Elle (Eggis)

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En causant avec la lune
(p. 13-15).




V



ELLE !



À M. THÉOPHILE GAUTIER.


Elle ! Elle est belle comme une fraîche soirée
Sur la blanche montagne où le soleil s’endort ;
Quand l’ombre descendante, aux flots d’opale et d’or,
Agrafe sur son front son écharpe moirée,


Sa voix a la douceur et la suavité
D’un chant lointain de harpe entendu sous le tremble,
Quand la brise du soir, à la rose qui tremble,
Jette un baiser d’amour et de virginité.

Son regard est empreint de vagues rêveries,
Il est mélancolique et doux comme, la nuit,
Le regard d’une étoile au front brun de minuit,
Sur la mousse et les fleurs des lointaines prairies.

Son épaule est de neige et ses longs cheveux noirs,
— Quand leur flot jaillissant sur un front qui se penche
Sous un rêve d’amour, soyeux et doux, s’épanche, —
Sont beaux comme la lune au sommet des manoirs.

Et je l’aime, ô mon Dieu ! comme aime l’espérance
Le malheureux en proie à de longues douleurs,

Qui voit briller l’étoile aux riantes couleurs,
A son seuil où toujours s’asseyait la souffrance.

Elle est douce à mon cœur comme au jeune exilé
Un chant de son pays, comme un rayon de lune
Au captif triste et seul dans sa tour sur la dune,
Ou comme un souvenir de la tombe exhalé !

Et cette vierge, c’est la chaste poésie
Qui jamais n’a vendu sa céleste beauté ;
Fille de l’amour pur et de la liberté ;
Pour un culte éternel que mon cœur a choisie.


Tegernsee, près Munich, 30 juin 1848.