieur il manque la contre-partie, celle du Conseil de Chandernagor, laquelle semble à jamais perdue. C’est tout à fait exceptionnellement et par d’autres recueils que nous avons quelques lettres de Dupleix ou de son Conseil en réponse à celles du Conseil supérieur.

Les registres 89, 90 et 92 d’où cette correspondance est extraite, sont des copies faites au xixe siècle sur des originaux qui ont disparu, sans qu’on puisse savoir où ils sont allés.

Après cette double correspondance, qui constitue la source principale de nos renseignements, nous avons encore utilisé :

1° Les procès-verbaux des délibérations du Conseil supérieur (1er février 1701-31 décembre 1739) publiés par M. Edm. Gaudart à Pondichéry de 1911 à 1914 et formant ensemble 3 volumes ou 1.120 pages. La fin du deuxième et la totalité du troisième peuvent seules se référer à l’administration de Dupleix. Ces délibérations sont extraites des registres 1, 2 et 3 des archives de Pondichéry.

2° Les archives inédites de Pondichéry et notamment les registres :

13 — correspondance du Conseil supérieur avec divers, du 1er août 1720 au 31 décembre 1742. 268 feuillets ;

102 — correspondance de divers comptoirs : 1° Chandernagor. Lettres écrites par la Compagnie au Comptoir du 14 octobre 1729 au 23 janvier 1734. — 2° Balassor. Lettres écrites par le Conseil de Chandernagor à Jourdain, de la Marre, Ravel et Collé, chefs à Balassor, du 19 juillet 1734 au 16 février 1750.

103 — correspondance du comptoir de Bassora avec divers, du 28 juin 1739 au 13 juillet 1745.

3° Les archives du Ministère des Colonies — Inde : correspondance générale : C2 75 et 76 : elles renferment peu de documents et ils sont en général d’importance secondaire.

4° Le fonds français nouvelles acquisitions de la Bibl. Nat. et notamment les papiers Ariel nos 8925 à 8931 et la collection Margry n° 9256-9510. On sait que cette collection comme le fonds Ariel est surtout composée de la copie des documents dont un très grand nombre d’originaux ne se trouve plus. Il en est très peu que nous ayons utilisés[2].

5° Les actes de notaires de Pondichéry et de Chandernagor, conservés aux archives de l’une ou l’autre de ces villes.

6° Les actes de l’état civil de Pondichéry et de Chandernagor. Un résumé en deux volumes des actes de l’état-civil de Pondichéry, 1674 à 1760, a été publié par nous à Pondichéry en deux volumes de 460 et 380 pages.

Nous avons eu recours occasionnellement à l’ouvrage de M. Zay sur les monnaies : Histoire monétaire des colonies françaises. — Paris, 1882, 380 pages ; à celui du P. Launay : Histoire des missions de l’Inde — Paris, 1898, 5 vol. et à celui de M. Weber : La Compagnie française des Indes (1604-1875). — Paris, Rousseau, 1904, xxxv-716 pages. Le livre de M. Weber nous a fourni les éléments essentiels de notre exposé de la constitution et de l’organisation de la Compagnie, qui se trouve au premier chapitre.

Nous devons enfin des remercîments particuliers à M. Mornay, secrétaire général de la mairie de Châtellerault, et à MM. Le Guennec et de Kerallain de Quimper, qui nous ont fourni des renseignements précieux et inédits soit sur l’origine de la famille de Dupleix, soit sur son enfance et sur sa jeunesse.

À notre prière, M. Mornay a bien voulu rechercher les ascendants de Dupleix à Châtellerault et il a pu remonter d’une façon sûre à l’année 1588, jusqu’à la cinquième génération. C’est ainsi que nous avons établi d’une façon indiscutée que Dupleix était d’origine poitevine et que Châtellerault peut s’enorgueillir d’avoir été le berceau de sa famille.

A. M.

  1. Nous avons reproduit une de ces lettres dans les pièces annexes (voir appendice n° 1). moins pour l’intérêt qu’elle présente en elle-même que pour donner une idée exacte et précise de l’ensemble de cette correspondance.
  2. Afin de ne pas encombrer le bas des pages de notes ou de références le plus souvent inutiles, nous les avons réduites au minimum et indiquées de la façon la plus courte possible. Lorsque dans le texte un document est indiqué par sa seule date, il suffira de se reporter au registre correspondant de la correspondance de Dupleix, conservée à l’Arsenal ou à la Bibliothèque Nationale. Pour les manuscrits de la Bibliothèque Nationale, les numéros 8979 à 8982 se réfèrent seuls à l’ancien fonds français ; les autres se rapportent aux nouvelles acquisitions.