Délicieuses voluptés/14

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(pseudo non identifié)
Éditions de Minuit, 8 rue de Tracy (p. 129-133).
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XIV

Cet événement affola complètement Roger de Huchetelles et sa passion pour Colette s’en trouva accrue sans qu’en fusse diminué son amour pour Jacqueline.

C’est bien d’ailleurs ce qu’escomptait la libertine Colette, et devant le tour que prenaient les événements, elle modifia légèrement son programme, se promettant de déniaiser complètement le jeune homme, et de lui faire ensuite dépuceler la blonde Jacqueline.

Mais en attendant, celle-ci boudait Roger. Ainsi en avait-elle décidé par coquetterie après la dernière scène du parc. Non pas qu’elle en voulusse au jeune homme d’avoir caressé mademoiselle de Verneuse ; Jacqueline ne connaissait point la jalousie, et d’ailleurs Colette la dévorait de caresses, le soir, dans leur grand lit.

Colette encouragea la bouderie de la blonde Jacqueline, car cette attitude facilitait grandement ses projets, en poussant au paroxysme, à la fois la passion charnelle et l’amour du jeune Roger de Huchetelles.

Celui-ci comparait les deux jeunes filles. Il était attiré vers l’une et vers l’autre, et cependant ses sentiments n’étaient pas les mêmes pour Colette que pour Jacqueline. Ses sens le portaient vers Mademoiselle de Verneuse, son cœur soupirait pour la petite châtelaine.

Comme lui, Jacqueline venait d’avoir dix-sept ans. Elle était jolie fille, bien faite, grande, avec une taille harmonieuse. Et la poitrine gentiment bombée, laissait deviner les seins mignons qu’il aimait tant. Oui, Jacqueline était jolie, avec un air légèrement altier que venait corriger ses cheveux blonds encadrant le pur ovale du visage.

Rien ne changea dans les relation des jeunes gens, les jeux continuèrent comme à l’accoutumée, mais Jacqueline se tenant sur une prudente réserve vis-à-vis de Roger, ne fit aucune allusion à ce qui se passa dans la bibliothèque.

Et au grand regret du jeune homme, elle ne manifestait nullement l’intention de renouveler la voluptueuse scène. Au contraire, elle semblait tenir Roger à distance, et faisait quelque mouvement d’impatience quand celui-ci la frôlait de trop près. Elle s’approchait alors de Colette et agissait comme si le jeune homme était absent.

Celui-ci souffrit beaucoup de cette froideur. Il lui était impossible de comprendre tant d’indifférence, et tous les jours, il se promettait d’en faire à Jacqueline des reproches dès le lendemain. Mais les jours suivants ramenaient l’indifférence de la jolie blonde et ravivaient la souffrance de Roger, sans qu’il puisse sortir de la timidité et entreprendre ce qu’il avait décidé de dire et de faire la veille.

Et cependant, combien Roger eut aimé renouveler la scène de la bibliothèque ! Mais persistant dans sa froide indifférence, Jacqueline gardait un profond silence quand le jeune homme lui parlait.

À peine se laissa-t-elle embrasser quelques fois ; et encore semblait-elle n’y trouver aucun plaisir. Elle restait de glace et décourageait le jeune homme aussitôt :

— Allons, Roger, soyons sérieux !…

Et cet ordre ponctué d’une petite tape sur la joue faisait au jeune de Huchetelles l’effet d’une douche.