Elle et Lui (M.P.C.)

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M. P. C.
Elle et Lui (M.P.C.)
Revue des Deux Mondes4e période, tome 140 (p. 412-414).


POÉSIE

ELLE ET LUI


Les morts dorment en paix dans le sein de la terre ;
Ainsi doivent dormir nos sentimens éteints.
Ces reliques du cœur ont aussi leur poussière ;
Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains.
(La Nuit d’octobre.)

Alfred de Musset.


La paix était sur eux ! Chacun d’eux, à son heure,
Avait tourné sa page et s’était endormi.
On les avait couchés dans leur suprême abri :
Elle, aux murs familiers de sa vieille demeure,
Lui, sous le saule vert, dont le feuillage pleure
Et tremble, en inclinant ses rameaux jusqu’à lui.

La paix était sur eux ! De l’ancienne agonie
S’étaient évaporés les amers souvenirs.
Les vents avaient, au loin, dispersé leurs soupirs.
Ils reposaient enfin, absous par leur génie,
Et la mort leur versait, d’une main attendrie,
Le calme bienfaisant d’un sommeil sans désirs.

D’un idéal nouveau, vous, les ardens apôtres,
Ô morts, on a trouvé trop doux votre sommeil !
Tressaillez dans vos os, car voici le réveil !
Le scandale est le fruit de jours comme les nôtres :
Nous usons notre cœur à sonder ceux des autres,
Et nos yeux à compter les taches du soleil.


Plus le mort était grand, et plus on est avide
De fouiller son cadavre, ainsi que font les loups.
On s’est glissé, furtif, et ployant les genoux,
Comme dans l’hypogée ou dans la pyramide,
Pour tâcher de surprendre, en votre main livide,
Quelque secret bien cher qui dormît près de vous.

Avec la minutie avare des orfèvres
Qui pèsent une perle aux beaux reflets nacrés,
On compte les tourmens des instans adorés
Où vous vous torturiez, par vos troublantes fièvres ;
Et les baisers de feu qui brûlaient sur vos lèvres ;
Et les sermens trahis qui vous ont déchirés.

Tes cheveux noirs, coupés dans un moment d’ivresse,
Ô George ! ont défrayé les salons. Les échos
Nous répètent cent fois le moindre de vos mots ;
On veut savoir jusqu’où plongea votre détresse ;
Et si, quand s’exaltait votre double tendresse,
Les sanglots de vos cœurs étaient de vrais sanglots.

On connaît des romans dont l’intérêt s’épuise,
Mais le vôtre est de ceux qui durent ici-bas.
Les ruelles de Venise ont désappris vos pas,
Mais nous n’oublions rien : la gondole, l’église,
Franchard, la Forêt-Noire… et quand un cœur se brise
Nous voulons être sûrs qu’il ne nous trompe pas.

Parfois, pour les sauver des regards ironiques,
En un coffret d’or pur ou de bois précieux,
Le triste amour enferme un billet, des cheveux,
Des roses d’autrefois, précieuses reliques,
Que, dans l’isolement des soirs mélancoliques,
On baise en se cachant, pâle et fermant les yeux.

Maudits ceux qui, pour voir si vos larmes sont vraies,
Prennent votre trésor et le mettent au jour !
Vous êtes flagellés, chacun à votre tour,
Dans leurs livres, pareils à de brûlantes claies.
Ils enfoncent leurs doigts dans les trous de vos plaies,
Et, pour des droits d’auteur, font saigner votre amour.


Tant de bruit s’était fait déjà sur ces histoires
Que l’on pensait tout bas que c’en était assez ;
Que, dans l’apaisement des lointains effacés,
La mort, en les touchant, sanctifiait les gloires,
Et qu’on eût pu trouver, de vos tristes mémoires,
Quelque témoin plus haut dans les beaux jours passés.

Ô nos élans naïfs pour la forme immortelle
Qu’un génie enflammé donnait à vos écrits !
Nos enthousiasmes purs, vers les cieux repartis !
Poètes, plaignez-nous ! On a brisé notre aile.
Nous perdons plus que vous dans l’enquête cruelle,
Car nous vous croyions grands, et l’on vous fait petits.

Qu’il eût mieux valu voir, dans l’ombre où tout retombe,
Votre spectre debout, de laurier couronné !
Un sépulcre est un temple, à durer destiné,
Que le printemps emplit du chant d’une colombe,
Et l’on eût vu planer, sur la paix de la tombe,
Le pardon qu’en mourant vous vous êtes donné.

13 février 1897.
M. P. C.