Edmond de Goncourt (Verlaine)

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Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 319-322).


EDMOND DE GONCOURT


Littérateur français, né à Nancy, le 26 mai 1822.

Son frère Jules, si déplorablement mort en plein talent exquis, en pleine jeunesse virile (je le vois encore, blond et rieur auprès de son frère légèrement grisonnant, très grave), était né à Paris, le 17 décembre 1830. Il est mort à Auteuil, le 20 juin 1870.

Ils sont fils d’un ancien officier supérieur de cavalerie et petit-fils du député de l’Assemblée nationale de 1789, Huot de Goncourt.

M. Edmond de Goncourt est chevalier de la Légion d’honneur depuis 1867.

C’était le 18 mars 1871, au matin. Une foule bizarre suivait à travers des barricades, où tambours et clairons battaient et sonnaient aux champs, le char emportant au Père-Lachaise les restes mortels de Charles Hugo. Derrière le corbillard marchait le père, très décoratif dans son deuil réel. Un cortège d’amis et d’inconnus venait ensuite, bizarre ai-je dit, j’aurais dû dire hétéroclite par excellence : les sommités de la littérature, des arts, de la presse et du monde politique y coudoyaient la plus basse ouvriaille et les moins douteux galants de la Vénus vulgaire.

N’importe !

Moi, à cette époque fabuleuse, je me trouvais être hébertiste, comme ça, bondé de renseignements historiques et plus innocent des agis actuels que l’enfant non encore né. Ce mouvement communaliste, anonyme à force de noms obscurs, ce titre non déclamatoire : Comité central, une affiche éloquente dans sa précision quasi bonapartesque, la garde nationale, enfin, terrible après Daumier, Cham et Monnier, m’avaient grisé. J’aimais une révolution que je savais avoir du plomb dans sa giberne et que je voyais si fière.

Et, comme le hasard m’avait placé dans le long défilé à côté de M. Edmond de Goncourt, que je connaissais un peu depuis Henriette Maréchal, je lui fis part de tout ce que nous avions sous les yeux : cet enterrement, unique au monde, du fils d’un poète retentissant, parmi cette insurrection colossale, etc., etc.

Il me fut répondu doucement :

« M. Thiers est un détestable écrivain ou plutôt ce n’est pas un écrivain du tout, mais du moins, lui gouvernant, l’on pourrait écrire en paix, tandis qu’avec ces gens-ci !… »

Tout Edmond de Goncourt était et est dans ce mot plus d’artiste que de littérateur, à mon sens, du moins.

Frémissant encore du coup terrible de la mort d’un frère et d’un ami, et d’un camarade, et de cet esprit charmant qui avait été Jules de Goncourt, il passait indifférent à ce véritablement beau spectacle d’un peuple en armes encore après tant d’héroïsme exploité par précisément ce Thiers-là ou ses congénères, il passait indifférent parce que une vision plus suprême encore le fascinait, lui, pendant mon extase à moi, juste aussi.

La célébrité, l’admiration ont visité sur le tard Edmond de Goncourt. Les jeunes gens adorent ce féminin et ce robuste dont la haute taille un peu penchée par la pensée symbolise admirablement son talent fin et fier. L’aristocratie même de sa conversation amère n’est pas pour déplaire à cette génération triste et forte qu’ont faite les choses et les œuvres de ce tout dernier quart de siècle.

Tout a été dit sur les œuvres de M. Edmond de Goncourt.

La Fille Elisa, âpre étude qui complète en l’assombrissant encore Germinie Lacerteux, les Frères Zemganno, évidente autobiographie cruelle et douce, allégorie intense ; cette terrible, cette adorable Faustin avec son dénoûment sans pair, le dernier mot sur la jeune fille riche moderne ; Chérie, la Maison d’un artiste, poème en prose écrit par un peintre, par un dilettante, par un délicat, un sensitif, un nerveux de la phrase, très 1830 et encore plus de son propre temps, ces cinq livres (je n’ai pas encore lu le sixième qui corrobore les admirables études des deux illustres frères sur le xviiie siècle, ni le septième, malade que je fus longtemps) placent Edmond de Goncourt tout simplement à la tête des prosateurs contemporains.

À leur tête

À tous !

Et ni Zola, lourdaud splendide, et ni Renan, peut-être un peu trop surfait d’ailleurs présentement, et ni même le grand Barbey d’Aurevilly, et ni aucun des jeunes (et quels sont déjà pourtant certains d’entre eux !), et ni Pierre, et ni Paul, et ni Barthélémy, et ni Ponce et ni Pilate, ne peuvent la lui contester, cette première place-là.

Cette souveraineté est bien sienne.

Il la tient et ne s’en dessaisira que pour que la postérité la lui confirme pleinement, au jour bien éloigné, nous l’espérons tous, où cette belle santé, cette vigueur de corps et l’extraordinaire littérateur céderont à la volonté divine et rentreront dans la seule égalité.


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