Effets de théâtre/0

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. v-viii).

PRÉFACE




Mon cher Poète,


Vous me demandez une préface dans laquelle je raisonne théâtre. Interrogez un décor ? — Il vous répondra, — vivant dans la lumière, la musique, le bruit, — qu’il ne se rend compte de rien. Ainsi votre servante. Elle marche, danse, décor mouvant. Le spectateur qui m’examine en sait plus long que moi ; il voit l’ensemble et a l’impression.

Je bavarderai au hasard. Pourquoi les gens se plaisent-ils à errer dans les coulisses ? Ils y sont comme des enfants, ne perdant pas un mouvement, fouillant à l’intérieur de la montre pour regarder la petite bête, et, ma foi ! l’envers du théâtre n’est que désillusionnant. On y respire du gaz ; les femmes se maquillent, elles ont des épaules en blanc-gras, une bouche trop rouge, des yeux trop noirs ; leur corps a une odeur de perruquier qui s’est servi de vingt pommades et extraits différents, le même jour. Et vous trouvez cela appétissant ?

Pourquoi admirent-ils aussi ces actrices cagneuses en travesti, ces ténors d’opéra-comique qui ont l’air de poupées, ces rois et reines d’opéra si peu grands seigneurs ?

Je ne vous parlerai que des danseuses. Chérissant mon art et n’écoutant la voix d’or des tragédiennes que si elle est assez musicale et harmonieuse pour pouvoir accompagner mes arabesques, relevés ballonnés sur la pointe, sauts de chat, temps de fouetté, ronds de jambes et pirouettes.

Je vous déclarerai, sans être fate, que les danseuses sont les seules artistes consciencieuses. Plus elles restent sincères, plus elles valent quelque chose. Tandis que l’actrice doit s’incarner dans la peau d’un personnage, suivre la volonté des auteurs, abdiquer son naturel. Nous connaissons et devinons mal la diseuse de vers ou de prose ; dit-elle ce qu’elle pense et réciproquement ?

Au contraire, à sa façon de marcher, de se balancer, de sautiller et tourner, un amateur saura si la danseuse est spirituelle, intelligente, raffinée, pot-au-feu, avare ou prodigue.

L’aimez-vous assez le théâtre ? Vous chantez ses parfums, sa chaleur et sa clarté. Voilà un signe de décadence. Cette dame Pompadour dont vous m’avez parlé une fois, ne sonna-t-elle pas, suivant vous, le signal de l’agonie du dix-huitième siècle, en jouant des pièces et en dansant des menuets au théâtre du Château de Versailles ?

Vous voudriez porter les traînes des princesses au cachet, donner la réplique aux coquettes, aux ingénues, aux raisonneurs, à tous.

Vous voudriez étinceler, éblouir à la rampe. Oh cette rampe ! elle vous grise. Et le lustre !… et jusqu’au pompier — forcément indifférent — et le souffleur ! — ce bibliothécaire des mémoires paresseuses ! —

Vous finissez, après avoir vanté le charme des faux jardins, des faux ciels, des manoirs en carton, par rêver à un décor, moitié toile et moitié nature, un décor à la moyen-âge où l’on verrait le vrai soleil chauffer des arbres peints et la vraie lune servir de témoin à une scène d’amour de convention.

En somme, je n’ai pas su discerner les bonnes choses des mauvaises, ni les passables des chefs-d’œuvre ; car vous êtes le premier poète que j’aie parcouru sérieusement, et je crains de dire des banalités en recommandant votre livre. Il est certain qu’il sera acheté par les abonnés de l’Académie de Musique, des Français, par les acteurs en tournée ayant du temps à perdre sur les routes, et par mes Amis qui s’intéressent à vos débuts comme vous vous êtes intéressé aux miens.

Je vous souhaite une apothéose qui dure plus longtemps que celle des féeries, et je vous recommande de ne pas dire à mon Directeur que je m’essaie à la littérature, il m’enverrait des maillots et des bas bleus. — et je préfère les roses !


une jeune danseuse