Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Introduction

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 1-31).


INTRODUCTION





Rien ne serait plus naturel que la guerre fût le résultat de la crise présente ; pourtant on peut dire également que rien n’est moins certain. Si le terrain des hostilités n’était pas limité à l’Extrême-Orient, et si la puissance qui se trouve en face du Japon était une autre que la Russie, on pourrait prédire positivement que la guerre éclatera. Mais avec la Russie, la considération de la valeur stratégique de sa position en Mandchourie doit exercer une influence prédominante sur ses résolutions. Pour ceux qui n’ont pas étudié de près l’histoire militaire, aussi bien que pour ceux qui n’ont pas une connaissance étendue de la situation, la position dans laquelle la Russie se trouve placée offre le plus grand intérêt. Il n’existe certainement, en dehors de la marche de Napoléon sur Moscou, aucune guerre, dans les annales de l’histoire militaire, qui puisse se comparer aux difficultés qui assiègent la Russie en Mandchourie et en Corée. De plus, sa position navale n’est pas meilleure que sa position sur terre. Sur terre, un chemin de fer à voie unique, traversant le cœur d’un pays ennemi, se termine à Port-Arthur. Sur mer, Vladivostok est sacrifié, par suite de sa situation, tandis qu’il est inaccessible en raison de son climat. Ces deux points, Port-Arthur et Vladivostok, marquent les extrémités de la position stratégique qu’occupe la Russie en Mandchourie. En écartant pour le moment Vladivostok de toute considération spéciale, il reste Port-Arthur pour les premières opérations de la campagne. Port-Arthur, par conséquent, relié à l’arrière par une voie unique de communication, devient le pivot des opérations.

L’aspect de Port-Arthur, vu de la mer, est peu attirant. D’âpres collines, se rattachant à la chaîne de montagnes qui divise la péninsule de Liao-tung, se groupent autour de la baie, empiétant sur le rivage ; dépourvues d’arbres et de végétation elles communiquent aux environs un aspect désolé et même sauvage. Entre les pointes extrêmes du port, qui se conforme aux dentelures de la côte, il y a plusieurs baies que leur manque d’eau rend inutilisables, mais qui, avec le temps, pourront former une addition importante à la faible étendue d’eau profonde que le port possède actuellement. On a entrepris des travaux de dragage, mais il y a tant à faire que de nombreuses années s’écouleront avant que Port-Arthur puisse étendre l’espace très restreint dont il dispose. La vase, amenée par les courants qui se déversent dans le port, a déjà atteint l’étendue d’eau profonde, et depuis que le port a été construit, ces dépôts ont très considérablement modifié la profondeur au large. À mer basse, les navires qui sont mouillés à moins d’une vingtaine de mètres du quai, reposent sur la boue avec un peu plus d’une brasse d’eau et, d’autre part, l’espace est si petit qu’il est impossible à une douzaine de vaisseaux de tenir à l’aise dans ce port. Les vapeurs de plus grande dimension que les petits bateaux de cabotage qui s’arrêtent à Port-Arthur, venant de Chine ou du Japon, doivent mouiller devant le port et opérer le déchargement et le rechargement au moyen de jonques ou d’allèges. Par rapport aux besoins de l’escadre, Port-Arthur est loin d’être assez vaste. Pendant que les croiseurs sont en train d’embarquer les approvisionnements, les cuirassés d’escadre doivent rester en dehors, disposition qui est évidemment incommode dans les circonstances critiques. C’est pour cette raison que les autorités firent construire à Dalny — à quelques kilomètres de la forteresse et à l’intérieur de la baie de Pa-tien-wan — une ville nouvelle, en même temps que des docks de commerce et des quais, afin que Port-Arthur pût être réservé plus spécialement aux besoins de la marine de guerre.

VUE GÉNÉRALE DE PORT-ARTHUR.

Port-Arthur a la chance de posséder toutes les choses qui font, pour une base navale, partie intégrante du succès. Le bassin à sec, plutôt insuffisant et peu solide, a 116 mètres de long, 10 mètres de profondeur, et 24 mètres de largeur, tandis que le bassin maritime est égal en surface à tout le mouillage disponible pour les navires dans le port proprement dit. Quand les travaux de dragage dans les baies du port seront achevés, on espère obtenir une mince profondeur de quatre brasses. L’approfondissement systématique du port offrira à la flotte une surface de mouillage dépassant considérablement un mille carré, mais tant que le travail n’est pas exécuté, la valeur de Port-Arthur en tant que base navale satisfaisante est infiniment moindre que le prestige dont il jouit comme position imprenable,

Port-Arthur possède une petite place d’armes, un champ de tir, un champ de manœuvres pour l’artillerie, une station de torpilleurs et une réserve pour les exercices qui sera agrandie quand les baies seront ouvertes. Il y a un poste de projecteurs électriques, et diverses écoles d’instruction — torpilles, artillerie, télégraphie — tandis que les arsenaux et les ateliers qui s’étendent autour du bassin maritime et à l’intérieur des chantiers de la flotte sont très abondamment pourvus. Ces mesures néanmoins furent surtout prises par la Russie, quand elle s’empara de Port-Arthur ; leur existence à l’heure présente prouve combien il est impossible de faire peu de cas des avantages qui dérivent, pour la Russie, de la possession de ce port, et de quelle étendue sont les conséquences de la monstrueuse bévue commise par lord Salisbury, en consentant à son usurpation.

En dehors des moyens de défense, la Russie n’a pas jusqu’ici ajouté beaucoup à Port-Arthur ; les troupes sont pour la plupart cantonnées dans les vieilles maisons chinoises, les choses ayant été quelque peu négligées en faveur de l’organisation des moyens de défense qui importaient avant tout. Toutefois de belles casernes sont aujourd’hui en construction, et, s’il n’y a pas de guerre, on prévoit que de larges installations seront bientôt prêtes au bord des baies et sur les collines. Les fortifications sont vraiment splendides. Des forts qui existaient au temps des Chinois, très peu sont conservés. Depuis l’entrée en possession du gouvernement russe, on a travaillé d’une façon continue à étendre le périmètre des fortifications, aussi bien qu’à les consolider. Il est d’une absolue évidence que les autorités sont résolues à ne pas procéder par demi-mesures. Les Russes ont obtenu Port-Arthur, et ils ont l’intention de le garder. Il y a sur les falaises, s’élevant immédiatement à la droite de l’entrée du port, une position extrêmement forte, formée, je crois, d’une batterie de six canons Krupp de 52 centimètres, qui est de plus soutenue par un fort placé à quelques mètres au-dessus du port, et en commandant tout le front, avec huit Krupp de 25 centimètres. À des hauteurs correspondantes, il y a sur la pointe opposée, deux forts semblables avec des batteries pareilles, tandis que les mines dans le port sont contrôlées de ces deux positions. En suivant les collines vers le sud et le nord, on trouve d’autres forts ; l’un, entre autres, de grande dimension, est situé sur l’extrême crête de la chaîne et, dominant tout le reste, commande la mer et les approches du port à une grande distance. Il est impossible de découvrir de quel genre sont ces canons, mais d’après leur position, l’étendue du fort et le rôle qu’ils sont destinés à jouer, il n’est pas probable qu’ils soient inférieurs à 27.000 kilogrammes, lançant des obus d’environ 500 livres. La ligne intérieure des forts n’est pas moins formidable, et il semble bien que Port-Arthur ne pourra jamais être réduit par un bombardement seul, tandis que toute attaque se produisant par terre serait cruellement reçue, grâce aux positions d’où les Russes défendraient leurs flancs et le col. Pour l’instant toutefois, l’artillerie de campagne fait défaut parmi les troupes de la garnison, de même que beaucoup des forts récemment construits manquent de canons. On peut aussi hasarder l’opinion que l’ensemble de la position a été fortifié avec un tel excès qu’elle peut devenir éventuellement une source de faiblesse dans la disposition finale des forces russes.

Un combat pour se rendre maître de la mer devrait nécessairement précéder toute opération sur terre. Le Japon est à 15 heures de Fusan, ville possédant déjà une garnison japonaise, et de Ma-san-po, le port sur lequel la Russie et le Japon ont des prétentions égales. Le détroit qui sépare le Japon de la Corée a 320 kilomètres de largeur, tandis que la base la plus rapprochée de la Russie, Port-Arthur, est à une distance de 1.500 kilomètres d’une part, et que Vladivostok, d’autre part, est éloigné de 1.900 kilomètres. Il s’ensuit donc que c’est en Corée, et non en Mandchourie, que seraient débarquées les troupes japonaises. Une fois établi en Corée, le Japon pourrait disputer la suprématie sur mer à conditions égales. À cet égard, les nombreux bâtiments lance-torpilles que possèdent les Japonais leur assurent un sérieux avantage puisqu’il sera en leur pouvoir d’y avoir recours si la flotte russe essaie d’arrêter leur mouvement. L’absence de toutes facilités pour réparer les avaries rend le fait certain que la flotte russe évitera autant que possible tout engagement sérieux. Il serait difficile de rendre meilleure la situation du Japon à cet égard. À Yokosuka, d’où un grand nombre de croiseurs ont été lancés, il existe un très grand chantier de constructions, et le Japon possède également des docks convenant aux grands navires à Kure et à Nagasaki. Il a en tout à sa disposition immédiate, une demi-douzaine de docks de 120 mètres ou plus de longueur et une très habile année d’ouvriers. Port-Arthur doit être regardé pour des fins pratiques comme la base navale de la Russie en Extrême-Orient dans le cas d’une campagne entreprise à la saison froide.

Vladivostok est trop éloigné pour qu’on puisse s’attendre à ce qu’il soit utilisé. La Russie a néanmoins construit dans ce port un grand bassin à sec, un bassin à flot de 91 mètres de longueur, et le plan d’un second bassin à sec a été tracé. En face de ces deux centres solitaires et isolés, le Japon possède des bases navales, des arsenaux et des docks sur les points suivants de ses côtes :


Yokosuka
Arsenal, cale, de construction et bassin à sec.
Kure
Arsenal, cale de construction, bassin à sec, ateliers pour plaques de cuirasse.
Sassebo
Arsenal.
Maitsura
Chantier neuf.
Nagasaki
Trois docks.
Takeshiki
Station de charbon, base navale.
Ominato
Base pour les petits bâtiments.
Kobe
Chantier pour la réparation des torpilleurs.
Matsmai
Station de radoub.


Les escadres que le Japon et la Russie peuvent mettre en ligne dans cette guerre sont très redoutables et pendant les derniers mois chacune des deux puissances a fait des efforts énergiques pour augmenter la force de sa flotte.

En janvier 1903, le tonnage général de l’escadre russe du Pacifique s’élevait à 87.000 tonnes, la flotte comprenant les cuirassés d’escadre Peresviet, Petropavlovskn Poltava, Sevastopol et les croiseurs Rossia, Gromoboi, et Rurik, et autres navires plus petits.

En mars, le tonnage est monté à 93.000 tonnes, grâce à l’arrivée du croiseur Askold de la Baltique.

En mai, les croiseurs Diana, Pallada, Novik et le cuirassé d’escadre Retvizan vinrent rejoindre la flotte.

En juin, les croiseurs Bogatyr et Boyarin entrèrent en scène.

En juillet, le cuirassé d’escadre Probleda arriva.

En novembre, le cuirassé d’escadre Tzarevitch et le croiseur Bayan vinrent augmenter la force de la Russie.

En décembre, le cuirassé d’escadre Oslyabya, le croiseur cuirassé Dimitri-Donskoi, les croiseurs protégés Aurora et Almaz et onze destroyers torpilleurs. En janvier 1904, le cuirassé d’escadre Imperator-Alexander III quitte la Baltique pour l’Extrême-Orient.

La Russie a eu à lutter contre de grands obstacles pour assurer sa position dans cette région. Par suite de ressources restreintes pour faire construire des navires et eu égard à sa désavantageuse position géographique, la Russie n’a pas eu les mêmes occasions d’augmenter sa flotte du Pacifique, qui se sont présentées pour le Japon. Effectivement, sinon en fait, la Russie est forcée d’entretenir quatre flottes. Malheureusement chacune est isolée des autres, des milliers de milles les séparant entre elles. Des escadres sont concentrées dans la Baltique, dans la mer Noire, dans la mer Caspienne et dans le Pacifique. L’escadre du Pacifique est d’établissement récent et de la construction la plus moderne. Elle remonte à 1898, époque où la Russie a inauguré sa politique d’expansion navale. Des commandes furent faites en France, en Allemagne et en Amérique, du charbon fut acheté à Cardiff, et en peu de temps le noyau d’une flotte puissante a été formé. Pour le moment, ces navires neufs sont défectueux sous divers rapports et des centaines d’ouvriers, de canonniers, d’ingénieurs ont été retirés de l’escadre de la mer Noire pour faire du service sur la flotte du Pacifique, accomplissant leur voyage par le chemin de fer transsibérien. À l’heure actuelle, et jusqu’à ce que la phase aiguë de la crise soit passée ou que la guerre ait été déclarée, la disposition de l’escadre russe du Pacifique est la suivante :


À Port-Arthur, les cuirassés d’escadre Petropavlovsk, Poltava, Sevastopol, Peresviet, Retvizan, Probleda et Tzarevitch ; les croiseurs de première classe Bayan, Askold, Pallada, Diana et Varyag ; les canonnières Bobr, Gremyashtchi et Koreetz ; les transports Amur, Yenissei et Angara ; les croiseurs-torpilleurs Vsadnik et Gadiamak, et les destroyers Bezshumni, Bezposhadni, Bditelni, Bezstrashni, Boevoi, Vnimatelni, Vnushitelni, Viposlivi, Vlastni, Burni et Boiki.

À Vladivostok, les croiseurs de première classe Rossia, Gromoboi, Rurik et Bogatyr, la canonnière Mandchur et le transport Lena.

À Chemulpo, le croiseur de deuxième classe Boyarin et le destroyer Grossovoi.

À Ma-san-po, le croiseur de deuxième classe Rasboinik.

Dans la baie de Nimrod, le croiseur de deuxième classe Djijdjit.

À Newchwang, les canonnières Otvazhni et Sivutch.

À Nagasaki, la canonnière Gilvak.

On peut voir d’après cette liste que la Russie a presque toute son escadre pacifique dans la mer Jaune ou aux environs. Il faut ajouter à cette force l’escadre en route pour l’Extrême-Orient, qui est passée dernièrement à Bizerte. Celle-ci comprend le cuirassé d’escadre Oslyabya, deux croiseurs de deuxième classe, Aurora et Dimitri-Donskoi et onze destroyers torpilleurs. Quand ces renforts, qui sont sous le commandement de l’amiral Virenius, seront arrivés, cela donnera à la Russie une supériorité numérique sur le Japon. Des capacités supérieures, et ce haut degré d’habileté, qui est si remarquable dans la flotte japonaise, réduisent cette supériorité à un bas niveau. La Russie pourtant ne sera nullement prise à l’improviste, comme le prouve la formation à Port-Arthur d’une brigade navale de réserve. La liste détaillée qui suit comprend les principaux navires de l’escadre russe du Pacifique. Les officiers qui la commandent sont :

Le vice-amiral Stark ;

Le contre-amiral prince Ukhtomski ;

Le contre-amiral baron Shtakelberg ;

L’amiral Virenius (qui doit rejoindre).


CUIRASSÉS D’ESCADRE


NOM CONSTRUIT TONNAGE VITESSE PRINCIPAL ARMEMENT
EN
EN
NŒUDS
Tzarevitch 1901 13.000 18
4 canons de 30 centim.
(vaisseau-amiral) 12 15
Probleda 1900 12.000 19
4 25
11 15
Poltava 1894 11.000 17
4 30
12 15
Sevastopol 1895 11.000 17
4 30
12 15
Petropavlovsk 1894 11.000 17
4 30
12 15
Peresviet 1898 12.000 19
4 25
10 15
Retvizan 1900 12.700 18
4 30
12 15


Renforts qui doivent rejoindre : Oslyabya, 12.000 tonnes, 4 canons de 25 cent., 10 canons de 15 cent. ; Navarin, 9.000 tonnes, 4 canons de 30 cent., 8 canons de 15 cent. ; Imperator-Alexander III.


CROISEURS


NOM CONSTRUIT TONNAGE VITESSE PRINCIPAL ARMEMENT
EN
EN
NŒUDS
Askold 1900 7.000 23 12 canons de 15 centim.
Bayan 1900 8.000 21
2 20
8 15
Gromoboi 1899 12.000 20
4 20
16 15
Rossia 1896 12.000 20
4 20
16 15
Rurik 1892 11.000 18
4 20
16 15
Bogatyr 1901 6.000 23 12 15
Varyag 1899 6.000 23 12 15
Diana 1899 7.000 20 8 15
Pallada 1899 7.000 20 8 15
Boyarin 1900 3.000 22 6 12
Novik 1900 3.000 25 6 12
Zabiuca 1878 1.300 14 Pièces de campagne.
Djijdjit 1878 1.300 13 3 canons de 15 centim.
Rosboinik 1879 1.300 13 3 15


Renforts qui doivent rejoindre : Gremyashtchi, Amiral-Nakhimoff ; Aurora, Amiral-Korniloff ; Otrajny, Dmitri-Donskoi ; Almaz.

Les canonnières à cette station sont au nombre de neuf, les destroyers dix-huit, et les transports six. Treize destroyers doivent rejoindre.

Voici la comparaison de cette flotte, y compris les renforts, avec la force éventuelle du Japon :

Cuirassés d’escadre. Croiseurs.
Russie 10 21
Japon 7 26

Le Japon ayant besoin d’une partie de ses croiseurs pour protéger ses côtes, la Russie devient numériquement supérieure sur mer. En plus, la Russie a une puissante flotte auxiliaire, consistant en dix vapeurs de la Compagnie de Navigation de la mer Noire, dont la plupart ont été construits sur les chantiers de la Tyne et font en moyenne quatorze nœuds. L’Association russe de la Flotte Volontaire comprend douze navires construits sur les chantiers de la Tyne et de la Clyde. Ils sont également à la disposition des autorités.

Contre cet ordre de bataille, les Japonais peuvent mettre en ligne des navires de dimension et de déplacement égaux ; pour ce qui est du poids réel du métal, le désavantage est du côté des Japonais, mais pour l’épaisseur de la cuirasse, il y a peu de différence. À côté de cette égalité comparative des deux flottes ennemies, il ne faut pas oublier le grand avantage qui dérive pour le Japon de la facilité qu’il a de se servir de ses ports fortifiés comme bases navales. Ceci est vraiment d’une telle importance que la connaissance de ce fait pourrait l’amener à risquer toutes ses forces dans un seul engagement. En outre, le Japon trouvera dans la marine marchande, qui s’est énormément accrue ces dernières années, tout ce dont il peut avoir besoin en fait de transports et d’auxiliaires de la flotte de guerre.

Voici l’indication des principaux navires de la flotte japonaise :


CUIRASSÉS D’ESCADRE


NOM FORCE CANONS POIDS
DÉPLACE- VITESSE des
EN
MENT NOMINALE projectiles
CHEVAUX
d’un côté
Tonnes Nœuds Centim. Livres
Hatsuse
15.000 15.000 18.0 38 4.240
Asahi
Shikischima
Mikasa 15.200 16.000 18.0 38 4.225
Yashima
12.300 13.000 18.0 38 4.000
Fuji



CROISEURS CUIRASSÉS


NOM FORCE CANONS POIDS
DÉPLACE- VITESSE des
EN
MENT NOMINALE projectiles
CHEVAUX
d’un côté
Tonnes Nœuds Centim. Livres
Tokiwa
9.750 18.000 21.5 16 3.568
Asama
Yaqumo 9.850 16.000 20.0 16 3.368
Azuma 9.436 17.000 21.0 16 3.368
Idzuma
9.800 15.000 24.7 16 3.568
Iwate


Il faut ajouter les deux croiseurs de la République Argentine achetés en Italie et qui étaient prêts à prendre la mer au commencement de janvier 1904.


CROISEURS PROTÉGÉS


NOM FORCE CANONS POIDS
DÉPLACE- VITESSE des
EN
MENT NOMINALE projectiles
CHEVAUX
d’un côté
Tonnes Nœuds Centim. Livres
Takasago 4.300 15.500 24.0 12 800
Kasagi
4.784 15.500 22.5 12 800
Chitose
Itsukushima
4.277 5.400 16.7 28 1.260
Hashidate
Mathsushima
Yoshino 4.180 15.750 23.0 780
Naniwa
3.727 7.120 17.8 1.196
Takachiho
Akitsushima 3.150 8.400 19.0 780
Nitaka
3.420 9.500 20.0 920
Tsushima
Suma
2.700 8.500 20.0 335
Akashi


En rapport avec la première division de la flotte japonaise, un fait intéressant a été découvert, qui, touchant notre pays, présente un intérêt plus qu’ordinaire. En cas de guerre, on sait qu’à une seule exception près, les navires qui forment cette division sont tous de construction anglaise. Les plans, la cuirasse et l’armement reproduisent le type de notre marine de guerre, et il est en conséquence évident que nous ne pouvons manquer d’être profondément intéressés par le résultat de toute rencontre qui pourrait survenir. Chaque nation possède dans les eaux d’Extrême-Orient des navires pourvus des derniers perfectionnements que la science et l’esprit d’invention ont apportés. C’est pour le peuple de l’empire anglais, dont la sécurité repose fondamentalement sur la flotte, que les engagements présenteront le plus haut intérêt, par la similitude entre les navires qui seront engagés d’un côté et ceux de notre marine. Ces navires qui ont tous reçu leur peinture de guerre et dont le point de concentration est Nagasaki, à 585 milles marins de Port-Arthur, sont les suivants :

NOM CONSTRUIT À TONNAGE PRINCIPAL ARMEMENT
Hatsuse (CE) Elswick 15.000
4 canons de 30 centim.
14 15
Shikishima (CE) Tamise 15.000
4 30
14 15
Asahi (CE) Clyde 15.000
4 30
14 15
Fuji (CE) Blackwall 12.500
4 30
10 15
Yashima (CE) Elswick 12.500
4 30
10 15
Iwate (C) Elswick 10.000
4 20
10 15
Asama (C) Elswick 10.000
4 20
10 15
Idzuma (C) Elswick 10.000
4 20
14 15
Tokiwa (C) Elswick 10.000
4 20
10 15
Takasago (C) Elswick 4.300
2 20
10 12
Kasagi (C) Cramp 5.000
2 20
(Philadelphie) 10 12
(CE) Cuirassés d’escadre. — (C) Croiseurs.


Une flottille de torpilleurs, comprenant trente-cinq unités fait partie de cette division. Les autres divisions de la flotte de guerre comprennent les navires suivants :

Troisième division
Deuxième division. (celle de la métropole).
Cuirassés d’escadre 2
Croiseurs 10 8
Petits bâtiments 30 80

En plus, la flotte auxiliaire comprend quarante vapeurs, appartenant pour la plupart à la Nippon Yusen Kaisha.

La constitution actuelle de l’armée japonaise date de 1873, et les forces militaires se composent : 1o de l’armée régulière ou permanente, avec sa réserve et la réserve du recrutement ; 2o de l’armée territoriale ; 3o de la milice nationale, et 4o de la milice des diverses îles en dehors de la côte, etc. Le service militaire est obligatoire pour tout homme valide, de dix-sept à quarante ans. Sur cette période, trois ans se passent dans l’armée régulière ou permanente, quatre ans et quatre mois dans la réserve régulière, cinq ans dans l’armée territoriale, et le reste dans la milice nationale. L’armée permanente et sa réserve effectuent les opérations à l’extérieur, l’armée territoriale et la milice sont affectés à la défense du pays. Ces dernières sont armées de fusils à un coup Peabody et Remington. La force actuelle de l’armée permanente, sur le pied de guerre, sans comprendre la réserve, est la suivante :

OFFICIERS HOMMES CHEVAUX
Infanterie : 52 régiments à 3 bataillons, 156 bataillons
4.160 143.000 52
Cavalerie : 17 régiments à 3 escadrons, 51 escadrons
400 9.300 9.000
Artillerie de campagne et de montagne : 19 régiments à 6 batteries, total 114 batteries de 6 canons, 684 canons
800 12.500 8.800
Artillerie de forteresse : 20 bataillons
530 10.300 70
Génie
13 bataillons de sapeurs 270 7.000 215
1 bataillon de chemins de fer 20 500 15
Train des équipages : 13 bataillons
220 7.740 40.000

Total : 684 canons, 6.400 officiers, 190.390 hommes, 58.152 chevaux.

La réserve comprend 52 bataillons d’infanterie, 17 escadrons, 26 compagnies du génie et du train et 19 batteries avec 114 canons, composant un total de 1.000 officiers, 34.600 hommes et 9.000 chevaux. Par conséquent, en cas de mobilisation, la force totale de l’armée désignée pour le service au delà des mers s’élèverait à 7.400 officiers, 224.990 hommes, 798 canons et 67.152 chevaux. Derrière cela, il y a l’armée territoriale, qui comprend 386 bataillons d’infanterie, 99 escadrons, 26 compagnies du génie et du train et environ 70 batteries, ou 11.735 officiers, 348.100 hommes, 1.116 canons et 86.460 chevaux.

L’infanterie et le génie de l’armée régulière ont été récemment pourvus du fusil à magasin Meidji. Les détails suivants montrent que la petite arme japonaise est supérieure à l’arme russe, qui date de 1891 :


Le « Meidji » japonais, modèle 1897.
Nombre
Mètre Hausse Poids de cartouches
Calibre. à la seconde. jusqu’à avec la baïonnette. en magasin.
6 millim. ½ 700 2.700 9 liv. 60 gr. 5
Le « Trois-lignes » russe, modèle 1891.
7 millim. ¼ 580 2.500 9 liv. 375 gr. 5


La cavalerie régulière a la carabine Meidji. La réserve est armée du fusil à magasin Murata, modèle 1894, calibre de 8 millim., 610 mètres à la seconde, hausse jusqu’à 2.150 mètres, poids avec la baïonnette 9 livres 30 grammes. L’équipement porté par le soldat d’infanterie en campagne pèse 43 livres ½.

L’artillerie régulière de campagne et de montagne est armée de pièces à tir rapide de 75 millimètres, à compresseur hydraulique, lançant des projectiles de 10 livres. On les appelle les pièces Arisaka. L’artillerie de forteresse et de siège possède les derniers modèles de Krupp et Schneider-Canet comme pièces de siège, pièces de forteresse et mortiers. L’artillerie de campagne de réserve est armée du canon de bronze rayé de 75 millimètres, du vieux modèle italien. Les Japonais ne possèdent pas d’artillerie à cheval, et la seule différence entre les pièces de campagne et les pièces de montagne, c’est que ces dernières sont plus petites et plus légères, et n’ont pas une hausse aussi grande. La cavalerie est l’arme la plus faible. Elle porte le sabre et la carabine, mais pas la lance. Les chevaux sont mal dressés ; les hommes sont de très médiocres cavaliers.

Les forces russes en Mandchourie comprennent 88 bataillons, 60 escadrons et 50 batteries, qui, jointes aux troupes des garnisons et aux armements des forteresses, atteignent 200.000 hommes et 300 canons. Ces troupes en Mandchourie sont formées en deux corps d’armée de première ligne et deux de seconde ligne. Deux nouvelles brigades de chasseurs à pied viennent de s’ajouter à ces forces. Elles sont ainsi composées :


7e Brigade. — Port-Arthur. 8e Brigade. — Vladivostok.
Général Kondratenko. Général Artamanoff.
25e régiment. 29e régiment.
26e 30e
27e nouveau. 31e nouveau.
28e 32e


Le Russe est un marcheur extraordinaire ; le poids réel de son équipement est de 58 livres. Une tente par section est portée par six hommes. Chaque soldat porte dans son sac du biscuit pour deux jours et demi. La ration quotidienne en temps de guerre se compose de :


Biscuit. 1 liv. 380 gr. Thé. 7 gr.
Viande. 230 gr. Sucre. 12 gr.
Gruau d’avoine. 130 gr. Eau-de-vie. 4 centilitres.
Sel. 24 gr.


Dans les exigences du service actif, il arrive que le soldat russe doit prélever sa nourriture lui-même. Dans n’importe quels cas, toutefois, il se soutient avec très peu de nourriture, et compte dans une large mesure sur ce qu’il pourra trouver. La cavalerie russe est armée du sabre, du fusil et de la baïonnette. Celle-ci est continuellement au canon, même quand l’arme reste suspendue. Quelques régiments seulement portent la lance. Les canons de campagne sont en acier et se chargent par la culasse ; ils proviennent des ateliers de Obukhov. Ils se rapprochent du modèle Krupp ; beaucoup toutefois ont la pièce de culasse à vis interrompue et la fermeture de Bange. À présent il y a une variété de modèles dans l’artillerie russe, particulièrement dans les positions fortifiées, où les Russes ont transporté les pièces qu’ils ont prises aux Chinois pendant l’insurrection des Boxers. Ces pièces étaient de modèles français, allemand et anglais.

Sur terre, l’immense supériorité des forces de réserve de la Russie réduit les avantages qui résulteraient pour les Japonais d’une lutte sur mer. Il faut se rappeler cependant que les troupes russes se meuvent lentement, et quoiqu’elles puissent montrer une merveilleuse endurance et qu’on puisse compter qu’elles se battront bien, le manque d’initiative individuelle de la part des officiers russes les prive de cet élan et de cette adresse qui caractérisent l’esprit de l’armée japonaise. Il est assez curieux que des deux côtés on suive la tactique usitée en Europe pour l’infanterie et la cavalerie, les principes qui dominent l’instruction des Japonais montrant qu’ils suivent de près les méthodes allemandes. Ni l’un ni l’autre ne profiteront donc du degré de supériorité auquel ils ont pu atteindre. Le manteau d’hiver de l’une et de l’autre armée est presque semblable, et pour la chaleur, les Japonais et les Russes se servent également d’une blouse blanche. On a parlé de l’adoption par les Japonais de la couleur khaki ; d’autre part, la tunique du soldat russe est également blanche ou khaki. Dans la question plus importante du transport par voie de terre il pourrait sembler que le chemin de fer mandchourien fût un triomphe assuré pour les autorités russes. Malheureusement cette immense voie ferrée, mal posée et médiocrement pourvue, imposera un effort perpétuel aux troupes russes. Si on pouvait compter sur la population du pays pour garder une bienveillante neutralité vis-à-vis des lignes télégraphiques, des traverses de la voie et des rails, des piliers et des poutres de ponts, cela diminuerait la possibilité de toute interruption sérieuse du trafic. Malheureusement pour les Russes, l’attitude et les actes des habitants du pays qui, d’une façon générale, ne perdront aucune occasion de harceler leur ennemi, empêcheront certainement la coopération efficace des forces russes.

À ce sentiment instinctif d’animosité, il faut opposer la sympathie de race qu’éprouve tout Chinois envers les Japonais. En Mandchourie particulièrement, les Japonais jouissent, dans l’esprit de la populace, d’une haute réputation, et il faut se remémorer, par-dessus tout, cette prompte remise de toutes les obligations, durant la guerre sino-japonaise, qui distingua la politique des envahisseurs vis-à-vis des intérêts locaux. Cette bienveillance se manifesta pour la seconde fois pendant l’insurrection des Boxers, et naturellement le frappant exemple offert par les Japonais, comparé à celui des Russes, n’a pas été perdu pour les Chinois. On se souvient aujourd’hui de ces choses en Mandchourie, et on peut compter qu’elles compenseront les sentiments réactionnaires qui peuvent se manifester en Corée. Pour ce qui est du service de santé des deux belligérants, il est à peu près équivalent. Le meilleur système des Japonais est compensé par les plus grandes facilités qu’apporte aux Russes la possession du chemin de fer pour le transport des blessés. Il faut toutefois remarquer que le principal service médical — la Société russe de la Croix-Rouge — est uniquement patriotique, et qu’il n’est en rien une organisation militaire. Elle peut être retirée du théâtre de la guerre à n’importe quel moment après la conclusion des principales opérations.

Il est difficile — sinon impossible — de s’avancer au delà de ces quelques observations avec quelque certitude, quoiqu’on puisse ajouter, comme remarque finale, que si le blocus de Port-Arthur par mer était réalisé d’une manière satisfaisante, et si Vladivostok était fermé par les glaces, l’estuaire des rivières Yalu et Lico permet de s’emparer d’une admirable position, d’où la situation des Russes dans la Mandchourie tout entière peut être très rapidement menacée. Les hypothèses, quant à la manière dont se déroulera la campagne sur terre, sont néanmoins absurdes, jusqu’à ce qu’on sache quelque chose du résultat des engagements sur mer par lesquels la guerre doit s’ouvrir. En attendant, — le contribuable anglais ayant une connaissance douloureuse des frais qu’entraîne une guerre, — on s’est beaucoup occupé de la situation financière des deux pays. Un grand financier allemand, intéressé dans la dette publique de la Russie, m’expliquait dernièrement qu’une très large part des sommes prélevées pour la construction des chemins de fer russes reliés au Transsibérien et à la ligne de Mandchourie, a été, de temps à autre, mise de côté pour augmenter le trésor de guerre. Ces sommes, jointes à celles recueillies par le comte Mouravieff avec l’assentiment de M. de Witte, et comprenant les fortes différences qui ont fait retour à l’État, par suite des économies réalisées dans les divers départements l’année dernière, représentent un capital approximatif de cent millions dé livres sterling. En face de cette accumulation de capitaux, on dit que la position du Japon est extrêmement favorable. Il y a, je crois, à la Banque Centrale, une réserve en numéraire qui s’élève à 113.000.000 de yens, plus 40.000.000 de yens à Londres. Néanmoins, la marge de la banque pour l’émission des billets est de 35.000.000 de yens, somme qui sera dépassée après le nouvel an. Le Trésor a trois fonds capitaux s’élevant ensemble à 50.000.000 de yens, sans compter quelques millions à Londres qui restent de la vente d’obligations de 1902.

Enfin, il y a de grandes sommes qui dorment dans toutes les banques du pays, et on a rendu une ordonnance qui donne un crédit illimité au gouvernement.

Les agissements récents des Russes en Mandchourie tendent naturellement à confirmer l’opinion que la guerre est peut-être imminente. Néanmoins le bluff fait partie intégrante de la diplomatie russe, et il y a des raisons de croire que les intentions de la Russie en Extrême-Orient ne sont aucunement aussi guerrières que les préparatifs auxquels elle se livre, et les actes des fonctionnaires russes en Mandchourie pourraient le faire supposer. La diplomatie russe dissimule toujours l’exécution de ses plans en faisant des préparatifs dans une direction contraire ; et pour le moment, son occupation du territoire coréen n’est guère autre chose qu’un écran, derrière lequel elle se propose de consolider sa mainmise sur la Mandchourie. Une guerre seule la forcera d’abandonner sa position en Mandchourie ; mais si un protectorat sur le territoire coréen est de peu de valeur pour la Russie, quel que soit le compromis qui sera fixé entre elle et le Japon, il faut s’attendre à ce qu’elle fasse un effort résolu pour imposer sa domination sur la partie basse de la rivière Yalu. En réalité, et cela est curieux, l’estuaire de la rivière Yalu est le véritable centre de la querelle entre les deux puissances, puisque, si la Russie parvenait jamais à dominer la rivière Yalu, elle gagnerait aussitôt cette position spéciale sur les frontières de la Corée, dont le Japon a le désir de s’emparer. En cela, le Japon ne peut compter que sur les ressources et les expédients de la diplomatie ; et quoique l’occupation par les Russes de Yong-an-po puisse être entravée, le développement d’An-tung sur l’autre côté de la rivière ne peut être empêché. Il paraît donc inévitable qu’une position dominant la rivière Yalu doit finalement lui échoir. An-tung est situé en territoire mandchourien ; la rivière Yalu forme la frontière entre la Mandchourie et la Corée, et à Yong-an-po s’est formé le noyau d’une importante colonie russe. L’avenir ne contient aucune promesse d’un arrangement immédiat de la difficulté actuelle. La situation est pour le moins embrouillée ; et en même temps le fait apparaît d’une façon particulièrement claire et intelligible, que ni la Russie n’évacuera New-Chang, ni qu’elle ne sera chassée de la Mandchourie, ni qu’elle abandonnera sa position sur la rivière Yalu. La position de la Russie à New-Chang a été indiquée par des événements passés, son occupation de la Mandchourie est une vieille histoire, et elle est pour l’instant occupée à développer rapidement ses intérêts à An-tung. La position de ce port lui donne des avantages tout à fait spéciaux, et l’avenir commercial de l’endroit peut être très grand. Il est situé à environ vingt-quatre kilomètres au-dessus de Yong-an-po, sur l’autre rive. Pour l’instant le commerce d’exportation se borne au millet et aux cocons de vers à soie, la surproduction de ce dernier article exigeant une attentive surveillance technique. Douze kilomètres au-dessous de An-tung, situé sur la rive droite du fleuve, est la station de San-tao-lan-tao, où les jonques et les radeaux doivent s’arrêter et payer les droits de régie avant d’aller plus loin. La rivière ensuite s’incline, vers le nord-est, et après douze autres kilomètres de cours vient An-tung, sur la même rive, à un point où le cours d’eau se divise, la branche orientale étant la rivière Yalu. An-tung est de construction tout à fait récente, et des champs de millet s’étendaient il y a peu d’années à l’endroit qu’il occupe. Sous la direction des marchands du pays, de grandes maisons d’aspect solide furent construites, on a percé de larges rues, et la ville est remarquable par son air de prospérité peu commune. Le mouillage est peuplé de jonques, et le bois de construction est entassé en vastes quantités au delà des limites de la ville. Les vapeurs du type caboteur peuvent ici opérer leur déchargement et leur chargement, évitant ainsi le transbordement à Ta-kung-kao.

Le commerce entre Ta-tung-kao, qui est situé à l’embouchure du Yalu, et Chi-fu, est maintenant entrepris par de petits vapeurs de la flottille Mosquito et un navire anglais, le Hwang-Ho, de la Compagnie de Navigation de la Chine (MM. Butterfield et Swire), tandis que la vaste quantité d’exportations et d’importations circule çà et là dans les jonques chinoises. La distance à partir de Chi-fu est de trois cents kilomètres et le temps passé pour le voyage vers le nord-est est vingt-deux heures, les vapeurs mouillant au milieu du canal à une distance de six kilomètres et demi de Ta-tung-kao. Ta-tung-kao est une ville affairée, d’autant plus que c’est l’endroit de transbordement pour les importations et les exportations, dont la plupart vont vers An-tung ou en viennent. La circonstance que les vapeurs ne peuvent approcher de Ta-kung-kao, fait de An-tung le véritable centre d’affaires de la rivière Yalu. Pour ce qui est d’An-tung, deux cents hommes de cavalerie russe y stationnent depuis plus de deux ans et demi. Le cantonnement est situé sur une petite éminence, marquant au nord la limite de la ville qui n’a pas de murailles. Comme d’ordinaire, le long de la vallée du Yalu, ces soldats jouissent d’une mauvaise réputation parmi les habitants. En s’éloignant de An-tung est la « Grand’route » de Pékin qui se dirige vers Liao-yang. Au-dessus de An-tung la Rivière se divise et les hauts-fonds apparaissent, l’eau étant si basse que seules les embarcations du pays peuvent faire le trajet. Wi-ju est situé à environ seize kilomètres vers l’est, et à un point à l’ouest de Mao-kewi-shan, à six kilomètres au-dessous de An-tung, il y a le terminus de la branche du chemin de fer mandchourien, qui doit traverser la rivière. La construction de cet ouvrage commencera an printemps de l’année 1904. Les premiers cent trente kilomètres offrent peu d’obstacles, et on a l’intention de pousser l’ouvrage jusqu’à ce que sa jonction avec la grande ligne soit opérée. La Russie ne peut donc ignorer les conséquences de sa politique en Extrême-Orient et en même temps on ne peut s’attendre à ce qu’elle sacrifie, à la demande du Japon, ces grands intérêts qu’elle a eu tant de mal à promouvoir. Sa position est vraiment un exemple frappant de la manière dont une politique impérieuse donne le goût, quand elle n’en crée pas la nécessité, de l’impérialisme.

La position de la Corée vis-à-vis des questions en litige est désespérée. Malheureusement le gouvernement de la Corée est impuissant à empêcher le progrès de la Russie aussi bien que l’expansion continue de l’influence japonaise. Elle ne possède ni armée ni marine qui puisse lui être de quelque utilité, et elle se trouve dans la situation d’un pays incapable d’élever la voix pour lui-même. L’armée compte quelques milliers d’hommes à qui, dans ces dernières années, on a appris à se servir des armes européennes. Ils sont armés de fusils Gras, Murata (modèle suranné) et Martini, et de divers fusils à canon lisse et se chargeant par le bout. Ce sont des tireurs tout à fait médiocres et en outre ils manquent des qualités de courage et de discipline. Il n’y a pas d’artillerie, et la cavalerie se compose uniquement de quelques centaines d’hommes qui n’ont aucune idée de l’équitation et qui ne connaissent ni leurs armes ni leur service. À un moment de crise, fantassins et cavaliers seraient absolument démoralisés. Il y a de nombreux généraux, et la marine qui comprend, je crois, vingt-trois amiraux, se compose d’un unique transport de charbon en fer, qui appartenait, jusqu’à ces derniers temps, à une Compagnie de navigation japonaise. La Corée, impuissante et malheureuse, est comme un jouet pour le caprice japonais ou la convoitise russe.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE CORÉE.

Mon but, en écrivant les pages suivantes, a été de présenter une impartiale étude de la situation du pays. Comme de nombreux et de plus habiles écrivains se sont déjà occupés de la situation de la Mandchourie, je me suis borné uniquement à passer en revue la Corée. J’espère qu’on ne me le reprochera pas et, dans le but de satisfaire ceux qui pensent que mon livre devrait contenir des renseignements sur les questions de Mandchourie, j’ai essayé de donner à mon introduction les apparences d’un chapitre qui traite uniquement de ce problème. Et maintenant, en terminant mon ouvrage, il me reste un devoir à remplir, qui n’est pas le moins agréable. Comme complément de mes notes personnelles sur la Corée, j’ai recueilli des renseignements de beaucoup de gens — écrivains, voyageurs, savants — tous ceux qui se sont intéressés à l’histoire contemporaine du Royaume Ermite. Je m’empresse de les remercier ici et en les nommant je montrerai que je suis reconnaissant de la bonté qu’ils m’ont témoignée. À M. MacLeavy Brown, des Douanes maritimes coréennes ; à M. Gubbins, auparavant de la Légation anglaise à Séoul ; à mon distingué et savant ami, le professeur Homer B. Hulbert, dont les notes sur la Corée ont été pour moi d’une valeur exceptionnelle, j’exprime ma cordiale reconnaissance ; envers Mme Bishop, le colonel Younghusband, le révérend Griffis, le major Gould-Adams, auteurs qui ont contribué d’une manière intéressante et importante à l’étude de la Corée, je témoigne des obligations que j’ai. À M. Bolton, de la maison Stanford, de Long-Acre, pour l’édition des cartes géographiques, je sais vraiment gré du travail patient que lui imposèrent les nombreuses insuffisances de mes données géographiques. À sir Douglas Straight, directeur de Pall Mall Gazette, dont j’ai eu le plaisir de représenter le journal pendant mon long séjour en Extrême-Orient ; à M. Nicol Dunn, directeur du Morning Post ; à M. S. J. Prjor, du Daily Express, je dois témoigner ma reconnaissance pour la courtoisie avec laquelle ces personnages distingués m’ont permis de reproduire les parties de mon livre qui parurent, à diverses époques, dans les colonnes de leur journal. Et enfin je présente ce livre à mes lecteurs dans l’espoir que l’excuse immédiate pour sa publication pourra racheter à leurs jeux ses nombreuses insuffisances.