Dupleix et l’Inde française/3/0

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Société d'éditions géographiques, maritimes et coloniales (3p. v-xii).


INTRODUCTION


Dans les deux premiers volumes de cette étude sur Dupleix et l’Inde française, nous avons conduit l’homme et les événements jusqu’à la paix d’Aix-la-Chapelle qui rendit Madras aux Anglais. En dépit des haines isolées mais puissantes que son différend avec La Bourdonnais lui avait suscitées, Dupleix était consacré et reconnu comme un grand homme par la majeure partie de la cour et de l’opinion ; sa belle défense de Pondichéry comptait plus pour sa gloire que la prise de Madras, à laquelle il n’avait pas directement participé. Les événements qui suivirent allaient le placer sur un piédestal encore plus élevé, en même temps qu’ils devaient précipiter sa chute ; c’est en cette période — 1749 à 1754 — que Dupleix conçut et exécuta le projet d’édifier un empire français dans l’Inde avec des revenus suffisants pour pouvoir se passer du concours financier de la métropole. Ce n’est pas en une introduction qu’il convient d’examiner pourquoi ce projet, qui réussit en partie, échoua avant son exécution complète ; c’est l’affaire du récit lui-même d’exposer les faits qui ont tout à la fois favorisé et contrarié l’œuvre ; mais il appartiendra à la conclusion d’en dégager la philosophie, autant qu’il est possible de toucher de près à la vérité.

Les faits que nous avons à raconter ne sont pas d’une extrême complexité ; à part quelques opérations à la côte malabar et les vues personnelles mais restées théoriques de Dupleix sur Surate, le Bengale, le Pégou et la Cochinchine, tous se déroulent dans le sud de l’Inde avec une unité presque parfaite, quoique sur des terrains fort distants les uns des autres ; d’Aurengabad à Trichinopoly, il n’y a pas moins de 1.300 kilomètres. Suivre notre action diplomatique ou militaire sur une aussi vaste étendue est la tâche que nous nous sommes d’abord imposée, et cet objet forme la majeure partie du travail. Nous avons commencé par établir, comme un préambule nécessaire, les moyens financiers et militaires que Dupleix eut à sa disposition pour pratiquer une politique aussi nouvelle et aussi audacieuse, puis nous le suivons sur le théâtre de ses opérations : Carnatic, Décan et Côte Malabar. Nous voyons alors se dérouler cette merveilleuse expédition du Décan qui place Bussy au premier rang de nos hommes d’état coloniaux et cette moins heureuse guerre du Carnatic où sombra la fortune de Dupleix. Engagée d’abord sous les plus brillants auspices : victoire d’Ambour et occupation d’Arcate, victoires de Trivady et prise de Gingy, elle se continue par la désastreuse capitulation de Law à Trichinopoly le 12 juin 1752 et s’achève au milieu d’un nouveau siège de cette ville, qui, pas plus que le précédent, ne donnait la moindre espérance de succès lorsque Dupleix fut rappelé. Les événements de la Côte Malabar sont infiniment moins importants. Nous nous sommes enfin demandé comment les conceptions de Dupleix avaient été accueillies en France. Sans prendre parti dans la controverse, nous avons relevé avec autant d’objectivité que possible les arguments que lui ou ses amis firent valoir en leur faveur et nous avons exposé ensuite les idées contraires de la Compagnie et d’une partie de l’opinion. Le lecteur pourra ainsi se faire sur l’œuvre de Dupleix l’opinion qui conviendra le mieux à son tempérament ou à son imagination : le rôle de l’historien n’est pas d’imposer son jugement, mais de donner au public les moyens de se prononcer d’après des documents.

Devant la continuité de la guerre et l’incertitude du résultat, la Compagnie et les ministres ne se prononcèrent pas en faveur de Dupleix. La conséquence fut l’envoi dans l’Inde d’un commissaire qui eut pour mission de rétablir la paix et de renvoyer le gouverneur en France. Avec la fin du rôle politique de Dupleix, le récit de la mission Godeheu termine notre travail sur Dupleix et l’Inde française, où les destinées de l’homme et de la colonie ont été étroitement associées. Trente-trois ans s’étaient alors écoulés depuis le jour où il débarqua à Pondichéry, sans avoir jamais revu sa patrie.

Mais la vie de Dupleix est encore loin de son terme ; il ne mourut que le 13 novembre 1763. Revenu en France, il eut à soutenir contre la Compagnie pour le règlement de ses comptes un procès pénible et attristant qui n’était pas encore jugé au moment de sa mort : il ne le fut que le 2 août 1776. Par le refus de reconnaître que, si Dupleix avait pu se tromper et peut-être la tromper elle-même sur les moyens pratiques de réaliser sa politique, il avait du moins travaillé de ses propres fonds à accroître le territoire de la France et la gloire du roi, la Compagnie le plongea dans un état voisin de la misère et lui donna une auréole de victime qui n’a pas peu contribué à inspirer la pitié, la sympathie et finalement la reconnaissance et l’admiration de la postérité.

Nous aurions désiré que cette partie, même posthume, de l’œuvre de Dupleix, put tenir place en cette étude ; mais outre qu’elle n’a pas de rapport direct avec le titre de notre ouvrage, son développement est tel que nous avons pris le parti de la publier à part dans un volume qui paraîtra ultérieurement sous le titre : les Dernières années de Dupleix. Son procès avec la Compagnie des Indes. Ce volume nous conduira jusqu’à l’année 1790, date à laquelle fut terminée la liquidation des dettes reconnues par l’arrêt de 1776, et elles ne s’élevaient pas à moins de dix millions.

Pour la partie qui précède, c’est-à-dire la période de 1749 à 1754, la matière était encore trop vaste pour qu’elle put tenir en un seul volume : les guerres du Carnatic prennent à elles seules 342 pages ; aussi avons-nous dû couper le récit après l’histoire même de ces guerres et reporter au début du quatrième volume la relation des événements du Décan qui est à peine moins importante.

On nous excusera d’avoir fait un travail aussi long ; mais faute d’études suffisamment documentaires sur Dupleix et sur son œuvre, il nous était impossible de faire une synthèse qui s’imposera cependant un jour. Tâché peu aisée ; les documents inédits qui concernent ce grand français sont extrêmement nombreux ; ils ne formeraient pas moins de quarante à cinquante volumes, si la famille qui existe encore ou si quelque société historique voulait en entreprendre la publication.

Les sources auxquelles nous avons puisé pour ces deux volumes sont, comme pour les précédents, de deux sortes : volumes imprimés et documents inédits.

Parmi les premiers, assez nombreux, il convient surtout de retenir le Journal d’Ananda Rangapoullé, dont le onzième et dernier volume vient de paraître (1927) ; et les mémoires publiés par Dupleix, Godeheu et la Compagnie elle même pour la justification de leur thèses respectives. Nous nous contenterons de les énumérer :

Mémoire de Dupleix contre la Compagnie des Indes. — Paris, 1759, 294 pages plus 124 pages de pièces justificatives.

Lettre de Godeheu à Dupleix. — Paris, 1760, 91 pages, avec 26 pages de pièces justificatives.

Réponse du sieur Dupleix à la lettre du sieur Godeheu. — Paris, 1763, 330 pages.

Mémoire pour la Compagnie des Indes contre le sieur Dupleix. — Paris, 1763, 230 pages et 161 pages de pièces justificatives.

Observations de Dupleix sur le Mémoire de la Compagnie. — Paris, 1763, 26 pages et 10 pages de pièces justificatives.

Réfutation (par Godeheu) des faits imputés au sieur Godeheu par le sieur Dupleix. — Paris 1764, 414 pages et 79 pages de pièces justificatives. — Ce mémoire parut après la mort de Dupleix.


En dehors de ces mémoires, qui ne contiennent pas seulement des relevés de comptes ou des développements juridiques mais encore une explication nécessairement contradictoire de la politique et des actes de Dupleix, il convient encore de citer les mémoires de Boisserolle, Maissin, Law et madame Dupleix elle-même (Bibl. Nat. 4° F2 nos 34.366, 34.367, 796 et 14.310) qui, quoique très courts — 25 à 50 pages seulement — nous donnent, sauf le dernier, des jugements assez sévères sur la politique du gouverneur et parfois sur sa personne elle-même.

On remarquera que tous ces mémoires sont du xviiie siècle et parurent presque tous du vivant même de Dupleix. Grâce à leur interprétation des événements, il nous ont permis de mieux comprendre les documents manuscrits, encore inédits, auxquels nous allons maintenant nous référer.


Les plus importants sont aux Archives de Seine-et-Oise, où ils ont été versés au moment de la Révolution par la confiscation des papiers de M. de Valori, gendre de Dupleix, émigré. Énumérons-les :

3746. Lettres de Dupleix à l’armée du Sud, 24 mars 1750-20 octobre 1750.

3747. Lettres de Dupleix à l’armée de Trichinopoly, 16 avril 1751-30 décembre 1751.

3748. Lettres de Dupleix à Bussy, 16 janvier 1751-19 octobre 1753.

3749. Lettres de Dupleix à divers en France, 15 octobre 1751-19 octobre 1753.

3750. Lettres de Dupleix à Law et à Brenier, janvier 1752-16 juin 1752.

3751. Lettres de Dupleix à Coblon, Chinglepet, Valdaour, Gingy et à l’armée, 20 mai 1752-3 octobre 1752.

3752. Lettres de Dupleix au gouvernement de Madras, 4 mai 1752-10 janvier 1753.

3753. Lettres de Dupleix aux syndics et directeurs, du 16 février 1753.

3754. Lettres de Dupleix à l’armée de Golconde, 30 mai 1752-28 février 1754.

3754. Lettres de Dupleix à Karikal.

3756. Lettres de Dupleix à Mazulipatam et à Sadras, 11 janvier 1753-27 juillet 1754.

3756 bis. Livre de compte pour 1754.

À la Bibliothèque Nationale, citons dans la collection des nouvelles acquisitions les registres

9152 et 9155. Lettres des officiers de l’armée du Carnatic.

9156 et 9157. Lettres de Dupleix aux officiers de l’armée du Carnatic.

9158 et 9159. Lettres des officiers de l’armée du Décan.

9160. Correspondance avec Moracin.

9161. Lettres diverses de Pondichéry, Madras, Goa, etc. 1749-1756.

9162 à 9165. Correspondance avec Dupleix par ordre alphabétique de correspondants.

9166. Lettres de Godeheu avec réponses de Dupleix.

9167. Reddition de comptes de Dupleix (1754).

9168 à 9170. Procès de Dupleix et dossier de la Compagnie des Indes et de Dupleix (1754-1772).

On trouvera encore des pièces éparses dans les registres 8928 à 8933 du fonds Ariel.

Les cartons V7 177 et 178 des Archives Nationales contiennent à peu près toutes les pièces relatives à la liquidation de la succession de Dupleix et les dettes reconnues par l’arrêt de 1776. Ces documents ne concernent pas spécialement les deux volumes que nous publions, mais ils nous ouvrent parfois quelques lueurs sur le passé.

Citons enfin :

Archives du Ministère des Colonies, les registres C2 82 à 85 ; et les volumes 7, 8 et 9 de la deuxième série.

Archives de l’India Office :

Correspondance memoranda, t. XIII et XIV, 1750-1754.

Miscellaneous letters, t. XXXV à XXXVIII, 1749 à 1755.

Madras dispatches, vol. I, 28 novembre 1753 au 7 décembre 1759.

Coast and bay abstracts, vol. V. 5 septembre 1744-13 avril 1754.

Archives de Madras :

Public consultation, Fort Saint-David, vol. 57, 58 et 59, années 1749 et 1751.

Public consultation. Madras, vol. 80 et 81, années 1752 et 1753.

Public. From England. Vol, 52 à 56, années 1748 à 1753.

Public. To England. Vol. 17 et 18. Années 1749, 1750 et 1751.

Les consultations ou délibérations du Conseil de Fort Saint-David sont particulièrement intéressantes, parce qu’elles nous révèlent les pensées de ce conseil sur la politique naissante de Dupleix et qu’elles nous indiquent les premières mesures prises pour y faire obstacle.

Il ne se trouve rien pour cette période dans les Archives de Pondichéry[1].


  1. Les références à ces divers documents ont été pour la plupart intercalées dans le texte même du récit, avec des indications aussi sommaires que possible. Il faudra lire de la façon suivante celles qui reviennent le plus fréquemment :
    Archives du Ministère des Colonies : A. C.
    Bibliothèque Nationale : B. N.
    Archives de Seine-et-Oise : A. V. (Versailles).