Einstein et l’Univers/05

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Hachette (p. 113-141).

CHAPITRE CINQUIÈME

LA RELATIVITÉ GÉNÉRALISÉE

La pesanteur et l’inertieAmbiguïté de la loi de Newton Équivalence de la Gravitation et d’un mouvement accéléréL’obus de Jules Verne et le principe d’inertiePourquoi les rayons lumineux gravitentComment on pèse les rayons des étoilesUne éclipse d’où jaillit la lumière.


Nous voici parvenu au seuil de ce mystère : la gravitation.

Dans le chapitre précédent on a vu comment Einstein a centralisé magnifiquement, sous une loi unique, les mouvements lents des objets massifs et ceux bien plus rapides de la lumière. Auparavant c’étaient dans l’Univers des provinces séparées et anarchiques.

Les mêmes lois, nous le savons maintenant, régissent la mécanique et l’optique ; s’il avait paru en être autrement c’est qu’aux vitesses voisines de celle de la lumière les longueurs et les masses des objets subissent, pour l’observateur, une variation qui est insensible aux vitesses usuelles. C’est par sa puissance de synthèse que la mécanique einsteinienne est splendide. Grâce à elle nous apercevons dans le surprenant univers où passent, éphémères, nos pensées et nos angoisses, plus d’unité qu’auparavant, donc plus d’harmonie, plus de beauté.

Pourtant la théorie de la relativité laissait jusqu’ici de côté un phénomène fondamental, essentiel, répandu partout et toujours dans le cosmos : la gravitation, propriété mystérieuse des corps qui gouverne les atomes infimes aussi bien que les étoiles géantes et dirige leurs trajectoires suivant des courbes majestueuses.

L’attraction universelle que, sur la Terre, nous appelons pesanteur, était parmi les phénomènes une sorte d’île escarpée et sans rapport avec le reste de la philosophie naturelle.

La mécanique d’Einstein, telle que nous l’avons exposée jusqu’ici, passait à côté de cette île sans l’aborder. C’est pourquoi, sous cette forme, on l’appelait théorie de la relativité restreinte. Pour en faire un instrument de synthèse achevé, il restait à y faire entrer le phénomène de la gravitation. C’est par cela qu’Einstein a couronné son œuvre et que son système a pris la forme admirable désignée maintenant sous le nom de théorie de la relativité généralisée.

Einstein a tiré la gravitation universelle de son « splendide isolement », et l’a attachée, docile et vaincue, au char triomphal de sa mécanique. Bien plus, il a donné de la loi célèbre de Newton une forme plus exacte et que l’expérience, juge sans appel, a reconnue la seule correcte.

Comment il y est parvenu, par quelle chaîne subtile et forte de raisonnements et de calculs fondés sur les faits, c’est ce que je vais m’efforcer maintenant d’exposer, en tâchant, une fois encore, d’éviter avec soin au passage les réseaux de fils barbelés de la terminologie mathématique.

Pourquoi Newton a-t-il cru — et toute la science classique après lui — que la gravitation, la chute des corps, ne rentre pas dans la mécanique dont il a formulé les lois ? Pourquoi en un mot a-t-il considéré la gravitation comme une force, ou — pour employer un terme plus vague mais plus général — comme une action qui fait que les corps pesants ne se déplacent pas librement dans l’espace vide ?

C’est à cause du principe d’inertie. Ce principe, base de toute la mécanique newtonienne, peut s’exprimer ainsi : un corps sur lequel n’agit aucune force conserve une vitesse et une direction invariables.

Pourquoi adjoint-on aux machines à vapeur ces roues massives qu’on appelle des « volants » et qui tournent à vide ? Parce que le principe d’inertie est sûrement à peu près vrai. Lorsque la machine subit un à-coup, un arrêt brusque et bref, une accélération imprévue, le volant est là pour remettre les choses en état. Entraîné par sa vitesse acquise et entraînant à son tour la machine il tend à conserver cette vitesse et empêche et corrige aussi bien les ralentissements accidentels que les accélérations. Ce principe est donc fondé sur l’expérience, et plus précisément sur celles de Galilée qui l’a vérifié en faisant rouler des billes sur des plans diversement inclinés.

Par exemple on constate qu’une bille lancée sur un plan horizontal parfaitement poli conserve une même direction et une vitesse qui resterait uniforme, si la résistance de l’air et le frottement sur le plan n’intervenaient pour la réduire peu à peu jusqu’à zéro. On observe en effet qu’en réduisant ces résistances de frottement la bille tend à conserver de plus en plus longtemps sa vitesse.

C’est sur une foule d’expériences analogues qu’est basé le principe d’inertie de Newton. Ce principe n’a donc nullement le caractère d’une vérité mathématique d’évidence. Cela est si vrai que les anciens, contrairement à notre mécanique classique, croyaient que le mouvement s’arrête dès que cesse la cause qui lui a donné naissance. Certains philosophes grecs avaient encore une autre manière de voir ; ils pensaient que tout corps, si rien ne vient à le contrarier, prendra un mouvement circulaire, parce que c’est le plus noble de tous les mouvements.

Nous verrons plus loin comment le principe d’inertie de la mécanique généralisée d’Einstein s’apparente étrangement à cette dernière conception et en même temps à la curieuse déclinaison, au clinamen que le grand et profond Lucrèce attribuait à la trajectoire libre de ses atomes. Mais n’anticipons pas…

Cette affirmation qu’un objet abandonné librement à lui-même et soustrait à l’action de toute force garde sa vitesse et sa direction, ce principe d’inertie ne peut prétendre à être autre chose qu’une vérité d’expérience.

Or les observations qui servent de base à ce principe, celles de Galilée en particulier, et toutes celles que les physiciens pourraient imaginer, ne sauraient être parfaitement démonstratives, parce qu’il est impossible, dans la pratique, de soustraire complètement un mobile à l’action de toute force extérieure, résistance de l’air, frottement ou autre.

Je sais bien que Newton a fondé ce principe non pas seulement sur les observations terrestres, mais sur celles des astres. Il a remarqué que, abstraction faite de l’action attirante des autres corps célestes, et pour autant qu’il est possible d’en juger, les planètes semblent conserver leur direction et leur vitesse par rapport à la voûte étoilée. Mais, les relativistes pensent que les mots sou­ lignés dans la phrase précédente, et qui correspondent à la pensée de Newton, constituent une pétition de principe. Son raisonnement présuppose que les planètes ne circulent pas librement, qu’elles sont contraintes dans leur mouvement par une force que Newton a appelée attraction universelle.

Nous verrons comment Einstein a été amené à penser que celle-ci n’est peut-être pas une force, et alors la conclusion du raisonnement est tout autre. Quoi qu’il en soit, le principe d’inertie classique est une vérité fondée sur des expériences (d’ailleurs toujours imparfaites), et qui comme telle doit rester sous le contrôle perpétuel des faits. Tout ce qu’on en peut affirmer c’est qu’il correspond pratiquement, c’est-à-dire à peu près, à ce qu’on constate.

Newton le considérait non pas de la sorte, non pas comme une approximation plus ou moins exacte mais comme une vérité rigoureuse.

C’est pourquoi, observant que les planètes se meuvent non en ligne droite, mais suivant des courbes, il en déduisait (ce qui est la pétition de principe incriminée) qu’elles étaient soumises à une force centrale, la gravitation. C’est pourquoi les corps pesants, les corps gravitants, ne lui semblaient pas justiciables des lois mécaniques qu’il avait d’abord établies pour les corps librement abandonnés à eux-mêmes. C’est pourquoi en un mot, la loi de gravitation de Newton, et les lois de la dynamique de Newton sont des choses distinctes et séparées.

Ce grand génie, ce cerveau sans égal était pourtant un cerveau humain. Notre immortel Descartes, après avoir décidé de ne rien affirmer que ce qu’il percevait clairement et distinctement, a cependant lancé des affirmations singulières et des hypothèses fort occultes sur la glande pinéale et les esprits animaux. Pareillement Newton après avoir posé en principe Hypotheses non fingo a placé à la base de sa mécanique les hypothèses du temps absolu et de l’espace absolu. À la base de sa géniale théorie de la gravitation il a placé l’hypothèse — d’ailleurs plus admissible a priori — de l’existence d’une force gravitationnelle particulière.

Ce sont là des faiblesses inhérentes aux plus grands hommes. Elles doivent nous faire admirer davantage les côtés lumineux de leur œuvre. Tant est profond, même lorsqu’il dévie de la ligne droite, le sillon creusé par ces grands défricheurs de l’inconnu, que deux siècles et demi ont passé avant qu’on songe même à rechercher si la discrimination faite par Newton entre les phénomènes purement mécaniques et les phénomènes gravitationnels est réellement fondée.

Le grand honneur d’Einstein est de l’avoir victorieusement tenté ; son honneur, après avoir fait table rase de maintes acquisitions qu’on croyait définitives, est d’avoir fondu la gravitation et la mécanique dans une synthèse superbe, et de nous avoir mieux fait sentir l’Unité sublime du monde.

Au vrai, et avant même de pénétrer plus loin dans les allées profondes et merveilleuses de la relativité généralisée, il est évident a priori que la loi de l’attraction universelle de Newton ne peut plus être maintenant considérée comme satisfaisante.

Elle affirme : Les corps s’attirent en raison directe de leurs masses et en raison inverse du carré de leurs distances. Qu’est-ce à dire ? Nous avons vu que les masses des corps varient avec leurs vitesses. Lorsqu’on introduit par exemple la masse de la planète Terre dans les calculs où intervient la loi de Newton, de quoi s’agit-il donc ? S’agit-il de la masse qu’aurait la Terre si elle ne tournait pas autour du Soleil ? S’agit-il au contraire de la masse plus grande qu’elle possède par suite de sa translation ? Mais cette translation n’a pas toujours la même rapidité puisque la Terre décrit une ellipse et non un cercle ? Et alors quelle valeur de cette masse variable introduira-t-on dans le calcul ? Celle qui correspond au périhélie ou à l’aphélie, à l’époque où la Terre se déplace le plus vite, ou à celle qui ralentit son mouvement orbital ? D’ailleurs ne devra-t-on pas tenir compte aussi de la vitesse de translation du système solaire qui, selon les saisons, augmente ou diminue celle de la Terre.

D’autre part dans la loi de Newton, qu’introduirons-nous comme distance de la Terre au Soleil ? Sera-ce la distance relative à un observateur placé sur la Terre ou sur le Soleil, ou au contraire immobile au centre de la Voie Lactée et ne participant pas au mouvement de notre système à travers celle-ci ? Ici encore on aura des valeurs différentes suivant les cas, puisque les distances spatiales varient, nous l’avons vu avec Einstein, selon la vitesse relative de l’observateur.

La loi de Newton, en dépit de sa forme si simple, si esthétique, est donc ambiguë et peu nette. Je sais bien que les différences dont nous venons de parler sont faibles ; mais elles ne sont pas pour cela négligeables, le calcul le montre.

Sous sa forme classique, il est donc certain pour les einsteiniens et sans préjudice des considérations où nous allons entrer, que la loi de Newton est obscure et doit être modifiée et complétée.

Ces remarques préliminaires auront peut-être ceci d’utile, qu’elles nous achemineront vers l’état d’esprit un peu nécessaire aux iconoclastes… et dans la science les iconoclastes sont parfois les ouvriers du progrès. Les idoles auxquelles ces remarques nous habitueront à voir porter quelques coups injurieux sont la conception et la loi newtoniennes de la gravitation.

Laplace a écrit dans son exposition du système du monde : « Il est impossible de ne pas convenir que rien n’est mieux démontré dans la philosophie naturelle que le principe de la gravitation universelle en raison des masses et réciproque au carré des distances. »

Rien ne mesure aussi bien que cette phrase d’un savant illustre la grandeur du progrès accompli par Einstein lorsqu’il a, comme nous allons voir, perfectionné ce qu’on croyait le symbole même, l’exemple le plus achevé de la vérité scientifique : la loi célèbre de Newton.

La gravitation, la pesanteur a ceci de commun avec l’inertie des corps, qu’elle est un phénomène parfaitement général. Tous les objets matériels, tous les corps quel que soit leur état physique et chimique sont à la fois inertes (c’est-à-dire qu’ils résistent suivant leur masse aux forces tendant à les déplacer) et pesants, (c’est-à-dire qu’ils tombent lorsqu’ils sont librement abandonnés).

Mais il est une chose curieuse, que Newton avait déjà constatée sans en apercevoir la signification et qu’il considérait comme une simple et extraordinaire coïncidence : le nombre qui définit l’inertie d’un corps est le même qui définit son poids. Ce nombre c’est la masse.

Reprenons l’exemple qui m’a servi dans un chapitre précédent à propos de la mécanique d’Einstein. Si deux trains tirés par deux locomotives identiques démarrent dans les mêmes conditions et que la vitesse communiquée au premier train au bout d’une seconde soit double de celle du second, on en déduira que l’inertie, la masse inerte du second train (abstraction faite des frottements des rails) est deux fois plus grande que celle du premier. Or si nous mettons ensuite nos deux trains sur la bascule, nous constatons que le poids du second est, de même, deux fois plus grand que celui du premier.

Cette expérience qui, sous la forme que nous lui donnons est grossière, a été faite avec une extrême précision par les physiciens au moyen de méthodes délicates qui importent peu ici. Le résultat a été semblable : la masse inerte et la masse pesante des corps sont exprimées rigoureusement par les mêmes nombres.

Newton n’avait vu là qu’une coïncidence. Einstein y a trouvé la clef du donjon hermétique et inviolé où la gravitation s’isolait du reste de la nature.

Voici comment :

Une chose est remarquable dans la pesanteur, dans la gravitation : quelle que soit la nature des objets, ils tombent tous avec la même vitesse (abstraction faite de la résistance de l’air). On le constate facilement en laissant tomber en même temps, dans un long tube où on a fait le vide, des objets les plus divers : ils parviennent tous en même temps au bas du tube.

Une tonne de plomb ou une feuille de papier lâchés ensemble du haut d’une tour dans le vide atteignent le sol simultanément, avec une vitesse dont l’accélération, est de 981 centimètres par seconde.

C’est un fait que Lucrèce connaissait déjà. Voici en effet ce qu’écrivait il y a deux mille ans l’immortel et profond poète :

Nulli, de nulla parte, neque ullo
Tempore, inane potest vacuum subsistere rei,
Quin sua quod natura petit concedere pergat.
Omnia qua propter debent per inane quietum
Aeque ponderibus non æquis concita ferri
[1].

Si la pesanteur était une force analogue à l’attraction électrique, à la traction d’une locomotive, ou bien à l’action propulsive d’une charge de poudre, il ne devrait pas en être ainsi. Les vitesses qu’elle imprime à des masses disparates devraient être différentes. Les deux trains inégalement massifs de notre exemple précédent reçoivent des accélérations inégales sous l’impulsion de la même locomotive. Pourtant, si subitement une fosse profonde s’ouvrait sous eux, ils y tomberaient avec la même vitesse.

De là à penser que la gravitation n’est pas une force comme le voulait Newton, mais simplement une propriété de l’espace dans lequel se meuvent librement les corps, il n’y a qu’un pas. Einstein le franchit sans hésitation.

Imaginons dans un colossal gratte-ciel un ascenseur dont le câble de retenue soudain se rompt. L’ascenseur va tomber d’un mouvement accéléré, moins vite cependant qu’il ne ferait dans le vide, à cause de la résistance de l’air et du frottement de la cage de l’appareil. Mais imaginons par surcroît que la machine électrique qui actionne l’ascenseur ait, du même coup, son commutateur inversé, et accélère la chute de telle sorte que la vitesse descendante s’accroisse chaque seconde de 981 centimètres. Réaliser cela ne serait qu’un jeu pour les ingénieurs, bien que l’intérêt de cette expérience n’ait pas, jusqu’aujourd’hui, paru assez évident pour la justifier. Mais pourquoi n’aurions-nous pas le droit, de nous écrier parfois comme le poète, lorsqu’il s’agit de clarifier un sujet,

Si tu veux faisons un rêve ?

Voici donc notre rêve réalisé, et l’ascenseur tombe de très haut avec précisément la vitesse accélérée d’un objet lâché librement dans le vide.

Si les passagers ont gardé dans cette chute vertigineuse assez de sang-froid pour observer ce qui arrive, ils remarqueront que leurs pieds cessent de presser sur le plancher de l’appareil. Ils pourront soudain se croire semblables à la charmante et poétique princesse de La Fontaine

Senti la  une herbe n’aurait pas
Senti la trace de ses pas…

Les porte-monnaie de nos passagers, même s’ils sont pleins d’or, cesseront de peser dans leurs poches, — ce qui pourra leur causer un moment d’émotion. Leurs chapeaux, s’ils leur échappent des mains, resteront suspendus dans l’air à côté d’eux. Se sont-ils précautionnés d’une balance ? Ils observeront que les plateaux restent en équilibre, même si on y pose des poids très différents. Tout cela parce que ces objets tombent vers le sol, par l’effet naturel de la pesanteur, avec la même vitesse que l’ascenseur lui-même. La pesanteur en a disparu.

Jules Verne avait déjà décrit des effets semblables dans l’obus qui porte ses héros de la Terre à la Lune et au moment où le romanesque projectile arrive au « point neutre », à l’endroit où, échappant à l’attraction terrestre, il ne subit pas encore celle de la Lune. Le bon Jules Verne a d’ailleurs commis quelques petites hérésies scientifiques au sujet de cet obus. Il a particulièrement oublié que — en vertu même du principe d’inertie dans ce qu’il a de plus grossièrement évident — les infortunés voyageurs devaient être aplatis comme galette, contre le culot de l’obus, à l’instant du départ du coup. Il a cru aussi, bien à tort, que les objets cessaient de peser dans l’obus seulement à l’instant où il passe exactement entre les deux sphères d’attraction terrestre et lunaire.

Passons sur ces vétilles du romancier et revenons à l’image excellente qu’il nous a prophétiquement fournie pour la commodité de notre exposé einsteinien.

Considérons donc le projectile lorsqu’il commence à tomber librement vers la Lune[2]. Il est évident qu’à partir de cet instant et jusqu’à ce qu’il ait atterri ou plutôt aluni…, il se comportera exactement comme notre ascenseur — je devrais dire notre descenseur — de tout à l’heure.

Pendant cette chute vers la Lune, les passagers — miraculeusement échappés à l’aplatissement fatal du départ — verront tous les objets autour d’eux soudain démunis de leur poids rester suspendus en l’air, et, sous l’influence de la moindre chiquenaude, aller se coller aux parois ou à la voûte ogivale de l’obus. Eux-mêmes se sentiront d’une extraordinaire légèreté et sans effort feront les bonds les plus prodigieux, à rendre jaloux Nijinski.

C’est qu’eux-mêmes et tous les objets voisins tombent vers la Lune avec la même vitesse que l’obus. D’où pour eux disparition de la pesanteur, de la gravitation, soudain subtilisées comme par un magicien. Le magicien, c’est le mouvement accéléré comme il convient, c’est la chute libre des observateurs.

En résumé, pour supprimer en un lieu quelconque les effets apparents de la gravitation, il suffit que l’observateur possède une vitesse convenablement accélérée. C’est ce qu’Einstein appelle le « principe d’équivalence » : équivalence des effets de la pesanteur et de ceux d’un mouvement accéléré.

L’un et l’autre sont indiscernables.

Supposons notre obus de Jules Verne et ses infortunés passagers transportés très loin de la Lune, de la Terre et du Soleil même, en un de ces endroits déserts et glacés de la Voie Lactée où n’existe aucune matière, et si éloigné de toutes les étoiles qu’il n’y a plus là pesanteur ni attraction, et que notre obus abandonné y restera immobile. Dans ces conjonctures, cela est clair, il n’y aura ni haut, ni bas, ni pesanteur pour les passagers de l’obus. Ils se trouveront débarrassés et allégés de toutes les contingences du poids. Ils pourront indifféremment se mettre debout sur la paroi interne du sommet de l’obus ou sur son culot, comme ce fut durant qu’ils tombaient vers la Lune.

Imaginons maintenant que l’Enchanteur Merlin survienne subrepticement puis, ayant attaché une corde à l’anneau extérieur qui surmonte le projectile, se mette à le tirer d’un mouvement uniformément accéléré. Que se passe-t-il alors pour les passagers ? Ils remarquent soudain qu’ils ont retrouvé leur poids et qu’ils sont rivés au plancher de l’obus, à peu près comme, avant leur voyage, ils étaient fixés au sol de notre planète terraquée. Si même le mouvement de l’Enchanteur Merlin s’accélère de 981 centimètres par seconde, ils éprouveront exactement les mêmes sensations pesantes que sur la Terre.

Ils remarqueront que si, à un moment donné, ils lâchent en l’air une assiette, elle tombera sur le plancher et s’y brisera. « C’est, penseront-ils, parce que nous sommes de nouveau soumis à la pesanteur ; cette assiette tombe en vertu de son poids, de sa masse pesante. » Mais l’Enchanteur Merlin dira lui : « Cette assiette tombe parce qu’elle a gardé, en vertu de son inertie, de sa masse inerte, la vitesse ascendante qu’elle possédait au moment qu’on l’a lâchée. Aussitôt après, puisque je tire l’obus d’un mouvement accéléré, la vitesse ascendante de celui-ci a dépassé celle de l’assiette lâchée. C’est pourquoi le fond de l’obus, dans sa course ascendante accélérée est venu heurter l’assiette et la briser. »

Ceci prouve que le poids d’un corps, sa gravitation, est indiscernable de son inertie. Masse inerte, masse pesante sont deux choses, non pas égales par une extraordinaire coïncidence comme le croyait Newton, mais identiques et inséparables. Ces deux choses n’en sont qu’une.

Et alors nous sommes amenés à penser que les lois de la pesanteur et celles de l’inertie, les lois de la gravitation et celles de la mécanique doivent être identiques, ou du moins doivent être des modalités d’une chose unique. Pareillement la face et le profil d’un même visage ne sont que ce même visage vu sous deux angles différents.

Si même les voyageurs de notre obus — qui sont vraiment des sortes de cobayes ! — mettent l’œil au hublot et voient la corde qui les remorque, leur illusion persistera. Ils se croiront suspendus et immobiles en un point de l’espace où la pesanteur est ressuscitée, c’est-à-dire, comme disent les spécialistes, en un point de l’espace où règne un « champ de gravitation ».

Cette locution est analogue à l’expression courante de « champ magnétique » qui désigne une région de l’espace où s’exercent des actions magnétiques, où la boussole se voit imposer une orientation.

En résumé, on peut en tout lieu remplacer un champ de gravitation, remplacer l’effet de la pesanteur par un mouvement convenablement accéléré de l’observateur et réciproquement. Il y a équivalence complète entre les effets de la pesanteur et ceux d’un mouvement approprié.

Ceci va nous permettre d’établir maintenant, avec beaucoup de simplicité, ce fait fondamental qu’on ne soupçonnait pas il y a quelques années et qui a été brillamment démontré par l’expérience : la lumière ne se propage pas en ligne droite dans les parties de l’Univers où il y a de la gravitation, mais sa trajectoire est incurvée comme celle des objets pesants.

Nous avons établi au cours d’un précédent chapitre que dans le continuum à quatre dimensions où nous vivons, que l’on pourrait appeler l’espace-temps, et que nous appellerons plus simplement l’Univers, il y a quelque chose qui reste constant, et identique pour des observateurs se déplaçant à des vitesses données et différentes. C’est l’« Intervalle » des événements.

Il est naturel de penser que cet « Intervalle » restera identique même si la vitesse de l’observateur varie, même si elle est accélérée comme celle de notre ascenseur ou de l’obus de Jules Verne pendant leur chute.

En effet si, pour deux observateurs se déplaçant à des vitesses différentes, quelque chose dans l’Univers est un invariant comme disent les physiciens, c’est-à-dire est invariable, ce quelque chose doit naturellement rester tel pour un troisième observateur dont la vitesse passe graduellement de celle du premier à celle du second, et qui, par conséquent, est animé d’un mouvement uniformément accéléré.

Des conséquences fondamentales en découlent.

Une chose d’abord est évidente, admise d’un consentement unanime par tous les physiciens : c’est que dans le vide, et en un point de l’espace où ne s’exerce aucune force et où il n’y a pas de pesanteur, la lumière se propage en ligne droite. Cela est certain pour beaucoup de motifs et d’abord par pure raison de symétrie, parce qu’en une région du vide isotrope, un rayon que rien ne sollicite ne doit point dévier de sa marche rectiligne, dans un sens ou dans l’autre. Cela est évident quelque hypothèse qu’on fasse sur la nature de la lumière, et même si, comme Newton, on suppose qu’elle est formée de particules pesantes.

Ceci admis, supposons maintenant qu’en un point de l’Univers où il y a de la pesanteur, à la surface de la Lune, par exemple, un merveilleux fusil puisse tirer une balle qui possède et garde (tout le long de la trajectoire) la vitesse de la lumière.

Cette balle décrira une trajectoire très tendue, à cause de sa grande vitesse, et néanmoins incurvée vers le sol lunaire, à cause de la pesanteur. Puisque nous pouvons cueillir à loisir dans le champ des hypothèses, rien ne nous empêche de supposer que cette balle est une balle traçante qui marque sa trajectoire par une légère traînée lumineuse. La grande guerre a connu des balles de ce genre.

Cette balle, en même temps qu’elle avance, tombe chaque seconde vers le sol lunaire, d’une quantité égale à celle dont tomberait tout autre projectile lancé à n’importe quelle vitesse, ou même sans vitesse. Tous les objets près de la surface du sol tombent (dans le vide) avec la même vitesse verticale, et qui est indépendante de leur déplacement dans le sens horizontal. C’est même pour cela que les trajectoires des projectiles sont d’autant plus incurvées qu’ils ont une plus faible vitesse initiale.

Observée à travers les hublots de l’obus de Jules Verne (qui, au même moment, tombe librement vers la Lune), la trajectoire de cette balle paraîtra aux passagers une ligne droite parce qu’elle tombe avec la même vitesse qu’eux.

Supposons qu’un rayon lumineux provenant de la lueur du fusil sorte de celui-ci en même temps que la balle, en la rasant, et dans la même direction. Ce rayon lumineux sera évidemment rectiligne pour les passagers de l’obus, puisque la lumière se propage en ligne droite quand il n’y a pas de pesanteur. Par conséquent, puisqu’il a la même forme, la même direction et la même vitesse que la balle fusante, les passagers verront ce rayon lumineux coïncider pendant tout son trajet avec la trajectoire de cette balle.

Par conséquent encore, l’« Intervalle » (à la fois dans le temps et dans l’espace) du rayon lumineux et de la balle est et reste zéro. Or cet « Intervalle » doit demeurer tel, quelle que soit la vitesse de l’observateur. Si donc l’obus de Jules Verne ne tombe plus mais est arrêté à la surface de la Lune, ses passagers continueront de voir le rayon lumineux coïncider en chacun de ses points, avec la trajectoire de la balle. Cette trajectoire (ils le remarquent maintenant) est incurvée par la pesanteur ; donc le rayon lumineux est pareillement incurvé par elle.

Ceci démontre que la lumière ne se propage pas en ligne droite mais tombe exactement comme tous les objets, sous l’influence de la gravitation.

Si on ne l’a jamais constaté naguère, si on a toujours cru que la lumière se propage en ligne droite, c’est que par suite de son énorme vitesse, sa trajectoire n’est que très peu courbée par la pesanteur.

Cela est compréhensible. À la surface de la Terre par exemple, la lumière doit tomber (comme tous les objets) avec une vitesse qui au bout d’une seconde est de 981 centimètres. Or, au bout d’une seconde, un rayon lumineux a déjà parcouru 300 000 kilomètres. Supposons (ce qui est bien exagéré) qu’on puisse observer près de la surface de la Terre un rayon lumineux horizontal de 300 kilomètres de long. Pendant le millième de seconde que ce rayon emploiera à aller d’un observateur à l’autre il tombera seulement d’une quantité égale à 5 millièmes de millimètre.

On conçoit qu’un rayon lumineux qui, sur une distance de 300 kilomètres, ne s’éloigne de sa direction initiale que de cette quantité absolument inobservable, ait toujours été considéré comme rectiligne.

N’est-il donc nul moyen de vérifier si, oui ou non, la lumière est incurvée par la gravitation ?

Ce moyen existe et c’est l’astronomie qui va nous l’apporter.

S’il est impossible d’apprécier la courbure d’un rayon lumineux allant d’un point à l’autre de la surface terrestre, c’est d’abord parce que la pesanteur sur la Terre est trop petite pour infléchir beaucoup ce rayon ; c’est ensuite parce que nous ne pouvons pas le suivre sur une suffisante distance, notre planète étant ridiculement petite.

Mais ce qu’on ne peut faire sur ce petit globule terraqué, dont la lumière rapide franchit le diamètre tout entier en un vingt-cinquième de seconde, on arrivera peut-être à le réaliser dans le laboratoire gigantesque de l’espace céleste. Justement nous avons, presque à portée de la main, — à 150 millions de kilomètres, seulement, d’ici — un astre sur lequel la pesanteur est vingt-sept fois plus intense qu’ici-bas. C’est le Soleil. Un corps abandonné à lui-même y tombe dans la première seconde de 132 mètres. Sa chute est vingt-sept fois plus rapide que sur la Terre.

La lumière sera donc, près du Soleil, infléchie beaucoup plus par la pesanteur. Cette inflexion sera encore accrue par le fait que le Soleil a un million et demi de kilomètres de diamètre, et qu’un rayon lumineux a besoin de beaucoup plus de temps pour franchir cette distance que pour franchir le diamètre terrestre. L’action de la pesanteur sur ce rayon s’exerce donc pendant bien plus longtemps que sur un rayon rasant la Terre, et, pour cela aussi, elle l’incurvera davantage.

Soit un rayon lumineux provenant, par exemple, d’une étoile située très loin derrière le Soleil. S’il nous arrive après avoir rasé celui-ci, il se comportera comme un projectile. Sa trajectoire cesse d’être rectiligne, elle est légèrement courbée vers le Soleil. Autrement dit, ce rayon est dévié de la ligne droite, et la direction qu’il a lorsque nos yeux le reçoivent sur la Terre est un peu différente de la direction qu’il possédait en partant de l’étoile. Il a subi une déviation.

Le calcul montre que cette déviation, bien que faible encore, est mesurable. Elle est égale à un angle d’une seconde et trois quarts, angle que les méthodes précises des astronomes permettent de mesurer.

Ah ! ça n’est point qu’il soit bien grand cet angle, qu’on en juge : il faut juxtaposer 324 000 angles d’une seconde pour faire un angle droit. Autrement dit, un angle d’une seconde est celui sous lequel on verrait, a 206 kilomètres de distance, les deux extrémités d’un piquet d’un mètre fiché dans le sol. Si nos yeux étaient assez aigus pour voir un homme de taille normale debout à 200 kilomètres de l’endroit où nous nous tenons, notre regard, en fixant successivement sa tête, puis ses pieds, dévierait d’un angle fort petit. Eh bien, cet angle représente exactement la déviation subie par la lumière qui nous vient d’une étoile après qu’elle a rasé le globe d’or du Soleil.

Si minuscule que soit cet angle, les astronomes savent le déterminer grâce à la délicate exactitude de leurs méthodes. Il ne faut point le mépriser, cet angle infime. Il ne faut point dédaigner ceux qui raffinent jusqu’à observer de pareilles bagatelles, puisque aujourd’hui la science en est bouleversée. Einstein a raison contre Newton parce qu’on a pu mesurer cet angle si petit, parce que cette déviation a été constatée en fait.

Pour vérifier si elle existe, une grosse difficulté se présentait.

Comment apercevoir le rayon qui nous vient d’une étoile en rasant le bord du Soleil, c’est-à-dire en plein jour ? C’est impossible. Même avec les lunettes les plus puissantes, l’image des étoiles situées à l’arrière-plan du Soleil sont complètement noyées dans l’éclat de celui-ci, ou — pour s’exprimer plus exactement — dans la lumière diffusée par notre atmosphère.

On peut même remarquer à ce propos (si l’on ose ouvrir ici une parenthèse… et pourquoi n’oserait-on pas ?) que la nuit nous a appris beaucoup plus de choses que le jour sur les mystères de l’Univers. Dans le symbolisme littéraire, et dans le politique, la lumière du jour est l’image du progrès et du savoir, la nuit l’emblème de l’ignorance. Quelle sottise ! C’est blasphémer la nuit dont nous devons vénérer la brune douceur. Et je n’entends point parler ici de son charme romanesque, mais seulement des admirables progrès que nous lui devons dans le savoir.

Minuit n’est pas seulement l’heure des crimes. C’est celle aussi des vastes envolées vers les mondes lointains. Le jour on ne voit qu’un Soleil, la nuit nous en montre des millions. Et si le rideau éblouissant que la lumière solaire étend devant le ciel est tissé de rayons éclatants, c’est un rideau quand même, car il nous rend pareils aux phalènes qu’une lumière trop vive empêche de voir plus loin que le bout… de leurs ailes.

Il faut donc, pour résoudre notre problème, voir en pleine nuit des étoiles dont l’image serait près du bord solaire. Cela est-il donc impossible ? Non. La nature y a pourvu en créant des éclipses totales de soleil, visibles parfois en certains lieux de la Terre.

Alors, et pendant quelques minutes, le disque radieux est très exactement caché derrière celui de la Lune, si bien qu’en plein jour tout se passe comme s’il était nuit, et qu’on voit les étoiles briller près du Soleil masqué de noir.

Tout justement, une éclipse totale devait être visible en Afrique et dans l’Amérique du Sud le 29 mai 1919, peu après qu’Einstein eut, par un raisonnement semblable à celui qui précède, annoncé la déviation des rayons stellaires près du soleil.

Deux expéditions furent organisées par les astronomes de Greenwich et d’Oxford. L’une s’installa à Sobral au Brésil, l’autre dans une petite île portugaise, Principe, dans le golfe de Guinée.

Certains des astronomes anglais étaient bien un peu sceptiques sur le résultat. Comment admettre, jusqu’à preuve du contraire, que Newton s’est trompé, ou du moins n’a pas donné une loi parfaite ? Cette preuve du contraire résulta pourtant, et d’éclatante façon, des observations faites.

Celles-ci consistèrent à photographier sur un certain nombre de plaques, et pendant les quelques minutes de l’éclipse totale, les étoiles voisines du Soleil occulté. Elles avaient été, avec les mêmes lunettes, photographiées quelques semaines auparavant, alors que la région du ciel où elles brillent était encore dans la nuit et loin du Soleil. Celui-ci comme on sait, traverse successivement, dans sa course annuelle, les diverses constellations du Zodiaque.

Si la lumière des étoiles photographiées n’était pas déviée en passant près du Soleil, il est évident que leurs écartements devaient être identiques sur les plaques prises pendant l’éclipse et sur les plaques prises la nuit, quelque temps auparavant.

Mais si leur lumière était déviée pendant l’éclipse, par l’attraction du Soleil, il en devait être tout autrement. Voici pourquoi : Quand la Lune se lève sur une de nos plaines, elle n’est pas ronde, tout le monde l’a remarqué, mais aplatie dans le sens vertical et semblable un peu à une gigantesque mandarine posée sur l’horizon, pour je ne sais quel souper fantasmagorique. Pourtant la Lune n’a pas cessé d’être ronde. Si elle semble aplatie, c’est parce que les rayons provenant de son bord inférieur, et qui nous arrivent après avoir traversé une couche d’air très épaisse, sont courbés vers le sol par la réfraction de cette couche d’air, et bien plus que les rayons du bord supérieur qui traversent une moindre épaisseur d’atmosphère. Notre œil voit le bord lunaire dans la direction suivant laquelle nous arrivent ses rayons et non pas dans celle où ils sont partis. C’est pourquoi le bord inférieur de la Lune nous paraît surélevé sur l’horizon plus qu’il n’est réellement. Cette déviation est due à la réfraction.

Semblablement, une étoile située un peu à l’Est du Soleil (et dont la lumière est courbée, non point par la réfraction, mais par la pesanteur) nous paraîtra plus écartée de lui. Elle nous paraîtra plus à l’Est qu’elle n’est en réalité. De même une étoile située à l’Ouest du Soleil nous paraîtra décalée vers l’Ouest du bord solaire occidental.

Donc les étoiles situées de part et d’autre du Soleil paraîtront plus écartées, plus séparées les unes des autres sur les clichés pris pendant l’éclipse. Dans leur position normale, sur les clichés pris pendant la nuit, elles sembleront au contraire plus resserrées, plus rapprochées.

C’est précisément ce qu’on a constaté, par l’étude micrométrique des photographies obtenues à Sobral et à Principe. Non seulement la déviation de la lumière des étoiles par le Soleil a été ainsi démontrée, mais on a constaté que cette déviation a exactement la grandeur numérique annoncée par Einstein. Elle correspond à un angle d’une seconde et trois quarts (1″75) pour une étoile tangente au bord solaire, angle qui décroît proportionnellement très vite pour des étoiles plus éloignées de ce bord. Glorieux triomphe de la théorie et qui établissait pour la première fois un lien entre la lumière et la gravitation !

J’ai comparé il y a un instant l’incurvation de la lumière par la pesanteur à celle que produit la réfraction atmosphérique. Précisément certains astronomes se sont demandé si la concordance de la théorie d’Einstein et des résultats obtenus pendant l’éclipse était autre chose qu’une coïncidence, et si les déviations observées ne provenaient pas d’une réfraction causée dans l’atmosphère du Soleil.

Cette explication paraît insoutenable. On observe parfois des comètes traversant l’espace tout près de la surface solaire. Elles subissent dans leur mouvement une résistance qui le perturberait complètement si le Soleil avait une atmosphère assez réfringente pour expliquer les déviations observées à Sobral et à Principe. De telles perturbations des orbites cométaires près du Soleil n’ont jamais été constatées. Cela exclut toute autre interprétation qu’un effet de la pesanteur sur la lumière.

Ainsi, les rayons des étoiles pesés par des procédés d’une exquise délicatesse, ont fourni l’éclatante confirmation des prémisses théoriques d’Einstein.

À ses fruits on juge l’arbre.

  1. De Natura Rerum, liv. II, vers 235-240.
  2. Il est évident que nous supposons l’obus sans rotation, c’est-à-dire que le canon du Columbia ne doit pas, dans nos hypothèses, avoir été un canon rayé. Cette précision est indispensable, car si l’obus tournait il s’y produirait des effets de force centrifuge qui rendraient les phénomènes et du même coup notre démonstration plus compliqués. On jugera peut-être que celle-ci l’est déjà à souhait.